La place de l’agriculture biologique sur le champ de bataille agricole

Décodage et solutions

Par Nature & Progrès  2023

Introduction

Nature & Progrès est l’association « historique » de la bio. C’est au sein de Nature & Progrès – en France – que furent élaborés les premiers cahiers des charges de l’agriculture biologique qui servirent ensuite de base de travail, de source d’inspiration, pour les cahiers des charges adoptés par l’Europe. Fondamentalement, l’agriculture biologique est issue d’inquiétudes nées, dès l’après-guerre, de l’observation des pratiques agricoles dites modernes, du constat de la dégradation de la couche d’humus et, plus généralement, de l’environnement et de la biodiversité. Pratiquer la bio consista donc, et consiste toujours, à maintenir – voire, si c’est possible, à améliorer – la fertilité de la terre cultivée grâce à un ensemble de pratiques spécifiques : apports de matières organiques, rotations longues, travail du sol, désherbage mécanique, etc. Cet ensemble de pratiques – bannissant par conséquent les engrais et les pesticides chimiques de synthèse – est souvent décrit comme une volonté de collaborer avec la nature, s’opposant ainsi au vain combat – nous le montrerons ci-après – mené par l’agriculture dominante industrialisée. C’est précisément cet ensemble de pratiques que définissent les cahiers des charges de l’agriculture biologique. Contrairement à ce que le consommateur pense généralement, le « produit issu de l’agriculture biologique » n’est donc pas une denrée spécifiquement conçue pour ses besoins égoïstes. Le produit bio n’est pas un produit élaboré sou l’égide d’une quelconque forme de marketing, ou par une quelconque « intelligence artificielle » ! Et c’est toute sa différence…

L’agriculture biologique n’est pas une agriculture d’ignares, réfractaires aux progrès, ou de poètes, nostalgiques du temps jadis. C’est une agriculture d’agriculteurs conscients de la complexité, de la difficulté – et partant de la beauté – de leur métier. En comparant tout ce qui doit être comparé, l’agriculture biologique est tout aussi efficace et productive que l’agriculture dominante. Elle l’est sans doute même infiniment plus si l’on veut bien réinternaliser les nombreux effets négatifs produits, par celle-ci, sur l’humain et sur la planète. L’agriculture dominante – sans cesse plus industrielle que paysanne – est aujourd’hui gravement malade de ses pratiques : la pollution qu’elle génère par les pesticides et les engrais chimiques de synthèse devient insupportable, ses besoins en eau, en carburants et en intrants divers exorbitants, son incapacité à s’adapter aux conditions climatiques particulièrement criante. Les dégâts qu’elle cause à l’humain sont terribles et les agriculteurs sont évidemment en première ligne, même s’ils répugnent encore trop souvent à l’admettre. Ses pratiques prétendument modernes sont un élément majeur de la paupérisation galopante du monde agricole et de la disparition des fermes traditionnelles. Son incapacité chronique à réguler le cycle de l’eau engendrent des protestations, toujours plus fréquentes, de la part des riverains qui en subissent directement les effets…

Le pan, encore et toujours dominant, du monde agricole cherche, par conséquent, à se verdir aux yeux du monde. Cette aspiration, rarement louable, n’est hélas que pure poudre aux yeux. Ou plutôt poudre à lessiver dans la grande machine insolente du greenwashing. Les francophiles auront déjà traduit par eux-mêmes : la mode n’est plus désormais à laver « plus blanc que blanc » mais « plus vert que vert ». Le grand marketing industriel – en ce compris le marketing politique au service des grands syndicats agricoles – s’emploie à se dire vertueux – et nous vous épargnerons ici tous les mauvais « mots-valises » possibles et imaginables. L’inventaire des innombrables verdissements sera, vous l’avez compris, particulièrement pénible mais nous nous y risquerons cependant car il nous semble vital, pour l’agriculture biologique, de dénoncer la supercherie dans toute son ampleur. Nous évoquerons, dans la foulée, l’ensemble des nouveaux critères de consommation qui évidemment se disent eux aussi vertueux et qui aimeraient tant se substituer à la rigueur bio. Ces tendances ne sont pas neuves et nous séparerons le bon grain de l’ivraie, du local au naturel, du plus tolérant – aux pesticides, bien sûr – au plus paysan… Certaines sont d’utiles compléments au socle bio, d’autres puent sans vergogne la récupération par l’industrie. Nous vous donnerons notre point de vue là-dessus. Et vous en ferez évidemment ce que vous voudrez mais il ne sera pas « piqué des vers » – ou des « verts », si vous tenez vraiment à en rigoler un bon coup. Ce sera toujours ça de pris…

Nous terminerons, comme il se doit, par vous faire part des propositions constructives de Nature & Progrès. L’agriculture biologique est la seule notion agricole à être officiellement définie et dûment contrôlée. En dépit de l’absence d’approche éthique, difficile à couler en lois et plus encore à vérifier – nous analyserons en quoi ces manquements consistent éventuellement et comment nous proposons d’y pallier -, la bio est la seule fondation sur laquelle construire une politique alimentaire différente de celle du couple agro-industrie – grandes surfaces. La nécessité, pour le consommateur, d’assortir le règlement bio européen de critères complémentaires ne date cependant pas d’hier et la charte éthique que propose notre association demeure, pensons-nous, le type même de l’initiative indispensable afin d’épargner, à l’agriculture biologique, les dérives qui l’anéantiraient. Le consommateur ne doit cependant pas oublier ici sa responsabilité de citoyen, et le monde politique doit comprendre qu’il ne peut plus se borner à prodiguer des soins palliatifs au vieux monde agricole en perdition, pour lui substituer ensuite les chimères de l’industriel. Il est vital de reprendre aujourd’hui, tant au niveau politique et citoyen qu’au niveau du monde paysan ou de ce qu’il en reste, le contrôle du système alimentaire, dans sa globalité. Face aux incertitudes du futur – principalement de nature climatique -, une telle capacité de maîtrise demeure notre meilleure garantie de prospérité – économique, sociale, environnementale – et de bien-être pour chacun d’entre nous, qui ne pouvons négliger la nécessité absolue de nous nourrir. Nous nourrir – nous nourrir vraiment, plus que nous remplir le ballon – est un droit vital et imprescriptible ! Un droit pour tous les tubes digestifs présents chez nous, sans la moindre exception ! Et l’agriculture biologique est la seule forme d’agriculture à œuvrer, dans la totalité de son projet, dans le sens du bien commun, et non en faveur d’intérêts économiques privatisés ou de privilèges totalement désuets… Tous fonds publics doivent donc, à l’évidence, être réorientés vers son développement, et non vers ce qui nuit à la collectivité et à la santé de tous. Car la bio produit des aliments, alors que l’agriculture qui domine encore produit essentiellement du pognon. Or le pognon, même si ça n’a pas d’odeur, eh bien, voyez-vous, ça ne se mange pas !

 

Chapitre 1 – Pulsions de mort agricoles

Oui. Nous vous parlons maintenant de cette agriculture-là. Comment la nomme-t-on déjà ? Elle ne veut plus vraiment qu’on lui donne de nom et on ne sait plus comment l’appeler. On ne l’appelle donc plus ! Ah, les mots… Quoi de pire que ceux qui sont introuvables, ceux qui ne signifient plus rien, ceux qui ne servent plus à rien. Ne l’appelez plus jamais « conventionnelle », comme pour lui faire avouer qu’elle aurait depuis longtemps renoncé à incarner toute forme de modernité. Ne l’appelez plus jamais « chimique » car elle s’apprête manifestement à s’éloigner – sans toutefois en faire la confession qui lui coûterait beaucoup trop cher – de tout ce qui détruit la vie autour d’elle, et à n’en plus douter les humains eux-mêmes… Ne l’appelez plus jamais « industrielle » car, après tout, l’industrie, ce n’est pas toujours une tare, il y a surtout l’industrie appliquée à ce qui vit qui pose de vrais graves problèmes insolubles. Et l’industrie chimique aussi, tiens, quand même… Ne dites plus non plus « intensive » car quoi de plus louable que le projet d’une intensivité propre ? Alors de quoi parle-t-on ? D’une nouvelle intelligence alimentaire, impalpable et diaphane, faite de goûts formatés dans une créativité de marketing dorée sur tranche, ni trop homogène, ni trop structurée mais qui convainque au premier regard et surtout qui pétille à suffisance sur vos réseaux sociaux pour que tous vos amis vous en parlent dans la joie et dans la bonne humeur, sans que vous dussiez vous-même produire le moindre effort pour chercher à les convaincre… Du rêve consensuel et sous blister en somme, avec une rondelle de citron au milieu et un brin de persil, cristallin et sans date de péremption. Ce que c’est ? On ne sait plus trop. De quoi c’est fait ? Où ça ? Par qui ? Quel intérêt de savoir cela, dès lors que vous avez entre les mains le joli flacon et accessoirement l’ivresse, mais cela n’a même plus grande importance à vos yeux. Quel monde derrière tout cela, quel travail pour gagner des sous, quelles boîtes de télétravail pour le concevoir et surtout avec qui, avec quelles gens de chair et d’os ? Voyons, vous qui avez l’estomac farci de rêves si faciles à digérer, vous n’y réfléchissez même plus : une intelligence artificielle, sans doute, et de gentils robots doux comme des agneaux car c’est bien cela le petit monde sans accrocs qu’on vous vend, aux infos à la télé. Non ? Ne vous tracassez surtout plus. À trois, je claque des doigts et vous passerez aussitôt à autre chose. Un, deux, trois… Clac ! Travaillez et consommez, l’ordinaire de votre vie n’a pas changé. Il ne peut pas changer. Jamais…

Mais déjà le réveil sonne. Vous émergez du cauchemar. Vous rebranchez rapidement vos neurones. Où croyiez-vous être ? Et où êtes-vous vraiment ? L’angoisse vous gagne. Une force telle qu’on ne se bat pas avec elle. Reste-t-il autre chose, dans votre campagne sans coqs qui chantent clair, que des conducteurs de machines agricoles et des étendues tirées au cordeau de créatures végétales identiques et parfaitement alignées, rien d’autre qu’une insignifiance sans nom qui rampe sous vos pieds dans une absence absolue d’anarchie ? Partout, autour de vous, se répète à l’infini l’usinage de chimères non plus commandées par l’homme mais par une artificialité plus intelligente et plus efficace que lui et qui prétend le nourrir et répondre pour l’éternité à ses besoins, à ses envies, à son éthologie. C’est bien le « Meilleur des mondes » d’Huxley, marié à la « Métropolis« , de Fritz Lang… Vous croyiez vraiment ces intérêts-là assez intelligents – artificiellement ou pas – pour inventer autre chose ? Quelle tristesse, quelle déception, quel ennui ! Quelle cruelle désillusion, quelle grosse indigestion… Vous les preniez pour des « génies du mal » ? Ils sont juste mal embarqués dans leur fuite en avant vers le vide interstellaire, et ils commencent tout doucement à entrevoir leur « bout du rouleau »… Maintenant, sortez du lit, pas trop vite, ébrouez-vous, secouez-vous une bonne fois pour toutes. Non, le cauchemar n’était pas exactement celui que vous pensiez. Mais vous avez autre chose à faire maintenant, votre jardin à cultiver si vous voulez avoir quelque chose de correct, tout à l’heure, pour dîner…

  1. Renouons le fil. Il y a donc cette agriculture qu’on ne nomme plus, mais qui continue pourtant à être dominante. Une agriculture de fin de règne. Ses affidés, syndicats et politiques, sont aux abois. La fin des haricots schlingue l’ammoniac comme un saucisson de cochon qui aurait mal tourné ! Cette agriculture-là – sans nom ! – se délite de partout. Derrière son obsession du greenwashing, refont surface les pulsions de mort qu’elle avait, si longtemps, si ingénieusement dissimulées. Il va nous falloir, à présent, les énumérer une à une, comme pour les exorciser. Le retour du refoulé, ce n’est jamais une sinécure, d’accord, mais notre plaidoyer exige de commencer par tout exposer, tout exploser, absolument tout. Nous nous en excusons par avance, même si nous n’y sommes vraiment pour rien. Croyez-le bien !

 

A- De l’azote, il en sort de partout !

Heerenveen, Pays-Bas, 5 juillet 2022 : la police hollandaise ouvre le feu sur une manifestation d’agriculteurs ! La police dira qu’il ne s’agissait que de coups de semonce et que personne n’a été blessé. N’empêche, un tracteur a quand même été touché… En cause : la réduction drastique des émissions d’azote voulue par le gouvernement néerlandais qui doit avoir pour conséquence la fermeture d’exploitations et une réduction du bétail de 30 % au moins (*). Car le secteur agricole néerlandais est aussi polluant qu’il est puissant : quatre millions de bovins, douze millions de porcs, cent millions de poulets… Cinquante-trois mille exploitations dont les deux tiers dépassent les seuils d’azote acceptables ! Or l’excès d’azote pollue énormément, eau, air, sols et écosystèmes. Les faits sont là, incontestables, depuis des décennies : l’azote chimique, servant à produire des céréales et du soja – importés massivement de là où on les fait à moindre coût -, se retrouve, sous forme de nitrates, dans les lisiers et les fumiers qui sont épandus sur des sols déjà sursaturés par les excès du passé, aux Pays-Bas et plus que probablement en Belgique car, en Flandres, un « plan azote », il va bien falloir aussi que les agriculteurs se le croquent… À moins que la paysannerie flamande ne passe résolument à l’offensive sur le plan politique, à l’instar du BBB (BoerBurgerBeweging), le mouvement prétendument « paysan-citoyen » né aux Pays-Bas, qui remporta les élections provinciales du 15 mars 2023, privant le gouvernement hollandais de la majorité qu’il détenait au Sénat !

Mais que veut exactement ce nouveau héraut d’une des agricultures les plus exportatrices au monde ? Le grand renouveau rural et un modèle agricole tout neuf, ou juste l’assurance de rester quelques temps encore l’instrument de l’agrochimie dominante ? Son programme ne laisse guère entrevoir, hélas, qu’un corporatisme drastiquement dépourvu de la moindre forme d’imagination – qui revendique produits phytos et antibiotiques en prévention pour les animaux, fait l’oreille de veau sur la question évoquée ci-avant des nitrates… -, incapable de penser son inscription au sein du système alimentaire global. Le 23 novembre 2023 aux Pays-Bas, juste huit mois plus tard, c’est l’extrême-droite qui tire largement les marrons du feu électoral, surfant notamment sur le tremplin que lui a si généreusement offert le BBB…

 

(*) Lire notamment :

– Hugues Maillot, Manifestations aux Pays-Bas : les raisons d’une colère qui enfle, dans Le Figaro, 8 juillet 2022

www.lefigaro.fr/international/manifestations-aux-pays-bas-les-raisons-d-une-colere-qui-enfle-20220708

– Françoise Berlaimont, Plan « Azote » aux Pays-Bas : pourquoi la colère des agriculteurs néerlandais persiste, RTBF, 10 juillet 2022, mis à jour le 2 janvier 2023

www.rtbf.be/article/plan-azote-aux-pays-bas-pourquoi-la-colere-des-agriculteurs-neerlandais-persiste-11028389

B- Des pesticides, y’en a partout aussi !

Et nous ne vous parlons même pas ici des terribles PFAS – composés perfluoroalkylés et polyfluoroalkylés -, des perturbateurs endocriniens et de toutes ces pollutions dues à l’industrie chimique, omniprésentes dans notre environnement et qui seraient peut-être potentiellement plus graves encore que l’usage immodéré des pesticides fait dans notre beau pays… Comprenons surtout ici – au-delà de leurs effets toxiques aujourd’hui amplement démontrés sur la santé humaine et sur les écosystèmes – que les engrais et pesticides chimiques de synthèse ont profondément déstructuré et remodelé, depuis presqu’un siècle maintenant, la nature même de l’agriculture et de la pratique agricole, poussant progressivement au rencart les systèmes de polyculture-élevage qui en étaient historiquement – et en sont toujours – la forme la plus élaborée. Pire, l’optimisation chimique sans fin a induit une autre conséquence majeure : l’agriculture chimique au rabais n’est aujourd’hui tout simplement plus rentable !

Les nécessités de l’après-guerre consacrèrent une kyrielle de méthodes à caractère industriel qui ne furent ensuite jamais remises en cause, et le métier même d’agriculteur demeura ainsi, très majoritairement, dépendant des primes européennes et régionales qui lui fournissent toujours l’essentiel de son revenu. L’agriculteur est aujourd’hui le nouveau métayer de la PAC (Politique Agricole Commune) : il ne maîtrise plus rien et le prix de vente de ce qu’il produit, il le subit ! Il y a bien longtemps qu’un agriculteur ne vend plus son lait, c’est la laiterie qui vient « le lui prendre », il ne vend plus jamais de bête, c’est le marchand de bestiaux qui le fait à sa place… De nos jours – et cela paraîtra sans doute insensé -, l’agriculture wallonne ne nourrit plus le Wallon, et encore moins le Bruxellois. Quelques pourcents à peine de nos blés finissent en farine pour faire un pan de notre pain, alors qu’un quart de la production est mystérieusement volatilisé en agrocarburants. Quant aux légumes qui garnissent les assiettes – quand, heureusement, il y en a encore ! -, ils viennent majoritairement d’un peu partout dans le monde, sauf de nos bonnes terres agricoles – pour 17 % seulement d’entre eux ! Et il y a sans doute davantage de fromages étrangers, dans les rayons de nos grands magasins de Wallonie, que de vrais fromages wallons… Ne parlons même pas ici des produits préparés – des pâtes alimentaires aux desserts – dont la grande majorité est transformée bien loin, au-delà de nos frontières. Et nous vous épargnerons ici le couplet du coût écologique…

Est-ce, dès lors, vraiment manquer de bon sens que de demander la mise en œuvre de politiques qui ramènent, au plus près de nos agriculteurs, un peu de cette énorme plus-value qui d’ailleurs sort de nos portefeuilles de consommateurs ? Une chose est indispensable, à cet effet : il faut abandonner sans conditions les pratiques agricoles qui reposent sur l’usage des pesticides car, non seulement leur omniprésence nous tue physiquement, à petit feu, mais plus encore l’idéologie qu’ils ont forgée a radicalement empêché le développement de la politique vivrière vouée au bien- être de nos populations locales, et partant toute forme réelle de souveraineté alimentaire, en Wallonie et à Bruxelles. Nous parlons bien ici d’abandon total et sans espoir de retour, et pas de petites collusions pas claires avec les industriels de la chimie qui pollue, conduisant à ce qu’il est parfaitement indigne de présenter encore comme une forme de tolérance. La seule chance de survie de l’agriculture wallonne réside désormais dans le circuit court.

Qui voudra encore s’encombrer des pesticides dans une agriculture commercialisée en circuit court ? Nous avons été collectivement anesthésiés dans la grande faiblesse consumériste généralisée des années de vaches grasses, devenue aujourd’hui complètement intenable ! Le réveil semble particulièrement difficile pour tout le monde.

 

C- De l’eau, alors là, « quoi qu’il en coûte »…

De l’eau, encore et toujours plus d’eau, comme simple ingrédient d’un vilain brouet chimique ! Comme si l’agriculture n’était qu’une soupe gigantesque où l’on met à mijoter, dans n’importe quel substrat abondamment arrosé, le contenu des sachets d’un « consommé minute » dont la recette est désormais propriété privée protégée par le secret industriel… Seule constante : il faut arroser le tout, encore et encore, et même quand un soleil de plomb accable la terre nue. Et on mesure toute l’ampleur du problème depuis que le climat change et que l’eau peut soudain se mettre à manquer. N’écoutant alors que le volontarisme et le jusqu’au-boutisme que lui a enseigné la réalité de son portefeuille, le métayer de l’industrie mondialisée ne conçoit plus que ce qui répond au besoin apparent le plus immédiat. Eau de mer ? Trop salé et une usine pour désaliniser, c’est trop cher et ça prendrait trop de temps… Alors, creuser et pomper l’eau qui dort dans la nappe phréatique pour remplir des bassines d’où seront arrosées les jolies plantes dont le commerce arrondira le compte en banque ! CQFD. Est-ce durable, est-ce seulement à peu près malin ? Qui s’en soucie ?

L’agriculteur moderne n’en a cure, du moment que cela peut calmer les craintes de son comptable. Le syndicat suit l’homme de terrain, le confortant dans ses croyances, et le politique suit le syndicat… Tout va bien dans le meilleur des mondes agricoles, en somme. Pourtant, et pour peu qu’on invite, autour de la table, un minimum de raison et de bonne foi, il sera très difficile de se contenter – démocratiquement s’entend – d’une telle vision sommaire, ne serait-ce que parce que l’eau est un bien commun et que son usage doit reposer sur un consensus plus large que la nécessité d’une consommation immédiate. Là encore, on joue sur les mots : l’agriculture, nous dit-on, ne représente pas, à proprement parler, notre plus gros besoin en eau. Voyez celle qui porte les péniches sur les canaux, et celle qui permet d’éteindre les incendies… L’ennui est que cette eau qu’elle utilise, l’agriculture la consomme véritablement et la transforme en productions qui sont ensuite vendues sur des marchés. Tandis que celle qui combat le feu et porte les bateaux est largement restituée, après usage, à son environnement… Il semble donc parfaitement légitime d’exiger que l’agriculture paie, à présent, l’eau qu’elle consomme. Ou plutôt l’eau qu’elle surconsomme, au-delà de ce qui est réellement nécessaire et raisonnable pour les besoins d’une production vivrière locale.

Car l’eau, redisons cela, est un bien commun dont l’agriculture « que nous ne nommerons pas » répugne aujourd’hui à penser la vraie nature – elle considère que sa seule présence autorise de se l’approprier – mais il y a bien celle qui tombe, celle qui ruissèle et qui coule, celle qui stagne et celle qui gît, très loin en-dessous de la surface des terres. Il y a aussi celle qui nous inonde, il y a surtout celle de la banquise qui fond… C’est toujours H2O mais, à nos yeux, ce n’est certainement pas la même eau ! Dans le même ordre d’idées, il n’est plus tenable, à présent, de spéculer sur le fait que les réserves épandues l’été se reconstitueront en hiver ; la réalité hydrique est extrêmement complexe et les dérèglements du climat imposent une très grande finesse d’analyse et, dans bon nombre de cas, ce qui était tenu pour une évidence n’en est plus une. Refuser de comprendre à quel point le bon usage de l’eau, dans ses différents états, est une condition essentielle de l’équilibre des écosystèmes, et de la sauvegarde du vivant en général, est une de funestes inepties qui font inéluctablement d’une terre fertile un désert. Le rôle de l’agriculture serait-il aujourd’hui de bâtir des déserts ?

Enfin – et pour revenir brièvement sur la question des pesticides -, le rapport concluant une Commission parlementaire française, publié le 21 décembre 2023, indique qu’« entre 1980 et 2019, 4.300 captages ont dû être fermés pour cause de pollution, principalement aux nitrates et aux pesticides ». Cette Commission cite également une instruction du gouvernement, datant de 2020, selon laquelle « du fait de ces pollutions, le coût estimé du traitement pour rendre l’eau potable est compris entre cinq cents millions et un milliard d’euros par an ». La Commission constate ainsi « un échec collectif » à réduire l’usage des pesticides et déplore une « forme d’impuissance publique ». Et en Belgique ?

 

 

D- L’énergie, le nerf d’une guerre bien mal embarquée ?

Depuis l’avènement de l’agriculture moderne, chaque jour plus industrialisée, l’énergie est une notion systématiquement sous-abordée, sous-estimée. L’illusion d’abondance où se drape, encore et toujours, la grande distribution et son ingénierie de marketing ne repose, elle aussi, que sur une gabegie énergétique absolument inouïe. Cela nous avait un peu échappé, avec le temps… Mais l’énergie – au fond de nous, nous ne savons cela que trop bien – fut très longtemps abondante et bon marché, et nous en sommes progressivement venus à considérer son extrême disponibilité comme une banalité. Aux grandes heures du nucléaire, il était carrément de bon ton de la gaspiller. Pourquoi, dès lors, s’en soucier ? L’énergie bon marché fut la matrice des « trente glorieuses » et les décennies suivantes se sont efforcées de nous convaincre que rien n’avait changé. Que rien ne changerait jamais ! La guerre en Ukraine – Poutine ayant parfaitement vu où ça fait mal quand on appuie – nous ramène aujourd’hui à la vérité énergétique : il ne s’agit plus seulement d’une conjecture dont nous pourrons rapidement nous extirper. Nous renouons, au contraire, avec la dure évidence des choses telles qu’elles ont toujours existé ; le « retour à la normale », regrettons-le ou pas, semble bien être celui-là !

Pourquoi, pendant des décennies, le monde de la bio – et, plus largement, celui de l’environnement et de l’écologie – n’arriva-t-il jamais à comprendre par quel subtil artifice un produit dopé aux intrants, transporté aux quatre coins du monde, hyper-transformé et littéralement momifié dans les additifs en tous genres, parvenait à être finalement meilleur marché qu’un produit simple, propre, non-standardisé et à l’empreinte carbone extrêmement limitée ? Génie de la chimie, de la logistique et de l’industrie ? Sans doute, y avait-il là surtout le coût extrêmement bas de l’énergie qui offrait au coût économique le luxe extravagant – mais tellement casse-cou pour la planète – d’être potentiellement décollé du coût écologique des choses. Et, en termes de décollage, nous ne nous sommes vraiment pas gênés : low-cost, suremballage et profusion de plastique furent les principaux symptômes de cette grande époque « pollucratique » : tout le pouvoir aux pollueurs ! L’abandon du fossile est désormais un impératif absolu de survie – même la COP finalement en convient ! – mais retrouverons-nous un jour source d’énergie aussi efficace ? Rien n’est moins sûr. Faut-il cependant l’espérer ? Sans doute pas si la conscience écologique des humains – n’est-ce pas, Mr Trump ? – ne s’affute pas dans le même temps.

Mais qu’advient-il, dans un tel contexte, de notre agriculture « sans nom » dont l’essence même repose largement sur les intrants à foison et la mécanisation à gogo ? Les principaux représentants de cette agriculture, en Europe, furent très contrariés par la tentative d’invasion de l’Ukraine par M. Poutine car la moitié du maïs importé par l’Union européenne vient justement d’Ukraine. Et un tiers des engrais… de Russie ! Russes et Ukrainiens produisent ensemble un quart des blés cultivés dans le monde et que les gros importateurs – Afrique et Moyen-Orient principalement – soient soudain sur le qui-vive offrit aux hérauts de notre magnifique agriculture « sans nom » le prétexte idéal pour booster de telles productions partout en Europe et mettre entre parenthèse – ou carrément aux oubliettes de l’histoire ? – le Green Deal européen qu’on nous avait pourtant promis.

Autrement dit : dès qu’il faut faire du blé, l’écologie passe à la trappe ! Aujourd’hui, face à l’enlisement généralisé du conflit en Ukraine, les gros intérêts financiers semblent mieux admettre la nécessité de s’adapter aux nouvelles donnes de production car les prix de l’agroalimentaire, eux, n’arrêtent de se renchérir sous l’effet de l’inflation, une inflation manifestement due – le croiriez-vous ? – à la hausse des prix de l’énergie. Mais quand ceux-ci repartent à la baisse, il est rare que les prix des supermarchés les suivent…

Certains géants de la grande distribution, elle-même déjà en proie à des restructurations drastiques, investissent dans de la terre agricole. Mais pour produire quoi ? Et surtout comment ? Pour quel type de consommateurs ? Avec quel pouvoir d’achat ?

 

E- La modernité agricole et sa danse de mort…

L’Ostendais James Ensor (1860-1949) peignait des cortèges carnavalesques où dansent des masques macabres et inquiétants. La pseudo-modernité agricole ressemble beaucoup aux œuvres de feu Ensor. En réalité, l’establishment technocratique agroindustriel veut absolument continuer à avoir l’air en pointe. Question de dignité, pense-t-il sans doute ! Mais en pointe de quoi exactement ? Dans son obsession de faire la guerre à la nature, il choisit encore et toujours la course aux armements et rien ne semble pouvoir le détourner de cette danse de mort. À ses yeux, le vivant ne peut être qu’asservi et formatté, mis en rangs serrés et comptabilisé. Le vivant évidemment, fort de sa grande diversité et de son ingéniosité sans limites, ne s’en laisse pas compter. Eh oui, c’est la guerre !

Nous sommes, quant à nous, partisans de l’autre modèle : celui qui prend d’emblée le parti de pacifier nos relations avec la nature. Et il n’y a pas de moyen terme en la matière, il faut absolument choisir : soit on choisit la guerre, soit on choisit la paix ! Si on ne veut pas la paix, on fait la guerre. Mais si on ne choisit pas de partir en guerre, la fleur au fusil comme en 14, alors il ne reste plus que le camp de la paix… Complètement et sans condition !

Quel est ce terrible armement dont nous parlons ici ? Toujours les mêmes vieux empaillages, bidouillages et tripatouillages du vivant, mais avec des noms différents, bien sûr, judicieusement choisis par de brillantes officines de communication pour nous faire avaler toujours les mêmes couleuvres et continuer à nous faire croire, sans désemparer, que ce qui n’avait pas marché avant était déjà très bien mais que ce qu’on s’apprête à faire ensuite sera, sans le moindre doute, encore beaucoup, beaucoup mieux ! En fait, ce sont toujours des OGM (Organismes Génétiquement Modifiés), des chimères qui ne servent rigoureusement à rien du point de vie de l’agriculture, sinon à enrichir quelques multinationales et, accessoirement, à anéantir le monde paysan, ou ce qu’il en reste. Le meilleur des mondes, qu’on vous disait ! Causez maintenant NGT (Nouvelles Technologies Génétiques) et vous aurez le look branché. Mais la catastrophe est toujours la même, on cherche juste à faire oublier que ce sont encore et toujours ces chères vieilles canailles d’OGM et que modifier un simple trait isolé d’une plante – ou n’importe lequel de ses innombrables caractères – ne lui conférera en aucun cas, dans n’importe quel contexte agricole, une quelconque « durabilité » de meilleur aloi. Car tout est toujours affaire de globalité du système mis en œuvre autour de la plante. Cela s’appelle un écosystème, pour ceux qui auraient loupé un épisode de la série consacrée à l’écologie. En réalité, les multinationales qui produisent OGM et semences – ce sont les mêmes ! – ne digèrent pas l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), de juillet 2018, qui déclare solennellement que « les organismes obtenus par mutagenèse sont des OGM et sont en principe soumis aux obligations de la directive OGM« . Elles veulent revenir là-dessus or nous pensons qu’il ne faut évidemment le faire en aucun cas. That’s it !

Autre chimère au menu : l’intelligence artificielle ! Une puissance de calcul extraordinaire comme on n’en avait jamais mis en œuvre au service de la ferme : on va, par exemple, vous envoyer des vols de drones scanner vos champs et les ordinateurs vous diront exactement, chiffres à l’appui et jusqu’à la dixième décimale, où rajouter une pincée de sel ou bien un soupçon de poivre… Comme si la production n’était plus celle de la globalité de la ligne ou du champ, de la totalité du troupeau ; comme si l’agriculture n’était pas affaire d’entités élevées ou cultivées, d’ensembles d’êtres vivants soumis aux mêmes conditions pédoclimatiques, aux mêmes fumures, aux mêmes nourritures… Or la bonne compréhension, la judicieuse observation de la vie de ces ensembles d’individus est justement ce qui caractérise le métier, la sensibilité de l’agriculteur. Mais, évidemment, si on veut faire une agriculture sans agriculteurs, et si les ordinateurs n’ont justement rien d’autre à faire pour se chatouiller la carte-mère…

 

F- Des sols encore globalement malmenés

On en viendrait presque à oublier que l’agriculture, ça fait partie de l’environnement. Que l’agriculture contribue largement à forger les paysages de nos campagnes… Vous parle-t-elle du sol quand la télé vous propose un reportage sur un agriculteur ? Jamais ! On part du principe que le brave homme est gentil parce qu’il nous donne à manger ; dire qu’il nous empoisonne avec ses pesticides et qu’il dézingue les sols fertiles de nos campagnes, n’y pensez même pas, ça serait de l’agribashing ! Rappelons ici que l’idée absurde – littéralement le « dénigrement agricole » – qui porte ce nom est une pure supercherie de la FNSEA (Fédération Nationale des Syndicats d’Exploitants Agricoles) qui déplorait que « les paysans soient une cible trop facile. » Cet étrange concept d’une animosité volontairement dirigée contre le monde agricole fut imaginé par un certain Gil Rivière-Wekstein et opportunément utilisé par la FNSEA, après le succès d’un film, pourtant d’une audacieuse justesse, intitulé Au nom de la terre, qui relatait le suicide d’un agriculteur. Le terme d’agribashing en dit long, en tout cas, sur la paranoïa du syndicat agricole dominant en France : nul n’a jamais cherché à critiquer personnellement les individus agriculteurs mais juste certaines des pratiques qui sont les leurs et qui s’avèrent, de plus en plus souvent, inappropriées.

Il ne serait donc pas bien – certains ont même pensé à rendre cela punissable ! – de dire, par exemple, à quel point nos sols agricoles se dégradent sous les coups de boutoir de l’ »agriculture sans nom ». Or il est clair qu’en terme de qualité et de fertilité des sols, nous vivons sur des acquis du passé, lesquels s’épuisent rapidement et peut-être même inéluctablement. Les progrès de la mécanisation, par exemple, sont toujours présentés comme autant d’avancées, de performances, puisqu’on va toujours vrombir plus vite et plus profond. Mais avec quels dégâts sur les populations d’insectes et de microorganismes qui vivent là ? En Wallonie, la teneur moyenne en humus des sols cultivés se situe autour de 2,4% et les sols de Hesbaye sont tombés à 1,8%. Or on s’accorde généralement à reconnaître qu’il ne faut pas descendre sous les 2% afin d’éviter les problèmes d’érosion, trop peu d’humus signifiant trop peu d’agrégats pour maintenir fermement les particules minérales. Nous devons, sans doute, à notre climat humide d’éviter un dust bowl – une tempête de poussière – et des coulées de boues beaucoup plus graves que celles que connaissons parfois, mais nous ne sommes peut-être déjà plus très loin d’une aggravation brutale des pertes de sol, qui sont chiffrées à plus de cinq tonnes par hectare et par an, en ce qui concerne 40% de la surface des sols cultivés de Wallonie. Les sols de Hesbaye, qui sont les plus dégradés, ne reçoivent quasi plus de matières organiques, l’élevage ayant été relégué bien loin de là, « là où il n’y a pas moyen de faire autre chose ». En fait, les terres hesbignonnes sont réservées aux cultures les plus rentables dans le court terme. Faut-il vraiment attendre, une fois encore, qu’une catastrophe survienne pour « faire quelque chose » ? Est-ce vraiment cela notre vision wallonne de la souveraineté alimentaire ? Ou n’en avons-nous, en réalité, absolument rien à fiche de la souveraineté alimentaire, nous qui achetons déjà, à l’étranger, la majeure partie de notre alimentation ? Tout porte à le croire. Circulez, y’a déjà plus rien à voir…

 

 

G- Vers une approche globale de la qualité alimentaire…

Que conclure de ce – bien peu sexy – premier chapitre ? Que la situation de l’agriculture « sans nom » n’est certainement pas aussi rose – ou verte ? – qu’on aime encore nous le prétendre ? Cela, vous l’aviez peut-être déjà compris… L’agriculture d’aujourd’hui n’a plus l’ambition de nous nourrir « comme il faut » ; elle n’est plus qu’une histoire de bénéfices – et non de pertes – à très court terme. Plus personne n’est assez fou pour laisser, à l’agriculteur de la génération qui suit, une terre qui serait, selon l’adage déjà cité, « plus fertile qu’il ne l’a trouvée ». On ne laisse rien d’autre qu’un champ de bataille… Pour que ce champ de bataille ne devienne pas rapidement un champ de ruines, il faudrait pouvoir responsabiliser, voire sanctionner, tous ceux et toutes celles qui cultivent la terre sans la respecter. La puissance des lobbies et des syndicats, l’extrême mollesse du monde politique, semblent rendre cette mission complètement impossible et c’est encore et toujours le consommateur qui, par défaut, est appelé à jouer le rôle d’arbitre, sans rien comprendre pourtant aux règles du jeu qui se joue. Nous en sommes là ! Des outils performants existent pourtant afin de mesurer la durabilité des pratiques agricoles, comme le score C’Durable ?, un indicateur qui devrait s’appliquer obligatoirement à toutes les fermes en activité.

