Les premières centrales nucléaires belges fermeront définitivement leurs portes dans moins de quatre ans : Doel 3 en octobre 2022, Tihange 2 en février 2023 ! Gageons donc que les partisans du statu quo nucléaire ne vont pas désarmer dans la campagne électorale de 2019. Quels arguments devons-nous leur opposer ? Voici l’avis d’un spécialiste en la matière : Yves Marenne, directeur scientifique à l’ICEDD (Institut de Conseil et d’Etudes en Développement Durable).

Propos recueillis par Dominique Parizel

Introduction

« Depuis quelques années, rappelle Yves Marenne, le climat est devenu le principal argument de l’industrie nucléaire. Le Forum nucléaire, par exemple, estime que nucléaire et renouvelable font partie, ensemble, de la solution aux dérèglements climatiques. Rappelons cependant que l’ensemble des problèmes environnementaux ne peuvent se réduire exclusivement à la question du climat ; d’autres graves questions se posent que Nature & Progrès connaît d’ailleurs bien mieux que moi…

Dans le timing actuel, c’est-à-dire avec sept centrales fermant entre 2022 et 2025 – tout aurait sans doute été très différent si on avait respecté le timing initial -, il paraît difficile de ne pas passer, ne serait-ce que temporairement, par une phase de renforcement de notre consommation de gaz naturel. Être ainsi contraints et forcés de produire notre électricité à l’aide de centrales TGV – turbines, gaz, vapeur – fera croître notre consommation de gaz naturel et donc augmenter nos émissions de gaz à effet de serre, au moins temporairement. C’est mathématique ! »

Vers des énergies renouvelables…

« En complément d’une production renouvelable croissante, le gaz naturel est juste la meilleure solution temporaire pour permettre la sortie du nucléaire, continue Yves Marenne, celui-ci posant, on ne le sait que trop bien, toute une série de questions principalement liées aux risques inhérents à des centrales vieillissantes et à la gestion des déchets nucléaires. Le tout est, bien sûr, de voir combien de temps durera cette solution temporaire. Des solutions renouvelables viendront remplacer progressivement le gaz naturel ; rappelons ici la résolution du Parlement Wallon, du 28 septembre 2017 – votée à l’unanimité ! -, qui fixe l’objectif du 100% renouvelable pour la Wallonie en 2050 ! Etre sérieux vis-à-vis de cet objectif-là suppose donc, à terme, la sortie totale du nucléaire et même des centrales TGV. Je ne table personnellement pas trop sur une forte diminution de notre consommation à l’échelle de la société. Je crois que c’est un vœu pieux même s’il est vrai que la consommation d’électricité n’augmente plus, en Belgique, ces dernières années…

La question du stockage de l’énergie sera un des principaux problèmes posés par le renouvelable, outre qu’il est intermittent et en partie non-prévisible. L’offre d’énergie renouvelable ne collera pas nécessairement avec la demande, et des solutions de stockage à grande échelle seront certainement nécessaires ; c’est une des conclusions de l’étude 100% renouvelable à laquelle collabora l’ICEDD en 2011 (1). Mais quelles seront-elles ? Il y aura bien sûr les solutions journalières, de type Coo qui délivre grosso modo la puissance d’un réacteur nucléaire pendant cinq heures, donc très insuffisante s’il n’y a pas de vent ni de soleil pendant quinze jours. Son rendement est correct, de l’ordre de 75 à 80% pour le cycle complet. De telles infrastructures devront être développées ; on parle, par exemple, d’aménager un troisième bassin supérieur à Coo.

D’autres solutions vont certainement apparaître : les batteries sont souvent évoquées même si les ressources chimiques qu’elles vont nécessiter – notamment le lithium et le cobalt – poseront d’importants problèmes en termes d’éthique et de ressources. Ces batteries, de toute façon, n’offrent également de solutions que sur un horizon de temps qui est de l’ordre de la journée, ou de quelques journées… Et si nous nous orientons vers une société principalement basée sur le renouvelable, nous aurons aussi besoin d’un stockage inter-saisonnier. L’excédent d’énergie produit, a priori plutôt en été parce que nous aurons beaucoup de soleil, devra pouvoir être consommé pendant l’hiver. »

Pourquoi pas des gaz de synthèse ?

