Peut-on imaginer une alimentation sans eau ? Impossible, assurément. Mais d’où vient l’eau que nous consommons quotidiennement, ce bien à la fois si commun et si précieux ? Et surtout qu’est-ce qui fait qu’à nos yeux une eau peut être bonne ou mauvaise ?
Jusqu’au milieu du XIXe siècle, l’alimentation en eau des populations urbaines reposait principalement sur les fleuves et les rivières ! Vingt mille Parisiens succombèrent ainsi au choléra en 1832. Quoi d’étonnant ? Pasteur affirma : « Nous buvons 90% de nos maladies » ! Grâce à lui, le critère de la bonne eau tint enfin dans la présence ou non de bactéries pathogènes. Car l’eau est un véhicule avant tout, drainant le pire comme le meilleur. Traiter l’eau apparut alors comme une nécessité, et le développement des réseaux de distribution alla de pair avec une amélioration de la qualité sanitaire. Petit à petit, la désinfection chimique s’imposa et l’emploi du chlore se généralisa. Peu coûteux, le chlore n’en reste pas moins un puissant oxydant dont la présence dans son eau n’en finit pas d’inquiéter le consommateur.
Néanmoins, l’eau de distribution est une chose récente, ne l’oublions pas : en 1945, les trois quarts des communes rurales françaises n’avaient pas encore accès à l’eau courante. Et protéger tant la ressource elle-même que le consommateur reste une tâche très complexe. Aujourd’hui, les nappes phréatiques sont de plus en plus sollicitées, la pollution par les nitrates d’origine agricole et la présence, souvent problématique, de traces de métaux lourds et de produits phytosanitaires rendent de plus en plus ardu le traitement « avant robinet ».
Un paradoxe évident apparaît, une enquête récente du Centre d’Information de l’eau n’a pas manqué de le souligner : si le consommateur ne perd pas vraiment confiance dans l’eau du robinet, il utilise cependant de plus en plus d’eau en bouteille ! En bouteille ! Comme une volonté de placer sa confiance dans un produit plutôt que dans une ressource de la nature. Un non-sens écologique engendré par de pharamineux marchés et imposé à grands renforts de publicité. Mais à quel coût ? Exorbitant pour le consommateur ! Insupportable pour l’environnement ! Des lacs entiers embouteillés, « emplastiqués » et juchés sur des camions qui s’en viennent creuser un peu plus les ornières de nos autoroutes… Puis, surtout, cette incroyable régression de la « corvée eau », non plus à la fontaine publique comme jadis, mais au supermarché du coin ! Et, paradoxe des paradoxes, même nos magasins bio s’y mettent, vantant telle ou telle eau aux mérites incertains, sans même se soucier de son origine, proche ou lointaine… Le geste simple de tourner le robinet ne serait-il plus vécu désormais comme un progrès ? L’eau en bouteille est-elle à ce point miraculeuse ? Ou le comportement du buveur contemporain échappe-t-il désormais à toute forme de rationalité ? Sachons aussi que, dans le monde où nous vivons, un homme sur cinq n’a toujours pas accès à l’eau potable…