La vérité alimentaire, telle qu’il faut l’expliquer au consommateur, doit être présentée comme une globalité qui lui laisse entrevoir l’immense système s’ouvrant derrière le moindre de ses achats alimentaires. La moindre dépense alimentaire n’a, en effet, véritablement de sens qu’en y intégrant ses conséquences, même les plus infimes, sur l’ensemble des paramètres qui viennent d’être évoqués. Et sans doute encore pas mal d’autres… Il est très insuffisant de prétendre que l’aliment vaut par sa seule valeur nutritionnelle ou organoleptique, par la seule organisation de sa logistique ou de son marketing, par sa production et sa transformation, par ses impacts sur l’environnement et la qualité de la vie collective, par la vision politique et sociale du monde qui le sous-tend et dont il est le fruit… En réalité, il faudrait pouvoir considérer tout cela en même temps, et sans doute bien d’autres choses encore, chaque fois que l’appel de l’estomac amène le quidam à ouvrir le porte-monnaie. Mais comment rendre plus concrète pareille pensée systémique pour chacun de nos achats alimentaires ? Comment être mis en situation de toujours se penser soi-même en interaction perpétuelle avec ce vaste système ? Sans doute en entamant d’abord, dans la proximité de chaque consommateur, une véritable démarche d’éducation permanente…

 

 

Chapitre 2 – Le bio en pleine crise existentielle

Nous parlons maintenant de ce qui est communément appelé le bio, c’est-à-dire le marché des produits issus de l’agriculture biologique, soumis au respect de la réglementation européenne sur l’agriculture biologique, c’est-à-dire le Règlement (UE) 2018/848 qui encadre actuellement la production, la transformation et la vente – y compris l’étiquetage – des produits biologiques. Ce Règlement a été complété par plusieurs actes secondaires dont le règlement d’exécution (UE) 2021/1165 qui liste les produits et substances autorisés en production biologique : engrais et amendements, traitements phytosanitaires, additifs, auxiliaires technologiques… Une version vulgarisée de cette législation est disponible sur le site de Biowallonie : www.biowallonie.com/reglementation/. Nature & Progrès continue, bien sûr, de prôner ce type d’agriculture afin de la substituer – le plus tôt sera le mieux ! – à celle dont le chapitre précédent s’est employé à montrer la faillite annoncée.

Mais ce bio ne se limite évidemment pas au seul travail agricole qui le produit. Il intègre également une vaste infrastructure de distribution dont le fonctionnement, quoi qu’en pense souvent le consommateur, n’est défini nulle part. Quelles sont dès lors les principales tendances actuelles et les enjeux de ce bio ? Quelles sont les menaces sérieuses qui pèsent sur lui et qui peuvent – ou pas ? – être mises en relation avec tout ce qui vient d’être analysé au chapitre précédent ?

 

A- Une heure de gloire qui appartiendrait au passé

À entendre bon nombre de ses acteurs, le bio a été tendance et ne le serait plus. Comme dans tout phénomène de mode, il y aurait eu une éclosion surprenante, une apogée plus ou moins longue, puis une descente vers l’oubli plus ou moins progressive. Le petit monde du bio prendrait ainsi, lentement mais sûrement, une coloration « has been » et la « ringardisation » de ses produits serait une tendance sociologique de fond dans le chef du consommateur. Il serait donc grand temps, pour les acteurs du secteur, de considérer qu’il a eu son temps mais que le public, lassé, manifesterait son envie d’aller vers autre chose. Mais aller vers quoi ? C’est, en effet, très difficile à dire…

À moins qu’il s’agisse – soyons un brin parano, nous aussi ! – d’un biobashing savamment organisé ? De nouvelles tendances émergent, en effet, qui voudraient prendre la place du bio, en grandes surfaces, et attirer l’attention du consommateur. Un foisonnement de labels privés, portés par des marques, est apparu. Redisons cela clairement : en grandes surfaces surtout, une grosse vague de greenwashing qui dévoie l’agroécologie – nous l’avons évoqué – se combine aux tendances de la mode et émet, en direction du chaland, une pléthore de messages prétendument qualitatifs qui ne l’aident pas à y voir plus clair sur l’origine de ce qu’il achète : émergence de l’ACS (Agriculture de Conservation des Sols), soubresauts du « conventionnel » qui se sent poussé dans ses derniers retranchements, etc.

Il semblerait toutefois – qui faut-il croire ? – qu’à défaut de progresser, le commerce bio reste stable, dans la grande distribution, par rapport à d’autres tendances, comme les produits végétariens, par exemple. Un ancien négociant nous confirme, par exemple, que telle enseigne serait parvenue à stabiliser cinq à six cents références bio – un chiffre qui n’augmente pas mais qui ne diminue pas non plus – contre environ deux cents références végétariennes qui, elles, seraient en diminution. Une autre enseigne – made in France ! – était, quant à elle, déjà en nette diminution, l’an passé… On regrettera ici, de manière très générale, la grande confusion qui continue à régner entre chiffres globaux du bio, et chiffres du bio de la grande distribution. Confusion que ne cherchent jamais à dissiper la plupart des médias qui ne ratent jamais une occasion de taper sur le bio, à leurs yeux soit trop bobo, soit trop marginal…

Mais, de manière plus fondamentale, de quelle nature est aujourd’hui la concurrence entre le bio de grandes surfaces, d’une part, les magasins spécialisés et le circuit court, d’autre part ? Une concurrence dont personne ne parle et dont on peut se demander si on a réellement envie de la voir. En Wallonie, par exemple, la cellule Manger Demain de la Socopro (Collège des Producteurs) met sur un pied d’égalité produits locaux, vrac, bio et circuit court. Est-ce pour envisager, avec plus de clarté et de précision, la situation du détail des produits bio ? Peut-on comparer l’abondance qui semble très localisée à Liège et à Bruxelles, et demeure sans équivalent ailleurs et certainement pas dans la plupart des campagnes ? La connexion avec des producteurs bio locaux est-elle suffisamment mise en exergue, tant les produits qu’ils mettent à la disposition des revendeurs apparaissent toujours comme un véritable gage de pérennité du point de vente ?

 

B- La haute qualité est bio mais ne le dit guère…

Autre  » tendance nouvelle  » du bio, parmi les choses qui se veulent les plus modernes : en matière de top qualité, on choisit le bio, cela va sans dire… Dans l’esprit de « Chez Blanche » – www.chezblanche.net/ -, par exemple, pains et chocolats, il semble évident de se fournir en bio exclusivement, à un point tel qu’on n’éprouve même plus le besoin de l’afficher trop ostensiblement. Bien sûr, les chocolats portent l’ »Eurofeuille« …. Même tendance, par exemple, chez le shop en ligne Efarmzwww.efarmz.be/fr – ou chez le traiteur « Les filles » – www.lesfilles.be/fr/. Aucun doute, l’argumentaire alimentaire est engagé : « 100% bio » et même « bio+ », Efarmz étant même une sorte d’Agricovert mobile… L’action se pérennise avec toujours les mêmes producteurs mais sans mettre systématiquement en avant la mention « bio », sans l’afficher en tout premier lieu. On préfère se dire « local » et même « local de qualité », ou encore « durable (responsable) » ou tout simplement « frais ». Et la tendance est identique dans beaucoup de restaurants…

Comme si les trois lettres b, i et o étaient devenues anti-commerciales pour leur clientèle aisée, attentive et bien informée. En revient-on pour autant au côté « ringard » par lequel nous avons commencé ? Car qu’est-ce qui serait ringard ? Le bio, en lui-même, ou – encore et toujours – le fait d’oser parler aux gens de production alimentaire et d’agriculture ? Est-ce que cela angoisse tellement l’acheteur de penser à la complexité de son aliment, au point qu’il préfèrera très souvent la garantie qu’offre la personne physique qui se trouve devant lui, fut-ce un simple revendeur, à une garantie telle que celle donnée par le bio qu’il comprend finalement toujours assez mal ? Un tel constat ne serait-il pas plutôt le reflet d’une réalité beaucoup plus globale, conséquence de décennies de marketing dépourvu de toute espèce de sens critique, où l’acheteur est conditionné à ne plus connaître que le produit, ou pire encore son emballage ? Une conclusion semble déjà s’imposer d’elle-même : vive le circuit court car ne pas défendre le « comment c’est fait » risque fort de laisser planer un flou sur tout ce qui contribue justement à produire la véritable qualité. Celle-ci ne tient pas uniquement à une simple labellisation – ou à l’apparition d’une marque – et à l’ensemble des images et des attitudes que celle-ci recouvre. La qualité est globale ! C’est toujours le reflet d’un ensemble écologique qui fait partie d’un système alimentaire complexe.

Principale observation que nous pouvons faire par rapport à tout ce qui vient d’être exposé : nos propres producteurs de Nature & Progrès ne semblent pas rencontrer de problèmes majeurs par rapport à leur viabilité. Que du contraire ! Il y a bien eu un « boom » consécutif à la Covid mais certainement pas la dégringolade qui a suivi chez d’autres revendeurs de produits biologiques. Nos polyculteurs-éleveurs, nos maraîchers ne sont pas des gens qui courent derrière un hypothétique marché, ou qui seraient jaloux d’une image par trop narcissique ; ils produisent ce qu’ils ont décidé de produire et s’organisent ensuite pour écouler cette production dans la proximité. C’est exactement la démarche inverse de celle de la grande distribution ! Qu’ils s’en sortent bien, économiquement et symboliquement, est évidemment une dimension très importante à mettre en avant dans les plaidoyers que développe Nature & Progrès. Et il semble plus important encore de documenter les raisons qui rendent cela possible. Une telle réalité doit être rendue parfaitement audible et compréhensible, et c’est pour cela que nous réalisons, par ailleurs, un film de sensibilisation et une série de podcasts. Il est indispensable de rendre cette dimension visible à tous ceux dont elle est absente de l’imaginaire alimentaire. En d’autres termes, il faut aussi faire percoler au niveau politique l’efficacité de nos propositions afin que figure, dans la prochaine Déclaration de Politique Régionale de la Wallonie, reconnaissance et engagement clair à soutenir les agriculteurs qui adoptent la démarche du circuit court, telle que le conçoit Nature & Progrès.

C- Les trois dimensions de l’agroécologie

Avions-nous déjà connu, par le passé, des menaces sur le bio, équivalentes au greenwashing actuel ? Bien sûr. Et il s’agissait déjà de tentatives de dénaturation, de détournement du bio réglementaire, par l’assouplissement du règlement européen et notamment la tolérance aux OGM – voir Valériane n°64, de mars-avril 2007. Ceux qui instrumentalisent aujourd’hui le terme d’ »agroécologie », en mettant un intérêt économique à la clé, cherchent manifestement à le détourner également, même si rien ne réglemente, à proprement parler, son usage. Ces acteurs voudraient exprimer qu’ils vont « au-delà du bio » mais l’intérêt de la manœuvre n’est pas sociétal de prime abord. Ils défendent avant tout un intérêt économique individualiste. Sans doute un rappel s’impose-t-il ici : le terme d’ »agroécologie » est issu de milieux universitaires et de certains mouvements sociaux menés par des gens « non issus du monde agricole », mais aussi de pays du Sud, et principalement d’Amérique du Sud, notamment sous l’impulsion du Chilien Miguel Altieri – voir, par exemple : https://fr.wikipedia.org/wiki/Miguel_Altieri.

Trois dimensions doivent toujours coexister au sein de l’agroécologie – voir notamment le dossier de Valériane n°100 -, ainsi que l’avaient défini ces pionniers : mouvement social, pratiques de terrain et approche scientifique… Or il semble totalement impensable d’affirmer que ces trois dimensions coexistent dans la démarche d’une association telle que Greenotec – voir : www.greenotec.be/ et www.terrae-agroecologie.be/ -, pour ne parler que d’elle, qui serait donc bien inspirée d’éviter toute référence à cette réalité. La Région Wallonne quant à elle, par défaut de connaissances sans doute, parle encore de « minimisation » des pesticides, en parlant d’agroécologie, alors que le terme devait être de nature à englober toutes les pratiques qui existent, à travers le monde, et qui s’inscrivent dans la triple dimension dont les principes généraux sont totalement compatibles, en Wallonie, avec ceux de l’agriculture biologique. Et plus encore avec ceux de la bio telle que la conçoit Nature & Progrès !

Notons encore que la forme d’agriculture qui s’était naguère autodénommée « raisonnée » n’est jamais arrivée à « minimiser » quoi que ce soit, que du contraire – voir le n°27 de notre revue, datant de janvier-février 2001, et l’affirmation, déjà claire et nette, que cela n’avait certainement rien à voir avec le bio ! Au moins, leur démarche ne se targuait-elle pas alors d’agroécologie… Tirons donc un trait sur l’ »agriculture raisonnée 3.0″ qui, après l’agriculture raisonnée et l’écologiquement intensif, serait l’agroécologie au glyphosate !

Car, pour le reste, les fondements de l’agroécologie sont bien sûr excellents, dès qu’on parvient à en dénoncer le dévoiement utilitariste. Il existe d’autres versions capitalistes de ce dévoiement : House of agroecologyhttps://houseofagroecology.org/fr/ – est sans doute la plus grosse menace qui plane aujourd’hui sur le bio de grandes surfaces car une sorte d’ »éco-score », pour une production « éco-responsable », une « alimentation durable » à des prix équivalents à ceux du conventionnel, finira bien par y être défini qui sera bon pour la planète, meilleur pour les agriculteurs et quand même meilleur marché qu’un bio qui ne ciblera plus alors que la tranche vieillissante des bobos. Avec l’énigme, toujours persistante, des prix du bio qui comprend encore trop manifestement les marges importantes que certains acteurs croient bon de pouvoir s’octroyer sur son dos… Brisons encore une lance, dans la foulée, sur cette conception persistante de l’aide alimentaire aux plus démunis, axée uniquement sur les rebuts de la grande distribution, où l’on croit aider les gens à manger plus sainement en soutenant financièrement un système de production et de distribution alimentaire totalement à la dérive. La Sécurité Sociale de l’Alimentationwww.collectif-ssa.be – doit donc être une opportunité de repenser complètement la façon dont l’alimentation est produite. Mais gageons qu’elle ne s’imposera jamais si elle n’atteint pas d’abord l’objectif salutaire de se dégager des poubelles de la grande distribution…

 

D- Booster la demande ou soutenir la production ?

En matière de production bio, on déplore actuellement quelques « décertifications » de producteurs mais il s’agit typiquement de ceux qui avaient adhéré par pur opportunisme et qui n’ont jamais véritablement partagé le projet de l’agriculture biologique. Ces quelques défections, malheureusement, font souvent les gorges chaudes dans les cénacles politiques où l’on discute du Plan bio wallon et où se retrouvent ceux qui le financent. D’où le fait que les six millions d’euros consacrés, par la Région Wallonne, au soutien de l’agriculture biologique s’en vont, comme par hasard, combler des problèmes qui ne se développent que dans ce système-là ! Celui d’une bio de marché, possiblement en butte à certaines formes de « ringardisation »… Le ministre de l’Agriculture et sa collègue de l’Environnement soutiennent mordicus qu’il faut booster la demande et que, pour booster la demande, il faut d’abord travailler sur le consommateur. La Wallonie octroie ainsi des budgets complémentaires à l’APAQ-W (Agence Wallonne pour la Promotion d’une Agriculture de Qualité) afin qu’elle conduise, de manière très discutable d’ailleurs, une large promotion de l’agriculture biologique. Elle consent aussi des budgets complémentaires au Collège des Producteurs dans le but de soutenir des filières.

Nature & Progrès pense, au contraire, que c’est d’abord la production bio locale qu’il faut soutenir et amplifier. Il faut miser, par exemple, sur l’expansion de la Ceinture alimentaire de Charleroi où l’agriculture biologique, dans toutes ses dimensions, est posée comme une contrainte incontournable et où les promoteurs évitent de s’ouvrir inutilement à d’autres considérations secondaires. Un tel modèle a déjà fait la preuve de sa grande efficacité, dans le cadre du développement de la Ferme à l’Arbre à Lantin, par exemple…

À nos yeux, l’objectif essentiel de l’action politique doit être de rendre le bio accessible pour la population dans son ensemble, sans la moindre exception. Une fois posée cette nécessité absolue, l’ensemble des moyens nécessaires pour atteindre cette ambition doivent être dégagés et cela commence évidemment avec les producteurs chez qui on choisit de s’approvisionner. Il serait parfaitement envisageable, par exemple, d’utiliser leur réseau pour échanger des marchandises essentielles – patates et carottes – et de rendre ainsi disponible, via leurs fermes, quelques produits bio de base, moins chers que l’équivalent conventionnel. À Charleroi, des moyens importants semblent disponibles – en ce compris un projet d’alimenter les cantines des hôpitaux, en bannissant strictement toute présence de résidus de pesticides – mais il sera sans doute nécessaire, à cet effet, de penser autre chose que le sympathique magasin bio standard dont on boosterait, par la grâce hasardeuse d’une publicité éphémère, la clientèle putative. Car il faut bien se dire qu’a priori, une telle clientèle est une pure vue de l’esprit ; il n’y a plus aujourd’hui qu’une population dans le dur qu’il faut nourrir le mieux possible afin d’éviter qu’elle coûte ensuite beaucoup plus à la collectivité, en services sociaux et en soins de santé. Telle est bien la situation : nourrir adéquatement la population est redevenu une nécessité prioritaire qui appelle une vision globale, holistique. Et pas de se faire plaisir électoralement, en s’obstinant à cuisiner dans les vieilles casseroles, et surtout en soutenant un secteur en pleine faillite morale, raccommodé de bric et de broc, totalement incapable de garantir encore notre souveraineté alimentaire !

L’attention portée aux pesticides ne doit pas être non plus une porte ouverte afin de réduire, une fois de plus, le bio à leur absence… Sans jamais expliquer pourquoi il y en a tant dans l’autre agriculture, celle qui, nous l’avons dit, n’a plus de nom ! Il faut donc absolument éviter de tomber dans le « pesticide à la carte », en fonction des humeurs de tel ou tel toxicologue universitaire ou de telle ou telle créature politique en mal de voix, et ne pas faire du bio « si c’est possible », comme l’affirment trop volontiers certains mandataires toujours en quête d’une éventuelle porte de sortie… Nous avons expliqué pourquoi il est impératif de considérer l’agriculture biologique comme une boussole globale, un impératif fondamental, absolu, ce qui aura aussi beaucoup de sens d’un point de vue strictement territorial. Il n’existe donc pas de moyen terme entre bio et pas bio. Le bio n’est pas un curseur qu’on déplace à son gré. On est de son côté, ou bien on est forcément de l’autre ! Et ce n’est pas juste une question de pesticides, comme on l’entend souvent. L’affaire est systémique : lâcher la contrainte bio, ce sera retomber automatiquement dans le conventionnel et ses innombrables manquements, et cela ne résoudra rien ! Aucun ostracisme, ni dogmatisme ni volonté de clivage là-dedans. Notre position n’a absolument rien d’idéologique : c’est pile ou c’est face. Et la pièce ne retombe jamais sur la tranche !

Hélas, dans le climat ambiant, il est très facile de faire mine de vouloir jouer les conciliateurs. La véritable instrumentalisation se trouve là ! C’est tout le débat que nous avons avec l’APAQ-W, laquelle veut bien communiquer sur le bio mais sans jamais dénigrer le conventionnel. Est-ce de notre faute, à nous qui faisons du bio, si le conventionnel utilise massivement des pesticides et des engrais chimiques de synthèse, alors que chacun sait pertinemment que c’est terriblement nocif pour la santé humaine, pour l’environnement et pour la biodiversité ? Du coup, bien des journalistes, par exemple, s’auto-censurent. Dans le 13 heures de la RTBF, du vendredi 8 décembre – ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres -, on nous parle d’une nouvelle variété de pomme wallonne. Il s’agit, en fait, d’une obtention due à Marc Lateur, au CRA-W (Centre wallon de Recherches agronomiques), à Gembloux. Un sous-titre indique qu’il s’agit bien d’une pomme bio mais le journaliste n’en pipe mot, ce qui rend totalement abscons son exposé sur le travail de fond, pourtant exemplaire, de Marc Lateur, et sur le bien-fondé de la recherche agronomique en fruiticulture biologique. Mais il ne lui semble plus permis de dire simplement qu’un fruit bio nous épargnera les abondants traitements phytosanitaires du conventionnel, ce qui est pourtant un fait établi qui est de notoriété publique.

 

E- Valeurs, principes et éléments de langage

La volonté de permettre l’accès à la bio au plus grand nombre, par son arrivée en grandes surfaces, fut peut-être un fait louable d’un point de vue démocratique mais elle ouvrit surtout la porte à une baisse qualitative globale de la marchandise proposée. Elle fut, en tout cas, à l’origine de l’élaboration de la Charte éthique de Nature & Progrès qui avait pour principale ambition de remettre la relation producteur – consommateur au cœur de la transaction alimentaire. Mais n’était-ce pas déjà entériner l’évidence que la forme de bio admise dans les grandes surfaces n’était déjà plus la nôtre, qu’elle ne serait plus jamais la nôtre ? Que nous parlions ici de 1991 – avec les tout premiers cahiers des charges européens – ou de 2006 – où la question majeure était surtout celle de la pollution « fortuite » par les OGM admise par une nouvelle mouture du Règlement européen ? Tout cela fit partie des innombrables renoncements – maîtrise du cahier des charges, certification, etc. – que fut forcée de consentir la bio associative de départ, au fur et à mesure, que s’épanouissait, en grandes surfaces notamment, le providentiel marché du bio sur le dos duquel des marges substantielles pourraient être dégagées.

Fort heureusement, Nature & Progrès fut toujours là pour rappeler les valeurs initiales. Mais quelles sont-elles, au fond, ces fameuses valeurs ? En fait, ne s’agit-il plutôt – et tout simplement – de principes élémentaires qui devraient sous-tendre toute forme de production, de transformation et de distribution de l’alimentation humaine ? Pourquoi tolère-t-on encore autre chose, du seul point de vue du respect humain ? Comment le mangeur peut-il, dans la grande majorité des cas, accepter d’ingurgiter ce qui garnit son assiette ? Quand il y a encore une assiette… Pression économique et sociale, volonté inconsciente d’autodestruction, désinformation, ignorance ? Quoiqu’il en soit, la question de la qualité revient constamment au centre du questionnement. Mais qu’est-ce qui constitue exactement la qualité alimentaire – notamment dans le cas de l’acronyme APAQ-W ? Une agriculture qui utilise massivement des pesticides peut-elle prétendre être une agriculture de qualité ? Mais surtout, qu’est-ce qui est constitutif de la qualité, aux yeux de Nature & Progrès ? Une telle réflexion est sans doute tentaculaire car il s’agit bien de tout aborder de front, en même temps : pratiques agricoles, valeur nutritive des aliments, environnement socio-économique, information, prix, etc. Mais seule une telle approche globale sera en mesure de poser complètement la question de société, ce fait social global qu’est s’alimenter. De nombreux éléments sont déjà énoncés dans notre Charte éthique de Nature & Progrès. Et, de toutes façons, le débat sur la qualité alimentaire doit être un cahier de doléances ouvert en permanence pour tous les mangeurs et pour tous les acteurs du système alimentaire. C’est le débat politique par excellence, l’alimentation étant un facteur essentiel du lien social…

Un principe central semble toutefois s’imposer comme une véritable valeur : il s’agit de l’autonomie ! Telle que nous la concevons, l’autonomie prend véritablement une dimension philosophique. Elle renvoie, à nos yeux, au fait d’être en mesure de toujours pouvoir décider, à l’échelle locale, des modes de production de la nourriture les plus justes possible avec, le cas échéant, la proportion d’autoproduction la plus importante possible, en fonction du contexte et des possibilités… Le débat sur nos valeurs, et a fortiori, sur celles du bio passe donc aussi par un débat sur le sens exact que nous donnons au vocabulaire que nous utilisons. Au-delà du global english international, le globish où toute idée nouvelle se standardise et meurt, sachons mieux cerner les concepts auxquels nous avons recours et nous accorder beaucoup mieux sur certains « éléments de langage ». Politiquement parlant, cette nécessité est vitale. Le mot « alternative », par exemple, passe très mal s’agissant des pesticides ! Nature & Progrès en a fait l’expérience. Parler d’alternative aux pesticides peut, en effet, induire le fait que nous tolérions indifféremment l’un ou l’autre : simplement les utiliser ou ne pas les utiliser quand c’est possible, ou même substituer un produit chimique à un autre produit chimique. Or nous envisageons la mise en place d’une manière totalement neuve de penser la ferme afin de remplacer l’ancienne, celle qui précisément utilise des pesticides ! Les mots – celui-là et sans doute beaucoup d’autres – ne recouvrent donc absolument pas les mêmes réalités, selon qu’ils sont utilisés dans notre milieu ou dans d’autres. Une plus grande attention à ce qui est réellement compris de ce que nous exprimons, avec les mots que nous choisissons, est donc nécessaire. Ou peut-être devrons-nous trouver d’autres mots et d’autres formulations ? Et veiller à bien appeler un chat, un chat…

 

 

Chapitre 3 – La bio et ses pistes d’avenir

Nous vous parlons maintenant de cette agriculture-ci, celle qui nourrit les gens d’ici, celle qui respecte et sauvegarde l’environnement et la biosphère, celle que – en tant qu’association de consommateurs et de producteurs – nous défendons chez Nature & Progrès, l’agriculture porteuse d’éthique et d’humanité dans la moindre de ses dimensions, la bio. C’est elle qu’il faut à présent mettre en place, largement et de manière totalement inconditionnelle. Pour mener à bien, dans l’intérêt public, ce pilier de la transition écologique, d’autres us et coutumes politiques doivent absolument être adoptés, non que nous doutions des personnes elles-mêmes et de leurs compétences mais parce que les petites rivalités partisanes à répétition, les poussées d’hubris périodiques, nous emmènent tout droit vers un néant démocratique. Plus que jamais, deux niveaux de pouvoirs – au moins – doivent coexister : celui des opérationnels qui gèrent le court terme et celui des sages qui soient capables, en conscience, de se projeter sur plusieurs législatures afin d’entrer au cœur du système alimentaire et de mettre en place des solutions véritablement durables, au meilleur sens du terme. Pour cela, il nous faudrait – à tout le moins – un véritable ministère de l’alimentation. Plutôt qu’un ministère des soins palliatifs pour une agriculture traditionnelle en voie de disparition…

Le règlement bio européen – nous l’avons largement énoncé au chapitre précédent -, s’il offre évidemment le cadre nécessaire à l’agriculture qui en émane, est également insuffisant pour celle qui nous concerne maintenant. Une agriculture nourricière à l’échelon local – et non une agriculture de rente convoitant on ne sait trop quels marchés extérieurs – doit imposer le bio comme un impératif minimal mais surtout être capable de le dépasser. Nous formulons donc, à présent, quelques propositions permettant de développer, en Wallonie, une agriculture biologique fidèle à l’esprit qui l’anima, au moment de sa création. Une bio éthique orientée vers strictement vers l’être humain qui la consomme et qui en vit. Un objectif de 30% de bio wallon dans l’assiette des Wallons devrait être de nature à mobiliser producteurs, transformateurs et consommateurs. Mais attention ! Il n’y a évidemment jamais de recettes toutes faites ; chacun doit donc, dès à présent, se retrousser les manches et s’activer les neurones. En toute bonne foi… Voici néanmoins quelques pistes.

 

A- Une agriculture pour l’humain, pas pour le profit

En 2022, Manger demain – voir : www.mangerdemain.be/exception-alimentaire-wallonie/ – réclama une « exception alimentaire » et un régime particulier, notamment dans le cadre de marchés publics, qui laisserait aux collectivités de choisir librement l’origine géographique des denrées qu’elles utilisent. Faut-il aller jusque-là, dans le but d’attirer davantage de petits producteurs vers les cuisines de collectivité ? C’est possible… Il faut, en tout cas, se convaincre que l’agriculture est là pour nourrir les gens le mieux possible ; elle n’est pas là pour permettre à de gros intérêts privés de réaliser de substantiels profits, au détriment de la qualité de vie de tous nos concitoyens. Ce principe est extrêmement simple à comprendre, et l’ensemble des dispositions légales, en matière d’alimentation, doivent absolument découler de ce principe. Ce qu’il implique doit être admis par tous, c’est désormais une question existentielle. Que 17% seulement des légumes consommés en Wallonie soient produits en Wallonie est un non-sens total. Que 9% seulement des céréales produites en Wallonie soient destinées à l’alimentation humaine – plutôt qu’à celle du bétail ou aux biocarburants – est un non-sens écologique bien sûr, mais d’abord et avant tout un non-sens économique absolu. Le mangeur doit être aujourd’hui conscient que chaque euro qu’il dépense en aliments a une influence non négligeable sur le système alimentaire global : à lui, par conséquent, d’opter pour le poireau du maraîcher voisin plutôt que pour le poireau hard discount. C’est un acte essentiel de responsabilité individuelle qui engage notre futur collectif.

De plus, le terme « qualité » ne peut plus être un rossignol politique permettant de chanter n’importe quoi à n’importe qui. Pas plus que le mot « dérogation » d’ailleurs…. Ce qu’exige la qualité – comme fait global et non comme vulgaire emballage doré destiné à flatter le gogo – doit pouvoir se définir sur base de données objectivables. Des systèmes évaluatifs fiables existent, il ne manque que la volonté politique de les appliquer !

Les extraordinaires obtentions de la pomologie wallonne, par exemple, sont souvent vues de nos jours comme des vestiges d’un passé d’oisifs, quelques vieilleries improductives économiquement et particulièrement encombrantes à conserver. Quelques vieilles pierres, en somme qu’il serait plus intéressant de raser pour construire un parking à la place ! Il y a aujourd’hui des limites à la dilapidation du patrimoine par des pouvoirs ignorants. Pouvoir reconnaître la qualité là où elle se trouve est, avant tout, un fait culturel. C’est un fait culturel aussi, primordial celui-ci, de comprendre que le salut de l’humanité est intimement lié à la biodiversité.

B- Le grand retour à la polyculture-élevage

Pourrions-nous couvrir nos besoins en viande avec les vaches de réforme de la production laitière, est-ce que cela tiendrait la route en termes de charge UGB (Unité de Gros Bétail), dans nos prairies, sachant que nous pouvons monter jusqu’à deux qui est le maximum autorisé en agriculture biologique ? Un tel modèle d’élevage répondrait-il aux besoins nutritionnels recommandés par l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) ? Supprimerait-il les gaspillages, garantirait-il le bien-être animal et le respect de la biodiversité ? Son effet sur l’environnement nous permettrait-ils de conserver les puits de carbone que sont nos prairies permanentes, absolument essentiels dans le cadre du changement climatique tel que nous commençons à l’entrevoir : alternance de pluies plus intenses et de saisons sèches et venteuses ? Si la réponse est oui, n’attendons pas…

Semblable projet de relocalisation de la protéine animale nous amène immanquablement à plaider pour la polyculture-élevage, qui reste la forme la plus élaborée d’agriculture. Avant que s’ouvre la parenthèse chimique, bien sûr. Et avant, par conséquent, qu’elle se referme ! Un retour à cette forme d’agriculture ne pourra évidemment pas s’improviser : il demandera du temps, sera différent en fonction des terroirs et des pratiques en vigueur, demeurera tributaire des spécificités et des besoins locaux. Mais cela ne tombe-t-il pas sous le sens ? Si toutes nos prairies permanentes devront être sans pesticides et engrais chimiques de synthèse afin que leur existence soit garantie, c’est aussi l’ensemble de l’élevage wallon qui devra passer en agriculture biologique… Une révolution.

 

C- Une agriculture qui préserve l’eau

La crise des PFAS a ouvert une brèche dans la conscience des Wallons et des Bruxellois. Mais que diront-ils ensuite des nitrates, du glyphosate et de tous les autres résidus de pesticides ? Le sacro-saint principe du pollueur-payeur a fait long feu puisqu’aucun responsable ne semble avoir le courage politique de trouver ceux qui polluent et a fortiori de les faire payer. N’était-ce pas, de toute façon, créer un droit cynique à polluer, pourvu qu’on ait les moyens d’ouvrir ensuite son portefeuille ? Or à présent, l’état de l’eau nous intime, tout simplement, l’impérieuse obligation… d’arrêter de polluer !

La qualité de l’eau de distribution pose, par exemple, d’énormes problèmes à Paris car elle provient, pour moitié, d’eaux souterraines captées en Île-de-France, en Bourgogne et en Normandie, et pour l’autre d’eau prise directement, dans la Seine et dans la Marne, pour être ensuite potabilisée – voir : www.eaudeparis.fr. Toutefois, ces bassins amont de la Seine et de la Marne font l’objet d’une exploitation agricole essentiellement axée sur les intrants chimiques ! La mise en place de PSE (Paiements pour Services Environnementaux) – lire : Eau : l’état d’urgence, par Anne Le Strat, éditions du Seuil/Libelle – s’avère donc une solution très efficace. Extrêmement incitatifs pour que les agriculteurs passent à l’agriculture biologique – mais ils devraient évidemment concerner tous les acteurs de la bio et pas seulement les conversions d’opportunité -, ces PSE sont intégralement payés par les sociétés qui sont en charge d’assurer la qualité des eaux. Et, puisque nous ne sommes guère en mesure de faire fonctionner le principe du pollueur-payeur, force est bien de trouver autre chose. La mise en place de systèmes qui, dès le départ, ne polluent pas – ou tellement moins ! – en est une, assurément. Ceci ne devrait d’ailleurs pas être une nouveauté, en Wallonie, où l’on peut notamment s’inspirer des mesures prises, par exemple, par Spa Monopole pour protéger la qualité d’eaux de source aujourd’hui tellement renommées.

 

D- Une agriculture citoyenne, ouverte au dialogue entre producteurs et consommateurs

S’informer, analyser, agir ! Ce leitmotiv doit être stimulé car il est urgent que le mangeur sache autre chose des réalités agricoles que les fables aberrantes concoctées par un marketing absurde. Et d’autant plus insupportable lorsqu’il émane de structures publiques… Notre rôle est donc de stimuler, par la création d’espaces de débats, une véritable citoyenneté active à l’égard du monde agricole et de ce qu’il produit, d’en donner non pas une image mais un réel accès à ses réalités quotidiennes. Et, plus encore, d’élaborer avec nos concitoyens une authentique citoyenneté alimentaire qui fonctionne comme un véritable contrepoint à la grande passivité consumériste sciemment entretenue par la grande distribution, et plus encore par le hard discount, encore une appellation idiote. Littéralement, « fort rabais ». Mais sur quoi exactement, pourquoi et autorisé par qui ? Qui le sait ?

D’autre part, pour savoir quoi faire en collaboration avec le monde paysan, il n’y a pas d’autre solution que de discuter avec lui ! Mais un tel canal d’échanges ne peut pas apparaître comme une simple opportunité, il doit rester ouvert et alimenté en permanence. Il ne s’agit pas de dire aux uns et autres – politiques, consommateurs et paysans – ce qu’ils doivent faire, mais de mettre en place les méthodologies et des dynamiques qui permettront une saine cogestion de la production et de la distribution alimentaires bio et en circuits courts.

L’analyse des dérives du système alimentaire, l’effort de documentation et de concertation au sujet de ces questions qui dérangent les certitudes acquises mais surtout la proposition d’attitudes et de pratiques radicalement différentes et novatrices, tout cela restera, en tout cas, le cœur même de la démarche citoyenne de Nature & Progrès.

 

E- De la place pour les filières délaissées et les diversifications originales

Nourrir est évidemment la mission essentielle de l’agriculture mais elle n’est pas non plus la seule. Une certaine vision de l’efficacité nous a conduits à délaisser, à déclasser tout une série de débouchés qui étaient pourtant riches de sens, aux yeux du paysan en tout cas. Qu’il s’agisse de matériaux de construction fournis par l’agriculture, de la laine, du lin et des innombrables services environnementaux rendus par quelques courageux troupeaux de moutons… La question n’est pas ici de faire l’aumône à quelques filières pittoresques mais bien de les remettre, au centre de nos fermes, comme autant de pratiques qui ont un sens. Et d’admettre surtout que ce sens ne se limite pas ce qui alimente le tiroir-caisse…

Une prise de conscience nouvelle se fait jour autour du textile. Notre « souveraineté textile » est aujourd’hui complètement réduite à néant par la mondialisation ! Il y a donc une véritable opportunité est à saisir pour toute forme de filière textile locale de qualité. Nature & Progrès France impose de plus en plus ses cahiers de charges, en matière de cosmétique biologique, avec d’excellents produits et surtout avec des producteurs très fiers de faire partie de la dynamique ainsi créée…

 

 

Conclusion

C’est une intuition collective, vieille de plusieurs décennies… Les jours de la modernité agricole de l’après-guerre étaient comptés. Son modèle finirait par craquer de lui-même, l’écologie l’avait annoncé, dès les années soixante… Mais les puissances économiques qui avaient investi dans ses pratiques spectaculaires et dévastatrices ne l’entendaient évidemment pas de cette oreille. Elles veulent toujours extraire jusqu’au dernier sou, avant écroulement total…

Sa fin prochaine est, à présent, annoncée. À force d’emplâtres sur la jambe de bois, elle n’est plus qu’un empilement d’emplâtres. Et il n’y a même plus de jambe de bois. Ainsi va le capitalisme qui se dévore lui-même. S’il est éventuellement bio, c’est à son image : collé aux limites que permet le cahier des charges européen et, pour le reste, jaloux d’une rentabilité immodérée prise sur une réputation et des vertus un peu guindées. Rien qui doive concerner la clientèle populaire qui apprécie la simplicité et le roboratif…

Même cette illusion-là aussi a fait son temps. L’accentuation des clivages sociaux, l’aggravation des pollutions en tous genres, la faillite en germe de l’alliance entre agro-industrie et grande distribution amènent le citoyen et ses représentants à s’interroger sur les pistes qui mènent à des solutions locales : ce qui est d’ici avec des gens de chez nous et, forcément, à moindre coût, pour une qualité contrôlable et décidée par nos soins. La bio repointe alors le bout de son nez, elle qui – tout en suivant son développement propre – a su conserver les variétés et les méthodes traditionnelles adaptées à nos terroirs.