« Nos nouvelles centrales continueront peut-être à ressembler à des centrales TGV, annonce l’ingénieur, mais en brûlant des gaz de synthèse, ce qui signifie que les infrastructures ne devraient pas nécessairement être remplacées… Cette piste d’un stockage inter-saisonnier de l’énergie sous la forme de gaz de synthèse semble être une des plus réalistes, à l’heure actuelle, même si elle reste encore très chère. Le premier de ces gaz auquel on pense est l’hydrogène obtenu par électrolyse de l’eau, au moment où l’on a précisément de l’électricité en excès : l’eau est ainsi dissociée en ses deux composants de base qui sont l’oxygène et l’hydrogène, celle-ci étant un combustible qui peut être stocké, pendant de longues périodes, dans des réservoirs car sa densité énergétique est très élevée. Un ajout de carbone peut alors être envisagé afin de recréer artificiellement du méthane de synthèse (CH4) qui est le composé principal du gaz naturel, voire des combustibles liquides capables, par exemple, d’alimenter des moteurs. Tout cela est bien d’origine renouvelable puisqu’il s’agit simplement d’eau et d’un excédent d’électricité, mais la source du carbone pose évidemment question car, si elle est fossile et qu’on la brûle, on ne fera qu’accroître les problèmes d’effet de serre… Certains imaginent alors capter du carbone atmosphérique mais c’est encore plus cher car la concentration de carbone dans l’air n’est, pour de telles applications, pas très importante. Par contre, dans les fumées d’une cimenterie, par exemple, c’est autre chose… Nous ne sommes encore aujourd’hui qu’aux prémices de tels processus mais il est clair que, pour tenir les engagements climatiques – ce qui semble être la volonté, en Europe en tout cas -, les industriels y réfléchissent déjà, anticipant ainsi la question de la taxation du carbone qui se posera inévitablement, un jour ou l’autre…

Le rendement complet de ces productions de combustibles de synthèse reste bien sûr globalement mauvais – de l’ordre de 25% – si on en refait ensuite de l’électricité en les brûlant dans une centrale TGV. De telles solutions auront donc un coût plus élevé que ce que nous faisons actuellement. Où sera alors l’équité, l’accessibilité en matière énergétique ? La décision de sortir du nucléaire fut prise en 2003 mais les investissements significatifs dans d’autres filières n’existent pas encore de manière significative parce que le cadre institutionnel et politique de cette sortie n’est toujours pas suffisamment stable et sécurisant. Il eut fallu, depuis le début, tenir un discours clair et mettre en place les mécanismes de garantie pour les nouveaux investissements. Si cela avait été fait, les nouvelles centrales seraient déjà prêtes et le basculement vers d’autres combustibles serait déjà une réalité. »

Encore du nucléaire ?

« Aujourd’hui, certaines voix – plus tellement en Wallonie – posent encore la question de la pertinence de la sortie du nucléaire, constate Yves Marenne ! Dire cela revient uniquement à envisager la prolongation de vieilles machines dépassées. Personne – sauf peut-être à la NVA ? – ne parle plus de construire un nouveau réacteur car, si on voulait le faire, on ne voit pas quelle commune l’accepterait sur son territoire, ni qui serait l’investisseur prêt à déposer sur la table les milliards nécessaires. Personne ne sait d’ailleurs exactement combien cela coûterait car, entre le moment où le projet serait annoncé et celui où les premiers KWh seraient produits, entre dix et vingt ans auraient passé… De mon point de vue, le nouveau nucléaire n’a donc plus sa place, d’un point de vue économique, dans le marché libéralisé tel qu’il existe aujourd’hui et où les retours sur investissement doivent être très rapides. A moins qu’un état ne consente à donner une garantie, comme ce fut le cas pour les deux réacteurs construits par EDF, à Hinkley Point en Angleterre : une garantie de rachat du MWh – de l’ordre de 92,5 £ sterling pendant trente-cinq ans, soit plus de 105 euros – fut alors donnée. Une pure folie, financée par le consommateur…

