Réseau RADiS, de la solidarité au cœur de la construction de filières bio et locales

Voici tout juste un an que le Réseau RADiS a vu le jour. Cette initiative portée par Nature & Progrès et la Fondation Cyrys a pour objectif d’encourager le développement de l’agriculture biologique et solidaire en région dinantaise. La participation est au cœur de ce projet très ambitieux. Levons le voile sur les premiers travaux du groupe « alimentation solidaire ».

Par Sylvie La Spina

Introduction

Le groupe thématique « alimentation solidaire » est constitué d’une trentaine de personnes : citoyens, producteurs et structures sociales actives dans la région dinantaise. Son ambition ? Assurer le caractère solidaire des filières mises en place dans le cadre du Réseau RADiS. La construction des filières alimentaires repose en général sur des critères techniques et économiques. La volonté de notre Réseau est d’assurer également la prise en compte sociale, pour une alimentation bio et locale accessible pour tous.

Dès début de cette année, afin de co-construire des bases de travail solides, le groupe « alimentation solidaire » s’est lancé dans la définition de ses bases de travail. Ces travaux préliminaires indispensables visent à s’accorder sur ce que les participants entendent par alimentation de qualité, solidarité, et à définir ce qu’ils souhaitent mettre en place, et comment. Voici le fruit de ces échanges.

Une alimentation de qualité accessible pour tous

Qu’est-ce qu’une alimentation de qualité ? Grâce à la construction participative d’un nuage de mots, nous avons souligné les besoins fondamentaux auxquels l’alimentation devrait répondre : des besoins nutritionnels – santé -, sociaux – partager un repas -, hédoniques – le plaisir de manger -, idéologiques – exprimer ses convictions, le bio et le local, par exemple – et culturels. Les facteurs qui peuvent limiter l’accès à cette alimentation ont aussi été identifiés. On pense en premier à l’argent – le prix – mais il s’agit aussi de tout ce qui est nécessaire pour faire ses courses, cuisiner, jardiner… Par exemple, le temps disponible, la capacité physique – santé -, l’estime de soi – motivation -, le savoir-faire – compétences, connaissances -, les infrastructures – cuisine, espaces de stockage, jardin… -, la mobilité ou encore l’accès à l’information – où trouver les produits bio et locaux que je recherche.

A travers un jeu de rôle, les participants du groupe se sont mis dans la peau de différents profils de personnes en situation fragile – famille monoparentale, pensionné isolé, étudiant, chômeur de longue durée… – et ont testé différents types de solutions – colis alimentaires, épicerie sociale, jardins partagés, création d’emploi… La conclusion de cet exercice fut la suivante : il existe une diversité de situations et aucune solution n’est universelle ! Cette complexité doit être prise en compte dans les travaux du groupe.

Mais qu’est-ce que la précarité ? Définie comme l’incertitude, pour une personne, de conserver ou de récupérer une situation acceptable dans un avenir proche, cette précarité peut prendre différentes formes : financière, sociale – isolement, exclusion… -, médicale – difficulté d’accès aux soins de santé… -, technologique – zones blanches… -, énergétique, liée à la mobilité… Pour la définition du terme « solidarité », par contre, le nuage de mots fut très explicite, avec une mise en avant de l’entraide, du soutien, de la coopération, du partage, de l’égalité, ensemble… La solidarité va donc bien plus loin que la question financière, il s’agit aussi de donner de la confiance et de l’estime de soi à des personnes vivant des moments de vie difficiles.

Des critères pour des actions solidaires

Une fois ces concepts posés, le groupe a travaillé sur la définition de critères permettant d’évaluer des pistes d’actions solidaires. Grâce à ces critères, il est alors possible de se positionner ensemble sur les idées d’actions, grâce à des valeurs communes. Sept critères ont ainsi été définis.

Les trois premiers permettent de qualifier la qualité sociale de l’action. Le caractère participatif – par opposition à une action paternaliste et « infantilisante » – assure l’implication des personnes dans la définition même et la mise en place des actions. Ne travaillons pas hors-sol ! A travers cette participation, on peut augmenter les chances d’obtenir une cohérence des actions et leur utilisation par les personnes fragiles. Le caractère inclusif – par opposition à tout ce qui est discriminant et stigmatisant – assure l’accès pour tous aux actions, assure que tous les publics puissent préalablement se sentir concernés. Enfin, le critère « renforcer l’autonomie » – par opposition à assistanat et palliatif – propose que les actions donnent toutes les clés pour retrouver confiance et estime de soi, et se sentir capable de se reprendre en mains.