Cette bio est la nôtre. Ses propositions sont simples et transparentes. Toutes s’efforcent de rendre à nos concitoyens et à nos représentants la meilleure part possible d’une autonomie alimentaire qu’ils n’auraient jamais dû perdre. Pour notre santé et celle de la terre !

 

 

Humusation : enfin des essais concluants !

Après deux ans de blocage, suite à une décision du ministre des Pouvoirs Locaux de Wallonie responsable des modes de sépulture, les essais menés, depuis ce printemps, par un centre de recherches agricoles agréé, à l’initiative de la coopérative à finalité sociale « Humusation », montrent que le compostage à chaud, mené dans des conditions bien contrôlées, est tout à fait performant pour décomposer complètement, en une centaine de jours, les chairs de dépouilles de porc. Le meilleur modèle animal pour faire la transposition vers la dépouille humaine…

Par Ezio Gandin

 

Protéger l’environnement et réduire les ressources utilisées sont deux des moteurs qui, depuis quelques années, expliquent les propositions qui sont faites pour développer un mode de sépulture plus « vert ». Parmi les solutions proposées, la plupart peuvent être qualifiées de greenwashing car les améliorations qu’elles apportent ne sont que marginales. Par contre, le compostage des dépouilles dans des conditions adéquates est une réelle alternative car il repose sur ce que le vivant fait, depuis des millions d’année, tous les jours, avec les dépouilles animales, dans les milieux forestiers par exemple. Même en l’absence de charognards, les dépouilles se décomposent grâce à tous les microorganismes présents à l’intérieur des corps et dans les premiers centimètres de sol.

La présentation du processus d’humusation ainsi que la présentation de ses avantages par rapport aux modes de sépulture actuels ont fait l’objet d’une analyse spécifique, présentée en 2020 et intitulée « L’humusation, une simple étape du cycle de la vie« . Il est évident que la légalisation de l’humusation pour les dépouilles humaines soulève des questions multiples sur lesquelles des citoyennes et des citoyens réfléchissent actuellement afin de pouvoir remettre des propositions au législateur, dès qu’une expérimentation sera à l’ordre du jour.

Cette nouvelle analyse rassemble donc les dernières informations sur la situation de l’humusation et exploite les résultats d’une série d’essais lancés en fin mars 2023 et d’une autre série lancée en fin août 2023 ; au total, avec neuf dépouilles de porcs.

 

Sortir du blocage existant depuis 2020

Des essais de compostage de dépouilles d’animaux de compagnie et de ferme ont été réalisés par les pionniers de l’humusation, depuis plus de dix ans, ici en Wallonie. C’est sur base des résultats positifs obtenus que la sensibilisation du grand public et des responsables politiques fut lancée, dès 2015. Le fort intérêt du grand public s’est manifesté rapidement via une pétition pour la légalisation, largement soutenue, et par des actions individuelles et collectives auprès des communes : « je ne veux pas que ma dépouille soit enterrée ou incinérée ; je veux qu’elle soit humusée« . Tout cela a fait rapidement monter la pression à la Région Wallonne, responsable de la législation sur les modes de sépulture. Le ministre de l’Environnement a alloué, en 2018, un budget à un service universitaire de l’UCL pour vérifier les performances de ce procédé basé sur le compostage à chaud à partir de broyats d’élagage – de broussaille – développé, il y a plus de cinquante ans, par Jean Pain (1). Cette équipe de l’UCL n’a pas voulu tenir compte de toutes les informations rassemblées dans différents documents officiels publiés au Canada – Québec et Ontario -, depuis plus de quinze ans (2 et 3). Ces documents incitent et guident les éleveurs d’animaux à composter, à la ferme même, les dépouilles de leurs animaux morts, des poules aux bovins en passant par les ovins et les caprins. Ils reprennent toutes les informations utiles pour mener à bien cette dégradation de la dépouille et pour produire du compost en quelques mois, même avec une température externe bien négative. De plus, l’équipe de l’UCL a voulu travailler seule, en refusant tout contact avec les pionniers belges de cette technique. Ainsi, après une première série d’essais démarrée en fin 2018, qui a complètement échoué, une seconde série d’essais démarrée en fin 2019, a fait l’objet d’un rapport publié en fin septembre 2020. Ce rapport, de nouveau, indiquait que le compostage à chaud n’avait pas pu être mené comme recommandé. Sur base de ce rapport, le ministre des Pouvoirs locaux a décidé, sans concertation, d’interdire tous les essais d’humusation.

Les deux associations soutenant l’humusation ont alors introduit une pétition officielle sur le site du Parlement de la Wallonie pour que celui-ci autorise des tests scientifiques d’humusation de quelques corps humains. Cette pétition a été validée en automne 2021, après avoir recueilli plus de mille six cents signatures authentifiées. Sur cette base, nous avons pu plaider, en mai 2022, notre dossier devant la Commission de l’Environnement, de la Nature et du Bien-être animal où des parlementaires représentant tous les partis ont pu entendre nos arguments à l’encontre du rapport de l’UCL et notre demande. Au bout de la session de questions-réponses, le message global reçu était : « Vous contestez les résultats des essais décrits dans ce rapport de l’UCL. Alors, montrez qu’ils sont incorrects mais sans espérer recevoir un financement des pouvoirs publics. »

Suite à cette réponse de nos responsables politiques, la coopérative « Humusation » a relancé un appel vers les citoyen.ne.s pour obtenir les ressources financières suffisantes afin de lancer ces essais et, en parallèle, a recherché un centre de recherches en agriculture, expérimenté en compostage et agréé par la Wallonie, qui pourrait mener ces essais en collaboration avec nous. Après des mois de contact et de préparation, les essais ont été lancés, fin mars 2023, sur un terrain situé dans les Ardennes belges, par Agra Ost, centre de recherches et de formations agricoles principalement actif en région germanophone. Ce centre connaît très bien toutes les formes de compostage car il a souvent utilisé cette technique pour valoriser des sous-produits de la ferme.

 

Cent jours pour décomposer une dépouille !

Les essais de la première série ont démarré le 23 mars dernier : quatre dépouilles de porcs furent placées chacune dans une butte d’humusation, avec un volume de biomasse voisin de trois mètres cubes, une cinquième butte de référence, sans dépouille, complétant cette série d’essais. La température et l’humidité de chaque butte furent mesurées et enregistrées de manière automatique par des sondes spécifiques ; leur évolution constitue des données essentielles pour le suivi du processus. Sur cette base, les humusateurs, c’est-à-dire les personnes en charge du suivi des buttes, firent les ajustements nécessaires pour toujours favoriser l’activité des micro-organismes décomposeurs de la matière organique. Ces micro-organismes sont naturellement présents dans les dépouilles et dans les premiers centimètres de sol.

Les buttes furent ouvertes après une centaine de jours pour en retirer le squelette. Toutes les chairs molles avaient bien été décomposées et les os étaient dissociés et fortement fragilisés. Après broyage mécanique, les petits fragments d’os furent directement réincorporés dans la butte afin de passer dans la phase 2 du processus qui permit de former les complexes argilo-humiques et d’obtenir, au final, un compost de bonne qualité.

 

Les principales étapes du processus

Les photos ci-dessous montrent la succession des grandes étapes de la phase 1 du processus lors des essais lancés fin mars 2023.

Etape 1 – Prélèvement de biomasse en activité pour recouvrir les quatre dépouilles

Celles-ci sont d’abord placées sur une épaisseur d’environ trente centimètres de biomasse provenant d’un centre de compostage et obtenue par triage puis broyage de « déchets verts » tout venant. Sa composition varie de lot à lot et plus encore suivant la saison. Une alternative intéressante à cette source de biomasse est celle récoltée et broyée par des sociétés locales d’entretien de jardins. Dans tous les cas, il est intéressant d’activer la biomasse par un bon arrosage, quelques jours avant les essais, afin qu’elle atteigne déjà 40°C environ, lors de la construction des buttes individuelles. La montée en température au-dessus de 60°C est alors très rapide. Pour que cette activité démarre, il est indispensable que le rapport carbone-azote de la biomasse soit voisin de 25. Si ce n’est pas le cas, il faut ajouter, le plus souvent, un complément de matière verte riche en azote (4). C’est ce que nous avons dû faire pour la série des essais du mois d’août, avec un ajout de tonte d’herbe fraîche très humide.

Les buttes ont un volume d’environ trois mètres cubes chacune, avec une hauteur initiale un peu supérieure à un mètre. La surface de la butte est ajustée à la taille de la dépouille – ici, environ 2,2 mètres x 1,9 mètre pour des porcs dont le poids était voisin de nonante kilos. Le dôme recouvre la dépouille d’une couche d’environ cinquante centimètres de biomasse, dans toutes les directions. Cette épaisseur va permettre de disposer d’une bonne réserve de carbone durant tout le processus. Elle va aussi servir de biofiltre très performant et supprimer toutes les odeurs désagréables. Enfin, elle crée une couche isolante très efficace qui permet de mener le processus, quelle que soit la température externe. Enfin, la structure de la biomasse doit être telle que l’air puisse facilement accéder partout dans la butte car il faut favoriser les micro-organismes vivant en aérobie.

Etape 2 – Recouvrement de la dépouille d’un porc avec de la biomasse bien humide

Remarquons le filet placé tout autour de la dépouille ; il est mis en place juste avant le dépôt de la dépouille sur la partie basse de la butte. On l’enfile assez facilement autour de la dépouille – comme une chaussette – car il est très extensible. Ce filet non dégradable amène un grand confort de travail lors de l’ouverture de la butte. Il permet de repérer facilement la zone où se trouve le squelette et ensuite de sortir tous les os par une simple traction progressive. Il est donc inutile d’explorer toute la butte à la recherche d’os.

Etape 3 – Vue globale du lieu d’expérimentation et des cinq buttes – les deux de droite sont recouvertes d’une membrane de compostage

Nous recommandons d’utiliser une bâche respirante de compostage, de type TopTex, pour recouvrir la butte, dès le démarrage des essais, car elle permet de maintenir l’humidité au sein de la butte et d’éviter son dessèchement par le soleil et/ou le vent. Elle draine aussi très bien la butte lors de pluies violentes. L’inconvénient majeur de la bâche est toutefois de rendre l’arrosage plus difficile car la perte d’eau est abondante si on arrose sur la bâche. Nous avons modifié la forme de la bâche en plaçant une partie mobile sur le dessus du dôme de la butte, ce qui simplifie beaucoup l’étape d’arrosage.

Etape 4 – Ouverture d’une butte, au bout d’une centaine de jours

On retrouve le filet dans lequel la dépouille avait été glissée juste avant la mise en butte et on remarque qu’il n’y a plus aucune chair autour des os. Ils sont dissociés et « nettoyés » ! Après avoir extrait soigneusement le filet de la butte, il est nécessaire de le découper afin de pouvoir séparer les os de la biomasse. Cette opération se fait très facilement, à la main, et les os sont ensuite déposés dans une boîte bien identifiée.

Etape 5 – Les os sont sortis de la butte

Ils sont placés dans une caisse pour sécher durant quelques heures ; ce court séchage naturel -soleil, vent – avant broyage fin avec un équipement de boucherie réduit fortement les risques de colmatage de la grille. Un peu de charbon de bois peut être ajouté pour un auto-nettoyage des parties tournantes de la machine. Signalons que le broyage des os – qui peut apparaître comme une opération brutale – est aussi systématiquement pratiqué dans tous les crématoriums car le squelette est réduit et fragilisé mais pas détruit par les flammes.

Etape 6 – Les os broyés sont réincorporés de manière homogène dans la butte

La butte est alors reconstruite puis arrosée. La phase 2 du processus commence alors, elle durera environ huit mois.

Un point essentiel pour la réussite du processus d’humusation est de maintenir une humidité suffisante au sein de la butte, durant toute la phase 1. Pour nos essais, un arrosage hebdomadaire avec trente à cinquante litres d’eau par butte a été suffisant pour un total d’environ sept cents litres d’eau par butte pour toute la phase 1. Un étang tout proche fut utilisé comme source d’eau. Il est important de bien humidifier toute la partie haute de la butte, de manière homogène, afin d’éviter la création de régions sèches où la décomposition serait bloquée. Le surplus d’eau dans la butte est aussi à éviter car l’arrosage refroidit toujours la butte et réduit aussi la diffusion de l’air.

Le graphique ci-dessous montre l’évolution de la température d’une des buttes avec dépouille durant les dix premières semaines de test, ainsi celle que de la butte de référence sans dépouille. On voit clairement l’importance d’arroser régulièrement les buttes avec dépouille qui, en raison de la température interne élevée, évaporent beaucoup d’eau malgré la présence de la bâche respirante de compostage. L’arrosage permet à chaque fois, après quelques heures, de relancer la décomposition et donc de provoquer une hausse significative de la température. On observe aussi que la température de la butte de référence est beaucoup plus basse, probablement en raison d’un rapport carbone-azote qui devient rapidement beaucoup trop élevé. La décomposition de la dépouille assure une source importante et continue d’azote dans la butte, ce qui permet de maintenir son activité pendant des semaines. Le relevé automatique de la température, à intervalles rapprochés, est très utile pour réagir rapidement et favoriser ainsi au maximum le travail des micro-organismes décomposeurs que nous appelons, les humuseurs.

 

Perspectives

Les résultats de nos essais suivis scientifiquement montrent clairement que notre protocole d’humusation, basé sur un compostage à chaud, permet de décomposer complètement les chairs molles d’une dépouille de porc en une centaine de jours. Ces résultats contredisent ceux, publiés en 2020, par l’équipe de l’UCL. La comparaison entre les courbes d’évolution de la température de leurs buttes et des nôtres démontre que cette équipe n’a pas maintenu une humidité suffisante dans les buttes par défaut d’arrosage. Cette teneur en humidité trop faible de la biomasse a conduit à une forte réduction de l’activité de décomposition et finalement à des dépouilles mal décomposées, même après six mois.

Dans nos conditions contrôlées d’humusation, lors de l’ouverture de la butte, seul le squelette de la dépouille reste visible avec des os dissociés, fragilisés et « nettoyés ». Après un broyage mécanique fin des os et leur réincorporation dans la butte, la phase 2 du processus démarre, pour environ huit mois, afin d’intégrer toutes les parties du corps, y compris le calcium et le phosphore des os dans des complexes argilo-humiques stables, base d’un compost sain et fertile. Les analyses qui seront faites, au printemps 2024, permettront de valider la qualité du compost final obtenu.

Ces premiers résultats démontrent que le processus d’humusation, tel que nous le proposons, permet de faire retourner une dépouille animale à la terre, dans les meilleures conditions pour participer aux cycles essentiels de la vie sur notre planète.

Notre protocole d’humusation peut être qualifié de low-tech car il se pratique à même le sol, sans aucune infrastructure à construire pour la butte. Il dure un an et repose sur l’activité spontanée des bactéries présentes dans notre corps et de tous les organismes et microorganismes présents dans les premiers centimètres du sol. Il doit être contrôlé par du personnel local, formé, qui surveille le processus et éventuellement ajuste la teneur en humidité et le rapport carbone-azote de la butte.

En raison des faibles moyens nécessaires pour créer un site d’humusation, on peut imaginer qu’après la légalisation de ce nouveau mode de sépulture, des sites se mettront progressivement en place, un peu partout sur le territoire. La surface au sol nécessaire pour réaliser cette humusation n’est pas très importante : pour une commune de dix mille habitants, avec une centaine de décès par an, un terrain de moins de mille cinq cents mètres carrés permettrait de prendre en charge l’ensemble des décès et de générer annuellement un volume de compost de plus de cent mètres cubes. Des procédés high-tech demandant de lourdes et coûteuses infrastructures se développent, depuis quelques années, aux Etats-Unis (5). Rentabiliser ces installations impose un prix élevé pour la sépulture et une accélération du procédé pour décomposer le corps en moins de trois mois ! Ce n’est pas du tout notre vision pour réaliser ce retour harmonieux de la dépouille à la terre. Les processus du vivant font spontanément et gratuitement ce travail. Il faut juste leur laisser le temps de le faire…

 

Une deuxième série d’essais

La deuxième série d’essais, lancée fin août, examine la capacité de notre protocole de décomposer une dépouille qui est mise à froid pendant quelques jours avant la sépulture, ou une dépouille placée dans un linceul.

Les résultats sont extrêmement importants pour l’extrapolation de notre protocole vers les dépouilles humaines. En effet, pratiquement toutes les dépouilles humaines sont refroidies – pas congelées – durant quelques jours avant la cérémonie – à la morgue et/ou au funérarium – et l’utilisation d’un linceul est une demande forte des pompes funèbres afin de pouvoir organiser une cérémonie d’humusation avec toute la dignité nécessaire.

Nous espérons que ces essais permettront d’ouvrir la voie à une expérimentation sur quelques dépouilles humaines de personnes qui, en accord avec leur famille, auront donné, de leur vivant, leur consentement pour être humusées. Ces premiers essais d’humusation sur des dépouilles humaines permettront de valider le protocole technique, ainsi que tout ce qui concerne le funéraire avec l’appui de pompes funèbres motivées par cette nouvelle pratique.

 

Comment soutenir la légalisation de l’humusation ?

Trois associations soutiennent, ensemble, la légalisation de l’humusation, en priorité en Wallonie et à Bruxelles. Vous pouvez :

– soutenir financièrement via un don la Fondation d’Utilité Publique « Métamorphose » qui a créé, en 2014, le concept d’humusation et le propose comme alternative écologique aux deux modes de sépulture actuels : l’inhumation et la crémation. Voir : www.humusation.org

– intégrer la coopérative « Humusation » qui rassemble, depuis 2019, des coopérateur.rice.s dont les parts à 250 euros permettent de financer le développement, sur le terrain, de cette pratique. Elle finance entièrement les essais actuels menés par Agra Ost. Voir le site : www.cooperative.humusation.eu

– devenir membre de l’asbl « Huma Terra » – cotisation de 20 euros -, toute récente, qui a pour but de rassembler un maximum de citoyen.ne.s afin de montrer aux responsables politiques notre volonté de légaliser l’humusation. Les membres effectifs ont accès à des commissions de travail pour approfondir ensemble des thèmes essentiels pour que l’humusation devienne rapidement une réalité. Voir le site : www.humaterra.eu

 

Documents de référence :

(1) Les méthodes Jean Pain ou un autre jardin : environnement, agriculture, énergie, par exemple, l’édition de 1979

(2) Compostage en andain des cadavres de volaille, ministère de l’Agriculture, de l’Alimentation et des Affaires rurales de l’Etat d’Ontario (Canada) – version 2017

(3) Compostage à la ferme des animaux porcins morts, Guide technique publié par la Fédération des éleveurs de porcs du Québec – financé par le ministère de l’Agriculture et de l’Agro-alimentaire du Canada – novembre 2006

(4) Tout ce qu’il faut savoir sur les Matières Organiques, par Yves Hérody, collection « Les Fondamentaux de l’Agriculture », BRDA éditions, 2019

(5) voir par exemple le site : www.recompose.life qui présente le procédé mis en place par K. Spade, dans l’Etat de Washington, sur la côte Ouest des Etats-Unis.

Politique Agricole Commune et greenwashing

Agriculteur, agronome et député européen français, Benoît Biteau est donc venu partager, avec nous, son impressionnante force de conviction. Son champ de bataille : la Politique Agricole Commune (PAC), une ruine repeinte en vert par la Commission européenne qui ne profite ni à notre environnement, ni aux agriculteurs qui en ont le plus besoin. Les prochaines élections européennes seront donc capitales pour les orientations à lui donner, après 2027…

Texte et photos de Dominique Parizel

 

En attendant, à entendre Benoît Biteau, l’échec est total ! « L’Union européenne ne parvient pas à mettre en place des réformes à la hauteur des défis auxquels nous devons faire face, déclare-t-il d’emblée. Les principales mesures de la PAC sont sans impact sur le dérèglement climatique ou sur la chute vertigineuse de la biodiversité, sauvage ou cultivée. L’accent n’a pas été assez mis sur le développement de l’agriculture biologique et de l’agroforesterie qui constituent pourtant la seule réponse adéquate. Au niveau social, rien ne garantit un revenu décent aux paysannes et aux paysans, rien ne permet – et c’est plus inquiétant encore – de maintenir les fermes en activité. Et ce ne sont pas les sommes mobilisées qui facilitent l’arrivée des jeunes dans un secteur qui a besoin d’imagination et de créativité pour remettre en cause les vieilles habitudes. Mais comment faire pour accentuer la dégressivité des aides afin d’éviter leur « siphonnement » par les conglomérats industriels qui souvent s’affranchissent, par ailleurs, de tout respect de l’état de droit, du droit du travail ou du droit européen en matière d’environnement ? »

 

Une PAC dramatiquement insuffisante !

Très insuffisante d’un point de vue climatique et environnemental mais surtout très insuffisante pour rencontrer les besoins de la très grande majorité des agriculteurs ! Benoît Biteau aime rappeler qu’aucune autre profession n’est autant subventionnée – car la PAC, c’est évidemment de l’argent public ! – que l’agriculture qui engloutit plus du tiers du budget total de l’Europe ! La PAC est organisée en deux piliers : le premier – environ, pour la France, les trois quarts du budget – octroie des revenus directs aux agriculteurs, en fonction de la surface au sol et du nombre de têtes de bétail. Le second – pour la France, un quart du budget -, dispensé sous forme de programmes opérationnels, cherche à maintenir le dynamisme des territoires ruraux ; c’est notamment par lui que passe le soutien à l’agriculture biologique. En Wallonie, nous sommes plutôt sur une proportion de 60-40 % entre les deux piliers…

« Mais la PAC n’est a priori qu’une aide, rappelle Benoît Biteau, car, fort heureusement, les agriculteurs ont d’autres revenus. Cette aide est destinée à pallier les inégalités et à inciter les agriculteurs à adopter des pratiques agricoles d’intérêt général. Donc, si nous voulons vraiment défendre le revenu des agriculteurs, mieux vaut concentrer les aides sur la régulation des marchés et le soutien à l’emploi agricole – avec un mécanisme axé sur l’unité de main-d’œuvre -, plutôt que d’offrir des rentes à l’hectare, comme c’est principalement le cas avec le premier pilier. Ce mécanisme d’aide à l’hectare fait que 80% de l’enveloppe sont consommés par 20% des agriculteurs ! Ce n’est plus tolérable car cela explique pourquoi les petits agriculteurs éprouvent de telles difficultés. De nombreux rapports de la Cour des Comptes européenne sont suffisamment éloquents en ce qui concerne l’inefficacité de la PAC (1), notamment en matière de gestion de l’eau. » Précisons que, chez nous, les fermes de ces « petits producteurs » – ceux notamment qui sont sous mention Nature & Progrès – représentent des surfaces qui oscillent entre quarante et soixante hectares…

De plus, bien avant que la question du climat n’arrive au centre des débats, le Parlement européen avait également remis en cause certains accords de l’Organisation Mondiale du Commerce. Il avait voulu faire adopter des règles strictes pour les importations de produits agricoles et alimentaires afin que leur production respecte des normes aussi strictes sur l’environnement, l’emploi et les pesticides que celles qui sont en vigueur en Europe.

« Cette exigence fut balayée, regrette Benoît Biteau, nous éloignant toujours plus d’une possible souveraineté alimentaire et nous laissant totalement dépendants d’importations de protéines, en provenance d’Amérique du Sud. Avec cette PAC, l’Europe continue donc de détruire la forêt amazonienne ! Avec cette PAC, contrairement à ce qu’indique sa dénomination, l’Europe n’a aucune vision politique commune du futur de son agriculture. Des Plans Stratégiques Nationaux (PSN) sont en préparation dans chaque État-membre où le seul souci est d’alléger au maximum les mesures concernant le climat ou l’environnement. Les principaux responsables de cet échec sont les chefs d’État et de gouvernements qui se focalisent sur la préservation des acquis et se montrent incapables de mettre leur politique agricole commune en conformité avec les Accords de Paris sur le climat, notamment. Cette PAC est donc totalement insuffisante d’un point de vue climatique : le système des « éco-régimes » – un verdissement plutôt inepte du premier pilier la PAC – qui conditionne, à des pratiques vertueuses pour l’environnement, un quart des aides versées aux agriculteurs est du pur greenwashing car ces aides sont distribuées sans la moindre condition sur l’usage des pesticides et des engrais de synthèse. Ce sont, en effet, les États qui, dans leurs déclinaisons nationales de la PAC, déterminent les conditions permettant d’obtenir ces aides. Et ces conditions sont toujours beaucoup trop faibles, ou beaucoup trop floues… 96% des agriculteurs français valident aujourd’hui les « éco-régimes » du PSN français, notamment via la certification HVE (Haute Valeur Environnementale) (2), sans changer quoi que ce soit à leurs pratiques ! C’est dire à quel point cette HVE est absolument sans intérêt. Si ce n’est pour permettre, à tous ceux qui ne veulent absolument rien changer, de siphonner l’enveloppe destinée à l’agriculture biologique que la France délaisse aujourd’hui au profit de pratiques de greenwashing absolument lamentables. À mes yeux, la conditionnalité doit débuter dès le premier euro de subvention publique, et pas seulement sur les 20 ou 30% qui restent dans ces « éco-régimes »… Les élus doivent être les garants de politiques publiques qui servent vraiment l’intérêt commun. Et les choix d’entreprises qui ne servent pas cet intérêt commun – pesticides et engrais de synthèse, irrigation maximale, concentration d’animaux… – ne doivent plus recevoir le moindre euro d’argent public ! »

 

Les fondamentaux de l’agriculture

« Comment je suis devenu député européen, s’interroge Benoît Biteau ? Je suis d’abord devenu vice-président de la Région Poitou-Charentes, en 2010, en démontrant que des politiques publiques courageuses et audacieuses pouvaient significativement accompagner une modification profonde des pratiques agricoles. J’estime qu’il faut dénoncer les politiques de greenwashing dont la plus importante est, sans nul doute, la Politique Agricole Commune qui doit absolument faire l’objet, à présent, d’un profond débat de société. Ratifiant la Charte de Florence, sous la présidence de Ségolène Royal, la Région Poitou-Charentes est devenue OGM Free. Nous faisions ainsi apparaître l’obligation de ne pas utiliser d’OGM, pour tous les agriculteurs qui réclamaient des fonds européens ou des fonds régionaux. Un éleveur, par exemple, qui désirait rénover son bâtiment d’élevage, ne pouvait plus utiliser de soja venu d’outre-Atlantique pour compenser sa ration de maïs ensilage, faible en protéines. Se posa donc la question de l’autonomie protéinique de notre région et du développement d’une filière soja propre. Et c’est comme cela que les agriculteurs purent se rendre compte que la luzerne et le trèfle, cela apportait aussi beaucoup de protéines… Chose plus incroyable encore : ils se sont finalement aperçus que nourrir des herbivores avec de l’herbe, cela marchait vachement bien ! On renouait ainsi avec les fondamentaux de l’agriculture, en s’apercevant que remettre les animaux en pâturage était une démarche très intéressante. On avait eu trop tendance à l’oublier… »

Tel un professeur d’anglais, Benoît Biteau – après avoir démonté le greenwashing de la PAC – s’employa ensuite longuement, en répondant aux nombreuses questions de l’assistance, à faire un sort à cette supercherie qu’est l’agribashing – littéralement le « dénigrement agricole » (3) -, une pure invention de la FNSEA (Fédération Nationale des Syndicats d’Exploitants Agricoles) qui déplorait que « les paysans soient une cible trop facile (4). »

« J’ai toujours eu beaucoup de mal avec le verbe « exploiter », en parlant de terres et d’animaux, s’insurge alors le député européen. Moi, je me revendique paysan et pas exploitant. Le concept d’agribashing fut imaginé par un certain Gil Rivière-Wekstein qui gère une société, bien connue en France, nommée Amos Prospective (5). La FNSEA, fort opportunément, a beaucoup utilisé ce terme, après le succès d’un film intitulé Au nom de la terre, l’autobiographie d’Edouard Bergeon dont le père, agriculteur, s’est suicidé. Le film, sorti à l’automne 2019, a beaucoup ému la population française et la FNSEA n’a pas hésité à instrumentaliser cette émotion afin de diffuser l’idée d’une animosité volontairement dirigée contre le monde agricole. Mais les gens ne se pas remontés contre les agriculteurs, ils sont juste remontés contre des pratiques qu’ils jugent, de plus en plus, inappropriées ! »

Autre sujet de préoccupation du public : l’éventuelle adhésion de l’Ukraine à l’Union Européenne a-t-elle un sens, avec la PAC actuelle ?

« Cette question est extrêmement importante, concède Benoît Biteau. L’Ukraine est un révélateur : celui de la faillite d’idées qui ont fait leur chemin. Celle d’entrer, par exemple, dans l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) car la souveraineté alimentaire dépendrait avant tout, nous disait-on, d’échanges internationaux. Or on se rend compte aujourd’hui à quel point un tel système est vulnérable. La guerre en Ukraine montre que la spécialisation agricole de zones entières de la planète ne résiste pas à un incident géopolitique ou climatique majeur. Une pure logique arithmétique de sécurité alimentaire – des quantités divisées par le nombre d’habitants -, sans suffisamment se soucier de la disponibilité des denrées pour les populations, est un pur non-sens. C’est toute la différence qui existe, précisément, entre sécurité et souveraineté alimentaires. Les productions céréalières ukrainiennes transitent aujourd’hui par les pays européens limitrophes – Pologne, Hongrie, Roumanie – dont les économies agricoles sont les premières victimes, ce qui a tendance à effriter la solidarité avec Kiev… Mais la réticence la plus forte est effectivement liée à la PAC car si elle continue dans sa logique actuelle – distribuer les aides par unité de surface -, il devient évident que l’étendue immense des terres agricoles ukrainiennes la feront littéralement exploser ! De plus, un quart environ de ces terres sont aujourd’hui détenues par des consortiums américains. L’argent du contribuable européen s’en ira-t-il alimenter des fonds de pension, aux Etats-Unis ? Ce serait totalement absurde… »

 

L’agriculture, une question de tout premier plan

Ses combats, évidemment, sont aussi les nôtres et nous sommes totalement convaincus de leur justesse. La question qui reste sans réponse est plutôt la forme donnée aux messages énoncés par Benoît Biteau et le public auquel ils s’adressent en priorité. Le clivage est énorme et paraît sans espoir dans le monde agricole. Mais l’agriculteur n’est pas l’électeur. Car l’électeur, c’est avant tout le mangeur !

Ce sont bien les mangeurs – en pleine détresse alimentaire – que les Verts européens doivent à présent s’efforcer de convaincre et, en premier lieu, les publics populaires, souvent promis à l’extrême-droite et au hard discount, qui ont totalement perdu les repères traditionnels que leur offrait une grande intimité avec la nature. C’est bien eux – et dans l’urgence ! – que doit atteindre et contaminer le rêve d’un homme tel que Benoît Biteau… Peut-être appartient-il à chacun d’entre nous de lui donner un petit coup de pouce ?

 

Notes :

(1) Taper « PAC » dans : www.eca.europa.eu/fr

(2) Taper « Haute Valeur Environnementale » dans : https://agriculture.gouv.fr/

(3) Rappelons que, début 2020, de nombreux acteurs du monde agricole français exigèrent du ministre français de l’Intérieur, Christophe Castaner, une loi visant à réprimer l’agribashing, les intrusions et le vandalisme dans les exploitations agricoles.

(4) Lire : www.lemonde.fr/economie/article/2019/10/08/les-paysans-sont-une-cible-trop-facile-la-fnsea-bloque-les-routes-pour-repondre-a-l-agribashing_6014724_3234.html

(5) Lire : www.sillonbelge.be/5564/article/2020-02-20/agribashing-ils-se-nourrissent-de-nos-peurs

Trioforum : questions sans réponses sur les certificats d’action Triodos

La banque Triodos est parfaitement connue de tous ceux qui se soucient d’investissements éthiques. Si le credo de la banque en la matière continue à ne faire absolument aucun doute, et si la banque elle-même paraît en pleine forme – vos comptes d’épargnes, ou à terme, et éventuelles sicavs ne courant aucun danger -, des questions se posent cependant sur la manière dont la banque traite aujourd’hui ses « actionnaires ». Pour tenter d’y répondre, tout en aidant ceux qui se sentent lésés, l’association Trioforum a entrepris un travail de fourmi dont nous vous parlons ci-dessous…

Par Dominique Parizel

 

Les détenteurs de certificats d’action Triodos – et eux seuls – ont, en effet, de gros soucis à se faire mais, de manière plus générale, d’importantes questions d’ordre éthique se posent sur la façon dont fonctionne la banque qui, jusqu’à une date récente, n’a jamais souhaité être cotée en bourse. Précisons d’emblée que nous ne voulons prendre ici aucune position particulière sur la pertinence du management de Triodos mais simplement solliciter des éclaircissements sur quelques choix stratégiques qui méritent, nous semble-t-il, d’être examinés. Et qui le sont, précisément, par Bernard Poncé, ancien agent délégué Triodos qui entend assumer sa responsabilité vis-à-vis de ses anciens clients. Lui-même détenteur malheureux de certificats d’action Triodos, il a créé le site www.trioforum.be qui veut réunir et informer un maximum de détenteurs de tels certificats. Cette association est animée bénévolement par un comité de quatre détenteurs.

Par quels tours de passe-passe, en effet, la valeur de ce certificat d’action a-t-elle chu soudain de 84 à 59 euros, avant de dégringoler encore jusqu’aux environs de 35 à 40 euros, avec peu d’espoir de regrimper un jour ? N’était-ce là rien d’autre que la conséquence normale d’une prise de risques connue et parfaitement assumée ? La banque pouvait-elle éviter pareil déboire – et débours – à ceux qui avaient adhéré à son projet exemplaire, acceptant délibérément, pour cela, une rentabilité moindre que dans la banque classique ? N’y a-t-il vraiment plus aucun recours ? Ou s’agit-il seulement d’admettre que les particuliers détenteurs des certificats d’action Triodos, séduits par un modèle bancaire de régularité et d’équilibre, soient les dindons dociles et résignés d’une farce qui se joua derrière un bien opaque écran de fumée ?

 

Les actionnaires vendeurs et l’opportunité de la Covid

Rappelons les faits. 18 mars 2020 : la Covid est là ! Nous avons tous la tête ailleurs. La banque Triodos suspend la cotation et les échanges de ses certificats d’action. Bernard Poncé explique : « Afin d’éviter toute possible spéculation et de donner, à son titre, la plus grande stabilité possible, la banque a toujours souhaité ne pas être cotée en bourse. Ceci signifie que le « certificat d’action » octroyé à ceux qui constituent son capital est un titre – auquel aucun droit de vote n’est rattaché – qui laisse, à la banque et à son management, un contrôle total sur ses différents paramètres. Le capital sort directement de la poche d’ »actionnaires » – certes susceptibles de percevoir des dividendes, en fonction de ce que décide l’assemblée générale – qui sont, en l’occurrence, de simples sympathisants épargnants. Ceux-ci acquièrent ces certificats auprès de la banque à un cours équivalent à sa valeur comptable. A contrario, la banque les rachète à tout vendeur qui le souhaite au moyen d’un buffer, c’est à dire d’une réserve d’argent, constituée par la banque elle-même, qui absorbe les mouvements à l’achat et à la vente, et assure ainsi la liquidité du titre. »

Ce système a fonctionné sans accrocs pendant de nombreuses années. Néanmoins, vers 2017 déjà, alors que la banque comptait environ quarante-cinq mille détenteurs de certificats, les problèmes potentiels que pourrait créer le moindre mouvement de panique furent évoqués chez Triodos ; le buffer de vingt-deux millions d’euros – passé ensuite à trente-six – pouvait déjà s’avérer insuffisant, selon le manager du risque. Jusqu’à la suspension de 2020, la banque en publia régulièrement l’état et chacun put constater qu’en pleine panique liée à la Covid, son utilisation était en hausse constante, sans qu’il fut jamais possible de savoir si les vendeurs étaient des particuliers ou des institutionnels. En quoi était-ce important ?

« Les détenteurs institutionnels, disposant de plus de 3% du capital, doivent apparaître dans le rapport annuel de la banque, précise notre expert. Il leur est évidemment très aisé de vendre, afin de ne plus y figurer, dès l’instant où peut surgir la seule mention d’un risque possible. Aux Pays-Bas, l’association Red Triodoswww.red-triodos.nl – dit détenir – sans toutefois jamais les montrer – les preuves que ce sont bien des institutionnels qui ont vendu. Mais la banque, elle, décrit un mouvement vendeur généralisé. Pourquoi ? »

Après la grande crise de 2008, beaucoup de gens étaient arrivés chez Triodos, se rendant compte que son modèle non-spéculatif lui donnait plus de résilience face à de grosses secousses. Quel est le changement de mentalité qui a pu s’opérer, chez Triodos, entre 2008 et 2020 ? Le Trioforum suppose que ceux qui croyaient y trouver un refuge, en 2008, ne sont pas venus uniquement pour soutenir la banque, dans ses valeurs, mais surtout parce qu’ils trouvaient là une institution plus résistante. Pourquoi auraient-ils pensé autrement dans une nouvelle tourmente ? La réactivité de Triodos, cependant, est d’autant plus curieuse que, lorsqu’elle relance les transactions, le 13 octobre 2020 – après publication de bons résultats, dans un contexte boursier redevenu positif et malgré une augmentation de capital, c’est-à-dire un nouvel appel à acheter des certificats -, la banque constate un courant vendeur toujours trop important et clôt définitivement le système de cotation interne, en janvier 2021. Ce qui est étonnant, c’est qu’à la relance d’octobre, elle a imposé des restrictions à la vente qui ont manifestement incité les détenteurs à vouloir se débarrasser de leurs titres !