Le nouveau nucléaire est donc hors de prix, entre autres parce que les normes de sécurité se renforcent sans arrêt, ce qui est bien normal : la sécurité, cela coûte de l’argent ! C’est également le gros problème du nouveau réacteur français de Flamanville dont les coûts augmentent au fur et à mesure de la construction, notamment parce que celle-ci fut entamée avant la catastrophe de Fukushima… Le nucléaire veut montrer qu’il est parfaitement sûr et cela le rend extrêmement cher. L’investissement dans du nouveau nucléaire est incertain et risqué – et n’intéresse donc pas les investisseurs qui veulent des bénéfices sûrs et rapides – car si un nouvel accident majeur survient quelque part dans le monde – ce qu’évidemment personne n’espère ! -, le coup d’arrêt des filières nucléaires serait massif et sans doute définitif. Les fervents du nucléaire, comme l’ancien ministre belge de l’énergie Jean-Pol Poncelet (2), prêchent donc pour un retour en arrière par rapport à la libéralisation du marché de l’énergie, et souhaitent une re-monopolisation, voire même une renationalisation, pour que l’état puisse apporter sa garantie dans un marché devenu trop périlleux pour l’investisseur privé. La libéralisation a, en effet, séparé production, distribution et fourniture, là où tout était auparavant empilé et du ressort de la même et unique société qui vendait tout en bloc. Une telle séparation des tâches rend aujourd’hui les décisions d’investissement beaucoup plus compliquées… Je ne vois pas, contrairement à ce qui est pourtant souvent affirmé, comment le nucléaire pourrait être compatible avec le libéralisme économique ambiant. Dans nos pays européens, en tout cas, et plus encore en Belgique… »

Stockage, interconnexion et gestion de la demande

« Mettre en route des capacités équivalentes à celles d’une centrale qu’on ferme est évidemment une vision simpliste, affirme l’ingénieur. Des centrales nucléaires à l’arrêt, il y en a à peu près tout le temps et leur taux de disponibilité est toujours plus réduit vu leur âge. Nous augmentons nos capacités d’importation d’électricité, avec la France et les Pays-Bas notamment ; nous élargissons aussi nos capacités d’échange avec l’Angleterre, entre autre avec le projet Nemo, un gros câble qui relie la Belgique au Royaume-Uni depuis le 31 janvier, et le projet Allegro fera la même chose vers l’Allemagne dès 2020… Nos capacités d’importation étant toujours plus importantes, nous ne devrons pas obligatoirement démarrer un équivalent gaz quand une centrale nucléaire sera définitivement mise à l’arrêt. Les mauvaises langues diront évidemment qu’on devra importer de l’électricité nucléaire, de France par exemple, alors que nous avions la même chez nous mais c’est oublier que le nucléaire français est aussi vieillissant que le nucléaire belge et que nous ne devrons plus trop compter sur lui dans l’avenir. Interconnecter les réseaux et faciliter les échanges d’électricité au niveau de l’Europe apporte des réponses aux problèmes d’intermittence du renouvelable et permet d’améliorer le fonctionnement du marché européen de l’électricité : lorsqu’il y a, par exemple, trop de vent en Mer du Nord, il faut être en mesure d’évacuer cette puissance électrique, par exemple dans le sud de l’Europe où il n’y en a peut-être pas et où précisément la demande en électricité serait forte… Ce sont des projets à long terme mais qui nécessitent aussi de nouvelles lignes à haute tension, avec leurs potentielles pollutions électromagnétiques, ce que pourrait évidemment critiquer Nature & Progrès ! A mon avis, le monde du 100% renouvelable sera un monde beaucoup plus électrique et donc beaucoup plus interconnecté, avec tout ce que cela va supposer d’infrastructures diverses qui seront également contestées…

