Cet article est paru dans la revue Valériane n°173

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Par Guillaume Lohest,

rédacteur pour Nature & Progrès

La littérature, pense-t-on naturellement, c’est du loisir. En est-on si sûrs ? « Les poèmes serrés sur le papier diffusent la même lumière d’or que le blé rassemblé en meules dans le pré », a écrit Christian Bobin. Tentons de comprendre, ou plutôt de sentir, pourquoi cette lumière d’or est indispensable dans tout engagement, en particulier écologique.

Atelier d’écriture organisé en 2024 au salon bio Valériane (c) Yves Lobet.

 

Dans le Val d’Azun, au cœur des Pyrénées, se tient chaque année un festival d’écopoétique, Le murmure du monde. Auteurs, musiciens et poètes y partagent leur passion pour l’écriture du vivant, de la nature, de l’écologie. Des ateliers d’écriture réguliers sont aussi organisés, des projets avec les écoles ainsi que des résidences d’écrivains. Pour l’édition 2025 du festival, un laboratoire imaginatif, Pyrénées 2099, rassemble des habitants de la région autour d’un écrivain et d’un scientifique, et servira de base à l’écriture d’un spectacle.

 

Un retour en force ?

Dans d’autres régions, une effervescence semblable peut être observée : les initiatives d’écriture fleurissent en s’inscrivant au cœur d’une démarche écologique. Dans l’autre sens, le monde littéraire fait de plus en plus de place aux thématiques du dérèglement climatique, de l’effondrement de la biodiversité, du saccage des ressources, ou à la contemplation pure et simple du vivant. Dystopies et utopies écologiques (re)deviennent une source majeure d’inspiration littéraire. Dernier exemple en date, la publication en français du dernier livre de la romancière américaine Jean Hegland, Le temps d’après. Cette suite du best-seller Dans la forêt a été réclamée par les lecteurs, qui voulaient savoir quelle nouvelle vie serait possible après la survie des deux héroïnes dans le roman initial. Le besoin d’écrire répond donc certainement à un besoin de lire. Autre exemple emblématique, l’écriture collective du recueil de nouvelles « Bâtir aussi » par les Ateliers de l’Antémonde (1). L’univers de ces nouvelles n’est pas une douce harmonie avec la nature mais plutôt une « passion de la bidouille, des chantiers et des métiers manuels en général. C’est la recherche théorique et l’invention du concret : expérimenter, rencontrer de sérieux problèmes de résistance et d’équilibre et trouver des solutions pour que ça tienne. »

 

Rien à voir avec la mièvrerie

Mais on sent venir la question : à quoi ça sert d’écrire, et de lire ? Est-ce que cela permet de transformer le monde, de résister au capitalisme et aux nationalismes qui détruisent la vie sur terre ? Car c’est vrai, depuis plusieurs décennies, la littérature a été reléguée au plan des loisirs et de l’accessoire, de la « culture » avec un petit c. C’est l’économie et la science qui dominent l’imaginaire de l’action, avec leur prétendue rationalité et leur soi-disant pragmatisme. Mais cette domination est en train d’être fortement remise en question, quand on voit où elle a mené : à la destruction la plus aboutie de la planète.

Au contraire, l’écriture et la lecture sont en elles-mêmes un ralentissement de l’action néfaste sur l’environnement. Déjà, quand on lit, on pollue peu – beaucoup moins que pour la plupart des autres activités. On ouvre aussi la possibilité d’une transformation profonde de nos regards. « Lire et écrire, assène Christian Bobin, sont deux points de résistance à l’absolutisme du monde. » Cette conviction est difficile à expliquer avec le langage de la rationalité. Mais rien n’empêche d’essayer.