 

Cachez cette cotation que je ne saurais voir…

Puis, fin 2021, coups de théâtre, coup sur coup ! Première surprise : Triodos, au mépris de ce qu’elle a toujours professé, sera bel et bien cotée en bourse. Mais le deus ex machina n’est pas une bourse ouverte, accessible à tout le monde, comme Euronext ou d’autres… L’heureux élu, en effet, s’appelle Capfin, une société basée aux Pays-Bas, accessible uniquement, pour l’échange des titres Triodos, aux résidents des pays où la banque est active : Hollande, Belgique, Angleterre, Allemagne et Espagne. Seconde surprise, et non des moindres : la banque annonce – prétextant des obligations fiscales, le fisc lui-même n’en demandant sans doute pas tant – une fair value – une valeur économique – de son certificat d’action. Elle la fixe à 59 euros, alors qu’elle était encore de 84, à la reprise des transactions, le 13 octobre 2020 ! Mieux encore : la banque lancera, deux mois plus tard, un grand programme de rachat des certificats, une prétendue « opération de solidarité » – qui avait très peu de chances d’aboutir -, avec les millions restant dans le buffer. À quel prix ? Eh bien, à 59 euros, bien sûr, puisque c’était la valeur déclarée au fisc ! Voici donc comment, croyant soutenir une action salutaire et généreuse, vous perdez 30% de votre mise, en n’y voyant que du feu, sans que vous en soyez, à aucun moment, informé – ne serait-ce que pour la forme – de manière simple, mais convaincante et documentée, et sans recevoir, dans le pataquès généralisé, le moindre petit mot qui soulage…

« Et, depuis qu’il y a une cotation, glisse Bernard Poncé, les vendeurs, on attend toujours de les voir… »

De l’argent volatilisé ? Pas si simple. Quand la banque a vendu les certificats, les détenteurs lui ont payé de l’argent. Tout cela n’est que très normal. Cet argent fut ensuite utilisé dans l’entreprise, ce qui devait aussi finalement valoriser le certificat lui-même car la valeur du certificat est une valeur comptable qui reflète, a priori, la valeur réelle de l’entreprise.

« Mais, fin décembre 2021, s’insurge l’ancien agent délégué Triodos, quand la banque déclare qu’elle sera prochainement cotée en bourse, elle donne une valeur aux certificats « comme si nous étions cotés en bourse ». Or « nous » ne l’étions justement pas ! Ce fut donc un rare moment d’anticipation pure, aucune valeur économique n’était alors nécessaire, le fisc pouvant très bien se contenter d’une valeur comptable, toute liberté appartenant d’ailleurs au contribuable de déclarer, s’il le voulait, une valeur plus basse… »

Une valeur boursière, de pure convention, était ainsi implicitement proposée à l’avance, une valeur fictive volontairement minimisée par la banque elle-même qui, comme on l’a vu, proposera, deux mois plus tard, le rachat de ses propres titres à cette valeur abaissée par elle-même…

« Une pure brocante, conclut notre interlocuteur ! L’argent ne s’est pas envolé, c’est juste ce que vous aviez à vendre qui n’intéressait plus personne, à sa valeur comptable. À partir du moment où la banque, elle-même, instille l’idée complètement dingue que son action bancaire doit perdre 30%, on voit mal pourquoi un investisseur extérieur proposerait d’en donner davantage… »

 

L’intérêt supérieur de la banque Triodos ?

« En somme, poursuit Bernard Poncé, Triodos a sacrifié son lot d’actionnaires historiques au nom de l’intérêt supérieur de la banque. Très à l’aise dans l’utilisation abusive de vaine rhétorique, le management n’a en réalité que très peu de compassion pour les « bons pères de familles » qui lui ont accordé confiance et capital. Elle s’est arraché l’épine qui lui blessait le pied, au mépris total de quelques milliers de détenteurs de certificats d’action, ce dont bien sûr elle se défend auprès de qui veut bien l’entendre ! Pourtant, qui supporte le coût de l’opération ? Pour autant qu’il y arrive, un détenteur vendra aujourd’hui un certificat à 40 euros environ, cet argent s’échangeant entre gens avec lesquels la banque n’a désormais plus rien à voir… »

Est-ce moral ? Est-ce éthique ? Un grand nombre de ces petits actionnaires sont totalement en dehors du coup et ne comprennent absolument rien à ce qui se passe. La banque table, semble-t-il, sur ce « ventre mou » d’acteurs financiers inertes qui ne diront jamais rien, ou presque.

« Ils comprendront, un jour ou l’autre, que leur bout de papier ne vaut plus un kopeck, regrette l’animateur du Trioforum, et en feront leur deuil. La banque, elle, a fait ses comptes : sept cent cinquante mille clients, dont quarante-trois mille détenteurs de certificats d’action. Cela laisse, au pire, plus de sept cent mille clients qui ne lui demanderont rien… Sans doute, pense-t-elle aussi que sa croissance, à court et moyen termes, se fera essentiellement en interne et plus grâce à l’apport de capitaux extérieurs ? »

Les autorités de contrôle – la Nederlandsche Bank, en l’occurrence, c’est-à-dire la Banque Centrale hollandaise – semblent aujourd’hui s’accorder pour déclarer que la gestion de la banque Triodos fut raisonnable et censée. Quel jeu jouent-elles ?

« Il est très difficile, concède notre expert, après avoir longuement étudié le dossier, de se dire qu’il n’existait pas, au sein même de Triodos, l’idée croissante qu’un jour viendrait le moment de se débarrasser d’un système de cotation qui avait fait son temps. Or la façon la plus simple de le faire était d’aller vers une cotation boursière et la difficulté était la probable fronde des détenteurs de certificats, si on leur annonçait tout cela de but en blanc, à eux qui avaient toujours clairement manifesté, éthique oblige, leur rejet d’une action cotée en bourse. La crise de la Covid fut donc probablement une opportunité unique, un véritable « coup de bol »… Car quelles sont les autres possibilités dont on nous a prétend qu’elles furent étudiées ? Personne à ce jour ne nous a clairement démontré ce qu’elles étaient réellement, et surtout pourquoi elles n’étaient pas bonnes ! »

 

À qui demander des comptes ?

Dans un dossier de présentation disponible sur son site Internet, Trioforum démontre aujourd’hui, à tous les détenteurs de certificats d’action Triodos, que la solution Captin n’était sûrement pas la meilleure pour sauvegarder leurs intérêts, contrairement aux allégations de la banque. La nécessité de regrouper tous ces petits détenteurs lésés fait donc son chemin et apparaît comme la seule chance d’obtenir de Triodos la moindre compensation. Toutefois, l’Autorité des Services et Marchés Financiers (FSMA) et la Banque Nationale de Belgique ne peuvent s’occuper que de la succursale de la banque, dans notre pays. La Banque Centrale hollandaise, déjà évoquée, apparaît donc comme le seul interlocuteur possible qu’il faudra convaincre d’avoir autorisé des opérations contestables. Mais Triodos n’est qu’une banque de taille moyenne – qui compte assez peu dans le paysage – et sans doute faudra-t-il, pour Trioforum, s’adresser également au niveau européen…

« Depuis plus d’un an, j’ai étudié le dossier pour présenter un argumentaire détaillé et documenté, explique Bernard Poncé. Avec Maître Arnauts, du cabinet SQ-Watt Legal, nous avons également étudié les actions menées par d’autres groupes qui, à notre avis, n’ont pas cherché les failles aux bons endroits. Bien que nous déplacions nos pions sur l’échiquier, nous nous concentrons aussi sur la recherche de détenteurs pour leur dire que d’autres points de vue existent que celui de la banque. Une information différente et critique leur permettra déjà de se sentir moins seuls. Elle est facilement accessible via notre site. Et s’ils le souhaitent, ils pourront aisément rejoindre notre action collective lancée au profit de tous ceux qui veulent réellement être entendus par Triodos, et pas seulement en paroles… »

Soixante années d’évolution de l’agriculture biologique

A l’occasion de la 38e édition du salon Valériane, nous avons eu l’honneur d’accueillir Claude Aubert. Agronome français impliqué dans le développement de l’agriculture biologique depuis soixante ans, il nous a partagé sa vision du passé, du présent et de l’avenir du bio. Il nous a également présenté son dernier livre, Qui veut la peau des vaches ? Retour sur cette rencontre inspirante et riche en émotions !

Par Sylvie La Spina

 

Claude Aubert est un des piliers du développement de l’agriculture biologique, en France. Quelques années à peine après l’obtention de son diplôme d’ingénieur agronome à l’Institut National d’Agriculture de Paris, dans le milieu des années soixante, il s’intéressa à l’agriculture biologique, faisant la rencontre de Roland Chevriot, administrateur de la toute jeune association Nature & Progrès. Après quelques voyages lui ayant permis de s’inspirer de producteurs bio, en Angleterre et en Allemagne, Claude Aubert se lance dans le développement du bio, en France. Il sera l’auteur de nombreux ouvrages, conférencier et conseiller, en fermes, dans tout le pays. Avec plusieurs collaborateurs, il écrit les cahiers des charges bio du label Nature & Progrès France qui ont inspiré, par la suite, la réglementation bio européenne, mise en place à la fin des années nonante. Claude Aubert sera également cofondateur de l’IFOAM (Fédération Internationale des Mouvements d’Agriculture Biologique) et de la coopérative Terre vivante, maison d’édition et Centre écologique faisant la promotion du jardinage et de l’agriculture biologiques…

 

Une source d’inspiration en Belgique également

Tout au long de sa carrière, Claude Aubert inspira de nombreuses personnes. Vincent Gobbe, agronome et fondateur de Nature & Progrès Belgique, organisa, en septembre 1977, un symposium d’une semaine sur l’agriculture biologique. Vingt-trois personnes – agriculteurs, jardiniers, agronomes, chercheurs et passionnés – s’y sont réunies sous le slogan « C’est la nature qui a raison ! » Au programme : des cours dispensés par Claude Aubert et des visites de fermes.

Henri Paque, fils d’agriculteurs, fit partie des participants. Après avoir lu un des premiers livres de Claude Aubert, L’agriculture biologique : une agriculture pour la santé et l’épanouissement de l’homme, il avait contacté l’auteur qui lui fixa rendez-vous au symposium. Cette semaine intensive d’échanges sur les pratiques bio finit de convaincre Henri qui demanda alors à son père de disposer d’une petite parcelle « pour essayer ». Un test concluant puisqu’il développa ensuite, avec son épouse, la Ferme à l’Arbre de Liège, aujourd’hui reprise par son fils, Michel. Bien connue de tous, elle représente aujourd’hui un modèle de diversification et d’autonomie.

Françoise Hendrickx, citoyenne et membre de Nature & Progrès, n’a pas manqué l’occasion du Salon bio Valériane pour venir rencontrer Claude Aubert. « Avec le plaisir d’une enfant qui va rencontrer Saint Nicolas« , témoigne-t-elle. Claude Aubert est une source d’inspiration, mieux, un initiateur dont Françoise a dévoré les ouvrages, notamment ceux sur les légumineuses. « Tout se tient. Santé des sols, des bêtes, des gens, des économies, des sociétés, de notre monde« … Françoise a également eu l’occasion de visiter le Centre Terre Vivante, en Isère, un paradis de trente hectares, comptant vergers, pisciculture, potagers, aromates, cultures, bois…, pleinement dédié à l’information, la diffusion et à la formation.

Les nombreuses personnes venues faire dédicacer leurs livres à la fin de la conférence démontrent encore l’influence que Claude Aubert a sur la communauté bio belge.

 

Qui veut la peau des vaches ? Élevage et changements climatiques

Claude Aubert s’intéresse toujours de très près aux problématiques agricoles et environnementales. Les nombreuses critiques touchant l’élevage de ruminants l’interpellent et lui donnent envie d’écrire un nouveau livre : ce sera Qui veut la peau des vaches ?, paru en novembre 2022, aux éditions Terre vivante. Lors de sa conférence au salon Valériane, il nous présenta les différentes réflexions apportées dans le livre. Quel est l’impact de l’élevage sur le climat ? Tous les élevages sont-ils à remettre en question ? Claude Aubert nous parle de l’importance de l’élevage à l’herbe, du rôle des vaches dans l’entretien et la valorisation des prairies, de la richesse nutritive de la viande, du lait et des fromages produits avec des animaux au pré, mais aussi du lien entre les animaux d’élevage et les humains, en particulier dans les régions d’Ethiopie où les enfants gardent les troupeaux et développent une relation forte avec les animaux.

– un élevage zéro carbone est possible !

Parmi les différents éléments exposés par Claude Aubert, un concept retient particulièrement l’attention du public : celui de l’élevage « zéro carbone ». Selon l’agronome, ruminant ne rime pas forcément avec impact climatique. Les vaches, dans un système d’élevage à l’herbe, permettent aussi de stocker du carbone, à un point tel que ce stockage peut compenser les effets de la production de méthane par les animaux. Suivons son raisonnement, ponctué par de nombreux résultats de recherches scientifiques.

– d’où vient donc le méthane ?

Le méthane (CH4) provient de fermentations dans le rumen : la flore bactérienne anaérobie y dégrade la cellulose, principal constituant des végétaux, la rendant digeste pour les animaux. Le gaz est principalement émis par la bouche. Une vache laitière émet entre 300 et 450 g de méthane par jour, soit l’équivalent de trois à quatre tonnes de CO2 par an – la contribution au réchauffement climatique des différents gaz à effets de serre étant variable, on utilise une comparaison, en exprimant les quantités de gaz en « équivalents CO2« . En France, l’élevage est responsable de 14% des émissions de gaz à effet de serre, 5,6% provenant du méthane émis par les ruminants.

– réduire les émissions de méthane

Vu les enjeux climatiques, de nombreux acteurs de la recherche scientifique se penchent sur les manières dont on peut réduire les émissions de méthane en élevage. Outre une réduction du cheptel, on peut réduire l’émission en modifiant l’alimentation des vaches : ajouts de lipides – huile de lin -, de feuillages riches en tanins – herbacées ou feuilles d’arbres et arbustes – ou d’algues. L’on aperçoit tout de suite un premier intérêt du pâturage en prairie permanente, milieu riche en flore tannique, herbacée ou ligneuse.

– les sols, puits de carbone

Le second avantage largement mis en avant par Claude Aubert est le rôle de stockage du carbone dans le sol des prairies. Il suffirait d’augmenter, sur toutes les terres cultivées de la planète, ce stockage de quatre pour mille de la capacité des sols, soit 0,4%, soit à peine deux cents kilos de carbone par hectare, pour résorber la totalité des émissions de gaz à effet de serre d’origine anthropique ! Outre les sols forestiers, qui ont une capacité de stockage considérable – de quatre-vingts à cent tonnes de carbone par hectare -, les sols cultivés y contribuent également – de quarante à cinquante tonnes de carbone par hectare.

– quelle agriculture pour stocker le carbone ?

Comment traduire cet enjeu au niveau agronomique ? Il s’agit de réduire le travail du sol, de le couvrir autant que possible, de mettre en rotation les cultures avec des prairies temporaires, et de planter des haies et des arbres. Le carbone représente 58% de la matière organique des sols. Des prairies bien gérées représentent une opportunité pour augmenter le stockage de carbone dans le sol et d’aboutir ainsi à une émission nulle, voire négative. En scientifique rigoureux, Claude Aubert nous démontre ses affirmations par le calcul.

– le pâturage extensif des prairies permanentes

L’idéal, selon Claude Aubert, est un pâturage extensif avec 1,4 hectare par vache, soit un chargement de 0,7 UGB – unité gros bétail – par hectare. En optimisant le pâturage – tournant – et la flore, on obtient, des émissions se chiffrant à 2,68 tonnes d’équivalent CO2 par hectare et par an, où l’on compte 2,5 tonnes issues de la production de méthane – 89 kilos de méthane par hectare et par an – et le reste issu de la contribution, plus modeste, du protoxyde d’azote. Du côté du stockage de carbone, les chiffres grimpent à 2,75 tonnes d’équivalent CO2 par hectare et par an, soit 750 kg de carbone sous forme d’humus stable. Le bilan est donc nul à légèrement négatif, alors qu’il s’élève en moyenne à 3,5 à 4,6 tonnes d’équivalent CO2 par hectare et par an en élevage à base de concentrés – maïs ensilage, céréales et protéagineux.

– et sans pâturage ?

Contrairement à ce que l’on pourrait penser de manière intuitive, l’absence de pâturage ou un sous-pâturage ne permet pas de meilleurs résultats du point de vue du stockage de carbone car ces pratiques aboutissent notamment à une dégradation de la flore.

– jusqu’où peut-on stocker ?

L’enrichissement en carbone du sol des prairies n’est pas infini : on arrive à une stabilisation au bout de plusieurs décennies. Nous n’avons pas d’autre choix que de réduire en parallèle les émissions de gaz à effet de serre issus des énergies fossiles !

 

Qui veut la peau du bio ?

La venue de Claude Aubert en Belgique nous a également permis d’échanger avec lui sur l’évolution de l’agriculture biologique. Impliqué dans le bio, depuis une soixantaine d’année, Claude Aubert nous partage ses réflexions sur l’avenir du secteur.

– la bio en difficultés

Claude Aubert est inquiet face aux difficultés rencontrées par le secteur bio. En France, ces dernières années, quatre cents magasins bio ont fermé leurs portes, principalement par manque de clients. Quelques quatre mille producteurs bio sont sortis du label, faute de débouchés. En aval de la production, de nombreux artisans – boulangers, bouchers – et détaillants renoncent à la certification bio. Qu’en est-il en Wallonie ? Un recul de la consommation est également chiffré. D’après les chiffres de Biowallonie, les « déconversions » sont moins nombreuses mais les nouvelles conversions sont plus timides. Comment expliquer ce déclin ? Claude Aubert avance quelques pistes.

– la diminution du pouvoir d’achat et la question des prix

C’est le premier argument avancé par la presse. La crise énergétique liée au contexte politique à l’Est de l’Europe augmente le coût de la vie. Et c’est le budget alimentaire qui s’ajuste, parfois faute d’autres leviers. Si la hausse du prix de l’alimentation est inférieure pour les produits bio que pour les conventionnels, étant donné la moindre dépendance aux intrants dont le prix suit le coût de l’énergie, le bio reste plus cher par rapport au marché. Des études estiment que le vrai coût de l’alimentation conventionnelle tenant compte des externalités – perte de biodiversité, pollutions, santé… – est deux à trois fois plus élevé que le coût d’achat.

– des exigences au-delà du label, et donc des déceptions

L’agriculture biologique souffre d’une méconnaissance du public. Pour preuve, les commentaires que l’on peut lire sur les réseaux sociaux. « Ils vendent des chips en bio, alors que ce n’est pas diététique !« , « ces produits bio, emballés dans du plastique, ce n’est pas écologique ! » Sans parler du bio non local. Le consommateur pense que le produit bio doit être idéal par rapport à ses convictions. Loin de couvrir toutes les exigences économiques, écologiques et sociales des citoyens, le bio se concentre – grâce à son cahier des charges – sur des garanties de base. En culture, l’interdiction d’utilisation des engrais et des pesticides chimiques de synthèse, l’absence d’OGM et le lien au sol, et en élevage, l’accès des animaux à l’extérieur, des avancées en termes de bien-être animal – interdiction de certaines mutilations… -, une nourriture bio, locale et sans OGM, et une restriction des apports médicamenteux. Pour aller plus loin, le consommateur, devra s’informer en lisant les étiquettes ou, mieux encore, en rencontrant les producteurs, ce qui demande du temps et des compétences. Il peut aussi se reposer sur l’exemplaire label Nature & Progrès !

– critiques et détracteurs

Claude Aubert dénonce les critiques injustifiées dont le bio fait l’objet. L’Académie d’agriculture de France, société savante pluriséculaire, écrit en 2022 que « les aliments bio ne présentent en général pas d’avantages, ni pour la nutrition, ni pour la santé« . On lit encore : « pour l’environnement, […] souvent, le conventionnel fait aussi bien, ou mieux, que le bio« . Ces déclarations, ainsi que celles d’autres détracteurs, sont relayées par la presse, arrivant aux oreilles du grand public qui ne peut que devenir sceptique sur la plus-value du bio. Il s’agit de la stratégie du doute et de la confusion. Pourtant, nous pouvons aujourd’hui démontrer toutes les plus-values de l’agriculture biologique pour la santé et pour l’environnement. Dans une publication intitulée La bio malmenée : 10 mythes à déconstruire – voir ci-dessous -, Claude Aubert et ses co-auteurs remettent l’église au milieu du village, références scientifiques à l’appui.

– de nouveaux acteurs en bio

Le bio regroupait, au départ, des petits maraichers et des fermes en polyculture élevage. L’officialisation du label européen, à la fin des années nonante, a permis une reconnaissance à plusieurs niveaux : par les politiques, par les chercheurs, par les producteurs et par les consommateurs. Ces derniers ont rapidement permis au marché de prendre de l’ampleur. Mais en parallèle, l’agriculture biologique s’est étendue à des fermes spécialisées ou à des industries qui sont parvenues à se faire labelliser, en respectant elles aussi le cahier des charges européen. En effet, ce dernier n’impose pas de limite de taille – de ferme, de cultures, d’élevage… -, ce qui permet l’arrivée d’un nouvel acteur : le bio industriel ! Si ce mode d’agriculture est meilleur que l’industrie conventionnelle, il s’écarte bien souvent de la philosophie de base du bio – respect du sol, diversification… – et renvoie une image négative du secteur, que le citoyen ne suit pas.

– des labels alternatifs trompeurs

Le développement de toute une série de labels « alternatifs » attire les citoyens souhaitant consommer de manière plus écologique. Malheureusement, la plupart de ces labels sont laxistes. En France, le label HVE – haute valeur environnementale -, mis en place et promu par le gouvernement, récupère de nombreux consommateurs bio. Le petit papillon représenté sur le logo ne doit cependant pas avoir la vie facile, étant donné les pulvérisations de pesticides autorisées par ce label ! Il s’agit d’une tromperie manifeste du consommateur et d’une concurrence déloyale pour les producteurs bio. L’agriculture de conservation des sols se base, pour le désherbage, sur l’utilisation de glyphosate ! Les produits « zéro résidus » rassurent le consommateur sur leur moindre teneur en poisons mais n’empêchent absolument pas les traitements, et donc les pollutions de l’eau, du sol et de l’air, ainsi que l’atteinte à la biodiversité. Selon l’Agence bio française, en 2022, 73% des pertes en valeur du bio vont vers d’autres offres labellisées.

 

L’agriculture bio malmenée : dix mythes à déconstruire !

Dans une publication téléchargeable sur le site des Générations Futures, Claude Aubert, Christine Mayer-Mustin, Michel Mustin et Denis Lairon présentent un véritable plaidoyer pour l’agriculture biologique, réponse scientifique aux multiples critiques dont le secteur fait l’objet. Toute la force de ce document réside dans la rigueur scientifique développée par ses auteurs en se reposant sur de nombreuses références scientifiques reconnues pour étayer leurs arguments. Nous pouvons les résumer en cinq points.

– aliments bio et santé

Oui, il est aujourd’hui prouvé que les aliments bio sont meilleurs pour la santé que ceux qui sont issus de l’agriculture conventionnelle. D’une part, ils sont plus riches en certains nutriments – vitamine C, minéraux, polyphénols, oméga 3… – et, d’autre part, ils présentent des teneurs en résidus de pesticides réduites à l’état de traces – pollutions environnementales. Or on connaît aujourd’hui l’impact des pesticides sur la santé ! Selon différentes études scientifiques, les consommateurs bio présentent moins de risques de surpoids, d’obésité, de diabète de type 2, de maladies cardio-vasculaires et de développement de certains cancers. Par ailleurs, l’agriculture biologique préserve l’eau en réduisant les pollutions, notamment par les nitrates, également sources de troubles de la santé et de cancers.

– agriculture bio et environnement

Oui, l’agriculture biologique est meilleure pour l’environnement ! En premier lieu, elle se passe des pesticides chimiques de synthèse qui sont largement responsables de la perte de biodiversité : insectes, oiseaux, ainsi que de nombreux organismes et micro-organismes moins connus… Ensuite, elle refuse l’utilisation d’azote chimique de synthèse, ayant recours à des engrais organiques, dont les apports sont limités, pour réduire les risques de pollutions. Troisièmement, l’agriculture biologique répond mieux aux enjeux climatiques par une émission réduite en gaz à effets de serre – directe et indirecte via les intrants – et un stockage accru de carbone dans les sols et dans les cultures permanentes. Lorsqu’une ferme passe en bio, le stock de matière organique dans le sol augmente d’en moyenne quatre à cinq cents kilos par hectare et par an, pendant au moins vingt ans.

– agriculture bio et défis alimentaires

Oui, l’agriculture biologique est capable de répondre aux défis alimentaires mondiaux, à la condition de revoir notre modèle alimentaire. Nous sommes, en effet, dans une impasse ! En premier lieu, les régions de monde qui souffrent de malnutrition ne devraient pas dépendre des exportations des pays excédentaires mais développer leurs cultures vivrières pour davantage d’autonomie. Ensuite, la généralisation d’une agriculture intensive, polluante et énergivore n’est pas une solution pour notre planète. Pour l’environnement et pour notre santé, il est nécessaire de repenser une alimentation davantage basée sur les produits végétaux en réduisant les apports animaux – notamment lait et viande -, ce qui libèrera davantage de surfaces directement destinées à l’alimentation humaine. Le rendement, en bio, est inférieur d’en moyenne vingt pourcents par rapport à l’agriculture conventionnelle mais une amélioration de la recherche et du conseil agronomique devrait permettre de réduire cet écart à une dizaine de pourcents à peine.

– alimentation bio et accessibilité

Les aliments issus de l’agriculture biologique sont plus chers à l’achat que ceux qui sont issus de l’agriculture conventionnelle, en raison de rendements plus faibles – culture et élevage moins intensifs – et de coûts de production plus importants – nombreuses étapes manuelles. Cependant, l’écart est gonflé par les stratégies commerciales des grandes surfaces qui appliquent des « surmarges » sur les produits bio. Les marges sur les fruits et légumes seraient doubles de celles qui sont appliquées pour les produits conventionnels. Le mode d’approvisionnement – idéalement en circuit court – est donc un paramètre important pour faciliter l’accès aux produits bio pour le plus grand nombre.

– agriculture bio et utilisation de pesticides

L’agriculture bio se passe complètement des pesticides chimiques de synthèse, et aucune dérogation ne peut être accordée, même en cas de pullulations de ravageurs et de développements de maladies. La force du bio est de supprimer ces produits plutôt que de tenter de les réduire, ce qui oblige les producteurs à se tourner vers d’autres solutions, par exemple, le choix de variétés plus robustes. Des produits d’origine naturelle, parfois appelés biopesticides, sont autorisés avec, comme caractéristiques, une moindre rémanence – produits rapidement dégradés en sous-produits inoffensifs – et une moindre toxicité pour la santé et pour l’environnement. La non-utilisation d’engrais chimiques de synthèse – rendant les plantes plus sensibles aux attaques de ravageurs et de maladies – et les pratiques bio – soin au sol et à la biodiversité – optimisent la santé des plantes et rendent ces traitements occasionnels.

 

Bio ? De quoi l’avenir doit-il être fait ?

Fort de ses 87 ans – il les aura le 10 novembre ! -, Claude Aubert ne manque ni d’idées, ni de judicieux conseils à prodiguer. En voici quelques-uns :

– mieux communiquer sur le label bio

C’est indispensable afin de rappeler, en permanence, les garanties qu’il apporte et afin de déconstruire les mythes qui lui sont associés. Selon Claude Aubert, « la bio ne sait pas se vendre ! » car notre secteur de convaincus est loin des démarches de marketing et de communication. Une professionnalisation est nécessaire, ainsi qu’une plus grande cohésion des acteurs.

– plus de cohésion des acteurs du bio

Précisément, Claude Aubert souligne la nécessité de travailler tous ensemble. Le bio rassemble de nombreux acteurs aux philosophies parfois très variées. Les tensions humaines sont fréquentes et aboutissent à un clivage entre les organismes. Il est nécessaire de faire face à la crise du bio en travaillant de concert, en défendant le bio d’une voix unique et convaincante.

– sortir l’assiette bio de l’étiquette bobo

Et le prix du bio ? À cette question épineuse, Claude Aubert ne propose pas de solution toute faite, mais il ne manque pas d’idées. On associe souvent l’alimentation bio à une cuisine compliquée à base d’ingrédients peu fréquents et parfois peu attirants pour monsieur et madame tout le monde : du burger de tofu au quinoa… Pourtant, de nombreux repas bio peuvent être préparés en faisant attention au budget. Habitant Rome, Claude Aubert pense tout naturellement aux pâtes. « C’est l’aliment des étudiants en kot qui n’ont pas beaucoup de budget« . Et pourtant, quand on évoque les pâtes auprès des consommateurs, on n’y voit pas l’aliment du pauvre mais plutôt le repas convivial aux senteurs italiennes. Les recettes sont multiples, accessibles pour tous avec des ingrédients simples, issus des potagers et des fermes. Et pourquoi pas des pizzas ?

– moins de produits animaux !

Claude Aubert est également convaincu qu’une meilleure santé de l’Homme et de la Terre passe par une consommation raisonnée de produits animaux. Aujourd’hui, nos sociétés consomment trop de produits laitiers et de viande, des aliments qui, de plus, sont plus coûteux. Une solution au prix de l’alimentation serait donc de consommer plus de végétal. Mais comment transmettre un tel message de manière non culpabilisante ?

Glyphosate : la saga continue !

Il faudrait une revue Valériane tout entière pour reprendre la saga glyphosate, depuis ses débuts. Cet herbicide s’est invité dans nos champs -et par conséquent, dans nos assiettes, notre santé et notre environnement -, il y a presque cinquante ans. Et, plus les années passent, plus il est utilisé (1), et moins les questions et les problèmes qu’ils posent sont résolus (2).

Par Virginie Pissoort

 

Facile à utiliser – avec des méthodes de pulvérisation classique -, bon marché – on parle de trente euros par passage pour un hectare de surface – et super efficace – c’est un herbicide foliaire systémique qui élimine toutes les adventices jusqu’à la racine-, le glyphosate est rapidement devenu l’allié des agriculteurs.trices. Et, avec le coup de pouce des représentants des industries, qui passent dans les fermes prodiguer leurs conseils pour des « bonnes pratiques agricoles », il est carrément devenu incontournable (3).

 

Depuis le temps qu’on en parle…

Trop parfait pour être vrai ! A mesure que s’est répandu l’usage du glyphosate, les doutes, les remises en question et les contestations se sont multipliées. Dès les années nonante déjà, la perversité de ses effets sur la santé et sur l’environnement a commencé à faire l’objet d’études et de rapports, de plus en plus alarmants, au fil du temps… Avec, en point d’orgue en 2015, le rapport du CIRC (Centre International de Recherche sur le Cancer), déclarant le glyphosate comme « cancérigène probable pour l’homme« . Mais, comme le releva le Conseil Supérieur de la Santé, dans son avis de 2020 proposant que la Belgique interdise le glyphosate dès 2022, la carcinogénicité du glyphosate, bien qu’étant la « problématique la plus visible », ne doit pas occulter l’importance des autres effets toxiques possibles du glyphosate, « tels que son impact sur le microbiome intestinal de l’homme et des pollinisateurs (…), les effets perturbateurs endocriniens et épigénétiques transgénérationnels« . Des liens ont aussi été faits entre l’exposition au glyphosate et la maladie de Parkinson (4), l’autisme (5), etc. À côté de la liste des effets toxiques pour la santé, celle des conséquences sur l’environnement s’est, elle aussi, allongée au fur et à mesure des études : la présence du glyphosate et d’AMPA – un métabolite, sous-produit de la dégradation du glyphosate -, au niveau des eaux de surface et des nappes phréatiques, des sols, ainsi que ses effets nuisibles sur les espèces non ciblées et sur la biodiversité en général sont aujourd’hui largement documentés (6).

D’aucuns, dans la population, marquent leur étonnement, ces jours-ci, quand on leur parle de cette substance : « Parce que ça existe encore ? », « Il faudra quand même bien que ça cesse un jour tout ça », « Ce n’est toujours pas interdit ? Depuis le temps qu’on en parle » (7), etc. Ils se souviennent sans doute des discussions, il y a quelques années, quand la Belgique a décidé d’interdire l’utilisation de cet herbicide pour les particuliers. Courageuse, symbolique ou totalement contradictoire ? La Belgique interdit les herbicides totaux – dont le plus fameux est le glyphosate – pour les particuliers, tout en laissant le monde professionnel libre de l’utiliser : c’est un aveu de faiblesse à peine déguisé ! Le gouvernement s’en justifia parce que suffisamment d’études dénoncent la haute toxicité des herbicides totaux pour la santé et l’environnement, tout en arguant que les professionnels, eux, savent comment l’utiliser et avec quel dosage. Toutefois, au terme d’un biomonitoring effectué par la Région wallonne, en 2020 auprès de 828 Wallon.nes, près d’un quart des échantillons d’urine ont révélé la présence de glyphosate, avec des taux de concentration plus élevés chez les adolescent.es. Le glyphosate est pourtant interdit d’usage, au sein des ménages, depuis 2018 ! Mais il reste omniprésent ! Avec quatre cents tonnes pulvérisées annuellement en Belgique, on le trouve dans l’air, dans l’eau, dans notre alimentation, dans nos corps !

 

Le plus célèbre et le plus clivant des herbicides

On connait les divergences d’opinion entre les tenants de l’agriculture biologique, d’une part qui n’utilisent pas de produits de synthèse dans un souci de protéger la santé – la leur et celle des autres – et l’environnement et, d’autre part, les tenants de l’agriculture dite conventionnelle qui ont recours aux produits de synthèse, de façon plus ou moins raisonnée, parce que cela s’avère nécessaire, voire indispensable. Des divergences d’opinions sur lesquelles s’inscrivent des divergences de pratiques et de méthodes agronomiques…

Les premiers font « sans » le glyphosate, les seconds font « avec » : c’est assez simple et lisible. Cependant, se voulant au milieu, le mouvement de l’agriculture dite « de conservation » s’est largement développé, ces dernières années, dans une perspective de préservation des sols (8). Reconnu et même défini par les Nations-Unies, il s’articule autour de trois principes :

– la réduction – la suppression même ! – du travail mécanique au sol pour conserver, en surface, la couche d’humus ;

– le maintien d’un couvert végétal permanent, lequel comme un écran limite les adventices, l’érosion du sol et la perte excessive de réserve hydrique ;

– la diversification des espèces cultivées, à travers des séquences de rotation et d’association de cultures.

A défaut de labour, permettant mécaniquement d’éliminer les adventices avant de semer, le recours à un herbicide total et systémique, pour faire table rase avant une nouvelle culture, s’est ainsi imposé. Et voilà comment, dans le tumulte d’une transition agricole nécessaire mais trop lente, trop molle et trop peu soutenue par les pouvoirs publics, le glyphosate s’est trouvé des nouveaux alliés, au sein d’une frange du monde agricole qui se veut engagée dans la durabilité et la préservation de l’environnement. Mais se réclament de cet herbicide… Et le citoyen, de n’y plus rien comprendre : il entend, d’un côté, parler d’agriculture bio ou d’agroécologie par des mouvements sociaux comme la Via Campesina qui refuse le recours à tout produit de synthèse – en ce compris le glyphosate, parce qu’il détruit la santé, l’environnement et tient les agriculteurs en otage – et, de l’autre, il entend parler d’agriculture « durable », de « préservation des sols » et même parfois d’ »agroécologie », tout en cautionnant l’utilisation du glyphosate ou d’autres produits chimiques, « quand c’est nécessaire » (10), une nécessité évidemment laissée à la seule interprétation de celui qui l’applique…

 

Sur le plan légal et réglementaire…

Plébiscité par les uns et décrié par les autres, dès lors qu’il s’agit d’un produit phytosanitaire, le glyphosate est, dans tous les cas, soumis à tout un corpus de textes et de règlements. Il s’agit d’une substance active – en l’occurrence, la molécule N-(phosphonométhyl)glycine – et toute substance active doit d’abord être « approuvée », au niveau européen (11). Ce sont ensuite les Etats nationaux qui délivrent une « autorisation de commercialisation » du produit phytosanitaire, en tant que tel, soit le produit dans sa composition commerciale et complexe -généralement confidentielle ! -, comprenant à la fois la substance active mais aussi des adjuvants, des co-formulants, etc.

Pour la Belgique, le saucissonnage des compétences ne s’arrête pas puisqu’une fois l’autorisation de commercialisation du produit délivrée par le ministre fédéral de l’Agriculture et son administration, ce sont les régions qui sont responsables de l’utilisation des pesticides et qui peuvent restreindre ou limiter l’utilisation d’un produit, conformément aux dispositions légales européennes et nationales en vigueur, dans un souci de protection de l’environnement et de la santé (12).

