Aux XVe et XVIe siècles, nos ancêtres savants, poètes ou paysans n’avaient qu’une conscience confuse et partielle de se situer à une époque-charnière que les historiens finirent par nommer, bien plus tard, la Renaissance. Dans l’échelle du temps long, la période que nous vivons est tout aussi décisive, et même davantage. Parmi les géologues, le consensus grandit autour de l’idée que nous changeons carrément d’ère géologique. Du point de vue de l’Histoire, cela correspond à un bouleversement équivalent à la révolution du Néolithique, la naissance de civilisations sédentaires pratiquant l’agriculture.
En partageant autour de moi le projet de cet article, je me suis trouvé confronté à la perplexité de certains interlocuteurs. Ceux-ci m’ont fait comprendre que le mot que je venais d’articuler – oui, celui-là, an-thro-po-cène, ce vocable qui fait un peu grec et qui semble planer à mille kilomètres au-dessus de nos journées qui se suivent et se ressemblent, dites-le à la fin, ce truc qui a l’air franchement « intello » –, que ce mot ne leur disait rien. S’il n’avait pas existé, leurs semis de courgettes ne s’en seraient pas plus mal portés, le Sud serait resté le Sud et la terre continuerait de tourner. Sauf que, précisément, ce que ce mot nous raconte est l’histoire d’une mutation sans précédent de la relation entre l’Homme et la planète. Un mot pourtant issu d’une Science peu médiatisée et très spécifique : la géologie.