Les critères suivants sont relatifs à l’impact – notamment en termes de nombre de personnes impliquées et de leurs diversités de situations -, à la pérennité de l’initiative et de ses actions – par opposition aux accès à durée limitée – et, enfin, à la durabilité écologique, économique et sociale de l’action. Le septième critère enfin balise les idées, dans le cadre du Réseau RADiS, soit la construction de filières bio et solidaires sur le territoire d’action défini. Voici maintenant le groupe armé pour évaluer, nuancer et valider des idées d’actions solidaires.

Quelle participation des personnes fragiles ?

Lors de cette même réunion, la question de la participation des publics fragiles a été soulevée. Allons-nous les inviter aux travaux de notre groupe thématique, à nos réunions ? Pourrons-nous assurer cette mixité, sommes-nous capables de travailler en direct avec des personnes en situation précaire ? Ne se sentant pas compétents pour gérer une telle mixité et ses difficultés potentielles, les participants du groupe ont opté pour une représentation indirecte des publics-cibles, notamment via les acteurs sociaux du territoire. Ces derniers travaillent au quotidien avec les personnes concernées, et peuvent donner un avis éclairé sur les idées d’action et, en parallèle, impliquer leurs publics dans le Réseau RADiS. Certains de ces acteurs ont même rejoint le groupe, dès son démarrage, avec une motivation enthousiasmante.

Mais qui est donc notre public-cible ? Allons-nous nous focaliser sur certaines formes de précarité ? Le groupe préfère rester très ouvert et agir avec le plus grand nombre, tout en ayant une attention particulière pour différents publics. En fonction de leurs affinités, les citoyens et les producteurs ont identifié des publics pour lesquels ils peuvent porter une attention particulière. Béatrice, productrice de fraises, choisit entre autres les personnes handicapées, ayant une expérience familiale, Jean, maraîcher, choisit également les personnes pensionnées, étant souvent en contact avec elles, Olivier, représentant les Îles de Paix, choisit aussi entre autres les personnes réfugiées et les jeunes…

Le témoignage d’Aliz, notre stagiaire

Aliz, stagiaire du Réseau RADiS entre avril et juillet, a identifié et contacté les quelques deux cent cinquante acteurs sociaux actifs sur le territoire dinantais. Grâce à de nombreux contacts et à des interviews, elle a pu réaliser un diagnostic social du territoire, et motiver de nombreux acteurs à rejoindre la dynamique du Réseau.

« Les entretiens que j’ai eu l’occasion de réaliser m’ont permis de mieux comprendre le contexte territorial et social dans lequel s’inscrit le réseau RADiS et de me rendre compte de certaines réalités sur un territoire assez contrasté.

Pour commencer, les acteurs et actrices semblent s’accorder sur le fait qu’il est essentiel de travailler sur l’alimentation car « […] c’est la base, tout le monde mange et cela a beaucoup d’implications dans tous les aspects de la vie (travail, environnement, …) » – Delphine Claes, directrice du CPAS de Dinant. L’alimentation est donc une thématique qui revient dans beaucoup de projets. Mais c’est également un sujet à traiter avec beaucoup de délicatesse car « Le rapport à la nourriture c’est de l’intime […] » – Virginie Want directrice de l’AMO Globul’in, service d’Action aux jeunes en Milieu Ouvert. S’intéresser à l’alimentation d’une personne c’est donc toucher à sa vie intime, c’est rentrer chez elle.

Tous les entretiens se rejoignent également sur le fait que la mobilité est un enjeu important pour le territoire rural sur lequel est implanté le réseau RADiS. Un enjeu qui, lui aussi, influencera de nombreux aspects de la vie quotidienne en limitant l’accès à de nombreux services pour certaines personnes : «[…] pour tous les projets c’est vraiment quelque chose de très important, on ne peut pas penser un projet sans penser mobilité sinon forcément on exclut toute une partie de la population » – Monique Couillard-De Smedt, membre du groupe local Pays des Vallées d’ATD Quart Monde Wallonie-Bruxelles. Bien conscientes de ce problème, les communes ont développé des solutions pour renforcer la mobilité, en se reposant notamment sur des services d’aides bénévoles. Cependant, des difficultés persistent : « Il faut se préparer 48h à l’avance, il faut pouvoir sortir les sous, il faut qu’il y ait un bénévole disponible et puis pas le soir, pas le week-end, et puis pour certains, les raisons sont bien définies » – Monique Couillard-De Smedt.

