Libres paysans syriens

Autant l’annoncer d’emblée : le témoignage que je souhaite partager dans ces pages a pour moi une valeur exceptionnelle. Il est au carrefour de deux enjeux politiques essentiels, deux combats pour l’autonomie et la liberté qui vont ensemble. La sauvegarde et la diffusion des semences paysannes – contre la dépendance à des semences industrielles protégées et déconnectées des terroirs et des agriculteurs – et la lutte pour la liberté et la dignité des peuples, des Syriens en particulier – contre la dictature et contre des visions idéologiques déconnectées du terrain et du vécu des populations locales…

Quand j’ai découvert, sur le site de la radio France Culture, le projet Graines et Cinéma, mis en place par Zoé et Ferdinand Beau, j’ai été touché en plein coeur. Parce qu’il faisait résonner ensemble deux immenses découvertes personnelles, deux intimes coups de foudre : la Syrie et les semences. J’ai tout de suite senti le désir de participer, d’une manière ou d’une autre, à la diffusion de cette initiative. Partager ce coup de coeur dans la revue de Nature & Progrès, association au sein de laquelle j’ai découvert l’univers des semences paysannes, à la suite de Frank Adams puis des rencontres du Réseau Semences Paysannes, à Boulazac en 2012, m’a semblé la moindre des choses…

Je ne suis pas naïf cependant. Je sais bien, comme Zoé, comme ceux qui ont accompagné la révolution syrienne dans la vérité de son émergence populaire, pacifique et authentique, puis dans son abandon, ses récupérations, son écrasement, je sais bien qu’une large partie de l’opinion occidentale n’a jamais pris au sérieux cette révolution pourtant abondamment documentée (1). Les élucubrations de géopolitique et de complots, la hantise de l’intervention américaine en Irak dans l’imaginaire collectif, la focalisation sur l’islamisme, ont créé un écran de fumée rendant invisible, pour beaucoup, l’aspiration massive et légitime d’innombrables Syriens à la liberté et à la dignité. Leur incroyable créativité aussi, leur courage exceptionnel, leur persévérance malgré une adversité inouïe.

La Syrie et les semences ne sont pas pour moi des « sujets » de discussion. Elles font partie de mon histoire personnelle et elles m’ont permis de rencontrer des gens extraordinaires. En me branchant sur Skype pour échanger une petite heure avec Zoé, j’ai un peu le trac. Je sais que je n’en ressortirai pas indemne, comme chaque fois que j’entends parler des semences ou de la Syrie avec des mots justes. Avec le temps, on apprend à distinguer le son creux du prêt-à-penser idéologique, du toc, et les voix chaleureuses de l’engagement inscrit dans des liens humains. La vérité est toujours du côté de ces dernières…