En plus de l’interconnexion et du stockage, l’autre option souvent oubliée est la gestion de la demande, c’est-à-dire l’adaptation du comportement des consommateurs – industriels, résidentiels ou autres – à un flux d’énergie variable. Le paradoxe réside dans le fait que le nucléaire est le grand initiateur de ces questions car il présente le défaut symétrique du renouvelable : le renouvelable est intermittent et ne colle pas avec la demande, le nucléaire est constant – quand il fonctionne ! – et ne colle pas avec la demande non plus ! Or, pour un réseau électrique, trop ou trop peu d’énergie, c’est exactement le même problème. Quand on en a trop, il faut absolument la consommer et c’est bien pour cela que la centrale de Coo fut construite dès le démarrage du programme nucléaire afin d’absorber exactement l’équivalent d’un jour de production d’une centrale nucléaire. C’est pour cela aussi que nos autoroutes furent soudain éclairées pendant la nuit et que des formules tarifaires apparurent qui permettaient aux particuliers de stocker, pendant la nuit, l’électricité nucléaire en excès, sous forme d’eau chaude sanitaire, par exemple. Mutatis mutandis, nous pouvons très bien imaginer aujourd’hui des systèmes de tarification semblables permettant de mieux épouser l’offre variable d’énergie, c’est-à-dire incitant les consommateurs à acheter leur énergie quand il y en a beaucoup et à mieux contrôler leurs dépenses quand il y en a peu. Avec des prix qui seraient évidemment adaptés à cette disponibilité variable… »

L’avenir énergétique de la Belgique

« Dans une telle vision, insiste Yves Marenne, l’autonomie énergétique belge devient clairement une vue de l’esprit ! Notre étude 100% renouvelable, citée ci-avant – qui n’imaginait de forte baisse de la demande dans aucune de ses hypothèses -, montra qu’une Belgique où tout deviendrait renouvelable, en ce compris les transports et le chauffage, est parfaitement envisageable. Et c’est d’ailleurs aussi ce que prend en compte la résolution du Parlement Wallon que nous avons déjà mentionnée. Par contre, l’autonomie énergétique paraît inaccessible pour la Belgique, en raison de l’exiguïté de son territoire et des faibles ressources renouvelables dont elle dispose, en ce compris le peu de place dont nous disposons en Mer du Nord pour développer de l’éolien offshore : nous ne pourrons en produire que relativement peu par rapport à nos besoins. Le reste du territoire est, quant à lui, trop densément peuplé avec une trop forte demande énergétique… 100% renouvelable et autonomie énergétique sont donc deux objectifs incompatibles dans le cas de la Belgique ; il sera toujours nécessaire d’importer de l’électricité et sans doute d’autres formes d’énergie, comme des gaz de synthèse. Rappelons que nous vivons, aujourd’hui, avec 90% d’importations, sous forme de pétrole et de gaz naturel essentiellement ! Reste donc à savoir d’où ces importations viendront mais sans doute seront-elles largement intra-européennes… Toute forme d’autonomie énergétique belge devrait immanquablement passer par une réduction très forte de notre consommation, ce qui semble difficile d’un point de vue sociétal et problématique d’un point de vue économique. Et autant cela paraît éventuellement possible au niveau des consommations individuelles, autant cela semble difficilement envisageable d’un point de vue collectif, dans un horizon prévisible en tout cas… Il y a quarante ans qu’on parle d’économies d’énergie et les résultats observables restent très limités…

Un des problèmes vient du fait que notre société, et la très grande majorité d’entre nous, s’est habituée à vivre dans un grand confort énergétique. Les générations qui nous ont précédés n’ont jamais connu une telle abondance. Même les rois et les princes d’autrefois ne pouvaient pas improviser un city trip de quelques jours à Venise pour quelques dizaines d’euros… Il faut se rendre compte que nous avons, en permanence, quelques « esclaves énergétiques » à notre service qui garantissent notre confort. L’utilisation rationnelle de l’énergie (URE) peut être poussée plus loin encore dans le résidentiel mais il ne serait pas juste d’envisager la problématique énergétique globale à travers le seul prisme de la consommation individuelle. Nos maisons pourront être passives, voire même à énergie positive ; une bonne isolation et des panneaux photovoltaïques nous amèneront sans doute à produire plus d’électricité que nous n’en consommons. Par contre, imaginer des industries « passives » n’a pas de sens ; cela n’existe pas. Surviendront donc toujours des limites thermodynamiques qui seront indépassables. L’autonomie énergétique à tout prix, dans un horizon raisonnable, semble donc illusoire car, même si cela est peut-être techniquement possible, cela nous coûtera tellement cher que le choix d’importer de l’énergie restera certainement préférable.