Conformément au règlement européen de 2009, c’est la Commission européenne qui, sur base d’un rapport de l’EFSA (Autorité européenne de Sécurité alimentaire), propose l’approbation de la substance aux Etats-membres, ou sa ré-approbation quand la substance a déjà été validée mais que la période d’approbation a expiré. Considéré comme un acte d’exécution et pas comme un acte législatif, le Parlement européen ne s’est vu reconnaître aucune compétence dans le cadre de ce processus. La première approbation a une durée de dix ans, les approbations suivantes peuvent aller jusqu’à quinze. Lors de chaque procédure, une nouvelle évaluation des risques est réalisée afin de ré-évaluer la toxicité de la substance (13). Depuis les discussions de 2017 sur la précédente ré-approbation du glyphosate, une volonté politique de « sortir du glyphosate », au terme de la période d’approbation de cinq ans, avait été clairement exprimée, en Belgique (14).

Le citoyen européen s’était d’ailleurs prononcé massivement contre la ré-approbation (15). On y est et on est même un an plus tard, la Commission ayant proposé une année supplémentaire – de décembre 2022 à décembre 2023 – dans l’attente des résultats finaux d’un certain nombre d’études de toxicité… Mais, le constat est doublement amer. Premièrement, on peine à voir où et comment nos autorités ont négocié la sortie : de déploiement d’alternatives au glyphosate, nos oreilles n’ont jamais entendu parler, en termes de mobilisation des autorités ou de financements publics. Deuxièmement, le travail d’analyse des dizaines de milliers de pages d’études et de rapports sur la toxicité du glyphosate – dont une série fournie par des chercheurs indépendants et des experts académiques dénonçant la toxicité du glyphosate sur la santé et sur l’environnement – n’a pas permis de mettre le holà. L’EFSA a conclu qu’elle n’avait pas identifié « de domaine de préoccupation critique, lors de son examen par les pairs de l’évaluation des risques associés à la substance active glyphosate, en ce qui concerne les risques pour l’homme, pour l’animal ou pour l’environnement. » Le vendredi 22 septembre 2023, la Commission européenne, s’appuyant sur les recommandations principales de l’EFSA, a donc présenté aux Etats-membres une proposition de ré-approbation pour dix ans de l’herbicide le plus contesté au monde (16). Quand vous lirez cet article, nous connaîtrons la position de la Belgique qui s’oriente vers l’abstention, en l’absence de position convergente du Comité des ministres restreints – PS, Groen, Ecolo, Vooruit, versus Open VLD, MR et Cd&V – et l’issue du vote européen qui était planifié pour le 13 octobre.

 

Dans le doute, le principe de précaution…

On ne peut qu’être effaré, effrayé même, par cette proposition de la Commission européenne. Tout au mieux, l’EFSA indique-t-elle qu’il reste des questions en suspens – sur la toxicité des résidus dans l’alimentation, par exemple, les risques sur les plantes aquatiques, les petits mammifères herbivores (17), etc. – et la Commission balise-t-elle la proposition de ré-approbation, en énonçant dès lors une série de « points d’attention »… Il appartiendra aux Etats membres de porter attention aux co-formulants, à la protection des eaux de surface, à la protection des petits mammifères herbivores, à la protection des espèces terrestres non ciblées et des plantes aquatiques et aux effets indirects sur la biodiversité. Les Etats membres devraient aussi prévoir des mesures d’atténuation des risques, mettre en place un système de monitoring etc. Pure hypocrisie ! Tous ces points auraient dû aboutir à une absence de proposition de renouvellement, de la part de la Commission européenne, eu égard aux risques pour la santé et pour l’environnement ! Mais les autorités européennes ont préféré donner leur feu vert, en refilant la patate chaude aux Etats-membres et en balayant, d’un revers de la main, la plus grande partie des études scientifiques jugées non pertinentes, ou non fiables, contrairement aux études produites par l’industrie.

Or, face au rapport de l’EFSA évoquant des informations manquantes – ou non concluantes -, mettant à l’écart des études scientifiques indépendantes relevant des problèmes de toxicités, c’est le principe de précaution qui aurait dû guider les autorités européennes ! Mais la Commission s’enlise : elle préfère le postulat du renouvellement. C’est une terrible déception car poursuivre avec le glyphosate, c’est surtout poursuivre – durant les dix prochaines années ! – le système d’agriculture intensive actuel dont on connaît l’impact désastreux sur la santé humaine, l’environnement et le climat. Bref, c’est totalement inadmissible pour notre santé, celle de nos enfants, et celle de la planète. Et pourtant, des alternatives existent !

 

Parler haut et fort de ces alternatives !

Opérer un choix stratégique des variétés cultivées, aller sur des rotations de cultures plus longues, utiliser d’autres techniques de désherbage – mécaniques, thermiques… – sont autant de techniques alternatives au glyphosate. Ce ne sont pas les lecteurs de la revue Valériane qui vont le nier ! Sinon aujourd’hui, il n’y aurait pas aujourd’hui près de 13% des terres qui sont cultivées en bio, en Wallonie. Mais force est de constater aussi que – quand il s’agit d’adresser les alternatives, de capitaliser, de communiquer, de faire remonter l’information dans les médias, de montrer par la démonstration qu’il est possible de faire sans glyphosate -, on observe des producteurs mal à l’aise de témoigner ou de s’exprimer ! Ce sont encore trop souvent ceux qui prétendent « ne pas savoir faire sans » qui montent alors au créneau et se font entendre…

Nous l’avons dit : le sujet est terriblement clivant et sensible. Sans doute parce que le glyphosate est aussi la clé de voûte de tout un système de production agricole et alimentaire, où la facture des effets évidents sur la santé et l’environnement est « externalisée », où la course vers les prix les plus bas est la règle, et où le coût de la main-d’œuvre est toujours vu comme un frein plutôt que comme un moyen de remettre l’homme au travail et au cœur même de la production de son alimentation.

C’est là que le bât blesse ! De quelle alternative nous parle-t-on ? Remplacer, purement et simplement, le glyphosate par un autre désherbant qui serait non-toxique et aussi peu cher, aussi efficace et aussi facile d’utilisation, n’a jamais pas été possible jusqu’ici et ne le sera probablement jamais ! C’est en revisitant le système agricole, par une combinaison de pratiques agronomiques, par une valorisation des produits agricoles et de la main d’œuvre, que jusqu’ici des agricultrices et des agriculteurs ont réussi à tourner le dos au glyphosate. Il incombe, dès lors, à nos autorités d’œuvrer pour le déploiement de cette agriculture-là. Afin de jeter à jamais le glyphosate aux oubliettes !

 

Notes :

(1) D’après les projections faites par l’INSERM, sur la base des courbes d’utilisations selon la FAO, reprises dans l’émission sur France Culture : www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/de-cause-a-effets-le-magazine-de-l-environnement/la-saga-du-glyphosate-1767271

(2) Voir notre revue Valériane n°118 qui y a consacré plusieurs articles, en 2017, à l’époque d’une précédente ré-approbation au niveau européen.

(3) Ce sont aussi les mêmes qui financent les pages des revues professionnelles, à coup de publicités pour leurs produits. En 2020, plus de quatre cents tonnes de glyphosate ont été pulvérisées en Belgique. Voir : www.natpro.be/une-agriculture-sans-glyphosate-le-quotidien-des-agriculteurs-bio/

(4) www.mdpi.com/1660-4601/15/12/2885

(5) www.iiiprs.org/2023-08-18

(6) Pour un état des lieux des impacts sur l’environnement, lire le rapport de Friends of the Earthwww.amisdelaterre.org/wp-content/uploads/2013/06/5-glyphosate-impactenvironnement.pdf – et le dernier rapport de PAN Europe sur la pollution des eaux, de septembre 2023 : www.pan-europe.info/resources/reports/2023/09/glyphosate-polluting-our-waters-all-across-europe

(7) Quelques-uns des commentaires des visiteurs du Salon Valériane 2023, où Nature & Progrès a invité les visiteurs à écrire un courrier au ministre David Clarinval, demandant à la Belgique de se positionner contre la ré-approbation du glyphosate.

(8) Ce mouvement, qui prend sa source aux Etats-Unis devant le constat des terres dégradées, s’entend comme un ensemble de techniques culturales destinées à maintenir et améliorer le potentiel agronomique des sols.

(9) www.fao.org/conservation-agriculture/fr/

(10) Voir, par exemple : www.greenotec.be

(11) Règlement (CE) n°1107/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 21 octobre 2009, concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques et abrogeant les directives 79/117/CEE et 91/414/CEE du Conseil

(12) Concrètement, on observe un dernier niveau d’intervention : le niveau communal. Le bourgmestre Josy Arens a, par exemple, fait voter l’interdiction du glyphosate dans sa commune d’Attert.

(13) Une substance active – toute substance chimique, extraite de végétaux ou micro-organisme agissant contre les organismes nuisibles ou sur les végétaux – doit être approuvée si les produits phytopharmaceutiques contenant cette substance active,n’ont pas d’effet nocif immédiat ou différé sur la santé humaine, n’ont pas d’effets inacceptables sur les végétaux ou sur l’environnement

(14) C’est, à l’époque, Daniel Ducarme, alors ministre de l’Agriculture, qui, après avoir voté « contre » la ré-approbation du glyphosate, préconisait une sortie du glyphosate endéans les cinq ans et, d’ores et déjà, une interdiction d’utilisation pour les particuliers. En France, le Président Macron avait annoncé, en 2017, une « sortie du glyphosate » endéans les trois ans mais, là aussi, les faits n’ont pas suivi les intentions…

(15) www.europarl.europa.eu/committees/en/european-citizens-initiative-eci-ban-gly/product-details/20171110ECI00001

(16) https://ec.europa.eu/transparency/comitology-register/screen/documents/092073/1/consult?lang=en

(17) https://efsa.onlinelibrary.wiley.com/doi/epdf/10.2903/j.efsa.2023.8164

Vers une agriculture sobre en eau

Qui aurait pu prévoir qu’en butte aux sécheresses extrêmes et répétées, la crise de l’eau allait émerger, en Europe, avec autant de brutalité ? Sachant que les avancées technologiques ne pourront jamais assouvir tous nos besoins, ce n’est plus seulement de sobriété dont il est question, mais de l’impérieuse nécessité de repenser et d’adapter tout notre modèle agricole. Un modèle tellement vulnérable aux chamboulements climatiques, où canicules, manque d’eau et inondations monstres s’enchaînent. Autant de phénomènes intimement liés…

Par Marc Fasol

 

Un brin dépassée par les changements climatiques, l’Europe semble soudain sortir de sa torpeur : alors comme ça, notre continent – et en particulier la Belgique – se réchauffe deux fois plus vite que l’ensemble de la planète ! Sans grande surprise, les périodes de sécheresse extrême, qui revêtent un caractère de moins en moins exceptionnel, font écho à l’augmentation dramatique des températures dont l’isotherme remonte progressivement vers le nord. Pour leur part, les conséquences économiques ne se font pas attendre : les baisses de rendements agricoles liées au déficit d’un quart des précipitations – 10 à 30% selon la région – commencent à interpeller sérieusement le monde agricole : « cela faisait une éternité qu’on entendait les scientifiques nous parler de changements climatiques mais on préférait fermer les yeux, confie un agriculteur céréalier, sceptiques, on attendait un peu de voir mais 2018 et 2019 ont vraiment marqué un tournant. Là, on s’est tous dit ça devient vraiment sérieux ! »

D’année en année, les coûts de dédommagement explosent : faudra-t-il mettre en place un système d’assurance climatique, en plus du Fonds des calamités agricoles connu pour être un brin procédurier et donc particulièrement lent ? A cela s’ajoute le coût sociétal : des tensions inédites surviennent un peu partout à propos de l’approvisionnement en eau…

Nos dirigeants, tout comme la majeure partie de la population, ont-ils vraiment mesuré à quel point les problèmes d’approvisionnement en eau s’accélèrent ? Partout dans le monde, la demande en eau ne fait qu’augmenter. Des besoins dopés par l’irrigation de l’agriculture industrielle, par les besoins croissants de l’industrie ou encore de la production d’énergie. Sans parler de l’explosion démographique (1) ! Des pénuries qui, forcément liées aux périodes de canicule de plus en plus longues, plus fortes et plus fréquentes, s’aggraveront au point de déboucher immanquablement sur des conflits d’usage. Ont-ils vraiment conscience des défis qui nous attendent ou préfèrent-ils camper résolument dans le déni ? Alors que la majorité des citadins feignent encore toujours l’étonnement et commentent volontiers les phénomènes météorologiques « d’exceptionnels », « de pire », « du siècle » ou encore de « jamais vus », les climatologues du GIEC répètent à tous ceux qui veulent bien l’entendre : « tout cela n’est que le début d’un scénario prédit de longue date et qui ne fera qu’empirer tant que nous n’aurons pas atteint la neutralité carbone… » En attendant, il faudra composer avec, et donc s’adapter. Dont acte !

 

Sobriété, sobriété

« Vigilance », « alerte », « alerte renforcée », « crise »… Décidément, en ce qui concerne les mesures de restrictions, c’est la valse des superlatifs. Surtout chez nos voisins d’outre-Quiévrain, où face à l’urgence les arrêtés préfectoraux se sont multipliés. Chez nous, on en est encore resté aux ordonnances de police et leurs directives suggestives demandant à la population « de faire preuve d’économie dans l’utilisation de la ressource et d’éviter tout gaspillage« . Au cours de l’été 2023, le plus dur nous aura fort heureusement été épargné mais, n’en déplaise aux complotistes, un été plutôt froid et surtout pluvieux ne suffira pas, hélas, à infirmer la tendance générale. Le plus grave est bien à venir. Selon les prévisions de l’Agence européenne de l’environnement, les températures devraient continuer à augmenter, surtout en hiver.

La première mesure qui vient à l’esprit relève évidemment du bon sens : éviter le gaspillage. Héritées d’une époque où les ressources en eau étaient abondantes, nos mauvaises habitudes n’ont pas vraiment évolué. Pas moins de 20% de l’eau que nous buvons au robinet se perd encore et toujours allègrement sur le chemin de la distribution. Les fuites qui jalonnent le réseau installé au cours des années 1950 sont légion. Réduire les pertes fait partie des objectifs fixés par la Stratégie Intégrale Sécheresse (S.I.S.), lancée par la ministre Céline Tellier. Elle devrait permettre à la Wallonie de s’adapter sur le long terme, en préservant cette ressource essentielle. Hélas, il y a fort à parier que les chantiers de rénovation mettront du temps à se réaliser, tant ces derniers sont démesurés et coûteux.

Pour ce qui est des prélèvements et des consommations, il faudrait commencer par recenser avec précision quels sont les besoins réels de la population. Dans les domaines privés que sont le nettoyage des trottoirs, des cours, des voitures, le remplissage des piscines, les fontaines d’ornement, l’arrosage des jardins ou encore des terrains de golf (2), généralement, l’administration ne s’en est jusqu’ici jamais vraiment préoccupée et n’en sait donc pas grand-chose. Or il faudra pourtant, à un moment donné, prioriser tous ces usages de l’eau, notamment pour éviter les conflits.

Le World Resources Institute a récemment publié une mappemonde accompagnée d’un classement des pays qui auront prochainement le plus de risques de souffrir du stress hydrique. Sans grande surprise, les pays du Moyen-Orient ainsi que d’autres tout aussi désertiques comme les côtes du Pérou et du Chili, y occupent le haut du pavé. Mais contrairement à la croyance populaire, le petit pays surpeuplé, connu pour sa « drache nationale », n’est pas en reste, loin de là ! La Belgique est bien reprise dans la catégorie « vulnérabilité élevée » à « extrêmement élevée » des pays les plus touchés au monde par la crise de l’eau. En Europe, la Belgique se trouve au même niveau que la Grèce et Chypre. Notre consommation d’eau potable pourrait bientôt outrepasser de 40, voire de 80%, les quantités disponibles. Ce n’est pas rien (3) !

 

La réutilisation des eaux usées

Si nos eaux ménagères sont bien épurées, elles étaient jusqu’à présent systématiquement rejetées à l’égout. Il est urgent désormais d’éviter cet usage unique et de mettre en œuvre les moyens nécessaires pour la réutiliser… Afin de satisfaire, par exemple, les besoins de l’irrigation : on estime, en effet, qu’environ la moitié des ressources hydriques en Belgique est destinée à l’agriculture ! Comme pour le nettoyage des rues ou l’arrosage des espaces verts, les eaux usées, une fois épurées, pourraient parfaitement convenir. L’eau potable est devenue une denrée bien trop précieuse pour être consacrée aux usages non alimentaires. Des pistes, hélas, encore trop peu explorées à ce jour, mais la législation évolue rapidement. Notamment dans l’Hérault en France, une zone touchée par la sécheresse extrême.

Pourtant, même en recyclant toutes nos eaux usées, il faudra néanmoins encore trouver d’autres alternatives. Vu les périodes de sécheresse et la multiplication des événements extrêmes, les retenues collinaires – ces ouvrages de stockage remplis grâce aux eaux de ruissellement – s’imposent de plus en plus.

Il en est de même pour les dessalements d’eau de mer. Bien qu’énergivores, très coûteux, polluants – vu le rejet de quantités de sel – et de portée limitée, ils seront probablement incontournables dans un avenir proche. Notamment quand les estivants se rendent massivement sur les côtes pour tenter d’échapper aux dômes de chaleur urbains. Tout exode estival entraîne forcément, dans son sillage, de graves pénuries d’eau. En Catalogne par exemple, la seule ville de Barcelone, accueille chaque été pas moins de 6,7 millions de vacanciers. A lui seul, le secteur hôtelier y consomme 18% des ressources locales. En la matière, la Flandre a pris récemment les devants : les eaux saumâtres du canal Bruges – Ostende sont désormais désalinisées et rendues potables pour les besoins de cent mille personnes. Une première en Europe !

 

« Sécheresse », vous avez dit « sécheresse » ?

Si les sols, à la sortie de l’hiver, sont secs comme du vieux carton, il est impossible pour les agriculteurs d’ensemencer leurs champs. On appelle cela la « sécheresse agricole ». Si la saison est caractérisée par un manque généralisé de précipitations, le débit des cours d’eau commence alors à baisser, ce qui peut entrainer une baisse de rendements, toutes productions agricoles confondues. On parle alors de sécheresse « météorologique ». En fait, il faut savoir que les nappes phréatiques se remplissent surtout au cours de l’hiver, quand la couche de neige fond, ce qu’elle fait lentement (4). Hélas, on sait très bien que, chez nous, dans les stations de ski en Haute-Ardenne, l’enneigement a tendance à se faire de plus en plus épisodique. Il en va de même en haute montagne, où les glaciers ne cessent de reculer. Du coup, les nappes se reconstituent de plus en plus difficilement. On parle alors de « sécheresse hydrologique ».

De manière générale, la notion de « sécheresse » est souvent galvaudée par le grand public. Méprisant les mises en garde des scientifiques, les discussions de comptoir, sur les réseaux sociaux, prennent alors le dessus. Une brèche dans laquelle s’engouffrent les climatosceptiques pour semer le doute. Temps sec et temps pluvieux sont-ils à l’opposé l’un de l’autre ? Eh bien, non ! Ainsi, même après des pluies estivales torrentielles, les nappes phréatiques peuvent rester largement déficitaires. Ces trombes d’eau, responsables d’inondations-éclairs ou de coulées de boue – particulièrement récurrentes en Brabant wallon ! – sont dévastatrices. Surtout quand elles tombent sur un sol agricole archi-sec, complètement à nu, remembré et dépourvu de la moindre haie. Ou alors sur un sol urbain complètement imperméabilisé. Ces déluges ne marquent pas nécessairement la fin de ce type de sécheresse. Tout au plus, humidifient-elles les premiers centimètres du sol, l’eau étant aussitôt évacuée par les rivières et les égouts…

Pour restreindre la consommation d’eau de manière drastique, c’est surtout vers l’agriculture que tous les regards doivent se tourner. Pourquoi ? Parce que, même si l’industrie le plus gros consommateur d’eau en Europe, l’agriculture, comparée aux autres secteurs d’activité économique, est le seul où la ressource est réellement « consommée ». Autant pour l’irrigation des cultures que pour l’abreuvage du bétail. Lors de l’usage industriel, comme pour l’alimentation des voies navigables ou encore le refroidissement des centrales nucléaires, l’eau est, somme toute, majoritairement restituée au milieu naturel après traitement…

Reste que, pour le secteur agricole, le thème des restrictions est éminemment sensible. Il est clair que, si on impose des compteurs d’eau spécifiques aux agriculteurs, la mesure risque d’être difficilement acceptée, surtout après les limitations subies récemment en matière d’énergie ou d’azote… Dans pareil cas de figure, on ne comptabilise plus les demandes de dérogation. Aux yeux du citoyen, elles ne sont d’ailleurs pas toujours équitables. L’arrosage des terrains de golf et le remplissage de piscines sont de plus en plus pointés du doigt : « des préoccupations de vacanciers nantis, snobs, voire insouciants ! » Quant aux asperseurs oscillants des parcs et jardins, aux petits soins de pelouses étincelantes, ils ne peuvent que susciter indignation, colère, voire au mieux incompréhension.

En Espagne, la situation est bien pire encore. La région de Murcie, par exemple, le potager de l’Europe, fut en proie, cet été, à une sécheresse historique. Pas moins de 75% de l’eau des rivières y est utilisée pour l’irrigation des cultures ! Dans le meilleur des cas, c’est le goutte à goutte qui est désormais de mise pour l’arrosage des fruitiers et des légumes. Mais cela ne suffira pas ! Pour répondre à l’urgence et à la détresse des habitants, le gouvernement n’a eu d’autre alternative que de débloquer deux milliards d’euros pour désaliniser de l’eau de mer et recycler des eaux usées. C’est qu’une bonne partie de l’alimentation du continent européen dépend des cultures maraîchères de la péninsule ibérique (5) !

 

Au pays de la soif…

Plus au sud encore, en Andalousie, Coto Doñana est une des zones humides les plus importantes d’Europe. Entouré de milliers d’hectares de cultures intensives, le Parc naturel était quasiment à sec, cet été. En cause : un déficit des précipitations – ici, les sécheresses sont de plus en plus longues et les canicules de plus en plus précoces – mais la vraie raison est clairement la surexploitation des ressources en eau. Jusqu’ici tolérés par le gouvernement afin de stimuler l’activité économique de la région, un millier de puits illégaux y prospèrent pour l’irrigation des cultures des fraisiers, très rentables, mais aussi des monocultures d’arbres fruitiers tropicaux, comme les manguiers et surtout les avocatiers, particulièrement gourmands en eau – cinquante à soixante litres d’eau par arbre et par jour ! Aujourd’hui, on ne rigole plus : la Guardia Civil est sur les dents. Elle parcourt les campagnes et les amendes sont aussi salées que l’eau de mer. Notons que pour toute l’Espagne, ils ne sont pas prêts d’en avoir terminé : Greenpeace estime à plus d’un million le nombre de puits clandestins pour les besoins de l’agriculture intensive. Un fléau mortifère !

Chez nous, Dieu merci, on n’en est pas encore vraiment là. Au cours de l’été 2023, les ressources en eau n’ont pas manqué mais, vu les caprices du climat, la situation pourrait bien changer du tout au tout l’an prochain. Mieux vaut s’y préparer. On sait que le Jet Stream, ou Courant Jet, ce vent très puissant situé à très haute altitude, détermine notre climat. Les scientifiques ont récemment constaté qu’en raison du réchauffement très rapide de l’Arctique depuis cinquante ans, son flux a progressivement diminué. Il peut même ralentir jusqu’à devenir stationnaire et induire ce que les climatologues appellent « une situation de blocage atmosphérique ». Un contexte qui peut durer très longtemps. Les régions situées en zone de creux dépressionnaire prolongé subissent alors des pluies torrentielles, avec des risques potentiels d’inondation catastrophique, comme ce fût le cas chez nous, dans la vallée de la Vesdre notamment, en juillet 2021, et plus récemment en Grèce. Un phénomène appelé « goutte froide ». En zone de crête anticyclonique, par contre, c’est la canicule qui guette – on parle alors de « dôme de chaleur » -, suivie potentiellement d’une période de sécheresse extrême tout aussi longue et donc tout aussi catastrophique pour l’agriculture. Aujourd’hui, les météorologues arrivent à mieux prévenir ces phénomènes hors normes mais, si performants que soient leurs systèmes de prévision, ils ne suffiront jamais à résoudre les défis engendrés par ces chamboulements climatiques…

Lors d’une sécheresse sévère et prolongée, les cultures qui trinquent, exigent de recourir à l’irrigation. Mais doit-on absolument à chaque fois solutionner le problème en puisant dans les nappes phréatiques ? Cela revient un peu à mettre en compétition eau de pluie insuffisante et eau potable en pénurie. À terme, ce n’est évidemment pas soutenable.

Un peu partout dans le monde, des scientifiques cherchent des solutions – voir, ci-dessous, le reportage sur Arte. Récemment, ceux de l’université de Liège se sont lancés, en collaboration avec la Société publique de Gestion de l’Eau (SWDE) et la Société wallonne des Eaux (SWDE), dans un projet nommé Marwal – pour Managed Aquifer Recharge – Wallonie – afin de tester la « recharge maîtrisée des nappes phréatiques ». Cela se fait déjà dans certains pays comme Israël, particulièrement marqués par le manque de pluviosité. « En Wallonie, bien que la quantité d’eau prélevée dans les nappes d’eau souterraines soit encore gérable, les demandes de forage se multiplient, notamment pour répondre aux besoins du secteur agricole, observe Serge Brouyère, hydrogéologue et coordinateur du projet, surtout ces dernières années en raison de la récurrence des périodes de sécheresse et le niveau des nappes qui a tendance à baisser. Préventivement, deux méthodes sont envisageables pour résoudre le problème : tout d’abord augmenter l’offre en rechargeant les nappes phréatiques artificiellement. Nous sommes en train de procéder à l’inventaire des eaux pluviales disponibles, par exemple en rivière – ce qui permet de diminuer les risques d’érosion et d’inondation -, et nous mesurons la recharge du milieu souterrain, en stockant l’eau dans des bassins dont le fond est perméable. Selon nos premières mesures, nous atteignons déjà un taux supérieur au processus naturel. Par ailleurs, nous regardons aussi dans quelle mesure il est possible de diminuer la demande : l’eau qui sort des stations d’épuration pourrait, par exemple sous la forme de station-service, approvisionner les citernes des agriculteurs pour les besoins de l’irrigation… »

 

Douloureuse transition

Mais à terme, pour économiser efficacement les ressources hydriques, il devrait être envisageable de jeter son dévolu sur des cultures moins exigeantes en eau. Parmi celles qui sont extrêmement gourmandes, chez nous, figurent les céréales, dont le maïs. Cinquième céréale cultivée au monde, le sorgho, plante d’origine africaine, présente, en effet, de nombreux avantages dans le cadre des changements climatiques : elle consomme très peu d’eau, résiste aux fortes chaleurs et se récolte déjà après trois ou quatre mois, au lieu de six pour le maïs…

D’autres options sont d’ores et déjà sur la table : le lupin, par exemple, est une légumineuse riche en protéines et en fibres, bien trop peu connue en Europe. Elle s’intègre pourtant facilement dans les rotations céréalières car elle s’ensemence et se récolte à des dates fort différentes. Ses racines, vigoureuses et très profondes, vont chercher l’eau là où les céréales ne peuvent pas accéder. De plus, à l’instar des autres légumineuses couvertes de nodules qui fixent l’azote de l’air, ses racines lui permettent de pousser sur des sols pauvres, tout en préparant l’apport d’azote pour la culture suivante. Voilà donc une plante qui convient à merveille à l’agriculture biologique car elle permet de se passer d’intrants chimiques.

Tandis que certains chercheurs en agronomie se penchent sur l’amélioration génétique et la création de variétés nouvelles, plus résistantes à la sécheresse et autres aléas climatiques, d’autres, en revanche, optent pour un changement radical des méthodes de culture : ensemencer les champs plus tôt en saison, par exemple. C’est notamment le cas pour le lin dont la culture, particulièrement vulnérable – 30 à 40% de pertes, en 2023 – devient problématique. Une variété d’hiver, plantée dès l’automne et non pas au printemps, pourrait s’avérer providentielle. Un peu à l’instar du blé d’hiver qui jusqu’ici résiste plutôt bien aux changements climatiques. En début de saison, les plantes aux racines déjà bien développées, arrivent à puiser l’eau plus profondément et ainsi à échapper aux sécheresses printanières…

Enfin, certains agriculteurs commencent à renoncer au labour automatique des parcelles, ce qui a pour effet de faciliter la percolation de l’eau. Et quand ils travaillent la terre, c’est sur une épaisseur de dix centimètres afin de ne pas dénaturer la structure du sol et de pouvoir conserver un taux de matière organique suffisant en surface.

Néanmoins, tout cela consiste un peu à nier l’essentiel du problème : qu’on le veuille ou non, l’aire biogéographique des plantes – déterminée par des facteurs tels que températures et précipitations – se déplace progressivement vers les contrées plus septentrionales. Les pays du Nord seront bientôt amenés à devoir mettre en culture des productions végétales qui étaient jusqu’ici l’apanage du bassin méditerranéen. Si les viticulteurs français vendangent de plus en plus tôt – dès juillet au lieu de septembre -, certains ont décidé de troquer leurs vignes contre des cépages portugais ou espagnols. Leurs vins régionaux avaient pris 2° d’alcool en seulement vingt ans ! Que va devenir, par exemple, le terroir champenois au climat si particulier ? De son côté, la Wallonie, pays de la bière, se met progressivement à la viticulture, en plantant des cépages français. Les domaines vinicoles à l’AOP « Côtes de Sambre et Meuse » et « Crémants de Wallonie » décrochent d’ailleurs actuellement de très belles médailles. Elle n’est d’ailleurs pas la seule, puisque le Danemark et la Suède commencent eux aussi à développer leurs domaines viticoles.

Dans les régions méditerranéennes, en revanche, ce seront probablement les pistachiers et les amandiers qui prendront la relève, en fruiticulture. Contrairement aux abricotiers, par exemple, ces deux cultures n’ont pas besoin d’autant de jours de froid pour avoir une bonne floraison et résistent mieux aux gelées tardives. Enfin, elles supportent également les canicules extrêmes – jusqu’à 44°C pour la pistache – et les sécheresses car elles ont besoin de moins d’eau.

Comme on le voit, le secteur agricole tente, vaille que vaille, de s’adapter aux changements rapides du climat. Jusqu’ici, après une année désastreuse, il était coutume d’accorder des indemnisations. À condition bien sûr de remplir les conditions d’éligibilité, les agriculteurs qui les réclament y ont droit. Hélas, non seulement ce genre de dédommagements ne restera pas éternel – s’en rendent-ils vraiment compte ? – mais il n’incite guère à revoir fondamentalement l’activité. Sont actuellement considérés comme « calamités agricoles », les dommages résultant de « risques d’importance exceptionnelle dus à des variations anormales d’intensité d’un agent naturel climatique« . Or, en semant les mêmes plantes aux mêmes endroits, c’est un peu comme si, inconsciemment, on s’attendait à ce qu’une fois remboursé, tout redevienne comme avant. On sait pourtant que la notion de « normalité » est amenée à évoluer. Non pas vers une « nouvelle normalité », comme on l’entend parfois, mais plutôt vers une « instabilité planétaire exponentielle » (6). À terme, c’est donc tout le secteur qui devra être repensé et remodelé pour gagner en résilience.

Sur papier, tout changer paraît donc d’une urgence absolue. Mais, pour les agriculteurs, ce n’est hélas pas si simple. Beaucoup sont endettés. Les emprunts pour les investissements en cours ne sont pas encore remboursés qu’il leur faudrait déjà en contracter de nouveaux. S’adapter, encore et toujours s’adapter. Sans parler des risques. Car les manifestations extrêmes du climat partent dans tous les sens. Et, en agriculture, c’est toujours en début de chaîne que tous les risques se prennent. Enfin, faire changer les habitudes des consommateurs prend également du temps. Il faudrait déjà que les filières suivent : production, transformation, stockage, revente, développement des Appellations d’Origine Protégée (AOP), des Indications Géographique Protégée (IGP)… Or on sait, depuis la crise du lait, combien le secteur agroalimentaire se préoccupe bien peu des contraintes des cultivateurs.

 

« Eau voleur ! »

Un autre problème concerne la privatisation de l’eau. Il a toujours existé mais, en période de sécheresse extrême, le problème devient critique et tourne rapidement à la confrontation. Tandis que certaines multinationales augmentent leurs profits au fur et à mesure que la denrée se fait rare, en France, ce sont les méga-bassines construites pour l’irrigation qui tombent sous les feux de l’actualité. Avec de fortes disparités géographiques entre les différents bassins-versants, la problématique n’est pas simple. Dans le sud-est, en proie à une forte consommation, l’agriculture est soumise à un stress hydrique maximum. Une problématique souvent « noyée » par une idéologie simpliste, voire carrément mensongère, de la part des certains protagonistes… Il faut tout d’abord savoir qu’une méga-bassine ne se remplit pas en captant un écoulement d’eau douce mais bien par pompage de la nappe phréatique. Ce genre de captage a lieu en plein hiver quand les interdictions sont levées. « Non seulement, c’est une forme d’appropriation et de privatisation de la ressource par les grandes exploitations, au détriment des autres usagers comme les petits agriculteurs qui voient du coup leur propre puits se tarir, déplore l’hydrogéologue Serge Brouyère, mais c’est aussi une aberration écologique, l’eau qui est stockée à l’air libre n’étant plus protégée de l’évaporation ou encore de l’évapotranspiration par les plantes – en effet, les racines des plantes ne peuvent atteindre les nappes. »

Il se fait qu’en France, les eaux souterraines ont progressivement été surexploitées à raison de 25%, avec une baisse significative des nappes (7). Lorsque surgit une sécheresse extrême aggravée encore par une canicule record, c’est tout l’écosystème qui périclite. Pomper dans les nappes ne peut être une réponse à la crise de l’eau. Il serait désormais nécessaire de dissuader ce genre d’infrastructure, au minimum par une tarification progressive. Et si l’Etat décide néanmoins de les subventionner, il doit impérativement conditionner les prélèvements à de fermes engagements de réduction de consommation. Hélas, les aménagements proposés à grands frais, soutenus bec et ongles par l’actuel ministre français de l’agriculture Marc Fesneau, n’ont généralement pour but que de maintenir « quoi qu’il en coûte » le modèle actuel, très rentable, certes, mais très gourmand et tellement dépendant des ressources disponibles. Une fuite en avant productiviste, une privatisation progressive de l’eau qui a rendu fous de rage les autres utilisateurs et mis le feu aux poudres…

En privatisant les ressources en eau, on ne résout pas le problème. On accroît simplement la vulnérabilité de toute la société aux changements climatiques et, partant, les inégalités sociales existantes.

 

Intensive, gourmande, hautement rentable…

Mais pas durable ! L’exemple des monocultures de maïs résume bien l’impasse dans laquelle s’est fourvoyé l’agriculture intensive : en France, elles font trois millions d’hectares, soit 11% de la surface agricole utile (SAU). Subventionnée massivement par l’Etat, aussi bien en Belgique (8) qu’en France, cette culture a littéralement explosé, devenant ainsi la principale à devoir être irriguée. Qui plus est, en été, précisément quand l’eau commence à manquer cruellement. En outre, 40% de la production de maïs est exportée sous forme d’ensilage pour alimenter des élevages industriels. Depuis quelques temps, les vaches laitières ne sont plus nourries à l’herbe qui constituait pourtant un aliment équilibré – « tiens, les bovins ne seraient-ils plus des ruminants ? » -, mais bien hors sol, avec du maïs, une denrée énergétique, certes, mais pauvre en protéines. Raison pour laquelle cette alimentation de base a dû être complétée par du soja, généralement OGM, importé d’Amérique du Sud. Soja cultivé sur les terres défrichées de la forêt amazonienne. Cherchez l’erreur…

Avec leurs surprimes et leurs aides à l’achat de matériel d’irrigation – et ce, depuis 1992, date de la réforme de la Politique Agricole Commune (PAC), les politiques publiques ont peu à peu conduit nos cultivateurs dans l’impasse. Sur base de ces derniers éléments, on comprend mieux la colère des militants « Méga-bassines, non merci » (9) mais aussi celle des agriculteurs qui ont cru aux sirènes de rendements faramineux et qui (se) (s)ont investis dans un système forcément sans issue…

À en croire les prédictions des scientifiques, le modèle agricole actuel ne pourra jamais résister aux changements climatiques s’il n’acquiert pas davantage de résilience. Au cours de l’été 2022, particulièrement chaud et sec chez nous, la maïsiculture a enregistré une perte significative de rendement. En Wallonie, cette année-là a cependant été reconnue par le gouvernement comme « calamité agricole », le tout suivi inévitablement de son cortège d’indemnisations…

 

Le précieux savoir des Anciens

Aussi, pour contrer les aléas climatiques, certains éleveurs – mais ils sont encore trop rares – se sont-ils remis à nourrir leur bétail… avec de l’herbe ! Ils ont aussi décidé de porter leur choix sur des races connues pour leur rusticité. Ils ont ensuite enchaîné avec l’autonomie fourragère, particulièrement économique et sobre en eau. L’herbe, qui présente un bon équilibre énergie-azote, rend superflu tout apport complémentaire de soja ou de luzerne. Autre avantage : l’herbe est fauchée jusqu’à quatre fois par an – ce qui réduit les risques -, contre une seule fois pour le maïs. Enfin, leurs prés sont entourés de haies et de brise-vents qui font remonter l’humidité, amendent le sol, procurent de l’ombre aux vaches et créent un microclimat. Les rendements s’en trouvent améliorés. On renoue là avec une technique ancestrale : l’agroforesterie. Les Anciens avaient du bon ! En Espagne, ce sont les anciens systèmes d’irrigation, mis au point par les Arabes au XIIe siècle, qui sont remis en service…

 

Notes :

(1) La population mondiale croît en moyenne de 0,8% par an.