Plusieurs structures ont également souligné l’intérêt de créer des lieux conviviaux d’échange et de partage « […] ils viennent surtout pour la compagnie, il s’agit surtout d’un lieu de rencontre, ce sont beaucoup des gens qui souffrent de la solitude » – Thérèse de Biourge, bénévole au Bar à Soupe de Dinant. Mais ils ont également fait remarquer l’importance de redonner confiance aux personnes en montrant qu’elles sont capables : « […] quand tu vis la honte dans tout ton milieu depuis l’enfance, tu as intégré que t’es nul et coupable. Donc il faut que les personnes exclues puissent changer leur propre vision des choses et il faut faire changer la vision des autres. Parce qu’à partir du moment où ceux-ci se disent « ce ne sont pas des nuls, ce sont des gens intéressants qui peuvent donner beaucoup à la société », il y a plein de possibilités qui s’ouvrent » – Monique Couillard-De Smedt.

Pour finir, la solidarité concerne tout un chacun et elle devrait, dans l’idéal, aller dans les deux sens : « […] que tout le monde soit sur le même pied. On le fait ensemble pour tout le monde, par tous pour tous » – Sandrine De Vreese, coordinatrice de la cellule de Dinant de l’asbl Article 27. Le réseau a donc choisi de travailler avec le plus grand nombre de personnes et de réalités différentes tout en portant une attention particulière aux plus fragiles car comme le souligne Monique Couillard-De Smedt : « Quand tu veilles à ce que ceux qui ont le plus de difficultés aient leur place, c’est tout à fait possible que les autres l’aient aussi, tandis que le contraire n’est pas vrai. »

Néanmoins, le travail en direct avec certaines personnes en difficulté n’est pas toujours facile et demande certaines compétences spécifiques en termes de techniques d’animation : « l’animation ça va, mais pas de trop, il y a plein de mots qu’il ne faut pas dire, leur demander leur avis ça ils aiment bien, ça fonctionne… » – Christine Longrée, administratrice déléguée et responsable pédagogique de l’asbl Dominos LA FONTAINE. C’est pourquoi le réseau a opté dans un premier temps pour une participation indirecte en passant par les structures sociales sur les six communes. »

Tous ces éléments sont – ou devront – être pris en compte lors de la définition des actions par le groupe thématique « alimentation solidaire » afin que ces dernières correspondent au maximum aux situations vécues au sein du territoire. Et comme l’explique Christine Longrée, « C’est peut-être l’occasion, c’est une innovation ce réseau RADiS qui se met en place, de trouver des moyens pour pouvoir créer du plaisir dans le travail et d’avoir une approche différente. »

Première définition des actions du groupe

Les idées d’actions furent définies lors de la troisième réunion du groupe « alimentation solidaire », début juin. Elles sont pour le moment au nombre de trois. Dans le cadre du développement de la filière fruits et légumes bio, le groupe a choisi de travailler sur l’accueil social à la ferme. Ce concept vise à permettre à des personnes en situation difficile de passer du temps en ferme, en compagnie d’un producteur, pour changer d’air, découvrir autre chose, se ressourcer au contact des cultures et des animaux, découvrir et partager le quotidien et les travaux du producteur, échanger avec lui… Une structure sociale partenaire est impliquée pour assurer le bon fonctionnement de cet accueil.

Pour la filière céréales alimentaire bio, l’idée d’un four à pain mobile a soulevé l’enthousiasme de chacun. En plus d’être un outil de sensibilisation à la bonne farine – notamment notre future farine bio et locale des producteurs du Réseau RADiS, dès cet automne – et à la fabrication du pain, le four à pain mobile va à la rencontre des personnes et joue le rôle de créateur de liens. Un outil similaire, mis en place par le GAL Jesuishesbignon, est source d’inspiration… Et nous avons appris également qu’un four à pain mobile en dormance est présent sur le territoire !

Enfin, afin de renforcer les liens entre producteurs et citoyens, il a été décidé d’améliorer le référencement des producteurs bio du territoire et d’en assurer une bonne diffusion, afin que chacun puisse rentrer en contact avec eux et échanger sur leur travail et leurs productions… A suivre !