Hélas, travailler sur une baisse volontaire de la demande a montré toute son inefficacité. Mais, au fond, qu’est-ce qui doit baisser ? Notre consommation électrique ou nos émissions de gaz à effet de serre ? Les climatologues nous disent combien la deuxième option est aujourd’hui prioritaire, raison pour laquelle le lobby nucléaire continue à se profiler comme un des acteurs de la solution, en feignant d’ignorer le risque qu’un parc nucléaire vieillissant fait prendre à notre monde… Mais, pour réduire les émissions de GES, on peut soit faire baisser la consommation, soit augmenter la consommation d’origine renouvelable. Jusqu’où faut-il pousser l’efficacité énergétique ? A quel moment sera-t-il préférable, et moins coûteux, de faire appel à des énergies renouvelables pour couvrir un « talon » de consommation incompressible ? La réponse à cela n’est pas simple. Elle dépendra, entre autres, de l’évolution des prix des énergies renouvelables qui sont en forte baisse ces dernières années… »

La transition énergétique sera politique et sociale… Ou ne sera pas !

« Fait-il baisser la TVA sur l’électricité de 21 à 6% ? Une baisse générale de la TVA favoriserait les gros consommateurs, s’insurge Yves Marenne, et ce ne sont pas nécessairement ceux-là qui en ont le plus besoin. Ceux qui en ont le plus besoin sont des gens qui consomment peu – une telle mesure ne les cible donc pas ! – et il n’est d’ailleurs pas sûr du tout qu’elle soit suffisante pour leur venir réellement en aide. Cette baisse me paraîtrait donc inefficace, d’autant plus que, la TVA se répercutant dans l’index, elle retarderait d’autant l’indexation des salaires. Le débat sur la taxation du carbone reste très important à mes yeux car c’est une des voies permettant d’envoyer un signal, non pas directement sur la consommation énergétique mais sur les émissions de gaz à effet de serre qui devront immanquablement être rendues globalement plus chères. Toutefois, ainsi que l’ont très bien laissé entendre les « gilets jaunes », la transition énergétique sera politique et sociale, ou ne sera pas… Tout simplement parce qu’une taxation des énergies fossiles ne sera même pas ressentie par les plus aisés, alors que cela représentera une véritable catastrophe pour ceux qui peinent déjà à boucler leurs fins de mois ! Une telle taxe ne peut donc s’envisager que moyennant des mécanismes très efficaces de redistribution qui aideront les petits revenus, soit à consommer moins, soit à isoler mieux leurs maisons, etc. A ce prix seulement, on trouvera collectivement de nouveaux gisements d’efficacité énergétique. On sait à quel point il est désormais délicat de « taper dans le portefeuille » mais il faut rappeler qu’il y a déjà des pays où une telle taxation fonctionne très bien : en Suède, par exemple, on est à plus de cent euros la tonne de CO2, via le prix des carburants… »

