L’abeille, cette sentinelle qu’on assassine !

Nul ne peut plus aujourd’hui l’ignorer : les abeilles se meurent ! Et plus encore les populations de solitaires, de sauvages, tous ces malheureux insectes anonymes qui ne profitent pas des soins attentifs et généreux de gentils apiculteurs. Si une partie du monde scientifique s’obstine encore, pour mieux nous inciter à ne rien faire, à incriminer une masse sans nuances de facteurs – un funeste cocktail « multifactoriel » de virus, de varroase, d’insecticides… -, le monde apicole, lui, n’a plus depuis bien longtemps l’ombre d’une hésitation : à ses yeux, les pesticides – et surtout les insecticides systémiques au nombre desquels on compte les fameux néonicotinoïdes – sont un inconstestable facteur de stress qui contribue gravement à la surmortalité des abeilles. Même utilisés à doses infimes, ces poisons engendrent une toxicité chronique qui finit par dépeupler le rucher. Pourquoi continuer, dès lors, à délivrer aussi aisément des autorisations de mise sur le marché à ces tueurs silencieux ? Même l’EFSA (Autorité européenne de sécurité des aliments), qui n’a pourtant jamais eu la réputation de beaucoup s’opposer aux multinationales qui les fabriquent, se pose aujourd’hui la question, en tenant un discours de plus en plus inquiétant au sujet des pesticides…
D’accord ! Albert Einstein n’aurait, semble-t-il, jamais dit que « si l’abeille disparaissait de la surface du globe, l’Homme n’en aurait plus que pour quatre années à vivre« … Et alors ? Qui aurait osé lui donner tort s’il l’avait fait ? Qui sont ces glaciaux technocrates qui laissent aujourd’hui perpétrer le meurtre de la meilleure sentinelle de notre environnement ? L’Europe en est pourtant à estimer le coût économique d’une disparition pure et simple des pollinisateurs sauvages : une histoire de 150 milliards d’euros annuels… Personne ne s’étonnera dès lors de voir Nature & Progrès, ardent défenseur d’un monde sans pesticides, pointer un doigt accusateur. Vers trois exécrables néonicotinoïdes, tout d’abord, que l’Europe, dans sa grande mais si tardive perspicacité, vient enfin d’interdire… pour deux ans ! Que percevoir derrière pareille manoeuvre ? L’aube d’une prise de conscience salutaire, ou plutôt un exécrable piège à nigauds – et à hyménoptères ! Quelques spécialistes de la question vont, dans les pages qui suivent, nourrir quelque peu notre réflexion… Lourd doigt accusateur également vers un curieux projet européen de « Directive miel » dont on ne sait trop s’il entend régler la question des OGM pour l’apiculture… ou celle de l’apiculture pour les producteurs d’OGM ? Une fois encore, le citoyen européen ne sera jamais trop vigilant… Ni trop écoeuré. Dernier doigt accusateur, enfin, en direction des biocides qui sont omniprésents dans nos lieux de vie et que nous tenons toujours stupidement pour un progrès. Oui ! Bon nombre de nos désinfectants, antimoisissures, anti-fourmis et produits de traitement du bois, ou autres poisons liquidateurs de rats et de souris, sont aussi des tueurs d’abeilles ! Dame ! N’utilisent-ils pas les mêmes sinistres molécules qu’on emploie dans les champs : cyperméthrinedeltaméthrineimidaclopride et autre fipronil ?
Le constat, ami lecteur, est de plus en plus lumineux. Dès 2006 pourtant, Nature & Progrès invitait le monde politique belge à entendre les arguments de scientifiques français qui incriminaient déjà gravement le fipronil et l’imidaclopride. Rien n’y fit ! Et pourtant – oui, pourtant ! – nous avons remis le couvert en ce mois de juin, avec l’organisation d’un nouveau colloque… La coupe est pleine, cette fois. De plus en plus de représentants des pouvoirs publics, en Belgique comme en Europe, sont enfin obligés de se rendre à l’évidence. Beaux messieurs, belles dames, les faits sont tellement têtus ! L’heure n’est donc pas venue de relâcher la pression. Certainement pas ! Bien au contraire : les abeilles se meurent toujours et de nouvelles générations d’insecticides attendent derrière la porte que d’imprudents fonctionnaires permettent leur entrée sur la marché…