Pour aller plus loin…
https://www.reseau-radis.be/accueil/les-groupes-thematiques/alimentation-solidaire/

Citoyenneté alimentaire : un monde meilleur !

Bien sûr, il est toujours loisible, même en bio, de manger en dépit du bon sens, d’outre-manger, de « mal manger » dans le mépris total de ce que recommande la faculté… Cependant, même si le consommateur intègre à son assiette les équilibres et l’hygiène indispensables à sa bonne santé, rien ne lui garantit que son alimentation remplisse tous les critères de la qualité optimale qu’il souhaite. En cause : des méthodes industrielles mues davantage par la logique du profit que par le souci de nourrir, au mieux de leurs possibilités, l’humain qui a placé en elles sa confiance…

Par Dominique Parizel

nouveaux ogm non à la déréglementation
Introduction

Mais pourquoi les normes savamment mises en place pour l’agro-industrie ne servent-elles jamais de manière prioritaire à la fabrication de denrées de qualité ? Tout simplement parce que l’usine à bouffe est avant tout une machine à fabriquer de l’argent. Toute forme de qualité, tout coût excédentaire au-delà de ce qu’exige simplement la norme en vigueur correspond forcément, à ses yeux, à une dépense inutile. La norme qui la guide n’a donc aucune utilité d’ordre qualitatif ou sanitaire ; elle fixe seulement le niveau de qualité suffisant pour que le consommateur rassuré par la publicité continue d’acheter massivement. Et pour que se remplissent ainsi les coffres-forts des mastodontes transnationaux qui sont à la manœuvre…

Que sait encore le consommateur de la qualité de ce qu'il mange ?

Toute publicité autour d’un produit alimentaire d’origine industrielle trompe délibérément le consommateur dans la mesure où elle cherche systématiquement à en faire une sorte d’ambroisie destinée à une clientèle d’exception, le parant pour ce faire de valeurs affectives et symboliques qui lui épargnent tout simplement d’évoquer sa véritable nature, sa véritable identité. Et d’avoir à risquer, par conséquent, des mensonges encore plus graves à son sujet… Aussi énorme soit la ficelle, elle marche interminablement, incroyablement. La publicité se mue ainsi en une providentielle mine d’or pour tous les annonceurs du monde et peu importe finalement la matérialité, la réalité de ce qu’on donne à ingérer aux clients : l’impact colossal du discours publicitaire – consommer plus pour être plus heureux ! – supplante, et de très loin, la médiocrité nutritionnelle du produit. Ainsi la « marque de soda la plus célèbre au monde » prétend-elle faire sortir le Père Noël de sa manufacture à jouets dès que circulent de grands camions rouges garnis de guirlandes colorées. Sous d’autres cieux et en d’autres saisons, elle sublime la goutte de fraîcheur providentielle perlant sur ses petites bouteilles à taille de guêpe et qui serait tout aussi attirante que à la sueur tombant du muscle ambré d’un beau livreur… Elle nous fait aujourd’hui danser cocassement ou nous destine, en un seul clip, tout l’art du monde pourvu qu’on y repère sa marque d’universelle panacée, à l’image du Sirop Typhon de l’ancien et prophétique succès de Richard Anthony, quelque part autour de 1969… Elle évite ainsi tout questionnement superflu sur la composition du liquide noirâtre dont elle pollue le monde et fait passer pour un sommet de qualité gustative ce qui n’est au fond qu’un vieux remède archi-édulcoré de rebouteux d’arrière-boutique. Le monde entier prend des vessies pour des lanternes mais c’est exactement le but recherché dès lors que l’idéologie publicitaire relègue aux oubliettes tout souci d’ordre alimentaire. Qu’une pandémie d’obésité soit à la clé, cet universel pourvoyeur de bonheur et de respect n’en a cure : le marchand d’armes n’est jamais responsable des carnages que provoquent ses fusils mais seuls ceux et celles qui en pressent la gâchette… Ou qui dégoupillent la canette !