Une évolution inexorable du quotidien

« Des évolutions importantes de notre quotidien vont avoir lieu, constate Yves Marenne, quels que soient nos choix individuels. Basculerons-nous rapidement vers la voiture électrique ? Cela reste difficile à dire mais les constructeurs sont déjà très attentifs à ne pas trop bousculer les habitudes de consommation et à permettre son utilisation presque comme celle d’une voiture classique. On annonce, par exemple, des électriques dont l’autonomie atteindrait plusieurs centaines de kilomètres… La mobilité va donc sans doute évoluer, mais jusqu’où ? La voiture électrique émergera sans doute la première, les constructeurs faisant de gros efforts notamment sur les batteries, ce qui posera de gros problèmes de ressources rares, j’en ai déjà parlé. En matière de mobilité, l’électricité n’offre pas la même facilité d’usage que les carburants fossiles, elle induira donc un nouveau rapport du consommateur à l’énergie. Faire de petits trajets professionnels quotidiens restera une tâche tout-à-fait accessible pour elle, elle « accompagnera » la mise en place progressive d’une mobilité différente dans les villes, incluant notamment les questions de la vitesse et du parking… Mais ce sera probablement une tout autre voiture qui devra être utilisée pour partir en vacances vers une destination lointaine – si toutefois nous continuons à partir pour des destinations lointaines – et des solutions locatives seront probablement développées pour ces occasions-là. Les voitures à hydrogène pourraient aussi faire leur apparition, même si elles nécessitent le développement d’infrastructures dont le coût semble a priori exorbitant… Par contre, le gaz naturel comprimé (CNG) apparaîtra sans doute comme une option intéressante si, comme nous le disions, les gaz de synthèse renouvelables venaient à connaître un certain succès, à condition évidemment que le carbone qui les compose ne soit pas d’origine fossile. Mais, bien plus que le carburant, c’est peut-être l’arrivée de la voiture autonome qui constituera le principal bouleversement dans notre façon de concevoir la mobilité ! Nous passons là déjà dans une vision prospective et, en fait, personne ne sait encore exactement ce qui va se passer… »

C’est maintenant, il faut le faire !

« Techniquement et économiquement, conclut l’ingénieur, entamer notre sortie du nucléaire d’ici moins de quatre ans ne pose donc pas de problème majeur ! Pour y arriver, un des grands enjeux politiques est de mettre en place les mécanismes qui vont sécuriser les investissements nécessaires dans de nouvelles infrastructures : les mécanismes de rémunération de capacités, ou Capacity Remuneration Mechanisms (CRM). Ceci n’est toujours pas voté au niveau fédéral et cet aspect des choses est absolument majeur ! C’est peut-être compliqué de le faire « en affaires courantes » mais on en a vu d’autres, n’est-ce pas… Nécessité fait loi !

De quoi s’agit-il ? Rien de bien sorcier : les propriétaires de centrales au gaz doivent avoir aujourd’hui l’assurance que leurs machines tourneront suffisamment pour être rentables, qu’elles valent bien la peine d’être construites même si, le cas échéant, elles ne tourneront peut-être pas beaucoup puisque la capacité renouvelable va augmenter… Il ne s’agit pas de rémunérer uniquement la production en tant que telle, mais aussi la capacité installée, le simple fait qu’elles soient disponibles, autrement dit l’assurance que donneront ces nouvelles centrales de pouvoir tourner en cas de besoin – par exemple, quand il n’y aura ni vent, ni soleil. Et là, le temps commence à presser si nous voulons être en ordre de bataille en temps utiles… Ces mécanismes doivent impérativement être prêts dans les délais les plus brefs afin que nous puissions ensuite penser à mettre la clé sous la porte de nos sept vieilles centrales nucléaires, en l’espace de trois années seulement, entre 2022 et 2025 ! Les investisseurs détestent l’incertitude mais tant qu’ils n’investissent pas, nous ne pouvons rien préparer… Or il n’est pas improbable, vu nos difficultés chroniques à décider, que l’une ou l’autre centrale soit – pour ces raisons, dira-t-on – finalement prolongée jusque 2030, voire 2035… »

Prolonger, prolonger encore, sans prendre aucune option sur l’avenir. Est-ce bien sérieux ? Notre position, à ce sujet, est depuis toujours celle du monde écologiste. Gageons qu’elle est de plus en plus largement partagée, et pas seulement pour de pures raisons idéologiques. L’ancien monde montre aujourd’hui ses limites, sans doute parce qu’il s’est trop longtemps imaginé ne pas en avoir…

Notes

(1) Disponible sur : https://www.plan.be/admin/uploaded/201212190938210.Backcasting_2050_FinalReport_12_12_12.pdf

(2) Voir : Jean-Pol Poncelet, L’Europe à tous vents. Chronique d’une ambition énergétique manquée, Académie Royale de Belgique, 2017.