(2) Le World Resources Institute estime à 9,5 millions de mètres cubes la quantité d’eau quotidienne servant à arroser les pelouses des terrains de golf, soit l’équivalent de ce que boit chaque jour l’ensemble de l’humanité …

(3) Selon le World Resources Institute, la moitié de la population mondiale subit déjà un stress hydrique « élevé », provoquant des pénuries qui devraient progressivement s’aggraver. En Uruguay, où aucune usine de désalinisation n’est fonctionnelle, la pénurie d’eau potable fut telle, cet été, que pour satisfaire la consommation, la société publique de distribution l’a dilué avec de l’eau saumâtre, pompée dans l’estuaire du Rio de la Plata. Le ministre de l’environnement ayant déclaré, sans sourciller, que « l’eau était non potable, mais buvable et consommable« . Quant à la ministre de la Santé publique, elle a cru bon d’ajouter que « l’eau du robinet de Montevideo était saine, sauf pour les personnes souffrant de maladies rénales chroniques, de problèmes cardiaques et hépatiques… »

(4) Selon les statistiques de l’Institut Royal Météorologique (IRM), les jours de gel se font de plus en plus rares. En moyenne, trente-neuf jours sont comptabilisés contre cinquante-deux précédemment.

(5) L’agriculture espagnole, pilier économique du pays, pèse quelques soixante milliards d’euros par an. Les sécheresses extrêmes à répétition, cumulées à la surexploitation des terres agricoles, font craindre le pire : une désertification marquée par une dégradation intense des sols.

(6) Il est fondamental de faire une distinction entre le flux et le stock de carbone accumulé dans l’atmosphère. C’est ce dernier qui détermine le degré de réchauffement de la planète. Comme les dés du climat sont, de ce fait, constamment relancés, le sort de l’agriculture entre, en réalité, en terrain inconnu…

(7) Sur la planète, à peine 3% de l’eau est douce. Or 30% de cette eau provient du pompage des nappes souterraines, majoritairement surexploitées en raison des besoins croissants des activités humaines…

(8) En Ardenne, la maïsiculture est très récente. Il y a trente ans, il aurait été complètement absurde de vouloir cultiver du maïs en raison du climat de l’époque.

(9) Dans le département français des Deux-Sèvres, les trente mille activistes qui ont manifesté, en mars 2023, contre les méga-bassines se qualifient eux-mêmes d’écoterroristes ! Les actions pacifiques ne suffisent plus. À n’en pas douter, en matière d’environnement, la désobéissance civile a de beaux jours devant elle !

Nouveaux OGM : une inacceptable proposition de déréglementation

La Commission européenne a rendu publique, le 5 juillet 2023, une proposition très controversée de déréglementation des nouveaux OGM, désormais appelés « nouvelles techniques génomiques » ou NGT. Cette nouvelle législation augmentera les risques pour l’environnement et la santé des gens, et portera atteinte aux droits des agriculteurs et des consommateurs de savoir et de choisir.

Par Catherine Wattiez

 

L’attitude de la Commission européenne à l’égard des nouveaux OGM a déjà fait couler beaucoup d’encre et de sueur chez Nature & Progrès. Pas assez, manifestement, dans le reste de la société et sous la plume des citoyens qui entendent rester maîtres de leur alimentation, fut-elle bio. Dès avant la crise sanitaire, nous vous faisions part de nos craintes, dans le cadre d’une campagne qui s’adressait à tous nos concitoyens…

 

Un camouflet pour le consommateur européen

Rappelons ici que l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), de juillet 2018, déclare solennellement que « les organismes obtenus par mutagenèse sont des OGM et sont en principe soumis aux obligations de la directive OGM« . De plus, ils seraient, selon la CJUE, être encore plus risqués que les OGM de première génération ! Pareille décision, bien sûr, ne satisfait pas les armées de lobbyistes qui hantent les couloirs de la Commission européenne. Ceux qui représentent les intérêts des multinationales commercialisant à la fois pesticides, OGM et semences, sous brevets. Les lobbyistes, depuis cet arrêt, ont donc fortement intensifié leur action afin d’obtenir l’abandon pur et simple des anciennes règles de l’Union Européenne relatives aux OGM de première génération, règles qui, rappelons-le, furent acquises de haute lutte, il y a plus de vingt ans ! Ceci afin de mettre en avant les nouvelles techniques génomiques, dont les produits sont rebaptisés NGT, pour faire oublier qu’ils restent avant tout des OGM. Retenez bien ce merveilleux acronyme.

Le 16 mars dernier, différents ministres européens de l’environnement ont envoyé un message clair à la Commission européenne concernant ces nouvelles techniques génétiques. Ils demandaient l’application stricte du principe de précaution et le recours à l’évaluation des risques pour les NGT selon les critères stricts de la Directive actuelle – 2001/18/CE. Plus de trois cent quarante organisations, dont Nature & Progrès Belgique, Canopea et Velt, ont alors adressé, dans le courant du mois de mai, une lettre commune au vice-président de la Commission en charge du Pacte Vert, le Maastrichtois Frans Timmermans, pour demander que les règles de l’Union Européenne relatives aux OGM soient strictement appliquées à tous les OGM et que toute velléité de déréglementation au sujet des nouveaux OGM soit abandonnée. Précisons aussi que plus de quatre cent trente mille citoyens européens ont signé une pétition allant dans ce sens – et que nous vous proposions il y a un an exactement. Or la nouvelle proposition de la Commission européenne s’en moque ostensiblement, sacrifie les droits des consommateurs et des citoyens et risque de mettre gravement en danger la nature et la santé, s’il en était encore besoin… En effet, la nouvelle proposition de déréglementation présentée par la Commission européenne, fait fi du droit de savoir et de choisir des consommateurs, se pliant complètement aux promesses et aux dires du lobby de la biotechnologique.

 

Ce qu’impliquerait cette proposition imbuvable

Attention ! L’édifiant florilège que nous sommes ici contraints d’énoncer fait très mal. Asseyez-vous d’abord :

–  aucune évaluation des risques, des effets sur la santé et sur l’environnement de la plupart de nouveaux OGM – NGT de catégorie 1 – n’est prévue ! La Commission les déclare, à tort, ne pas être plus risqués que les plantes issues de la sélection conventionnelle qui ne sont pas sujettes aux conditions de mise sur le marché de la Directive 2001/18/CE. Les critères pour inscrire les NGT dans la catégorie 1 n’ont aucune base scientifique. Les nouveaux OGM restants – ceux de catégorie 2 – subiront une analyse de risques simplifiée par rapport à celle qui est exigée dans la Directive 2001/18/CE. La Commission ignore l’importance des erreurs génétiques et des effets non-intentionnels qui en découlent.

les méthodes de détection analytique ne sont plus rendues obligatoires aux développeurs des plantes NGT. On ne pourra pas d’avantage contrôler leur dispersion dans l’environnement.

– aucun étiquetage n’est davantage prévu en direction des consommateurs pour ces NGT de catégorie 1, aucune traçabilité non plus ! Les consommateurs n’auront aucun moyen de savoir s’ils consomment, ou non, des nouveaux OGM de cette catégorie. Ce seront des OGM cachés ! Pour les nouveaux OGM de la catégorie 2, traçabilité et étiquetage seraient maintenus y compris pour les plantes tolérant les herbicides, de triste mémoire.

les nouveaux OGM resteront certes formellement interdits dans l’agriculture biologique mais aucune mesure – traçabilité et étiquetage – n’est prévue afin de permettre aux agriculteurs et aux cultivateurs biologiques – et même aux agriculteurs conventionnels qui ont renoncé aux OGM – de maintenir leurs champs exempts d’OGM. De plus, ils devront assumer eux-mêmes le coût de la certification non-OGM de leurs productions.

Les Etats membres ne pourront plus interdire la culture des nouveaux OGM de catégorie 2 sur leur territoire ! Ils seront chargés d’adopter des mesures de coexistence afin d’éviter la contamination des cultures sans OGM. Mais cela s’avérera évidemment impossible sans traçabilité ni étiquetage pour la plupart des NGT.

les entreprises qui « dominent » déjà en matière de dépôts de brevets concernant ces technologies – les grosses multinationales regroupées sous les bannières Corteva, Bayer/Monsanto et Chemchina… – se verront octroyer gracieusement un droit d’entrée sur le marché européen pour leurs OGM non étiquetés et non traçables – mais brevetés ! -, ce qui renforcera encore leur contrôle sur les agriculteurs et sur l’ensemble de la production alimentaire en Europe !

Pareille proposition de déréglementation des nouveaux OGM est un cadeau énorme – sans la moindre possibilité de retour ! – de la Commission européenne à des entreprises qui monopolisent, à la fois, le marché mondial des pesticides, celui des OGM et celui des semences. Non, les nouveaux OGM ne conduiront pas à des pratiques agricoles plus durables. Bien au contraire ! L’hypothèse de la Commission selon laquelle les nouveaux OGM conduiraient à une plus grande durabilité – par exemple, des résistances à la sécheresse, à certaines maladies, à la salinité croissante des sols, garantissant ainsi une augmentation du rendement… – se fonde uniquement sur les promesses de l’industrie, plutôt que sur des preuves réelles. La durabilité des cultures de NGT ne peut être le résultat que d’un système agricole global, comme celui de l’agriculture biologique. Un trait – ou caractère – isolé ne peut, en aucun cas, conférer, dans le contexte d’une agriculture intensive, une quelconque forme de durabilité.

Au niveau mondial comme en Europe, rares sont les nouveaux OGM qui sont déjà sortis du stade expérimental pour arriver à un stade pré-commercial. Il n’existe donc que très peu de recul sur la réalité des nouveaux OGM, même aux Etats-Unis ou au Canada qui les ont déjà déréglementés. Les nombreuses allégations opportunistes de durabilité avancées par les lobbies industriels des nouveaux OGM ne sont donc que de vagues promesses dépourvues de fondements scientifiques. Ainsi en va-t-il aussi des promesses de réduction de l’utilisation des pesticides. Mais de cela, nous avions déjà une très longue habitude… La Commission prétend donc – à tort ! – que cette déréglementation des nouveaux OGM permettra d’atteindre les objectifs du Green Deal de l’Union. C’est totalement absurde ! La Commission achète aujourd’hui un chat dans un sac !

 

Une opposition qui sera ferme et déterminée !

Nature & Progrès Belgique et l’ensemble de ses partenaires en Belgique, ainsi qu’une coalition de centaines d’organisations environnementales et agricoles en Europe, s’opposent fermement à cette proposition. Les nouvelles semences génétiquement modifiées seront brevetées, ce qui érodera encore un peu plus les droits des agriculteurs et conduira à une monopolisation plus grande encore, du marché des semences, déjà scandaleusement concentré.

À moins que les États membres et le Parlement européen ne parviennent à rectifier le tir, une telle proposition de législation bafouera, avec une ampleur totalement inédite, les intérêts des agriculteurs, de la société civile et de la biodiversité. Pareille déréglementation fut impulsée, nous l’avons dit, par les multinationales de la biotechnologie, avec pour larbins un certain nombre de chercheurs d’instituts tels que le VIB (Vlaamse Instituut voor Biotechnologie) et l’université de Wageningen, qui prétendent être les dépositaires de l’ »autorité de la science », de la « vraie science ». Il ne s’agit pas de science mais seulement d’une ingénierie de technocrates qui avance sournoisement ses pions, en entretenant des liens étroits avec l’industrie mondialisée.

Il faut dénoncer ces manigances qui n’apportent strictement rien aux Européens. Qui risquent, au contraire de leur coûter très cher ! La Commission européenne fut avertie, à maintes reprises, des conséquences négatives d’une telle proposition, par le monde agricole, par le secteur de l’alimentation biologique, par les producteurs, transformateurs et distributeurs de plusieurs pays européens promouvant le « non-OGM » pour les plantes et les animaux « nourris sans OGM » et regroupés sous la bannière ENGA (European Non-GMO Industry Association), ainsi que par un nombre croissant d’organisations de la société civile. La DG Santé de la Commission a préféré ignorer systématiquement la voix de ces groupes, au point de violer ses propres règles en matière de processus démocratique, notamment par des consultations du public biaisées. Ces dernières font d’ailleurs l’objet d’une enquête de l’ombudsman de la Commission, ceci sur plainte de nos collègues des Amis de la Terre (Friends of the Earth Europe) et de CEO (Corporate Europe Observatory) ! De nombreuses publications scientifiques récentes émanant de généticiens moléculaires indépendants, n’ont tout simplement pas été considérées par l’EFSA (European Food Security Agency), sorte de bureau d’études de la Commission. Un nombre croissant d’experts contestent les critères choisis par la Commission pour l’évaluation des risques des nouveaux OGM. En particulier, les critères pour la catégorie 1 des nouveaux OGM qui, selon la proposition de la Commission, doivent être dispensés de toute analyse de risques, sont fortement critiqués par ces experts.

Une seule conclusion s’impose aujourd’hui : les autorités nationales chargées de la protection de la santé, de l’environnement et de la sécurité des consommateurs, ainsi que les membres du Parlement européen, doivent catégoriquement rejeter cette proposition. C’est une insulte insupportable qui témoigne d’un mépris total du consommateur européen !

ZUT. Zone Urgente à Transformer !

Il y a six ans exactement – avec l’analyse intitulée L’air vicié de nos campagnes, en 2017 -, nous questionnions l’insurrection tranquille – et les espoirs ! – de deux vaillants militants anti-pesticides, Christian Baeke et Marie-Thérèse Gillet, sur la vaste commune rurale de Fernelmont. Six ans plus tard, ils espèrent toujours mais « immortalisés », cette fois, dans le cadre d’un film documentaire toujours visible sur Auvio

Par Dominique Parizel

 

Qu’on se saisisse enfin du problème. Qu’on invente ensemble une autre manière de faire. Ils ne demandent rien d’autre.

« Le constat était sans appel, il y a six ans déjà, mais les autruches de service mettent toujours la tête dans le sable, clame haut et fort Christian Baeke ! Les pouvoirs publics communaux nous ont blacklistés depuis longtemps car l’opinion que nous manifestons – parfois sans doute un peu trop bruyamment à leur goût ! – ne leur plaît guère et leur semble sans doute un peu trop dangereuse, électoralement parlant. Aucune chance donc que la commune fasse quoi que ce soit pour nous… »

 

Interpellations citoyennes

« Ce n’est pourtant que la stricte vérité, renchérit Christian, et il faut déplorer le fait que c’est aussi le cas dans la plupart des communes rurales qui connaissent les mêmes problèmes que nous. Il y a six ans déjà, nous proposions, dans trois rues très exposées de Fernelmont – soit cent quarante-quatre boîtes aux lettres -, un sondage comprenant quinze questions citoyennes. Nous garantissions une totale confidentialité, les réponses se faisant via une enveloppe timbrée adressée à un huissier. Nous avons obtenu 20% de réponses, ce qui est paraît-il exceptionnel pour ce genre d’action, et la grande majorité des gens allaient dans notre sens, ce qui démontre à quel point la question est largement sous-estimée par nos responsables publics qui ont véritablement la trouille d’affronter un vrai sondage mené sur l’ensemble de la population. Les pauvres gens concernés sont donc totalement laissés à l’abandon ! Et je ne parle même pas de toutes les nouvelles maisons qu’on laisse se construire, sans même le plus petit avertissement, au beau milieu des champs…

Depuis lors, nous avons officiellement adressé huit interpellations citoyennes au Conseil communal de Fernelmont. Nous avions notamment appris qu’en France, un maire avait été désavoué par son préfet, dans sa volonté d’interdire l’usage de pesticides à proximité des bâtiments de sa commune (1). Or d’autres maires, afin de ne plus se faire court-circuiter de cette manière-là, argumentèrent ensuite qu’en réalité les pesticides sont des déchets dont la population n’a à supporter ni la rémanence, ni les dérives aériennes, ni les résidus qui percolent dans la nappe phréatique. Tout cela tuant finalement la vie du sol… Les communes étant compétentes, dès l’instant où il est permis de considérer qu’il s’agit bien de déchets – et qu’est-ce que cela pourrait bien être d’autre, dès lors que cela ne sert plus à « protéger » la plante ? -, il est de leur devoir de protéger les citoyens contre leur dangerosité avérée… Ce point de vue très novateur n’a évidemment pas rencontré grand succès devant le Conseil communal de Fernelmont, inutile de le préciser. Nous passons pour des enquiquineurs mais l’idée nous semble évidemment, plus que jamais, à creuser… »

« Nous avons également pris l’exemple des feux, ajoute Marie-Thérèse Gillet… Même un feu supposé inoffensif et réalisé dans un contenant ne peut être allumé à moins de cent mètres du premier voisin. Et si le voisin appelle la police en cas d’infraction, l’amende est souvent immédiate. Pourquoi ne pas définir la même distance pour des pesticides dont la dangerosité est clairement avérée ? Chez nous, on en asperge carrément contre la haie des gens ! Une zone tampon est parfois respectée par rapport aux crèches ou aux écoles mais, dès que les enfants rentrent chez eux, ils semblent qu’on les suppose automatiquement immunisés, puisque plus rien ne les protège. C’est absurde. »

« Mieux encore, renchérit Christian : l’agriculteur concerné ne peut plus cultiver autour de la Maison de l’Enfance où les activités sont fréquentes. Mais il est dédommagé par la commune ! C’est donc, à la fois, un aveu implicite de dangerosité mais aussi l’application du principe du pollueur-payé ! Une invention locale. Et, comme par hasard, là on se trouve au bon niveau de pouvoir. La collectivité paie l’agriculteur qui pollue avec l’argent du contribuable. Ce qui fait cher la betterave et la patate. Et nous, on nous envoie bouler… »

 

Développer le concept des ZUT !

« En y ajoutant, si vous le désirez, une petite pointe de surréalisme à la Belge, poursuit Christian Baeke, nous appelons donc tous ceux qui vivent la même chose que nous à développer le concept de ZUT – Zone Urgente à Transformer -, forgé évidemment sur celui de ZAD – Zone À Défendre. Il ne s’agit plus seulement de protester, ni bien sûr d’insulter qui que soit, mais de rechercher collectivement les alternatives à l’impasse totale qui prévaut actuellement et qui devient carrément insupportable pour la population des zones rurales. Si la mise en place d’une ZUT vous tente, là où vous habitez, n’hésitez surtout pas à nous contacter. Nous sommes également en recherche d’agriculteurs bio qui accepteraient de témoigner, dans les débats que nous organisons lors de la présentation du film, de la réalité des alternatives crédibles qui sont aujourd’hui tout à fait praticables dans les différentes spéculations. Nous en avons marre d’entendre affirmer que les agriculteurs « ne savent pas faire autrement« . Cet argument est totalement faux et nous voulons être à même de le démonter dans la discussion. Merci donc de venir joindre votre voix à la nôtre si d’aventure notre film est projeté dans votre coin car il est primordial de convaincre tous ceux qui stagnent dans le doute et se laissent encore avoir par les mauvais arguments des défenseurs d’intérêts particuliers, au détriment de la qualité de vie des citoyens. Le statu quo qu’ils prônent encore est inacceptable ! »

« L’idée de la ZUT, la Zone Urgente à Transformer, a donc beaucoup plu au réalisateur namurois François de Saint-Georges qui en a fait le titre de son film, explique Marie-Thérèse Gillet. Ce film fut présenté dans le cadre du festival Alimenterre (3), en novembre dernier. Depuis lors, il a notamment été diffusé, par la RTBF, sur la Trois, et fut également montré à Bruxelles et dans de nombreuses communes qui sont confrontées aux mêmes problèmes que Fernelmont. François connaissait mon fils et est tombé, par hasard, sur un article de presse qui parlait de moi… Il avait lui-même déjà malencontreusement avalé un produit dangereux qui l’a cloué au lit trois jours durant ! Mais ç’aurait pu être bien pire. Il en parle même dans son film… »

« Nous n’avons évidemment pas du tout influencé François dans ses prises de décision, tient à ajouter Christian Baeke : il a décidé de tout lui-même, en parfaite collaboration avec ses producteurs, c’est-à-dire la RTBF et la société Triangle7 qui a également assumé le montage du film. Toutes les personnes qui témoignent ont été choisies par eux… Mais le terrain ne change guère : le contexte d’un précédent reportage de la RTBF (2) avait clairement mis en évidence le fait que les gens râlent beaucoup de se faire polluer. Mais dès qu’apparaît une caméra, c’est évidemment « courage, fuyons ». Nous avons déjà largement expliqué pour quelles raisons… Notre gros problème est, bien sûr, de toucher les sensibilités bien au-delà du public déjà acquis à la cause. Comment faire pour s’adresser efficacement à la grande masse des gens qui sont concernés sans le savoir ? Nous ne sommes, à Fernelmont, qu’un tout petit groupe de citoyens convaincus de l’extrême gravité du problème… »

 

Vingt-cinq mille lobbyistes contre le simple citoyen !

« C’est Nina Holland – elle travaille pour CEO (Corporate Europe Observatoryhttps://corporateeurope.org/fr/articles), à Bruxelles, et apparaît dans le film – qui avance ce chiffre particulièrement interpellant, explique Marie-Thérèse Gillet. Il s’agit du nombre hallucinant de gens qui cherchent à influencer la décision publique européenne au profit exclusif d’intérêts privés. Autant de gens qui travaillent pour qui vous voulez – pourvu qu’ils soient grassement payés -, sauf pour le simple citoyen ! Une dame a, un jour, cherché à nous convaincre, dans le cadre d’un de nos débats, que nous étions nous aussi des lobbyistes et que nous devions absolument être mis sur un pied d’égalité. C’est évidemment une chose que nous ne pouvons plus entendre. Si le citoyen doit aujourd’hui se mobiliser, c’est aussi parce que les autorités censées le protéger ne font pas équitablement leur travail dans ce combat, dramatiquement inégal, de David contre Goliath. Le plus souvent, elles se rangent même carrément du mauvais côté…

Une confidence pour terminer : nous aurions aimé que le film soit un réquisitoire contre tous les pesticides. François n’a pas choisi cette option-là. Nous devons maintenant nous réjouir du fait que le film soit très bien accueilli lors de chacune de ses projections. Nous devons donc admettre que François a certainement eu raison. Ce qui n’enlève d’ailleurs rien à la nécessité de réaliser, tôt ou tard, un réquisitoire impitoyable contre les pesticides… »

 

ZUT. Zone Urgente à Transformer – Une histoire de contamination par les pesticides. Le film est disponible gratuitement sur la plateforme Auvio :

https://auvio.rtbf.be/live/zut-zone-urgente-a-transformer-une-histoire-de-contamination-par-les-pesticides-425015 – Durée : 51 minutes

Toutes les alternatives aux pesticides, proposées par Nature & Progrès, sont à découvrir – toutes les brochures sont téléchargeables gratuitement ! – sur : https://www.natpro.be/wallonie-sans-pesticides/

 

Notes :

(1) Ce « Devoir d’enquête« , de Malika Attar et Jean-Michel Dehon, intitulé Toxique dans les prés, fut diffusé par la RTBF, le 19 octobre 2016.

(2) Daniel Cueff, maire de Langouët en Ille-et-Vilaine, prit, en effet, un arrêté visant à interdire l’usage de pesticides à moins de cent cinquante mètre – cent mètres dans certains cas – de tout bâtiment à usage privé ou professionnel de sa commune. La Cour d’appel administrative de Nantes annula définitivement cet arrêté, le 18 mai 2019.

(3) Signalons ici que la nouvelle édition du festival Alimenterre aura lieu, en Wallonie et à Bruxelles, du 10 au 15 octobre 2023. Découvrez-en la programmation sur : https://festivalalimenterre.be/

Former les agronomes à l’agriculture biologique !

La spécialisation en agriculture biologique de la Haute Ecole de la Province de Namur (HEPN) est, à ce jour, la seule formation du supérieur en agriculture bio, en Belgique ! Elle existe depuis huit ans déjà et c’est l’occasion de remettre en avant cette formation, ô combien importante, dans le paysage agricole belge. Car si l’agriculture biologique est une solution, encore faut-il pouvoir l’enseigner aux étudiants !

Par Nicolas Luburic

 

Les étudiants et étudiantes en agronomie veulent du changement ! Toutes et tous veulent d’autres connaissances, toutes et tous veulent du concret ! Les études en agronomie ont grand besoin de se renouveler afin de répondre aux enjeux de demain. La sortie médiatisée d’étudiant(e)s en Master d’Agronomie d’AgroParisTech, le 30 avril 2022, l’a parfaitement mis en lumière. Toutes et tous sont lassés par des cours trop orientés vers une agriculture intensive adaptée à l’agro-industrie, bien trop peu regardante à la préservation de l’environnement, de la biodiversité, de notre santé et de celle du producteur…Leur envie d’autres connaissances s’est manifestée avec force, des connaissances qu’ils n’ont pas reçues durant leur cursus… Il en va évidemment de même chez nous ! En atteste les résultats de l’enquête publiée par la revue Tchak!, intitulée « Bioingénieurs : les profs à côté de la Fac« , en décembre 2022. Les étudiants et étudiantes de Wallonie, en bachelier ou en master de bioingénieur, veulent comprendre quelles sont les solutions aux crises écologiques planétaires actuelles et veulent s’impliquer dans leur mise en œuvre. Concrètement.

 

Davantage sur le terrain !

La spécialisation en agriculture biologique de la Haute Ecole de la Province de Namur (HEPN) répond aux besoins du secteur et à ceux des étudiants. Depuis huit ans, la spécialisation a d’abord été cherché à répondre à la demande du secteur bio de disposer d’agronomes formés aux techniques spécifiques de l’agriculture biologique, en ayant acquis des connaissances pointues dans le domaine et une connaissance approfondie de la bio wallonne. On peut, en effet, constater que les étudiants qui arrivent en spécialisation bio – qu’ils aient obtenu un diplôme de bachelier ou un master de bioingénieur en agronomie – n’ont pas le minimum des connaissances requises en agriculture biologique. Un comble pour une région où plus de 16% des fermes sont certifiées bio !

Un programme ambitieux leur est dès lors proposé, dans le cadre de la Haute Ecole : élevage bio, biologie du sol, bases techniques de l’agriculture biologique, agroécologie, pédologie, arboriculture, règlementation bio, histoire de la bio, développement durable appliqué à la bio, etc. En une seule année de cours, les étudiants sont amenés à devenir de véritables spécialistes de l’agriculture biologique. Il s’agit d’un programme unique qui a un pied posé dans des études axées terrain, et l’autre dans le monde professionnel.

Le terrain est au cœur de notre enseignement ! Les étudiants en spécialisation bio ont véritablement l’occasion de se former, sur le terrain, au cœur du secteur bio wallon. Plus de trente visites sont organisées, dans les différents cours et tous ont ainsi l’opportunité de visiter des fermes et de rencontrer les producteurs bio, qu’ils soient éleveurs, maraîchers, fruiticulteurs, producteurs en grand culture, etc. Ces rencontres, très enrichissantes pour les jeunes mais aussi pour les producteurs eux-mêmes, constituent le cœur de l’enseignement de l’agriculture biologique, à la Haute Ecole. En échangeant sur des pratiques, des techniques et des expériences, mais aussi sur la philosophie de vie des producteurs, chacun peut se constitue un bagage unique pour son propre futur projet ou son futur emploi. Les étudiants ont également l’occasion de visiter des entreprises de transformation, des distributeurs et des magasins bio, l’idée étant que chaque étudiant puisse acquérir des connaissances sur l’ensemble des composants de la filière bio. Quelques exemples de visites effectuées cette année : La ferme à l’arbre de Liège à Lantin, La ferme du Val Notre-Dame à Wanze, Vin de Liège à Heure-Le-Romain, la ferme de Stée à Braibant, la ferme de la Sarthe à Saint-Gérard, Le Grand potager à Haltinne…

Au-delà de ces visites, les étudiants vont également régulièrement sur le terrain, dans le cadre de leurs cours. Les cours en lien avec les grandes cultures, par exemple, se déroulent ainsi, en grande partie, sur différentes parcelles situées en Wallonie. L’étudiant peut, de cette manière, avoir une vision globale de la production, sur une période de dix mois. Cette « approche terrain » se retrouve finalement dans les deux cent quatre-vingts heures de stages que les étudiants effectuent au cours de l’année. Tous ont la possibilité d’effectuer ces heures sur un seul lieu – généralement, quand l’étudiant a déjà un projet précis – ou sur différents lieux. Ces stages donnent ainsi lieu, à nouveau, à de précieux échanges d’expérience entre ceux et celles qui font le secteur bio et ceux et celles qui le découvrent. Ces stages débouchent sur un portfolio, c’est-à-dire un travail qui compile au mieux les différents éléments de mise en œuvre des compétences acquises durant l’année de spécialisation en agriculture biologique.

 

Convertir une ferme au bio, en conditions réelles

Notons que, depuis cette année, les cours sont données, non seulement à l’HEPN à Ciney, mais également à l’Institut de recherche en agriculture biologique BRIOAA – Belgian Research Institute of Organic Agriculture and Agroecology – www.brioaa.bio -, à Upigny. Il s’agit du premier centre de recherche, créé en Belgique, qui se concentre sur l’agriculture biologique et, au-delà, sur l’agroécologie biologique. Le BRIOAA est une structure indépendante, dynamique, avant-gardiste et innovante ; financièrement et intellectuellement indépendant, il soulève des questions et apporte des réponses pragmatiques afin de créer une balance plus juste entre agriculture nourricière et équilibres naturels. Les étudiants de la spécialisation bio ont l’occasion d’y être en contact constant avec soixante hectares de grandes cultures bio. Le lien entre recherche bio et enseignement bio est ainsi fait !

En seconde partie d’année académique, un des cours de la spécialisation s’intitule « études de conversions à l’agriculture biologique ». Il s’agit de placer les étudiants en condition réelle de conversion d’une ferme à l’agriculture biologique. Au départ, l’enseignant fait le choix d’une ferme, en Wallonie, qui n’est pas en bio mais envisage de le devenir. À partir de cette situation de départ concrète, il est alors demandé aux étudiants de récolter un maximum d’informations auprès du producteur. Cette récolte se fait lors de la visite de la ferme et de discussions avec le producteur : données économiques, sociales et environnementales sont recueillies afin de bien comprendre la situation de départ, le fonctionnement de la ferme mais aussi les aspirations du producteur, ce qu’il souhaite faire dans l’avenir et les possibilités qui s’offrent à lui dans le contexte actuel… Les étudiants effectuent ensuite des recherches, consultent des producteurs bio ayant une ferme dans une configuration équivalente ou semblable, leurs différents professeurs, des spécialistes du secteur bio, des associations bio telle que Nature & Progrès, etc. Ils rédigent un travail écrit complet, en groupe, qui reprend l’ensemble de leurs recherches, un schéma de conversion qui leur semble idéal, les décisions à prendre et leurs répercussions économiques détaillées, les détails de la règlementation bio, les changements à réaliser, les points à conserver. Ce travail est enfin présenté, par les étudiants, au producteur, à l’HEPN à Ciney. S’ensuit une discussion avec le lui sur certains points techniques, comme le choix des variétés, de la rotation ou d’une race, sur des conséquences financières ou liées aux bâtiments de la ferme ou à la commercialisation des produits. Au final ce n’est que du positif ! Les étudiants approfondissent leurs connaissances et les appliquent directement ; le producteur bénéficie de conseils gratuits et d’un plan de conversion qui parfois lui ouvre les yeux, au sujet des avantages environnementaux mais aussi sociaux et financiers d’une conversion de sa ferme vers l’agriculture biologique.

 

Des professionnels du secteur, des étudiants de tous âges et un job qui a du sens

Tous les professeurs qui enseignement au sein de l’année de spécialisation en agriculture biologique sont également des professionnels actifs dans le secteur. C’est une plus-value certaine pour les étudiants qui sont rapidement mis en contact avec les réseaux bio qui sont ceux de leurs profs… En 2023, les professeurs de la spécialisation bio de l’HEPN sont : Olivier Baudry, Julien Filippi, Eddy Montignies, Thomas Vercruysse, François Wiaux et moi-même. L’approche de ces enseignants, nous l’avons souligné, est très orientée terrain. L’étudiant qui a déjà obtenu un diplôme d’agronomie est d’emblée considéré comme un futur professionnel, ce qui facilite grandement l’apprentissage et les échanges, et contribue à une excellente ambiance de groupe.

Les étudiants de la spécialisation ne sont cependant pas toujours directement issus des études. Chaque année, un certain nombre d’inscrits sont des agronomes diplômés, il y a cinq, dix ans ou parfois plus, et qui souhaitent acquérir de nouvelles connaissances et de nouvelles compétences, en vue notamment d’une reconversion professionnelle. La possibilité d’étaler l’année d’étude sur deux ans offre aux personnes qui ont déjà un job de se spécialiser, elles aussi, dans l’agriculture biologique… La grande variété des parcours des étudiants inscrits à la spécialisation bio garantit la richesse des échanges entre étudiants, mais aussi entre étudiants et professeurs, chaque génération apportant ses connaissances aux autres, peu importe l’âge ou l’expérience.

Une fois diplômés en agriculture bio, bon nombre d’étudiants lancent leur propre projet, en Belgique ou à l’étranger. Ceux et celles qui cherchent plutôt un job dans le secteur bio le trouvent très rapidement, parfois même avant d’avoir leur diplôme en poche. C’est une des forces de notre spécialisation bio : elle donne accès à un très large éventail de jobs. Un job, oui, mais un job porteur de sens pour une génération motivée par la bio et par les personnes qui portent les valeurs qui leur sont chères.

 

Faire passer l’info auprès de ceux qui la recherchent !

Cette spécialisation est unique en Belgique, il s’agit de le faire savoir ! Alors si vous connaissez un futur agronome ou un agronome déjà diplômé – les valorisations des acquis de l’expérience et les diplômes d’horticulture sont également acceptés -, faites-leur passer le message ! Parlez de la spécialisation en agriculture biologique de l’HEPN, dans votre entourage, sur les réseaux sociaux… Le secteur bio a grand besoin de spécialistes capables de contribuer à son essor !

 

HEPN (Haute Ecole de la Province de Namur) – Département des sciences agronomiques et ingénierie biologique – Pôle Agronomie – Avenue de Namur, 61 à 5590 Ciney

Au-delà du pacifisme ? Quand la désobéissance civile ne suffit plus…

L’écologie radicale, l’ »écoterrorisme » sont aujourd’hui souvent pointés du doigt dans le discours politique mais rarement définis ou contextualisés, alors que la réalité que ces mots éventuellement recouvrent, comme toute réalité sociale, est extrêmement complexe, variée, multiple (1)… Les actions coup de poing de militants et de militantes écologistes font ressurgir le débat sur les limites de la non-violence chez ceux qui luttent contre les dégradations environnementales. Tantôt qualifiées de vandalisme ou de saccage, tantôt rejetées par les associations pacifistes, elles drainent leur lot d’imaginaire, de questionnements et de préjugés…

Par Maylis Arnould

 

Les pratiques et les valeurs écologiques, à l’échelle individuelle ou collective (2), ont de plus en plus tendance à se voir inscrites sous l’étiquette de « radicales ». Même si ce phénomène n’est pas nouveau, un certain nombre d’actions, particulièrement en France ces derniers mois, ont amené l’écologie sur le devant de la scène du radicalisme. Mais alors, que veux-t-on dire par « écolo radical » et qui sont ceux et celles qui s’inscrivent, volontairement ou non, dans cette catégorie ?

 

Les différentes facettes du concept de radicalité

Beaucoup utilisée, depuis les attentats de 2001, pour définir des actions liées à des idéaux religieux, la question de la radicalité porte, dans l’imaginaire collectif, une connotation négative et c’est, le plus souvent, cette connotation sous-jacente qui est associée à l’écologie. À partir de 2015, lors des actions liées à la COP-21, puis encore dernièrement avec le rassemblement autour des méga-bassines de Sainte-Soline, en France… Pourtant, si l’on regarde la définition du mot radical que donne le dictionnaire Larousse, il est question « d’un genre d’action ou de moyen très énergique, très efficace, dont on use pour combattre quelque chose » ou de quelque chose « qui présente un caractère absolu, total ou définitif ». Le radicalisme quant à lui, selon le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, correspond à une « attitude qui refuse tout compromis en allant jusqu’au bout de la logique de ses convictions »

Ces trois définitions ne proposent donc pas de connotations positives ou négatives et ne définissent pas un type d’action plus ou moins violente. Elles font d’ailleurs fortement écho avec plusieurs explications de la notion de radicalité par les personnes mêmes qui en sont accusées. Comme on peut le lire, à plusieurs reprises, dans la revue française Socialter, de juin-juillet 2019, dont le dossier principal traite de la radicalité, il est plutôt question de trouver la racine des problèmes écologiques et de renforcer la lutte, dans ses idées et dans ses moyens. Pauline Porro rappelle d’ailleurs que « étymologiquement, radical provient du latin radix signifiant « qui s’attaque à la racine d’une chose ». Une posture radicale serait dès lors une posture conséquente, au sens d’une position qui s’intéresserait aux fondements même d’un phénomène et non à ses implications – aux causes plutôt qu’aux effets. (3) » La radicalité serait donc, avant toute autre chose, un changement de regard sur la problématique écologique en allant chercher l’origine et en posant la question des valeurs, en collectif ou individuellement.  C’est d’ailleurs dans cette lignée que se placent plusieurs militantes et militants écologistes, qu’ils soient en petits groupes ou en gros collectifs.