Parfois conscient qu’on le manipule à outrance, le consommateur certes s’organise mais ses « organisations de consommateurs », ne pouvant agir qu’à la marge d’un système globalement vicieux, n’en corrigent jamais que l’un ou l’autre os qu’on leur laisse fort opportunément à ronger…

Nos repas quotidiens ne peuvent plus nous mentir

La grande distribution n’est pas épargnée par cette logique. Sa puissance logistique et l’omniprésence de sa communication semblent d’insurpassables promesses de notoriété pour n’importe quel produit qu’elle consent à diffuser. Son organisation complexe s’applique principalement à des denrées « chosifiées » dont on emplit à ras bord les caddies : emballages en tous genres dont on peut comparer la taille, le prix et la durée de vie, voire un certain niveau qualitatif à condition qu’ils se plient à une batterie de critères que personne ne comprend et dont tout le monde, d’ailleurs, se fiche éperdument… La confiance qu’on fait à la grande distribution est à la mesure de l’esbrouffe qu’elle jette à la tête du chaland mais, plus le temps passe, plus le maquillage du vieux clown se fissure et plus ce qui semblait magique se banalise. L’artifice – et même une certaine mocheté du quotidien – sautent soudain aux yeux de tous…

Que s’est-il passé ? Être touché par la grâce de la grande distribution a un coût qui se répercute souvent sur la production, qu’elle écrase sous son incurable obsession d’écraser les prix ! Son organisation, complexe et onéreuse, requiert volumes, délais et marges budgétaires non négligeables… Comme le « noir soda du bonheur » que nous évoquions ci-avant, elle exhibe toujours plus d’images de marques et toujours moins de qualités intrinsèques. Quand le consommateur se soucie de fraîcheur et de proximité, elle ne répond que conservation et centrales d’achats. Et il devient trop évident qu’une grande mécanique aussi sophistiquée est inadaptée à nos besoins nouveaux. D’une universelle promesse de bonheur par l’outre-consommation, le consommateur moderne n’en veut plus. Il désire juste un peu de la confiance perdue. En parlant tranquillement avec le fermier et l’artisan de son coin…

Nos emplettes quotidiennes sont devenues incroyablement fastidieuses. Les paradis de la consommation, naguère si riants, se sont mués en traquenards pour notre portefeuille car, si les coûts restent modiques, les sollicitations y sont sans limites. Notre intégrité mentale y est à tout instant menacée par une ingénierie commerciale dont nous ne tolérons plus d’être les dupes. Nous éprouvons un irrépressible besoin de vérité et les insupportables tours de passe-passe d’un marketing abuseur nous sautent aux yeux et nous harcèlent. Bien sûr, tous les produits n’y ont pas les mêmes budgets promotionnels pharaoniques que la boisson noire ci-devant évoquée. Mais tous cultivent la même et invraisemblable ambition de n’être qu’une référence standardisée, dûment formattée, individualisée puis exposée au regard d’un maximum d’acheteurs potentiels. Il faut être vu, être connu, être vendu ; il faut qu’à ce lot succède un autre lot, que gonfle inlassablement le chiffre d’affaires et qu’on produise ainsi à l’infini pour que ruissèlent des cascades d’or fin sur le consommateur grisé par ce tourbillon de boîtes, de canettes et de bidons… On l’aura compris : ce modèle consumériste ne nous correspond plus. Face à la succession des crises et aux limites physiques de notre monde, le vertige et l’ivresse ont vécu ! Nous voulons passer à autre chose. Revenir dans la réalité…

La qualité, et rien d'autre

Nous sommes ce que nous mangeons ! Nous exigeons donc logiquement de pouvoir disposer de la certitude que ce que nous mangeons est bon, selon des critères qui nous appartiennent et qui ne peuvent nous être imposés contre notre gré. Rien de plus, rien de moins. Il s’agit, à nos yeux, d’un droit inaliénable de la personne et nul ne doit disposer du pouvoir de nous ôter ce droit ou de le rendre inapplicable. Mais un besoin, un désir si puissant est également contraignant car il impose à chacun d’entre nous, pour continuer de le revendiquer, de se comporter en citoyen responsable plutôt qu’en consommateur passif qui accepte sans ciller les pratiques contestables de ses fournisseurs industriels. Mais sans doute nombre d’entre nous le font-ils parce qu’ils sont objectivement forcés de se fournir, près de chez eux, à très bas prix, les inégalités croissantes constituant un levier toujours plus important dont joue habilement une partie en développement constant de la grande distribution ? Les « épiceries sociales » elles-mêmes – dont chacun s’accorde évidemment à louer l’action généreuse – ne peuvent d’ailleurs exister que par les surplus abondants de denrées industrielles. Mais peut-on s’accommoder aussi aisément d’un système alimentaire générant la charité pour les dépossédés, en même temps que l’iniquité qui les dépossède ? Sans qu’il s’agisse d’une question foncièrement différente de celle que nous traitons ici, ce grave problème est trop vaste pour être développé plus avant. Précisons toutefois que Nature & Progrès s’efforce – notamment grâce à la mise en place du Réseau RADiS – d’ébaucher des réponses à cette terrible question, en tablant davantage sur une redynamisation locale du « capital social »…