Nul ne peut se passer du langage. En effet, argumente l’écrivain Adrien Louandre, « si un scientifique a quelque chose à dire, il commence par l’écrire. Que ce soit une thèse en astrophysique, un livre d’histoire ou un rapport du Giec. » (2). Le langage est au centre de toute communication, de toute pensée ! Or la littérature, la poésie sont le lieu par excellence où le langage est libre, où il peut réinventer, où il peut résister aux clichés, aux réflexes, aux préjugés et à la résignation. L’engagement écologique peut donc s’y abreuver. « L’écologie a besoin de vivants. Elle a besoin de héros. Elle a besoin de récits. Elle a besoin de se plonger dans de longues réflexions nourrissantes. »

Il n’est pas étonnant qu’à d’autres époques et pour d’autres enjeux, des poètes et des écrivains aient été en même temps des résistants, des femmes et des hommes d’action : Olympe de Gouge, Émile Zola, René Char, Albert Camus… parmi tant d’autres. Le poète Pierre Vinclair a écrit un ouvrage entier pour tenter de répondre à cette question (3) : que peut la poésie face à la catastrophe écologique en cours ? Il y suggère de très nombreux liens entre la poésie et la résistance. Notamment « une complémentarité du poème et de l’action, comme si l’écriture était l’arrière (au sens militaire) où l’homme d’action se recentre et réfléchit. Autrement dit, les effets du poème seraient plutôt, s’ils existent, indirects. » La poésie est aussi un terrain de lutte contre la domination de l’imaginaire cartésien, qui place l’humain en position de contrôler et d’organiser la nature comme si elle était un décor extérieur et docile. « C’est au poème, écrit Pierre Vinclair, qu’il revient de court-circuiter la logique des discours, même les discours écologistes, reposant au fond sur le même principe instrumental que l’exploitation de la nature qu’il dénonce. »

Aurélien Barrau, ardent défenseur du vivant, ne cesse d’insister sur l’importance vitale de la poésie aux côté d’autres formes de discours. Car la poésie, écrit-il, « n’a rien à voir avec la beauté et encore moins avec la mièvrerie. Intransigeante, elle est surtout un moyen politique d’être contre, contre le repliement identitaire, la folie consumériste et technocratique. » (4).

 

Le sens de l’émerveillement

Au fond, si l’écriture, la lecture et la poésie permettent de résister, c’est parce qu’elles sont bien davantage que de simples activités parmi d’autres. Elles touchent au cœur battant de notre sensibilité, et donc au noyau dans lequel une résistance peut prendre racine. Rachel Carson, une des mères fondatrices de l’écologie avec son célèbre livre Printemps silencieux (1964), n’était pas seulement une scientifique. Elle était aussi une formidable écrivaine de la nature, persuadée de la dimension poétique de tout engagement : « Si j’avais la moindre influence sur la bonne fée qui est supposée présider au baptême de tous les enfants, je lui demanderais d’offrir à tout nouveau-né, à son entrée dans le monde, un sens de l’émerveillement si indestructible qu’il persisterait toute la vie, tel un antidote infaillible contre l’ennui et le désenchantement des dernières années, les préoccupations stériles face à des choses factices, l’aliénation des sources de notre force. »  (5).

Et si on écrivait ensemble ?

Un atelier d’écriture sera organisé dans le cadre de Festi’Valériane. Débutant ou passionné, n’hésitez pas à nous rejoindre pour cette expérience collective et à poser votre petite graine de résistance dans le champ de nos futurs ! Informations pratiques à venir dans le programme du salon.

 

REFERENCES

  • Les Ateliers de l’Antémonde (2019) Bâtir aussi. Cambourakis.
  • Adrien Louandre, « Bien écrire, c’est rajouter du bonheur au monde », RCF, 17 juillet 2023.
  • Pierre Vinclair (2020) Agir non agir, éléments pour une poésie de la résistance écologique, José Cortí
  • Aurélien Barrau, Tribune dans Libération, 20 octobre 2019.
  • Rachel Carson (2021) Le sens de la merveille, José Cortí.
 

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