 

« Radicalité écologique » : un panel d’acteurs extrêmement diversifié

L’émergence d’une diversité de mouvements, au sein même des revendications écologiques, a fait couler beaucoup d’encre, ces derniers mois. À l’intérieur de ceux-ci, certains prônent une rupture avec la plupart des moyens d’action encadrés par l’institution, voire même avec l’institution elle-même. Parmi cette constellation écologiste, comme l’appellent Anthony Cortes et Sébastien Leurquin (4), voici les principales tendances qui sont apparues dans mes différentes recherches (5).

On citera, dans un premier temps, les organisations les plus anciennes et les plus connues qui se situent dans une idéologie pacifique mais utilisent également des actions comme le boycott. Nous pouvons citer, par exemple, le mouvement Alternatiba ou encore le réseau Action Non-Violente COP21 – ou ANV-COP21. Puis, en 2018, Extinction Rébellion – ou XR – arrive en France et ensuite en Belgique. Considéré, à l’époque, comme l’un des mouvements les plus radicaux des branches écologistes, il fait également de la désobéissance civile un de ses principaux outils de lutte. Venu de Grande-Bretagne, ce mouvement met en avant les actions directes et la résistance non-violente, en passant par des blocages – de banques, par exemple – ou par l’organisation de rassemblements dans lesquels se mêlent théâtre critique, danse et moments festifs…

Un des premiers mouvements qui apparaît aussi quand on s’intéresse à l’écologie radicale actuelle est le mouvement Deep Green Resistance, ou Deep ecology. Ce mouvement, aussi appelé écologie profonde ou écologie radicale, porte comme revendication de base le fait qu’il faut supprimer l’économie industrielle qui serait destructrice pour l’environnement. Même si ce n’est pas ici notre sujet, notons que ce mouvement a un lien très fort avec des croyances spirituelles et une forme de néopaganisme (6). Elle se démarque aussi, par son opposition complète au modèle sociétal actuel – rejet des technologies compris – et sa forte volonté d’y mettre fin, en parlant parfois même de guerre écologique. Ce mouvement peut trouver des points communs avec d’autres petits groupes pouvant être définis comme radicaux, mais qui sont peu médiatisés et dans lesquels la croyance prend une place non négligeable. C’est le cas par exemple de l’écofascisme (7), de la collapsologie, de réseaux à connotation spirituelle comme Solaris ou encore de l’écologie intégrale qui est la branche chrétienne de l’écologie.

D’autres mouvements, collectifs ou organisations prennent toutefois une place non négligeable dans cette vaste toile, sur le devant de la scène médiatique, et sont généralement ceux à qui on associe le plus rapidement la radicalité. C’est le cas des nombreux collectifs de luttes locales de « Zones À Défendre », ou ZAD. En Belgique, avec la Zablière d’Arlon entre 2019 et 2021, ou en France, avec celle de Notre-Dame-des-Landes entre 2009 et 2018, par exemple, les ZAD correspondent à des occupations de lieux où est prévu un projet jugé destructeur pour l’environnement. Une diversité d’idéologies, d’actions, de créations, de questionnements sociaux et de luttes s’y mélangent. Ces occupations questionnent les notions de légitimité, de propriétés privées et de pouvoir. Plusieurs collectifs locaux de ces ZAD font partie du réseau de lutte Les soulèvements de la terre (8), composé d’une pluralité d’individus, d’associations ou de collectifs, et qui a comme principal objectif la lutte contre l’agro-industrie et l’accaparement des terres. Comme ils l’ont eux-mêmes rappelé dans leur tribune, Les soulèvements de la terre se veulent être un mouvement pluriel, tant individuel que collectif, dans lequel sont invitées toutes les personnes souhaitant agir face aux problématiques agricoles et face aux institutions…

Tous les groupes cités ici, même s’ils prennent une importance non négligeable dans les luttes écologiques, ne représentent pas l’intégralité des individus qui sont, volontairement ou non, intégrés dans la radicalité. En effet, il est impossible définir précisément des cases dans lesquelles rentreraient un certain type d’individus, et c’est cela qui fait toute la beauté des dynamiques sociales. On observe également deux phénomènes qui sont difficilement saisissables : la convergence des luttes – qui regroupe les individus de plusieurs collectifs et/ou idéaux en faisant fluctuer les idées – et la volonté forte, dans les milieux militants, de modes d’action et de gouvernance qui vont au-delà des cases, des définitions institutionnelles et qui sont sans cesse en changement, à travers des questionnements autocritiques et une volonté d’évolution permanente.

 

Les actions radicales cataloguées comme violentes

Au-delà d’une définition générale d’une écologie radicale et de groupement d’individus considérés comme tel, ce sont également les moyens d’action qui servent, la plupart du temps, à définir le niveau de radicalité. Beaucoup d’actions peuvent être considérées comme radicales tout en n’utilisant jamais la force physique comme outil. Comme nous avons pu le montrer précédemment, la radicalité est souvent prônée à travers des actions non violentes et se trouverait plutôt dans une opposition avec certaines lois. C’est le cas notamment de la ZAD dont, comme l’explique Stéphane Tonnelat, « [l’opposition] correspond à un mode d’action considéré comme radical, car illégal, pourtant on observe dans de nombreuses ZAD une volonté de ne pas rompre avec l’opinion publique et donc un questionnement autour du type d’action « acceptable » ou non, donc la question de l’acceptabilité des actions » (9).

Dans les cas d’actes définissables comme violents, il est important de rappeler qu’aucune action volontairement écologique n’a jusqu’à présent porté atteinte à la vie humaine. Ce qui est alors défini comme de la violence est généralement du sabotage, de la destruction de matériel, ou encore du blocage de routes, d’usines, etc. Comme le rappelle Sébastien Leurquin, dans une interview donnée à la radio France Bleue (10) « certes, il y a un glissement de certains militants vers des méthodes plus dures : jets de peinture, blocages ou sabotage. Mais il n’y a pas de risque d’un écoterrorisme qui viendrait faire des morts. La vie humaine reste sacrée pour les militants. C’est une ligne rouge qu’ils ne veulent pas dépasser ».

En conclusion, il me paraît important de rappeler que les actions étiquetées comme radicales peuvent tout à fait être associées à quelque chose de positif et à des valeurs qui nous sont importantes. Cette notion est intéressante car elle pose la question des mots, de leurs définitions et de leurs utilisations. Elle nous amène à réfléchir à nos propres perceptions et à bien définir nos propres actions. Il n’existe pas de binarité d’un « bien » et d’un « mal » qui seraient prédéfinis. Entre blanc et noir, c’est toujours à nous qu’il appartient de concevoir et d’assumer notre propre gris, gris clair ou gris foncé, personnellement ou en groupe…

 

Violence versus non-violence

Il n’est évidemment pas question de prôner ou de valider ici un certain type d’action. En questionnant toutes formes de pratiques militantes, il est surtout de comprendre comment sont pensées, organisées et expliquées les actions auxquelles cette étiquette est attribuée. Tenter de comprendre dans quels contextes elles interviennent et quelles réflexions les précèdent. Le sujet est délicat ! Il est pourtant indispensable d’écouter ceux et celles qui déracinent, explosent, occupent et démontent. Les voix – et les voies ! – des personnes concernées sont importantes car il est presque impossible, sans elles, de se faire un avis cohérent sur le sujet. Je tiens aussi à rappeler, encore une fois, qu’aucune action écologique n’a tué ou n’a été directement dirigée contre des humain.es. Les actions définies comme violentes – et donc celles dont je parlerai ici – sont généralement des actions de destruction de matériels ou de biens privés, appartenant à des individus ou des groupes.

L’utilisation de pratiques à connotations violentes, bien que sujet de débat public actuellement, a toujours fait partie des révoltes. Notre imaginaire collectif autour des luttes historiques a tendance à nous laisser croire que bon nombre de droits humains importants ont été gagnés uniquement par le pacifisme. Or ce n’est pas le cas. Les suffragettes cassaient des vitrines de magasins et enflammaient des bâtiments publics, l’indépendance de l’Inde a comporté son lot de sabotages et Nelson Mandela – pourtant figure emblématique de la paix – en est arrivé à exprimer que « le temps de la résistance passive était terminé, que la non-violence était une stratégie vaine et qu’elle ne renverserait jamais une minorité blanche prête à maintenir son pouvoir à n’importe quel prix » (11). Hier comme aujourd’hui, aucun mouvement militant n’échappe au questionnement sur la violence, du féminisme à l’antiracisme en passant par l’écologie.

Cette violence ne s’exerce pas seule et n’est jamais, dans les faits, en opposition avec la non-violence. La perception de la non-violence, comme une idéologie et non comme une tactique, a engendré cette binarité très nette entre, d’un côté, le pacifisme et, de l’autre côté, tout ce qui n’est pas qualifié comme tel. Pourtant il n’est jamais question de se concentrer uniquement sur les affrontements ou le sabotage mais d’employer ces méthodes lorsqu’elles sont appropriées et font partie d’un tout, accompagnées d’autres stratégies (12). Comme l’explique très bien Andreas Malm, « maintenant, si l’on accepte l’idée que la destruction de bien relève de la violence et qu’elle est moins grave que la violence contre les êtres humains, cela ne condamne ni ne justifie en rien la pratique. Il semble qu’il faille l’éviter aussi longtemps que possible. […] Il faut des circonstances extrêmement impérieuses pour commencer à envisager des attaques contre les biens. » Le recours à la violence dans les actions militantes n’est donc pas impulsif et l’utiliser ne veut pas dire la prôner. C’est une tactique, pas un idéal. L’intention est donc un facteur primordial à prendre ne compte. Dans une perspective de détruire une chose pour en protéger une autre, par exemple endommager un bien matériel – une méga-bassine – pour préserver un bien commun – l’eau -, l’intention n’est pas la même que dans un cas ou seule la colère guide l’action et que celle-ci n’est pas encadrée, discutée ou préméditée.

 

Urgence climatique et contre-violence

L’argument principal du recours à des actions illégales dans les luttes environnementales, c’est l’urgence. L’urgence d’une biodiversité qui se dégrade à une vitesse folle, l’urgence d’un mode de consommation destructeur qui ne cesse de croître, l’urgence d’un climat qui change à une vitesse anormale… La liste peut continuer longtemps. On le sait, les voies institutionnelles prennent du temps, sans garantie de réussite. Face à des avertissements de scientifiques qui alertent sur les problématiques, presque tous les jours, plusieurs activistes écologiques ressentent cette urgence d’agir. D’agir vite.

Face à cette urgence, bon nombre de gens ont le sentiment que le recours politique est limité, voire impuissant, que les manifestions ou les pétitions ne suffisent plus. Comme nous l’explique cet extrait de communiqué de deux personnes ayant saboté un pipeline aux Etats-Unis : « après avoir examiné et épuisé toutes les formes d’action possibles, dont la participation à des réunions publiques, la collecte des signatures pour réclamer des études d’impact environnemental, la désobéissance civile, les grèves de la faim, les manifestations et les rassemblements, les boycotts et les campements, nous avons constaté l’incapacité évidente de notre gouvernement à entendre les revendications populaires. (13) »

Ne pas entendre les revendications et ne pas prendre en compte l’urgence ne sont pas les seuls faits qui sont aujourd’hui reprochés aux sociétés par de nombreux militants et militantes. Pour beaucoup, le système dans lequel nous vivons peut-être lui-même considéré comme violent, car « il y a trois sortes de violence. La première, mère de toutes les autres, est la violence institutionnelle, celle qui légalise et perpétue les dominations, les oppressions et les exploitations, celle qui écrase et lamine des millions d’Hommes dans ses rouages silencieux et bien huilés. La seconde est la violence révolutionnaire, qui naît de la volonté d’abolir la première. La troisième est la violence répressive, qui a pour objet d’étouffer la seconde en se faisant l’auxiliaire et la complice de la première violence, celle qui engendre toutes les autres. Il n’y a pas de pire hypocrisie de n’appeler violence que la seconde, en feignant d’oublier la première, qui la fait naître, et la troisième qui la tue », a affirmé Don Helder Camara (14). Dans le contexte écologique actuel, une forme de contre-violence pourrait donc apparaître comme légitime afin d’affronter des institutions, publiques ou privées, qui seraient perçues comme violentes pour le vivant. Aussi, cette violence s’exerce-t-elle également dans le quotidien de ceux et celles qui sont pacifistes car, rappelons-le, entre 2012 et 2021 plus de mille sept cents activistes écologistes ont été tués dans le monde (15) et l’association France Nature Environnement dénombre, cette année, plus d’une cinquante de menaces et d’actes de violences déplorés par ses membres : voitures abimées, maisons prises pour cibles, agressions (16)… Cette contre-violence est cependant loin de prendre la forme de guérilla que les mots laissent souvent entendre. Et elle passe particulièrement par une pratique bien connue qu’on appelle le sabotage…

 

Du sabotage au désarmement

La pratique du sabotage n’est d’ailleurs pas nouvelle. À partir des années septante, dans la même période où le pacifisme et le mouvement hippie battaient leur plein, nous pouvons trouver plusieurs exemples de pratiques plus intenses. En 1975, un groupe de personnes – dont Françoise d’Eaubonne – dynamitèrent la pompe d’un circuit hydraulique de la centrale de Fessenheim et, en 1990, un groupe de militants anglais pratiquèrent des blocages de routes et des occupations d’arbres…

Le mouvement qui fait actuellement renaître, dans l’opinion publique française, cette question de la destruction de biens matériels s’appelle Les soulèvements de la terre. Rassemblement de personnalités diverses, d’associations et de collectifs, Les soulèvements de la terre (17) sont multiples tant géographiquement qu’à travers leurs actions. Comme cela avait été le cas pour la centrale de Fessenheim, les actions sont assumées, relayées et défendues. Mais la particularité est qu’ici, elles sont, pour la plupart, officiellement déclarées préalablement, via toutes formes de réseaux. Parmi des pratiques diverses et joyeuses – organisation de courses de bolides pendant les manifestations, plantation de semences biologiques, mise en place de serres, défrichement, fêtes, etc. -, la destruction de biens matériels comme une bâche de méga-bassine ou une tractopelle sur un chantier perçu comme « écocidaire » (18) prennent une place non négligeable. Mais ici, pas question de sabotage, on parle plutôt de désarmement. Ce terme fut revendiqué à l’issue d’une occupation, fin juin 2021, et avait pour optique « d’expliciter directement la portée éthique du geste et la nature des cibles, de relier la fin et les moyens« . Tandis que le sabotage renvoie, dans le Code pénal, à « la destruction d’infrastructures vitales pour le pays« , le désarmement vise des infrastructures toxiques et destructrices. Il relève de la légitime défense, d’une nécessité vitale face à la catastrophe (19). Dans la lignée des arguments présentés précédemment, cette notion de désarmement renvoie directement au fait que du matériel dangereux est utilisé pour détruire des espaces naturels ou pour endommager des vies. Abîmer ce matériel participerait donc à ralentir ces destructions et donc à préserver le vivant. L’utilisation des mots prend donc un sens important car, chez Les soulèvements de la terre, ils ont toute leur place, même les policiers du service central du renseignement le reconnaissent : « en inscrivant les actions de sabotage dans une logique défensive des biens communs menacés, ils ont ingénieusement convaincu des militants habituellement adeptes d’actions de désobéissance civile à basculer vers la résistance civile« .

 

La violence et où elle se situe…

Alors, faut-il condamner la violence ? La prôner ? L’exclure ? Là n’est peut-être finalement pas vraiment le sujet du questionnement… Au-delà d’une binarité entre violence et pacifisme, l’important c’est peut-être d’abord de comprendre, de remettre en contexte, d’essayer d’écouter ceux et celles qui sont concernés. Se demander où situe-t-on la violence ? Cette question est vaste et complexe. Et la réponse dépendra de chacun et de chacune d’entre nous. Alors, tenter de dépasser les divergences dans les pratiques militantes en ne condamnant pas d’avance, sans connaître, celles qui nous sont moins familières pourrait être un moyen de sortir des conflits internes. Car finalement l’objectif est le même : vivre dans un monde plus juste, moins destructeur et plus respectueux du vivant et, comme le dit si bien Isabelle Cambourakis « loin de l’épouvantail médiatique construit autour du « militant d’ultra-gauche violent », loin du déni de la violence policière et de la violence d’État, loin d’une dichotomie fossilisée entre violence et non-violence, il y a une place pour une pratique contre-violente créatrice, efficace et non oppressive. »

 

Notes :

(1) Il est important de préciser qu’il n’est pas question ici de défendre une idéologie ou de justifier des valeurs personnelles – ou non – mais bien d’expliquer et de contextualiser des pratiques sociales.

(2) Par souci de clarté, nous ne traiterons pas du fait d’être stigmatisé comme radical ou extrémiste, à titre individuel, dans nos milieux sociaux. Cependant, je vous invite fortement, si le sujet vous intéresse, à vous tourner vers l’article de Julie Madon, intitulé « Tu peux être écolo sans être extrémiste. Les écologistes entre engagement par le mode de vie et évitement du stigmate », paru dans Politix, 2022/23 (n°139), pages 95 à 116.

(3) Pauline Porro, « Être ou ne pas être radical ? », Socialter,  n°35, 2019.

(4) Anthony Cortes et Sébastien Leurquin, L’affrontement qui vient – De l’écorésistance à l’écoterrorisme ?, édition du Rocher, 2023.

(5) Cette diversité des mouvements étant tellement importante, il est fort possible que j’en aie oubliés et, d’avance, je m’en excuse…

(6) Pour des informations plus détaillées sur ce sujet, consulter l’article de Stéphane François, « Antichristianisme et écologie radicale », dans Revue d’éthique et de théologie morale, vol. 272, no. 4, 2012, pp. 79-98, et écouter l’épisode 6 de la saison 1 du podcast Methadechoc, intitulé « L’écospiritualité ».

(7) Voir l’article de Juliette Grange, « Écofascisme et écologie intégrale ou l’utilisation de l’urgence écologiste par les extrémismes de droite », Cités, vol. 92, no. 4, 2022.

(8) Voir : https://lessoulevementsdelaterre.org/

(9) Stéphane Tonnelat. « Convergence des luttes et diversité des tactiques. La ZAD du Triangle de Gonesse dans l’agglomération parisienne », dans Politix, vol. 139, no. 3, 2022, pp. 65-93.

(10) Interview de Baptiste Guiet, « « L’écoterrorisme n’existe pas en France », estime le journaliste Sébastien Leurquin », France Bleue, 2023.

(11) Nelson Mandela, « Un long chemin vers la liberté », Paris, Fayard, 2013

(12) Cette réflexion est issue du livre « Comment la non-violence protège l’état », de Peter Gelderloos, éditions Libre, réédition de 2023

(13) Andreas Malm, « Comment saboter un pipeline », Paris, La Fabrique éditions, 2020

(14) Don Helder Camara (1909-1999), qui fut archevêque de Recife au Brésil, lutta toute sa vie contre la pauvreté.

(15) Élisabeth Schneiter, « En dix ans plus de 1700 activistes écolos ont été tués dans le monde », Reporterre, octobre 2022

(16) FranceInfo, « Politique : des militants écologistes victimes de violences », mai 2023

(17) Ce collectif français d’écologie politique apparut en janvier 2021. Un décret de dissolution fut présenté par le ministre de l’Intérieur, lors du Conseil des ministres du 21 juin 2023, s’appuyant notamment sur les violences autour des méga-bassines de Sainte-Soline.

(18) C’est-à-dire « qui détruit les écosystèmes »…

(19) Extrait d’un ouvrage collectif intitulé : « On ne dissout pas un soulèvement », Paris, éditions du Seuil, 2023

La Sécurité Sociale de l’alimentation (SSA) est-elle une solution de lutte contre la pauvreté ?

Le 10 décembre dernier, à l’occasion de l’anniversaire des dix ans d’existence de la locale d’ATD Quart Monde du Pays des Vallées, le Réseau RADiS a offert aux participants de la journée deux délicieuses soupes et du pain, réalisés avec les légumes et les farines bio des producteurs du Réseau. Une alimentation de qualité pour tous, le temps d’un repas… Nous avons également créé des liens avec une association où s’engagent, côte à côte, des personnes vivant la pauvreté au quotidien et d’autres qui leur sont solidaires…

Par Sandra Kirten

 

Pendant la préparation de cette journée festive, le Réseau RADiS a été invité par Monique Couillard-De Smedt, coordinatrice du groupe local Pays des Vallées, à l’Université Populaire Quart Monde, sur le thème du droit à une alimentation de qualité pour tous. Ce thème nous préoccupe tous, tant chez Nature & Progrès qu’au Réseau RADiS. C’est donc avec beaucoup d’intérêts que j’ai pu y participer, en tant que chargée de mission du volet solidaire pour le Réseau. Il nous paraissait intéressant et enrichissant d’entendre et de comprendre l’avis, sur ce thème précis, de personnes qui vivent la pauvreté au quotidien.

 

ATD Quart Monde et son Université Populaire

Le mouvement « Aide à Toute Détresse » fut créé par le père Joseph Wresinski, en 1957, afin de lutter contre la grande pauvreté et l’exclusion sociale. En 1969, il devint le mouvement « ATD Quart Monde », ATD signifiant « Agir Tous pour la Dignité » et « Quart Monde » représentant le rassemblement des pauvres et des non-pauvres engagés dans le refus de la misère.

Le mouvement ATD Quart Monde est présent et agit dans plus de trente pays, sur les cinq continents. En Belgique, le mouvement a trois priorités :

– l’accès à l’éducation et la construction des savoirs avec l’intelligence de tous,

– la promotion d’une économie respectueuse des personnes et de la Terre,

– la mobilisation pour la paix et les droits de l’homme.

Mais késako, l’Université Populaire Quart Monde ? Voilà comment ATD Quart Monde définit son Université Populaire sur son site Internet : « les Universités Populaires Quart Monde, créées en France en 1972, sont des lieux de dialogue et de formation réciproque entre des adultes vivant en grande pauvreté et d’autres citoyens qui s’engagent à leurs côtés. Tous viennent pour apprendre les uns des autres, en apportant leurs expériences et leurs savoirs propres. Dans ces rencontres on peut, chacun et ensemble, s’entraîner à exprimer une opinion ou une pensée, en les confrontant à celles d’autres personnes. De ce croisement des savoirs entre les participants peuvent naître une pensée neuve, riche des diversités de ceux qui la créent, indispensable à l’élaboration d’un projet de société vraiment démocratique. Certains participants, renforcés par les savoirs acquis avec d’autres aux Universités Populaires, agissent dans leur famille, leur quartier ou leur cité pour que les conditions de vie des personnes vivant dans la grande pauvreté changent. Ils reprennent confiance pour entreprendre des démarches visant à faire respecter leurs droits et ceux de plus pauvres qu’eux encore. »

Il existe depuis plusieurs années, en Belgique, une Université Populaire Quart Monde francophone et une autre, néerlandophone. La plupart des participants viennent des différents groupes locaux d’ATD Quart Monde, en Belgique.

 

L’alimentation quand on est pauvre…

Selon la Fédération des Services Sociaux, on estime aujourd’hui que vit dans la pauvreté une personne dont le revenu n’atteint pas 1.287 euros par mois pour une personne isolée, ou 2.703 euros par mois pour un ménage composé de deux adultes et deux enfants. En Belgique, cela concerne environ une personne sur cinq ! Ceux et celles qui vivent dans cette situation ont alors trop peu de moyens pour payer, à la fois, le logement, l’énergie, les soins de santé, les autres frais obligatoires et la nourriture. Certains se tournent ainsi vers l’aide alimentaire… Entre les distributions de colis, les restaurants sociaux ou les épiceries sociales, on estime que six cent mille personnes recourent à l’aide alimentaire, en Belgique, contre quatre cent cinquante mille, avant la crise sanitaire.

« Notre alimentation » fut au cœur des débats, dans les différents groupes locaux d’ATD Quart Monde, en septembre 2022. Voici ce qui s’est dit, à la locale du Pays des Vallées, la région de Dinant, Beauraing, Hastière, etc.

– Qu’est-ce que bien manger veut dire pour vous ?

Voilà la première question à laquelle devaient répondre les participants. Manger à sa faim, manger ce que l’on aime, manger des produits frais et de qualité mais aussi manger ce que nos parents nous ont transmis ont été les principales réponses.

– Plusieurs obstacles pour bien manger ont ensuite été pointés :

Le prix, bien sûr ! Il faut choisir entre acheter un aliment de qualité, ou quelque chose qui coûte moins cher mais qui est moins bon. Parfois aussi, il faut choisir entre manger ou payer ses factures…

La difficulté de cuisiner à la maison par manque de cuisine, de matériel de cuisine ou de connaissances…

Ne pas avoir de voiture, ou peu d’accès à des transports en commun, ne donne pas le choix du magasin où faire ses courses. C’est au plus proche. Mais ces magasins sont souvent plus chers et on n’y trouve pas beaucoup de choix.

Quant aux colis alimentaires, ils ne contiennent pas – ou peu – de produits frais de bonne qualité et souvent certains produits sont périmés.

Il faut manger ce qui est donné dans les restaurants sociaux ou dans les colis alimentaires. Ou manger ce qui est trouvé en fin de marché, ou dans les conteneurs des supermarchés…

– Le groupe s’est alors penché sur des solutions, des propositions pour que tout le monde puisse bien manger…

Et si on installait des fermes de quartier où l’on pourrait trouver des légumes, des fruits, du lait ? On pourrait également y apprendre un métier, et cette formation serait rémunérée. Cela déboucherait sur de vrais emplois, correctement payés…

Et si des épiciers ambulants sillonnaient les villages isolés ?

Et si on mettait en place des jardins partagés pour cultiver soi-même, ou en groupe, ce qu’on va manger ?

Et si on diminuait les prix dans les magasins ?

Et si on bloquait les prix de la nourriture ?

Et si on participait à des cours de cuisine pour apprendre à bien manger ?

Et si des repas équilibrés et gratuits étaient distribués dans les écoles ?

Et si chacun avait des revenus convenables pour pouvoir s’acheter une alimentation de qualité ?

 

La Sécurité Sociale de l’Alimentation (SSA) peut-elle garantir une alimentation de qualité pour tous ?

Que faudrait-il faire pour que tout le monde puisse avoir accès à une alimentation de qualité ? La Sécurité Sociale de l’Alimentation (SSA) est peut-être une des solutions. Jonathan Peuch, de FIAN Belgium, est venu présenter ce projet et en parler, lors de l’Université Populaire d’octobre 2022. Les participants ont ensuite réagi et donné leurs impressions sur ce projet.

En quoi consiste ce concept dont la réflexion est en cours en Belgique ? Portée par de nombreuses associations qui se sont réunies au sein du collectif CréaSSA – voir : www.collectif-ssa.be -, l’idée a émergé en France, en 2019, autour de la question de l’accès à l’alimentation pour chaque citoyen. Les objectifs ambitieux de ce projet sont de permettre à tout le monde de manger à sa faim, de se nourrir avec des aliments de bonne qualité, et de payer correctement les paysans, tout en respectant l’environnement. La SSA vise donc à financer la transition du système alimentaire vers plus de durabilité.

Inspirée de la sécurité sociale de la santé, la SSA serait une nouvelle branche de la sécurité sociale. Son principe est simple : chaque citoyen, quels que soient son âge ou sa situation financière, recevrait un montant situé autour de cent cinquante euros par mois qui serait réservé à l’achat d’aliments auprès de producteurs, de distributeurs ou de transformateurs conventionnés, selon des critères définis de manière démocratique. Cette somme se trouverait sur une carte spéciale, type carte de banque. Il s’agirait d’un système de caisse commune financée grâce aux cotisations proportionnées de chaque citoyen, à hauteur de l’ensemble de ses revenus.

 

La SSA au regard des plus pauvres…

Après avoir écouté et compris l’exposé présentant la SSA, la majorité des personnes présentes à l’Université Populaire de ATD Quart Monde, le 22 octobre à Bruxelles, n’était pas d’accord avec l’idée de cette carte spéciale de cent cinquante euros, avec laquelle on ne pourrait acheter que des produits locaux, durables et bio. Voici quelques-uns de leurs arguments :

– cent cinquante euros : trop pour les riches, suffisant pour certains mais pas assez pour d’autres…

Les personnes plus riches achètent davantage des produits plus chers mais pas forcément des produits locaux, éthiques, de qualité et bons pour l’environnement. La SSA les pousserait peut-être à le faire… Mais en ont-ils vraiment besoin ? Les personnes pauvres, elles, seraient obligées d’acheter de la nourriture… beaucoup plus chère que d’habitude ! Leur envie est d’avoir un revenu décent leur permettant d’acheter ce qui est indispensable et nécessaire, tout en étant libre de le choisir. La SSA ne semble pas répondre à ce besoin.

– le projet n’a pas intégré les différents aspects spécifiques de nos vies…

Il est indispensable de ne pas oublier ceux qui sont sous administration de biens, ceux dont les enfants sont placés, les sans-papiers, les sans-abris…

– tout le monde devrait cotiser pour financer cette caisse de solidarité ?

L’avis est unanime : « on va encore se faire mal voir si on reçoit sans cotiser. » Même si le montant est symbolique, les plus pauvres aussi voudraient participer à cette caisse de solidarité. Si ce n’est pas le cas, le risque de stigmatisation sera élevé. C’est déjà le cas pour les autres branches de la sécurité sociale : chômage, pension, maladies-invalidités…

– manger correctement est un droit. Pourquoi faut-il créer un système de solidarité pour y parvenir ?

Effectivement, le droit à l’alimentation est un droit humain fondamental et est aussi reconnu par le droit international. L’Etat a donc l’obligation de l’appliquer. Il le fait principalement via l’aide alimentaire. L’aide alimentaire, comme toute aide humanitaire, ne constitue pas une solution durable et n’offre aucune perspective à celles et ceux qui en bénéficient. Un nouveau système est donc à inventer !

– il n’y a actuellement pas assez de production de bons produits sur le marché belge pour ravitailler tout le monde…

Dans la Sécurité Sociale de la Santé, certains médicaments sont conventionnés – et donc remboursés – et d’autres ne le sont pas. La même logique s’appliquerait à la SSA : seuls des produits répondant à des critères de durabilité, de circuit court, de justice sociale et économique pourraient être achetés. Cependant, actuellement, ces produits sont minoritaires sur le marché, face aux produits de l’industrie agroalimentaire qui occupent une place prépondérante.

À ce stade de la réflexion sur la Sécurité Sociale Alimentaire, les membres d’ATD Quart Monde pensent que le projet de la SSA ne permettrait pas de lutter contre la pauvreté mais plutôt d’encourager les producteurs à produire davantage une alimentation de qualité, de mnière bonne pour l’environnement, tout en s’assurant de pouvoir les vendre à des prix corrects.

Pour que la SSA soit réellement au service de tous, les remarques faites par les membres d’ATD Quart Monde devront être intégrées à la suite de l’élaboration du modèle. Effectivement, pour être au plus près de la réalité, il est important d’entendre les différents avis et de coconstruire, ensemble.

 

En guise de conclusion

La Sécurité Sociale Alimentaire, ce n’est pas pour tout de suite ! L’idée commence à faire parler d’elle… À l’état de réflexion, elle suscite encore beaucoup d’interrogations et son éventuelle mise en place constitue un énorme défi. Elle a néanmoins déjà le mérite de remettre en question l’approche actuelle de la transition du système agricole et de l’aide alimentaire. Nature & Progrès ne s’est pas encore positionné sur ce projet. La Sécurité Sociale de l’Alimentation (SSA), est-ce une utopie ou une idée géniale ?

Le bio est-il en perte de vitesse ?

À peine le monde sort-il groggy de la crise sanitaire que le « maître du Kremlin » envahit son voisin, sans doute bien trop européen à son goût. L’Europe se rappelle soudain qu’une partie importante du gaz qu’elle consomme vient de là-bas. Une partie importante du blé et des engrais chimiques aussi… Et cela serait sans impact sur notre industrie agroalimentaire ? Quant aux acteurs bio, le moment est peut-être venu, pour eux, de se compter ? Il y a l’industriel. Et il y a l’autre surtout, le vrai…

Par Dominique Parizel

 

Reprenons l’histoire un peu plus en amont. Sans doute, dans leur grande débauche d’efforts pour soutenir, en temps de pandémie, la consommation et surtout les richesses qu’elle brasse, nos gouvernants firent-ils très généreusement tourner la « planche à billet » – c’est une image, bien sûr, qui signifie que la masse monétaire rendue disponible fut très – trop ? – élevée ? Sans doute la consommation s’est-elle, elle-même, « contractée » – ainsi s’expriment nos merveilleux économistes ! – parce que chacun préféra, légitimement, se constituer un « bas de laine », se garder une « poire pour la soif » – ce sont d’autres images qui signifient qu’on hésite aujourd’hui à dépenser, ou qu’on n’est tout simplement plus en mesure de le faire… Ou peut-être ce bouquet de crises, souvent réputées imprévisibles, a-t-il lui-même convaincu le quidam de mettre un frein à une hyperconsommation devenue délirante ? La crise sanitaire à peine terminée, l’invasion à la hussarde de l’Ukraine par la Russie engendra une importante remise en question énergétique et provoqua une hausse des prix spectaculaire, un peu partout en Europe. Tout le monde, malheureusement, s’en souvient…

L’inflation – c’est-à-dire une hausse brutale et incontrôlable des prix – bondit alors autour de 9,5%, pour la Belgique en 2022, et devrait se stabiliser autour de 3 ou 4% pour les années qui viennent, mais l’usage du conditionnel par le rédacteur de service reste évidemment de rigueur. Il est toutefois fort peu probable – ici, c’est un euphémisme ! – qu’une décrue s’amorce prochainement. Donc, mauvaise nouvelle, les prix vont continuer à grimper mais, fort heureusement, dans notre joli petit pays, les salaires grimpent aussi, sur base de l’évolution de notre cher « indice santé ». Et on irait se plaindre de ce magnifique petit coin d’Europe ?

 

Cela touche-t-il le bio ?

Même pour Nature & Progrès, c’est difficile à dire, bien sûr. Mais nous pensons que ce n’est sans doute pas spécialement le cas… Il n’y a pas de raison, sauf à considérer que le bio soit un luxe dont on peut aisément se passer, ce qui a toutefois pu concerner une partie des consommateurs occasionnels qui n’auraient pas vraiment compris le sens profond de sa démarche. Une telle consommation exceptionnelle eut bien lieu, en effet, au début de ce qu’on appelait encore le « confinement », quand il fallait absolument se faire plaisir pour supporter l’isolement… Aujourd’hui, l’élan consumériste s’est racrapoté. Chacun regarde soigneusement à la dépense. Constatons toutefois, de manière très empirique, que le prix moyen d’un pain standard de cinq cents grammes a soudain grimpé, dans la seconde partie de 2022, de 1,75 euro en moyenne, à plus de deux euros, voire plus, se rapprochant ainsi de celui d’un pain bio fabriqué localement qu’on peut situer, d’une manière très générale, autour des cinq euros le kilo. Ce constat fut fait incidemment par votre serviteur et il n’a absolument aucune prétention scientifique. Mais bon, on sait très bien pourquoi le premier a augmenté – matières premières, marketing, transport… -, alors que le second n’avait, quant à lui, guère de raisons de le faire, si l’on excepte le coût de l’énergie. Au contraire, son prix intégrait déjà plus équitablement la réalité locale de sa production dont, bien avant toute autre considération, le boulot des gens qui cultivent, moulent, pétrissent, etc. Mieux encore : Marc Fichers me rassure en me soufflant que son fournisseur de fromage n’a pas augmenté ses prix et vend toujours ses boules à dix-sept euros du kilo. Pas de changement non plus chez celui qui lui vend sa viande : onze euros du kilo. Le sac de farine d’épeautre, lui, a bien augmenté. De dix centimes… Il est maintenant à 2,80 euros du kilo. Marc a toujours l’air parfaitement nourri. Merci pour lui.