La capacité du citoyen à revendiquer une alimentation de qualité passe immanquablement par un « retour aux sources », une redécouverte du monde de la production et de la transformation, une considération nouvelle à l’égard du monde agricole qui dépasse de très loin l’agro-tourisme ou la ferme didactique… Il ne s’agit pas seulement, non plus, d’une simple « revalorisation » de pratiques professionnelles mais, bien plus, qu’une compréhension profonde et partagée, entre producteurs et consommateurs, des réalités incontournables qui permettent l’obtention et la transformation adéquate de produits agricoles optimaux : respect de la terre et des animaux, conditions de fonctionnement des fermes, transparence des méthodes, etc. Mais cette compréhension touche surtout au respect humain que se doivent les uns et les autres, rien n’étant jamais envisageable sans ouverture et sans confiance, sans acceptation surtout d’un « juste prix » qui ne leurre pas le consommateur mais qui rémunère aussi le producteur de manière équitable, à l’égal de n’importe quel travailleur au sein de notre société. Ce cadre général de reconnaissance est le sens même de la « charte éthique », mise en place par Nature & Progrès, qui intervient en complément de la certification bio classique. Elle s’appuie sur un Système Participatif de Garantie (SPG) – qui associe producteurs, consommateurs et professionnels de l’association – dont le but est d’offrir, aux producteurs, un encadrement dans les domaines où une marge de progression est identifiée d’un commun accord…

Enfin, le couplage, au sein même de l’association, de cette charte éthique avec une démarche globale de « Citoyenneté active » – on dit plus usuellement d' »Education permanente » – est de nature à renforcer la prise de conscience – et de confiance ! – des différents publics concernés avec le contenu de leurs assiettes. Si certaines formes de « citoyenneté passive » peuvent sans doute être déplorées dans d’autres matières qu’investit l' »Education permanente », gageons que la rupture, dans le cadre du système alimentaire qui est le nôtre, avec l’agriculture industrielle productiviste et la grande distribution classique est déjà, à l’heure qu’il est, un gage important d’activité citoyenne. Le cadre global d’approvisionnement que Nature & Progrès s’efforce de définir et de mettre en place rencontre ainsi pleinement la demande croissante de ceux que nous éviterons désormais de qualifier de simples « consommateurs » d’une nouvelle forme de citoyenneté alimentaire.

Citoyenneté alimentaire ?

La pleine conscience de ce que nous ingérons quotidiennement fait de nous des gens meilleurs, moins inquiets et certainement, par conséquent, moins malades et plus heureux. Cette pleine conscience ne peut cependant s’envisager que par le plein exercice de nos droits et devoirs de citoyens à l’égard des processus complexes qui nous nourrissent et des gens qui, dans ce cadre, travaillent à nous satisfaire. Rien à voir avec l’accumulation de « produits » dans un caddie, toujours suivie d’un passage à la caisse…

Au système traditionnel « produits standardisés + marketing », nous cherchons aujourd’hui à substituer un système « producteurs (et transformateurs) responsables + citoyenneté active ». La connaissance approfondie de la réalité agricole et du travail de ses produits, couplée à une démarche citoyenne sur les dérives du système alimentaire actuel, permettra l’émergence de la citoyenneté alimentaire que nous appelons de nos vœux. Ce ne sera pas une révolution sanglante mais seulement la reprise en main du contenu des assiettes par celles et ceux qui finalement les mangent ! Quoi de plus simple et quoi de plus normal ? Quoi de plus élémentaire que d’exercer le droit de manger ce qui nous épanouit, plutôt que ce qui torture les corps et les inféodent à la grande finance transnationale ? Ce qui nous avilit, au fond, faute de nous convenir vraiment et qui nous empêche finalement d’être vraiment heureux… Evidemment, il y aurait, à cela, quelques menues conséquences « collatérales » car la citoyenneté alimentaire n’a aucun besoin de publicité, aucun besoin de marketing, aucun besoin des vaines promesses d’un monde meilleur… Car la citoyenneté alimentaire serait un monde meilleur !

