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Des activités à multiples facettes qui se nouent autour de la question du pain…

« Quoi, mon pain, qu’est-ce qu’il a mon pain ? « , vous lance du regard cette personne qui vous croise en sortant de la boulangerie… Vous aimeriez la rassurer, lui dire que tout va bien, alors qu’elle-même, confusément, vous a avoué d’une seule œillade que quelque chose la tracasse. Mais nul ne saurait dire quoi exactement… Ce n’est pourtant pas que le pain soit devenu subitement mauvais, immangeable comme un pain de guerre à la sciure de bois. Non, ce n’est pas cela. Pourtant une foule d’indices vous confirment le malaise : une collègue intolérante au gluten, un cousin qui ne digère plus le pain complet, une voisine qui ne jure plus que par celui qu’elle fait elle-même… Et encore, clame-t-elle, pas avec n’importe quelle farine…
Mais le pain, vous dites-vous, c’est traditionnellement la base de notre alimentation, c’est un des symbole les plus puissants de notre culture, c’est ce qu’on nous a toujours appris à partager. Toute solidarité passe par là : « il prit le pain, le rompit, etc. » Même si vous n’y croyez pas, la force d’un tel geste ne saurait vous échapper. Alors, que se passe-t-il dans notre monde ? Sur le long terme, la faim de pain, en France, est passée de six cents grammes par jour et par personne, au début du XXe siècle, à seulement cent trente grammes aujourd’hui, nous apprend le grand historien du pain Steven Kaplan (1). Son image bascule autour de 1914 quand il perd son statut d’objet de survie pour devenir un simple produit d’accompagnement… Mais parle-t-on encore bien du même pain ? Là est toute la question. La chute de la consommation de pain, nous dit encore Kaplan, est à la fois quantitative et qualitative ; elle est due à une « désaffection sensorielle » consécutive à « un travail de banalisation » du pain auquel furent progressivement ajoutés additifs et produits chimiques…
Cette grave question du pain paraît emblématique du destin de toute notre alimentation et c’est bien pourquoi elle travaille tout autant nos consciences… que nos tubes digestifs. Mais que faire ? Voilà toute la question que nous posons dans ce bref dossier : point d’action possible sans une prise de conscience préalable fondée sur une information complète et judicieusement recoupée. Mais que pourrait vraiment valoir cette prise de conscience si elle ne débouche pas sur une transformation radicale de nos habitudes et de nos mœurs alimentaires ? Or pareille métamorphose, on le sait, ne peut plus uniquement reposer sur une simple modification de nos habitudes de consommation. Retrouver la clé de la cité du grain, la recette, le savoir-faire et le tour de main qui est celui de l’artisan, redevenir l’artisan de notre propre nourriture… Là serait-il le salut ?

(1) Steven L. Kaplan, Le retour du bon pain, Perrin, 2002.