Pourquoi les gens ne changent-ils pas ? L’adieu aux solutions, pour un agir « en chemin » – 6e et dernière partie

Nous sommes en train de changer d’ère. D’une ampleur difficilement mesurable, le basculement en cours est tel qu’on parle d’une nouvelle époque géologique : l’anthropocène. Pourtant, tout semble suivre son petit bonhomme de chemin, la pluie et le beau temps, métro, boulot, dodo, rien de neuf sous le soleil en apparence. Cette rubrique est consacrée à explorer, sous divers angles, la question suivante : pourquoi les gens ne changent-ils pas ? Ce dernier chapitre affirmera que les gens changent tout de même, de la seule manière possible, lentement mais pas sûrement, car nous devons apprendre à nous passer de nos anciens appuis : un certain type d’optimisme, l’idéologie des « solutions » et le confort des certitudes.

Cela fait à présent cinq longs chapitres que nous consacrons à poser cette question : pourquoi les gens ne changent-ils pas malgré l’évidence des problèmes écologiques majeurs que l’organisation de nos sociétés a générés ? Le moins que l’on puisse dire, c’est que nous avons trouvé de multiples raisons à cette inertie. Parmi les hypothèses parcourues, les blocages relevant de la psychologie individuelle – cf. chap. 1, dissonance cognitive, et chap. 5, l’addiction aux certitudes – côtoient les obstacles liés aux représentations collectives – cf. chap. 2, nous savons mais nous n’y croyons pas et chap. 4, verrouillages socio-techniques -, ainsi que des mécanismes tangibles – chap. 2, points de bascule, chap. 3, les limites de la contagion par les valeurs et chap. 4, lobbying et recours aux experts. Une exploration plus pointue de la psychologie et de la sociologie du changement nous auraient sans doute apporté des explications supplémentaires de cette tendance à ne pas changer…

L’option du business as usual est pourtant impossible. Plus que jamais d’ailleurs : lors du 35e Congrès Géologique International qui s’est tenu au Cap, du 27 août au 4 septembre 2016, un groupe de chercheurs a recommandé d’entériner l’entrée officielle dans l’ère de l’anthropocène sur l’échelle des temps géologiques. Cela signifie, rappelons-le, que nous vivons un basculement d’époque au moins aussi important que celui qui a vu passer l’humanité du nomadisme à des civilisations pratiquant l’élevage et l’agriculture, se sédentarisant, inventant plus tard les villes, l’écriture, la démocratie, les guerres, etc. Un changement abyssal donc, qui marque l’entrée dans une ère où l’on ne peut plus se représenter l’humain et la culture, d’une part, et la nature, d’autre part. L’officialisation de l’anthropocène prendra sans doute encore quelques années, mais elle est sur les rails…

Cette vision géologique des choses apporte un premier élément de réflexion à notre interrogation sur l’inertie de la société. Les pratiques, les structures, les politiques n’ont pas l’air de changer, nous avons vu pourquoi… Mais indépendamment des volontés individuelles, l’époque, elle-même, change. Les gens ne changent peut-être pas mais ils sont en train d’être changés par l’époque. Dans quelle mesure ? À quel rythme ? Pourquoi est-ce invisible ?