La certification : un enjeu essentiel pour le bio

Depuis le 28 avril, Certisys, leader belge de la certification bio, a rejoint le groupe Ecocert, présent dans cent trente pays à travers le monde… La direction de Certisys est désormais confiée à Franck Brasseur qui avait intégré l’équipe en 2018. Il sera accompagné, pendant une période de transition de quelques mois, par Blaise Hommelen qui fut à l’origine du mouvement bio belge. Et le fondateur historique de l’entreprise, en 1991 ! Une occasion unique de rendre hommage à ce vieux militant de la cause biologique…

Propos recueillis par Dominique Parizel et Marc Fichers

Logo Certisys
Introduction

Lui rendre hommage bien sûr, pour sa brillante carrière qui passa jadis par Nature & Progrès, mais surtout brosser avec lui un rapide aperçu des nouvelles réalités qui questionnent, au présent, la certification bio. De nouveaux acteurs arrivent dans le bio, sans connaître nécessairement les valeurs qui le fondent et qu’il défend avec vigueur, depuis plusieurs décennies déjà. A l’image de Certisys dont l’intégration au groupe Ecocert lui permet une expansion nouvelle, tout en gardant son identité propre, c’est tout un secteur qui passe progressivement le flambeau à la génération montante. Même si, aux yeux du consommateur, rien ne change évidemment… L’occasion rêvée pour demander l’avis de Blaise Hommelen à ce sujet, et faire le point sur les principaux points d’attention, les nouveaux défis que devra relever le secteur tout entier. Chut, écoutons-le parler…

« Personne n’est éternel, constate lucidement Blaise Hommelen, et il faut pouvoir envisager de nouveaux relais. Mon entreprise fut toujours très liée au local, tout en développant une envergure internationale. Certisys, dans ce contexte, fait face à de gros groupes et doit pouvoir être suffisant fort pour mener à bien sa mission. Fort d’un point de vue technique, juridique, financier et tout cela en toute indépendance, en toute impartialité, en se gardant de tout greenwashing. Travailler avec le groupe Ecocert, c’est donc se renforcer et se mettre en capacité d’offrir un meilleur service… Il faut bien sûr distinguer clairement la réglementation du bio et ce qu’est réellement le bio. IFOAM – l’association internationale de l’agriculture biologique – se définit comme un mouvement : d’une part, cela concerne des personnes et, d’autre part, cela n’arrête pas d’évoluer. Il y a, d’une part, les agriculteurs, les producteurs, ceux qui pratiquent effectivement l’agriculture biologique sur le terrain et, d’autre part, il y a les consommateurs. Ces deux courants ont déterminé conjointement l’évolution historique du secteur… »

S'adapter à une demande toujours plus forte du consommateur

« La bio est née de la rencontre de ces deux courants, poursuit Blaise Hommelen, celui des producteurs et celui des consommateurs. Etant agronome de formation, je suis rentré dans le système par une approche agronomique, par la rencontre d’agriculteurs qui pratiquaient l’agriculture biologique. Le consommateur, quant à lui, exprime une attente et cette attente évolue dans le temps. Le producteur et les techniques qu’il met en œuvre évoluent également mais en restant toujours fidèles au concept d’agriculture durable de départ, qui est vraiment un excellent concept. J’ai donc pu observer l’évolution de l’attente du consommateur par rapport à ce qui se passait au niveau de l’agriculture conventionnelle en général, mais aussi par rapport à sa propre demande qui est progressivement devenue très importante. Avec les différents scandales alimentaires, ce poids croissant de la demande du consommateur – qui correspondait à une prise de conscience nouvelle – est apparue comme un fait tout-à-fait nouveau. En plus de l’intérêt que je portais déjà à l’agriculture biologique, en tant qu’agronome, est apparu le défi de la garantie du produit biologique destiné à ce consommateur nouveau. Au-delà des aspects purement techniques inhérents à la pratique de l’agriculture biologique, la mission qui nous était assignée de garantir la qualité biologique au consommateur prenait, elle aussi, une importance nouvelle. Mais comment s’y prendre pour rencontrer son attente, toujours plus forte, en donnant au consommateur la certitude que le produit bio acheté est bien celui qu’il avait espéré ? Un produit sans résidus, sans OGM… Le consommateur demande – en se le formulant à lui-même de manière parfois assez floue – un produit parfaitement naturel et absolument sans danger.

