La langue est compliquée ! Le français avait forgé l’adjectif « obsolète », grosso modo synonyme de « désuet », d’abord pour ce qui était strictement réservé au langage : on parlait d’un mot ou d’une tournure obsolète. Lentement, le sens s’étendit pour convenir à toute chose périmée. Apparurent ensuite, sous l’influence de l’anglais, l’adjectif « obsolescent » et le substantif « obsolescence » qui s’appliquaient à un concept nouveau, quoi que tout proche. Tout deux désignaient, en effet, le vieillissement technologique de l’équipement industriel, s’appliquant à des appareils ni cassés, ni hors d’usage mais simplement dépassés par une nouvelle génération qui, religion du progrès oblige, étaient nécessairement meilleurs. Longtemps, les critères de cette amélioration parurent évidents : meilleures performances, meilleur rendement…
Aujourd’hui, comme nos dirigeants doivent à toute force soutenir la croissance économique, l’obligation nous est intimée de consommer même si nous n’en avons aucune envie. Et même le seul snobisme n’est plus toujours un argument suffisant pour nous faire acquérir massivement le dernier smartphone à tout faire ou la dernière berline aux gadgets dignes de James Bond. Et même la matraquage publicitaire le plus intensif s’avère parfois bien impuissant à nous ensevelir sous des kyrielles de choses en tous genres. D’où la dernière idée qu’on prête à l’économie capitaliste : ce que vous achetez aujourd’hui tombera inéluctablement en panne demain, non pas à cause d’un mauvais usage dont vous seriez responsable ou d’une usure mécanique lente mais normale, mais simplement parce que son fabriquant aura décidé unilatéralement qu’il est temps que vous passiez à autre chose, c’est-à-dire à la nouvelle gamme, à la nouvelle génération – au présent révolutionnaire qui sera évidemment lui-même dépassé demain – qu’il avait justement prévu de mettre sur le marché avant même de vous vendre le tout nouveau déchet dont vous devez maintenant vous débarrasser au plus vite pour ne pas avoir l’air, vous-même, du dernier des ringards, des désuets, des obsolètes…
Peut-être une telle fuite en avant a-t-elle encore du sens aux yeux de certains économistes ? Le consommateur, lui, aspire à souffler un peu. Il passerait bien son tour dans cette course infernale pourtant vouée aux gémonies, depuis longtemps déjà, par les écologistes qui – bien avant les autres – avaient pris conscience des limites de la biosphère et de sa capacité à absorber les montagnes de déchets ainsi produites. Nombre d’entre eux trouvent même plus intéressant d’interroger les mécanismes qui sont à l’œuvre, d’en mesurer les conséquences et de trouver des solutions. Ainsi naquirent les Repair Cafés car, entre une seconde vie et un déchet déclassé, il s’en faut parfois de quelques tour de vis…