Dès le début de cette année, dans le numéro 68 de son excellente revue « Itinéraires Bio » (1), Biowallonie prenait grand soin de comparer les prix du bio et du conventionnel, en précisant d’emblée que cela ne concernait que le consommateur faisant ses courses dans la grande distribution. Lait, œufs, poulet, choux-fleurs, courgettes, pommes et poires étaient alors soigneusement passés au scanner. Avec des résultats extrêmement divers qui laissaient toutefois entrevoir une plus grande stabilité des prix payés aux producteurs, en agriculture biologique. Du reste, les grandes et moyennes surfaces (GMS) semblent jouer, avec leurs marges, d’une manière totalement illisible pour le consommateur qui s’intéresse, un tant soit peu, à la logique de production, de transformation et de distribution de l’aliment qu’il choisit de mettre dans son assiette. L’évidence d’un incroyable galimatias commercial pousse aujourd’hui le secteur à revendiquer, sous l’impulsion de Biowallonie et de la Cellule Manger demain de la SOCOPRO (2), un observatoire des prix du bio, en « magasins bio, vrac et circuit court ». Une drôle de formulation alors que tout ce qu’on y vend relève bien du même règlement bio… Ces mêmes représentants du secteur s’efforcent également de soutenir les divers circuits de distribution dont le chiffre d’affaires est en baisse – ben oui, mais c’est normal en pareil contexte, d’ailleurs ce n’est pas le nombre d’acheteurs qui a diminué mais juste le contenu de leurs caddies – par la mise en place de mécanismes d’incitation, de fidélisation et d’accessibilité plutôt sophistiqués. Est-ce bien utile ? L’avenir nous le dira… Pour Nature & Progrès, une seule conclusion déjà s’impose : vous êtes un.e consommateur.trice responsable ? Bienvenue dans le circuit court !

 

Bio en grandes surfaces : le caillou dans la godasse ?

Etrange attelage ! Différents acteurs commerciaux crurent déceler dans le bio, il y a de cela un quart de siècle et plus, un créneau porteur pour leurs juteux business. Les bobos en raffolaient ? On leur bâtirait une petite « niche », rien que pour eux, et on leur mettrait de jolis logos sur leurs emballages colorés. Comme, en règle générale, ces gens-là regardaient rarement à la dépense, on n’hésiterait jamais à grossir les marges de quelques pourcents supplémentaires, et ils n’y verraient que du feu. Ils seraient même ravis de payer un peu plus pour avoir le sentiment de rester au-dessus de la mêlée… La question – pour ou contre les produits bio certifiés en grandes surfaces ? – alimenta alors bien des débats : oui car cela ferait mieux connaître l’agriculture biologique, non car cela dénaturerait l’esprit et l’éthique de départ. À défaut évidemment de consensus et surtout de possibilités de compartimenter quoi que soit, certains cheminèrent vers le bio industriel, d’autres au contraire dans l’esprit qui anima les pionniers. Ce fut le cas de Nature & Progrès, avec sa charte éthique…

Le secteur se montra alors extrêmement créatif pour diversifier sa commercialisation : des simples paniers de légumes et colis de viande jusqu’aux groupements d’achats inspirés des AMAP françaises, en passant par les magasins de toutes espèces et de toutes tailles : à la ferme, en coopératives, en mini-chaînes, en grandes surfaces… Un véritable « inventaire à la Prévert » mais, on le sait, s’il n’y avait qu’un goût, il n’y aurait qu’une sauce. D’un point de vue strictement réglementaire, tout ce beau monde cohabita allègrement dans le même enclos exigu, tirant à hue et à dia, les uns vers le meilleur marché, les autres vers un optimal environnemental et relocalisé. Tous se réjouissaient cependant, d’une seule et même voix, d’un seul et même marché qui gagnait sans arrêt en notoriété auprès du consommateur. Et, surtout, dont le chiffre d’affaires s’envolait vers des cieux azurés…

Autrement dit, ce grand marché libéralisé du commerce bio est parti dans tous les sens, n’ayant en commun que l’obligation de se conformer au cahier des charges européen. Difficile donc de déceler là-dedans quelque effet unique qu’aurait pu exercer sur lui une conjoncture plus incertaine. Les solutions à apporter paraissent donc d’autant plus aléatoires qu’au-delà du prescrit européen, on n’est au fond d’accord sur rien. La première erreur, par conséquent, ne consiste-t-elle pas à réduire le bio à un marché ne concernant que des nantis qui ont le désir – et surtout les moyens ! – d’y mettre les pieds ? Aux yeux de Nature & Progrès, les choses sont parfaitement claires : la bio, c’est avant tout la forme d’agriculture qui a pour vocation de devenir la norme unique. La bio concerne ainsi tous ceux qui doivent manger, c’est-à-dire absolument tout le monde. Son prix doit donc être, à la fois, rémunérateur pour le producteur et modique pour le consommateur. En dehors de cela, point de salut ! C’est Soleil vert (3) !

 

Et pourtant, la « bio est chère » !

Voilà bien le hic ! Cette antienne est à peu près aussi vieille que la bio elle-même. Ni vraie, ni fausse, elle n’a de cesse de servir d’alibi aux mangeurs paresseux… Elle n’est pas totalement fausse parce que certains acteurs, nous l’avons évoqué, n’ont jamais répugné à s’octroyer sur son dos de confortables marges. Pour de bonnes et de mauvaises raisons, d’ailleurs, nous ne sommes pas ici pour instruire le procès de tel ou tel. Mais elle n’est certainement pas vraie non plus parce que, dans le rapport qualité-prix, la bio est forcément imbattable. Une telle certitude nous force toutefois à préciser la norme de qualité élevée que nous désirons, en ce qui la concerne, et à faire admettre au consommateur lambda qu’elle sera toujours la meilleure piste à suivre dans sa quête du plaisir et de la santé, au sein d’un écosystème sain et équilibré.

Mais de qui parle-t-on exactement ? Pas plus qu’on ne définit jamais la mission du revendeur d’aliments, on ignore totalement qui peut bien être ce consommateur trop longtemps réduit à « celui qui pousse le caddie dans les allées du supermarché » ? Celui à qui le supermarché, en somme, a toujours dit ce qu’il fallait choisir et à quel prix… Difficile donc de faire le tri entre celui qui veut se nourrir pour pas grand-chose parce s’alimenter est à ses yeux sans intérêt, celui qui aimerait mieux faire mais dont le budget est trop serré, celui qui est juste mal informé, celui qui doit absolument être assisté… Mais appartient-il à la bio de se mêler de sociologie alimentaire et de s’opposer aux marchands qui exploitent sans vergogne les différents créneaux commerciaux ? Notre seule ambition est de nourrir tout le monde, le mieux possible, dans le respect de sa condition, de ses croyances, de ses ressources… Est-ce vraiment si compliqué ?

L’expérience du Réseau RADiS montre à quel point nous sommes tombés bien bas ! Les campagnes, de nos jours, sont dans l’incapacité totale de se nourrir elles-mêmes : on ne cultive, dans les six communes concernées par le Réseau RADiS, que 8% environ des légumes qui y sont consommés – contre 17%, ce qui n’est guère plus glorieux, pour l’ensemble de la Région wallonne. Faute d’agriculture digne de ce nom, nos zones rurales sont en voie de tiers-mondisation rapide. La petite commune wallonne de Doische ne fait pas partie du Réseau RADiS mais lui est juste contiguë. La RTBF nous narra, fin mars, le désarroi de ses habitants (4) lorsque la dernière supérette du patelin ferma définitivement ses portes : Doische perdait ainsi son dernier commerce alimentaire. Dame ! Les légumes ont-ils soudain arrêté de pousser sur la bonne terre de la commune ? Les animaux n’y voient-ils plus le jour ? Ou ses habitants sont-ils tous soudain devenus manchots ? Il y a là de vraies raisons de s’inquiéter… Compétences, semences, terres et bras inoccupés sont pourtant présents en abondance un peu partout en Wallonie. Et pas besoin de supérette pour faire de la bonne soupe. Mais, à Doische comme ailleurs, la terre est basse et, bien sûr, on vous prétendra que la « bio est chère »…

A l’autre extrême, on entend Aldi promettre, à tous nos concitoyens, un magasin de proximité à quinze minutes de chez eux. Quinze minutes à pied ? Nenni valet, quinze minutes en voiture ! Une demi-heure de bagnole, deux fois la semaine, pour chaque client, juste pour faire les courses ? Vive l’écologie. La fin du monde est proche…

 

Pourquoi la bio est-elle une planche de salut ?

La bio est là pour rassembler producteurs et consommateurs dans le but salutaire de produire ensemble ce que nous mangeons tous, dans le respect du lieu où nous vivons, chose que l’agriculture, de nos jours, n’est plus en mesure de faire. Pour cette raison, il est absolument indispensable que la bio devienne rapidement la norme agricole ! L’affirmation que cette production doit absolument être locale et de saison n’a jamais été, pour nous, une découverte. Tant elle va absolument de soi … Mais bon, si l’assurance du local peut renforcer la motivation du consommateur, nous ne pouvons évidemment que nous en réjouir. Nous ne produisons ici ni thé ni café, nous aimons les agrumes, l’huile d’olive et le vin du sud. Et ce n’est pas un problème : organisons, pour ces denrées, le circuit le plus court possible afin qu’elles nous arrivent dans les conditions écologiques les meilleures. Et toujours en respectant le rythme des saisons… Pas de bœuf argentin, même pour ceux qui aiment danser le tango, nous avons ce qu’il faut chez nous, avec modération…

Et ensuite ? Par rapport à la production qui fait la base de notre alimentation, comment faire mieux qu’en produisant – puis, le cas échéant, en transformant – dans la proximité la plus étroite de ceux et de celles qui la mangeront, et en se conformant tout d’abord aux cahiers des charges de la bio européenne, puis surtout à d’autres recommandations telles que celles qui sont énoncées dans la charte éthique de Nature & Progrès ? Bio et local, évidemment, pas et, et/ou ou et/peut-être bien l’année prochaine, si tout va bien… Bio et local, impérativement, pour l’ensemble des raisons que nous expliquions déjà dans le n°160 de votre revue Valériane et que nous ne répéterons pas intégralement ici : satisfaire aux impératifs culturaux de base mais surtout en optimaliser le contexte, en quête d’une éthique écologique exemplaire. Pas du bio importé qui ne fait pas vivre les gens d’ici, et encore moins un local suspect qui se ficherait pas mal du tiers et du quart, juste pour faire plaisir à ceux et celles qui n’auraient pas vraiment pigé que mal produire – ou produire, peu ou prou, industriellement – pour être moins cher, cela dézingue immanquablement l’environnement, cela nuit à notre économie locale et, plus encore, à notre bien-être, à nos santés…

Plus que jamais, depuis la crise sanitaire, nous devons donc distinguer le bio – le commerce de la denrée strictement conforme à la norme européenne – de la bio – les produits de notre agriculture biologique locale qui font vivre nos producteurs, nos transformateurs et d’autres acteurs encore. Tout ce que la bio peut faire pour nous ne doit, à aucun prix, être supplanté par le bio. Il en va de la prospérité de nos campagnes et de la qualité de vie de nos concitoyens ! Dix euros qui font vivre une ferme bio wallonne valent infiniment plus que dix euros qui filent au diable vauvert, chauffer une serre en Hollande ou faire tourner un moulin en Pologne… Nul ostracisme là-dedans car le raisonnement vaut dans l’autre sens également. Rassurons simplement les braves gens de tous les Doische de Wallonie et d’Europe en leur répétant que leurs poireaux, leurs patates et leurs laitues doivent absolument pousser juste derrière leur porte ! Bien vivre, plus que jamais, est à ce prix.

 

Chiffres d’apothicaire ?

Alors, les chiffres du commerce bio ? Sans doute, un observatoire des prix serait-il un gage de transparence du secteur, sans doute mettrait-il certains revendeurs dans l’obligation de mieux justifier certaines marges… Et ensuite ? Le modèle de la grande distribution serait-il meilleur pour autant, offrirait-il de meilleurs gages sur le plan social, se soucierait-il davantage – au-delà d’un ridicule marketing d’image – de l’état réel de l’agriculture en Wallonie ? Ou, gouvernée depuis nul ne sait où, la grande distribution serait-elle désormais condamnée à importer tout ce qu’elle nous vend ? Quant au hard discount – au-delà de campagnes publicitaires purement et simplement scandaleuses qui ne sont qu’un leurre – a-t-il jamais eu la moindre crédibilité en termes de qualité ? Et les épiceries sociales, compte-t-on encore les voir désemplir un jour ? Que feront-elles le jour où la grande distribution aura enfin résolu ses problèmes de gaspillage ? Peut-être veut-on, au contraire, les pérenniser sur la gabegie ? Traiter la misère des uns par les poubelles des autres : signe des temps !

N’est-il pas grand temps, à l’aube des bouleversements qu’induira immanquablement le dérèglement du climat, de remettre enfin les choses à l’endroit ? Plutôt que d’entretenir en vain l’illusion du tout, partout, tout le temps, n’est-il pas grand temps de tabler – comme ce fut pourtant toujours le cas – sur des productions de proximité à destination des populations locales. De confier, à la main-d’œuvre locale peu qualifiée, les travaux des champs, les travaux quotidiens d’entretien, de transformation et de conservation… Car où trouver meilleur emploi rural que dans l’agriculture ? N’est-il pas grand temps de repenser radicalement la réalité de notre mode de production alimentaire, plutôt que d’additionner en vain des chiffres qui n’arrivent plus à en cacher l’incohérence, le peu d’humanité et l’insupportable dispersion ?

L’agriculture biologique, la bio, cela sert d’abord et avant tout à produire convenablement. Le commerce de la denrée bio, à tous les coups, est une chose secondaire. L’import et l’export doivent rester des raretés. Les temps approchent qui forceront une telle résilience…

 

Notes :

(1) www.biowallonie.com/wp-content/uploads/2023/01/Brochure_A4_Itineraires-BIO_68_Web.pdf

(2) www.mangerdemain.be

(3) Film américain – titre original : Soylent Green – réalisé par Richard Fleischer, en 1973. Nous n’en spoilerons évidemment pas la fin à ceux qui ne l’ont pas vu. Disons simplement que, dans un futur proche, le menu proposé laisse franchement à désirer…

(4) www.rtbf.be/article/la-derniere-superette-de-doische-ferme-ses-portes-les-habitants-nont-plus-de-reel-commerce-a-10km-a-la-ronde-11173183

Pesticides en Belgique : problèmes et solutions

Le 27 mars 2023, Nature & Progrès, Pesticide Action Network (PAN) Europe et Canopea tenaient un colloque, à la Chambre des représentants à Bruxelles, intitulé « Les pesticides en Belgique : problèmes et solutions« . Le but était notamment de faire la lumière sur un certain nombre de dysfonctionnements dans la procédure d’autorisation et les conditions d’utilisation des pesticides en Belgique, tout en mettant en avant des solutions pour une agriculture plus respectueuse de l’environnement et de la santé de la population et des agriculteurs.

Par Isabelle Klopstein

 

L’événement a rassemblé une cinquantaine de personnes, dont des députés, des journalistes et des membres et représentants d’ONG et associations environnementales. Les retours positifs de la part de participants ont souligné la qualité des interventions et le caractère éclairant et constructif des moments d’échange.

 

« Des pesticides hautement toxiques autorisés en Belgique »

En tant que chargée de campagne de sensibilisation chez Nature & Progrès, je suis la première intervenante à prendre la parole, rappelant qu’avec 6,3 kilos par hectare la Belgique est l’un des plus gros consommateurs de pesticides en Europe, qu’elle autorise aussi des substances particulièrement toxiques, parfois interdites au niveau européen. Chiffres à l’appui, je présente les grandes lignes du rapport, publié le jour même avec PAN Europe, intitulé « La Belgique : le royaume des pesticides« . Ce rapport peut également être consulté gratuitement sur le site Internet de Nature & Progrès : www.natpro.be/informations/brochures/

Pointant du doigt la responsabilité du SPF Santé qui, par ses pratiques, favorise le maintien de pesticides nocifs à long terme pour la santé et l’environnement, j’appelle à une révision de la procédure actuelle ainsi qu’à la prise en compte d’alternatives plus sûres. A ce titre, j’évoque un nouveau recours, déposé en janvier 2023, au Conseil d’Etat belge par PAN Europe, Bond Beter Leefmilieu (BBL) et Nature & Progrès pour demander l’annulation de deux autorisations d’insecticides à base de cyperméthrine, pour cause de non-évaluation par l’administration des alternatives disponibles.

 

« Interdits car toxiques mais quand même utilisés : les dérogations »

Martin Dermine, Directeur exécutif de PAN Europe, aborde ensuite la problématique des dérogations accordées par la Belgique dans le cadre de la législation européenne sur les pesticides. Si cette législation permet d’autoriser en urgence la mise sur le marché et l’utilisation de pesticides, il rappelle que la Belgique a été épinglée dès 2010 pour avoir abuser de ce système. Selon lui, le SPF Santé ne remplit pas son rôle en n’évaluant pas les demandes de dérogations de manière indépendante. Les dossiers sont souvent des « copier-coller » lacunaires et il qualifie, par conséquent, les décisions prises de politiques et d’arbitraires. A titre d’exemple, il mentionne le cas des insecticides néonicotinoïdes, interdits au niveau européen en 2018 mais réautorisés par dérogation en Belgique, pendant plusieurs années consécutives. Après une longue bataille judiciaire, la Cour de Justice de l’Union européenne a confirmé, en janvier 2023, que l’Etat belge ne pouvait pas fournir de dérogations à des pesticides interdits au niveau européen pour raisons sanitaires ou environnementales. Une décision judiciaire, dont le SPF Santé a tenté de minimiser la portée en usant de son influence dans les instances européennes.

En guise de conclusion, Martin Dermine évoque le Luxembourg comme un exemple à suivre. Les dérogations y sont limitées aux seuls biopesticides et l’émergence de réelles alternatives y est favorisées via la Politique Agricole Commune (PAC). Il évoque notamment la substitution des insecticides par des phéromones dans le vignoble luxembourgeois, et la mise en place d’alternatives au glyphosate, bien avant son interdiction en 2020.

 

« L’ »Affaire Pesticides » en Flandres et la situation en Wallonie »

Heleen de Smet, chargée de plaidoyer au Bond Beter Leefmilieu, présente l’ »affaire pesticides » en Flandres et la situation en Wallonie. Dans son introduction, elle rapporte que la Belgique est dans le top 4 des pays de l’OCDE – qui rassemble, rappelone-le, près d’une quarantaine de pays, les plus développés économiquement en Europe, en Asie et outre-Atlantique – où les enfants sont les plus exposés aux pesticides. Si, dans l’ »affaire pesticides », les tribunaux sont apparus comme un moyen d’obtenir des avancées, elle souligne la volonté de BBL de continuer à collaborer avec les politiques pour trouver des solutions. Elle précise que l’ »affaire pesticides » est une coalition d’associations – BBL, Natuurpunt, WWF, Velt et Dryade – ayant mis en demeure, en octobre 2022, le gouvernement flamand pour transposition incomplète des directives européennes sur la conservation des habitats naturels et l’utilisation durable des pesticides. L’affaire est devenue judiciaire, en janvier 2023, lorsque le gouvernement flamand a été assigné en justice. Une décision est attendue courant mars 2024.

Elle explique que plusieurs infractions ont été identifiées. Contrairement à ce que prévoit la législation européenne, il n’existe en Flandre aucune limitation à l’utilisation de pesticides dans ou autour des sites protégés, dont les zones Natura 2000 et les cours d’eau. De plus, les zones tampons, censées protéger, sur le long terme, les ressources naturelles et les personnes considérées comme les plus vulnérables – femmes enceintes et allaitantes, enfants à naître, nourrissons et enfants, personnes âgées, travailleurs et personnes habitant à proximité des zones d’épandage fortement exposés aux pesticides – d’une exposition environnementale aux pesticides, sont soit inexistantes soit insuffisantes.

Elle souligne que, malgré leur impact négatif avéré sur la biodiversité, l’utilisation des pesticides dans les zones les plus fragiles ne sont soumis à aucun contrôle, comme peuvent l’être d’autres activités polluantes. Concernant l’impact sur la biomasse, elle mentionne les résultats de l’étude de Hallmann – More than 75 percent decline over 27 years in total flying insect biomass in protected areas”, Plos One, 2017 -, parue en 2017, qui fait le lien entre les pesticides et la diminution de 75 % des insectes, dans les réserves naturelles, sur une période de vingt-sept ans. Le fait que des résidus de pesticides aient été retrouvés jusqu’à deux kilomètres de leur lieu d’épandage alerte sur la nécessité d’élargir les zones tampons. Elle rappelle d’ailleurs qu’en France, le Conseil d’Etat a estimé que cinq ou dix mètres de zone tampon sont insuffisants. Enfin, concernant la situation en Wallonie, qu’elle connaît moins bien, il semblerait que la législation européenne ne soit pas non plus entièrement respectée et qu’il y ait des possibilités d’amélioration.

 

« Pesticides, quels impacts sur la santé ? »

L’intervenante suivante est Sarah de Munck, médecin et chargée de mission Santé chez Canopea, sur les enjeux de prévention de la santé via un environnement plus sain. Elle tient tout d’abord à préciser que, sous l’appellation « pesticides », se cachent en fait plusieurs types de produits, tels que les produits phytosanitaires – communément appelés pesticides – utilisées sur les plantes mais aussi les biocides et les produits vétérinaires.

Elle évoque ensuite les chiffres du projet de biomonitoring wallon qui a relevé la présence élevée de certains pesticides dans la population wallonne, jusqu’à 97 % pour les organophosphorés et 23 % pour le glyphosate. Elle précise que la présence de ces pesticides dans le corps humain découle de différents types d’exposition que sont notamment l’alimentation, l’environnement et le travail.

Elle explique que, si le système de régulation en place permet de détecter les effets à courts termes – nausées, maux de tête… – des pesticides, il reste très insuffisant, incapable par exemple de prendre en compte les expositions diffuses ou simultanées à plusieurs molécules, ou encore les effets transgénérationnels ou les vulnérabilités d’une partie de la population. De plus, certaines pathologies, comme celles liées à la perte de quotient intellectuel par exemple, sont impossibles à détecter sur les souris. La toxicité des pesticides sur l’être humain est donc finalement révélée par les études épidémiologiques, après plusieurs années, voire plusieurs décennies, d’utilisation.

Elle continue son exposé en abordant plus spécifiquement les effets des pesticides sur la santé. En 2013, une première expertise française faisait déjà des liens entre certains cancers – leucémies, cancer de la prostate – et maladies neurodégénératives – Parkinson, Alzheimer. En 2021, la liste des maladies possiblement associées aux pesticides s’est étendue à de nouveaux cancers – notamment du sein – et aux troubles du développement des enfants.

Concernant le lien entre pesticides et cancers, elle réfute l’argument souvent avancé par les pro-pesticides selon lequel les agriculteurs ont moins de cancers que le reste de la population. Cet argument ignore complètement certains cancers, comme ceux de la prostate ou de la thyroïde, qui sont fortement liés aux pesticides et qui prédominent dans le monde agricole, en ne tenant compte que des cancers liés au tabagisme et à la sédentarité, effectivement moins fréquents chez les agriculteurs.

Elle note que ce sont les enfants qui sont les plus touchés par les maladies neurologiques, lesquelles altèrent leurs capacités motrices, cognitives ou leurs fonctions sensorielles. Quant à la maladie de Parkinson, prédominante dans les milieux agricoles, elle a été classée comme maladie professionnelle en France. Elle ajoute que les leucémies chez l’enfant sont étroitement liées à l’exposition professionnelles des parents.

Elle conclut en résumant que les personnes exposées ayant le plus de problèmes de santé sont les professionnels, suivis par les femmes enceintes et les enfants. Elle ajoute que les riverains des zones agricoles forment la troisième catégorie la plus à risque.

 

« Cultiver sans pesticides : quelles sont les alternatives ? »

Le dernier intervenant est Charles-Albert de Grady, un agriculteur de Horion-Hozémont, en Province de Liège, et membre fondateur de la coopérative ORSO qui cultive de la betterave, en agriculture biologique, pour produire du sucre belge et bio. Il partage son expérience, en présentant les alternatives qu’il utilise pour cultiver sans pesticides, depuis les premières cultures de carottes bio, sur la ferme familiale en 2008.

Si le bio demande plus de mains-d’œuvre, il confirme que le désherbage sans pesticides est entièrement maîtrisé sur sa ferme, soit mécaniquement – avant le semis -, soit par brûlage thermique – après le semis. Il rappelle que c’est d’ailleurs une obligation, en bio, puisque les herbicides y sont interdits.

Pour lutter contre les maladies, il insiste sur le fait qu’il n’utilise pas non plus de fongicides de synthèse. Une alternative efficace, selon lui, consiste à choisir des variétés moins sensibles aux maladies et donc plus résistantes. Il explique avoir recours à des engrais foliaires pour renforcer cette résistance : « quand les feuilles de la plante sont saines, toute la plante va beaucoup mieux ; nous devons toujours agir préventivement, en agriculture biologique, car nous n’avons pas de moyen de guérir la plante quand elle est malade« . Une autre façon de prévenir les maladies est la rotation des cultures : « tous les cinq ans pour la pomme de terre, tous les sept ans pour la carotte, en veillant bien à alterner, sur une même parcelle, un légume puis une céréale« . Il déplore cependant devoir utiliser « un peu de cuivre en pommes de terre, mais à très petites doses« .

Quant aux insectes ravageurs, il évite les insecticides agréés en bio comme les pyrèthres qui tuent sans distinction tous les insectes, nuisibles ou non. A la place, il utilise des huiles essentielles qui dégagent une odeur qui fait fuir les insectes. Pour les cultures de carottes, il rappelle aussi que l’oignon est un répulsif naturel très efficace contre la mouche de la carotte. Contre les doryphores en pommes de terre, c’est malheureusement une autre histoire mais, en plus de dix ans, il n’a eu recours qu’à un insecticide, à base de spinosad.

Il évoque ensuite le projet et les défis de la coopérative d’agriculteurs ORSO, lancée en 2019, pour proposer une alternative au sucre de betteraves industriel. La commercialisation de leur sirop de betteraves est l’une des difficultés principales car le produit ne se vend pas bien en Belgique et en France. Un projet de micro-sucrerie 100% bio est à l’étude avec la France. Il confirmera ensuite, lors des échanges, que les rendements de betterave ont été aussi bons qu’en conventionnel, sans le moindre recours aux néonicotinoïdes !

Charles-Albert de Grady conclut son témoignage par une anecdote, racontant qu’un jour où il désherbait dans les champs avec son père, après quelques années en bio, ils ont pu observer un couple d’alouettes des champs : « il y avait très longtemps qu’on n’en voyait plus et je suis certain que la biodiversité revient car nous n’utilisons plus de pesticides… »

 

Les vidéos du colloque et certaines présentations des différents intervenants sont disponibles sur le site de Nature & Progrès : www.natpro.be/la-belgique-le-royaume-des-pesticides-rapport-et-colloque-a-la-chambre-des-representants/

 

 

Les pratiques écologiques sont-elles vraiment des « trucs de riche(s) » ?

Nous sommes nombreux et nombreuses à avoir déjà lu ou entendu dire que « l’écologie, c’est un truc de riches » ou que « consommer bio coute plus cher« . L’association entre pratiques écologiques et personnes aisées issues d’un milieu, généralement urbain – les bobos ! -, est régulièrement utilisée, dans certains médias, et s’est diluée parmi l’opinion publique. Mais alors, faut-il vraiment avoir un revenu conséquent pour être écolo ?

Par Maylis Arnould

 

Tendre vers des pratiques plus écologiques et/ou consommer des produits biologiques requiert parfois de modifier certaines habitudes et de bouleverser un peu son quotidien. Aller au marché, faire plusieurs magasins, s’inscrire à un principe de paniers de fruits et légumes, se déplacer plus loin que le supermarché pour faire ses courses, fabriquer ses produits soi-même etc., tout peut nécessiter un budget et un temps plus conséquent qu’avec des produits conventionnels. Même si, évidemment, chaque individu et chaque foyer comporte ses problèmes internes et s’il n’est pas toujours évident d’adapter son mode vie avec un petit salaire, un travail énergivore, des enfants… Pourtant, associer l’écologie aux classes moyennes voir élevées est un raccourci un peu trop simpliste. Voire carrément une idée reçue !

 

Les pratiques économiques sont des pratiques écologiques !

Bien avant que l’on parle de « sobriété heureuse » (1), que les mouvements écologiques mettent en évidence la nécessité de diminuer notre impact environnemental via des gestes du quotidien ou que les gouvernements appellent à la baisse de nos consommations d’eau ou d’énergie, beaucoup de foyers pratiquaient déjà des gestes écologiques plus ou moins inconsciemment. Nombreux et nombreuses d’entre nous ont grandi dans des foyers modestes au sien desquels on leur a enseigné, par soucis économiques, des pratiques décroissantes (2). Nous avons donc appris à fermer le robinet d’eau lorsqu’on se brosse les dents, à réutiliser l’eau froide du début de douche pour la vider dans les toilettes – et gagner ainsi une ou deux chasses d’eau -, nous avons tous entendu les fameux « on n’est pas actionnaires chez EDF » (3) ou « c’est pas Versailles ici » (4), rappelant d’éteindre les lumières en sortant d’une pièce…

Cependant, comme nous le rappelle Myriam Bahaffou dans son livre intitulé « Des paillettes sur le compost » (5), ces pratiques étaient principalement restrictives par souci de dépenses financières et pouvaient générer, chez l’enfant, une forme de honte. Celle-ci pourrait être une des raisons qui expliqueraient, chez cet enfant devenu adulte, quelque réticence à perdre un certain confort en ayant des gestes définis comme « écologiques ». Mais ces pratiques, plutôt que d’être source de honte, pourraient être aujourd’hui directement associées à un effort écologique, et donc valorisées en tant que telles. Pour Jean-Baptiste Comby et Hadrien Malier, ces pratiques « ne reçoivent pas non plus de reconnaissance de la part des programmes de responsabilisation environnementale, de même qu’elles correspondent rarement aux catégories administratives et savantes de « gestion des comptes » (Perrin-Heredia, 2014) ou de « maîtrise des consommations d’énergie » (Cacciari, 2017), elles sont rarement qualifiées d’écologiques et peuvent même entrer en concurrence, voire en contradiction, avec la rationalité « écoresponsable » promue (6) ».

Il y aurait donc un jugement de valeurs des pratiques qui seraient, d’un côté, mises en avant car volontairement écologiques et, de l’autre, dépréciées car porteuses d’une volonté de réduction des dépenses.

De plus, plusieurs études montrent qu’associer obligatoirement l’écologie aux riches est peu fondé lorsqu’on s’intéresse à la réalité des pratiques sociales. Bien que, selon l’étude de l’INRAE de 2018, ce sont les populations des classes moyennes à supérieures qui ont le plus de connaissances en matière de produits biologiques – et donc représentent la plus grande partie des consommateurs -, les classes populaires représentent tout de même 14% des consommateurs de ces mêmes produits (7). Aussi, la chaine de télévision franco-allemande Arte a-t-elle participé à l’élaboration d’une enquête nommée « Il est temps« , autour de l’écologie et des classes populaires. Ses résultats, analysés par plusieurs sociologues et journalistes, montrent que, parmi les personnes interrogées, 75% des ouvriers déclarent manger régulièrement des produits biologiques et 81% des classes populaires répondent non, à la question « l’écologie est-elle un truc de riches ?« .

 

Le vrai prix des choses

Que les classes populaires soient sensibles à la question environnementale paraît relativement logique, du moment ou l’on prend en compte le fait que les populations les plus pauvres sont généralement les premières à subir les conséquences des désastres écologiques. Elles habitent plus près des endroits pollués ou des zones industrielles, elles sont plus exposées à la consommation de produits nocifs pour la santé, elles ont des métiers dans lesquels les risques pour la santé sont extrêmement présents (8).

Si l’on regarde du côté de l’alimentation, les sociétés occidentales dans lesquelles nous évoluons ont fait face à un bouleversement du mode de consommation, dans l’après-guerre, avec l’introduction de produits phytosanitaires dans nos sols et avec la démocratisation des biens matériels technologiques, du robot de cuisine au téléphone dernier cri… Ces deux grands changements ont généré deux explications possibles au fait que l’alimentation transformée, non biologique et comportant des additifs ou des conservateurs, soit devenue peu coûteuse.

Premièrement, le budget alloué à la consommation alimentaire a radicalement baissé, en quelques années. En France, par exemple, le coefficient budgétaire alimentaire est passé de 29% en 1960 à 19% en 2019 – selon l’Institut National de la Statistiques et des Etudes Economiques, 2021 – et, en Belgique, nous sommes passés de 27,5%, en 1960, à moins de 12,5%, en 2018 – selon l’Institut pour un Développement Durable, 2020. Cette baisse peut être expliquée par l’augmentation des dépenses pour l’habitat ou la multiplication des biens de consommation technologiques devenus presque indispensables (9). Deuxièmement, des politiques et des décisions agricoles ont entraîné la baisse des prix de biens considérés comme luxueux, comme la viande ou les produits laitiers…

Les lois, les aides agricoles, industrielles et l’émergence des supermarchés ont complètement bouleversé le rapport économique aux produits alimentaires. Nous ne nous en rendons pas compte, lorsque nous faisons nos courses, mais parfois le prix indiqué sur l’étiquette ne représente finalement pas le prix réel de l’aliment. Le kilo de carottes issu d’une grosse entreprise de maraîchage est pris dans une boucle de différents partenaires économiques qui influence fortement son prix et qui ne représente pas le gain généré par la personne qui l’a produit (10). Par conséquent, le prix du kilo de carotte paraît élevé, lorsqu’il est issu d’une petite ferme maraichère, alors qu’il reflète réellement le prix vrai d’un kilo de carottes éthiquement produit et justement rémunéré. Notre rapport au coût des produits alimentaires est donc, en grande partie faussé, par la boucle industrielle dans laquelle ils sont pris.

 

Consommer respectueusement avec un budget limité

Acheter aux prix justes pour les personnes qui produisent et transforment, d’une part, et pour l’environnement, d’autre part, peut donc paraître plus coûteux, ou s’avérer un véritable un casse-tête. Nous sommes nombreux, par exemple, à connaître ce fameux dilemme entre bio et local… Il existe cependant de nombreuses astuces – et beaucoup d’efforts ! – faits dans le chef d’associations et d’espaces de production afin de rendre plus accessibles les produits écologiques et biologiques. Nature & Progrès est un acteur évident d’une telle volonté (11), nous ne détaillerons donc pas ici toutes les alternatives possibles. Pour se donner une idée, en voici cependant quelques exemples…

En ce qui concerne le préjugé qui veut qu’ »être écolo c’est se restreindre« , l’achat de vêtements d’occasion démontre qu’il est possible de s’habiller avec des vêtements de meilleure qualité – de la laine plutôt que du polyester, par exemple – à des prix défiants toute concurrence. Les produits ménagers d’entretien qu’on fabrique soit même sont également une des meilleures alternatives à la fois écologiques et économiques : c’est moins cher, il faut utiliser moins de composants et leur fabrication, à la maison, prend souvent moins de temps que d’utiliser un moyen de transport pour aller en acheter… Enfin, l’alimentation biologique et locale offre aussi son lot de possibilités nouvelles, véhiculant notamment une meilleure information – on apprend à cuisiner simplement avec des produits locaux et donc moins chers que des produits importés -, ainsi qu’un apport nutritionnel généralement plus élevé pour de plus petites quantités (12).

Vivre de manière plus écologique sera donc généralement plus économique, pourvu qu’on échappe aux supercheries du marketing qui empêchent le consommateur de comparer ce qui est véritablement comparable…

 

Notes :

(1) Terme utilisé par Pierre Rabhi et très apprécié dans les espaces écologiques, militants et résilients.

(2) La décroissance désigne ici une diminution économique des richesses, ayant comme principal objectif de baisser la consommation de biens ou de services dont la production est dangereuse pour l’environnement.

(3) EDF (Electricité de France) est le principal fournisseur d’énergie en France ; ayant grandi en France, j’ai cette référence en souvenir mais j’imagine qu’en Belgique cette expression existe également avec Engie, ou Electrabel.

(4) Expression française également qui fait référence au fait que le château de Versailles comporte une galerie composée d’une vingtaine d’énormes lustres…

(5) Myriam Bahaffou, Des paillettes sur le compost : écoféminisme au quotidien, Le passager clandestin, 2022.

(6) Jean-Baptiste Comby et Hadrien Malier. « Les classes populaires et l’enjeu écologique. Un rapport réaliste travaillé par des dynamiques statutaires diverses », Sociétés contemporaines, vol. 124, no. 4, 2021, pp. 37-66.

(7) Article de Bons plans écolos, « Quelles sont les catégories sociales qui consomment le plus de bio ? », 2019.

(8) Pour davantage de renseignements sur cette question, voir les études autour de la justice environnementale ou l’inégalité environnementale, particulièrement les travaux de Valérie Deldrève et, par exemple, l’article coécrit avec Jacqueline Candau : « Produire des inégalités environnementales justes ? », Sociologie, vol. 5, no. 3, 2014, pp. 255-269.

(9) Posséder un ordinateur, par exemple, pour faire ses déclarations officielles, pour consulter sa boîte mail ou encore pour les besoins d’enseignement des enfants est devenu un besoin presque essentiel.

(10) Que ce soit la rémunération, souvent injuste des producteurs et productrices, la répartition des gains via d’autres produits, les énormes quantités de production qui imposent parfois de brader ou encore les aides gouvernementales… Cette manière de vendre impacte et modifie énormément le prix des produits.

(11) Voir, par exemple, l’initiative du « réseau RADiS », en Belgique, ou le site des références des personnes labélisées – https://www.natureetprogres.org/lannuaire-des-professionnels/ -, en France.

(12) Par exemple, une tranche de pain de farine locale au levain, bien que plus chère lors de l’achat initial, sera nettement plus rassasiante. Le produit durera finalement plus longtemps dans le garde-manger…