Or, au début, nous avions tout simplement affaire à quelques producteurs bio qui voulaient juste écouler leur production biologique, et nous partions uniquement de leurs pratiques agricoles. Eux cherchaient uniquement à se différencier sur le marché et à valoriser leur dénomination, par rapport à la spécificité de leur démarche d’agriculteurs. Le courant des consommateurs est alors venu se joindre à cette démarche mais en y plaçant une exigence toujours plus forte. En tant que certificateurs, nous nous focalisions, quant à nous, sur la façon dont les agriculteurs désherbent, fertilisent ou alimentent les animaux, comment ils s’y prennent pour que les vaches ne soient pas malades… Tout cela, en fonction des bases agronomiques de l’agriculture biologique. Mais aujourd’hui, les enjeux des OGM, des pesticides, des additifs, des nanotechnologies, etc. mettent toujours une pression plus intense sur la responsabilité de garantie que le consommateur attend de notre part. »

Obligation de résultat, ou obligation de moyens ?

« Une autre évolution capitale à mes yeux, explique Blaise Hommelen, réside dans le fait que l’agriculture biologique a été étendue à la transformation des produits biologiques. Cette évolution n’avait rien d’une évidence, vers 1980, lorsqu’on parlait encore d’agriculture « dite biologique ». Il ne s’agissait que d’agriculture stricto sensu – le règlement ne parlait alors que de cela – et nous avons dû batailler afin d’obtenir également la couverture sur les produits transformés. Il faut aujourd’hui rester extrêmement vigilants sur les normes de transformation car rien ne définit spécifiquement une transformation de produits biologiques. Quelles sont les méthodes ? Quels sont les critères ? Qu’est-ce qui nous guide ? Qu’est-ce qui nous motive ? Personne ne sait exactement : les techniques de transformation sont une chose, la composition des produits utilisés en est une autre. L’industrie agroalimentaire veut des produits raffinés, des produits purifiés aptes à être travaillés, par elle, techniquement. Ceci est totalement antagoniste avec nos idées bio, puisque nous voulons des produits bruts qui conservent et respectent le mieux possible la matière première. Au niveau des huiles, nous travaillons, par exemple, avec des huiles de pression mais pas d’extraction, ni d’hydrogénation, etc. Nous nous battons donc pour éviter que des techniques telles que les systèmes à échangeur d’ions soient refusés en transformation biologique. Le règlement définit, plus ou moins, une certaine approche. Et on peut légitimement se demander à quoi servirait de mettre en place une garantie stricte chez l’agriculteur, si cette garantie n’existe pas jusqu’à l’assiette du consommateur final ? Raison pour laquelle tout produit bio doit également être garanti sur l’ensemble de la filière, en incluant toute la chaîne distribution. Pour les distributeurs, c’est une chose nouvelle et ils ne comprennent pas toujours pourquoi il est indispensable qu’ils soient également sous contrôle. S’ajoutent à cela les questions relatives à la restauration collective, au catering, etc.

Redisons-le : au niveau de notre mission, nous étions simplement partis de la production, des producteurs qui sont au commencement de la filière… Pour englober maintenant l’ensemble de la filière jusqu’à l’assiette du consommateur dont les exigences n’ont cessé de se renforcer, en mettant toujours plus de pression sur le contrôle. Nous avons toujours été bien conscients de cela, au niveau belge, et le secteur a toujours demandé aux organismes de contrôle d’avoir des fréquences suffisantes de présence sur le terrain mais également d’assurer une obligation de résultat, alors que l’agriculture biologique ne se définit que par les pratiques qu’elle met en œuvre et n’a donc qu’une obligation de moyens. Mais le fait est pourtant que nous ne considérons pas comme possible que nos produits soient pollués, par des pesticides ou par autre chose. Voilà encore un nouvel enjeu, et il est de taille… »

Fidélité aux principes de base

« Le Règlement européen pour lequel nous nous sommes longuement battus, se souvient Blaise Hommelen, avait pour but d’obtenir une reconnaissance officielle et de protéger ainsi l’appellation biologique. Il n’est aucunement une fin en soi ! L’agriculture biologique doit être très attentive à ses racines, tant au niveau des producteurs et des transformateurs qu’au niveau des consommateurs. Les différents acteurs du bio se sont professionnalisés, avec l’adoption de ce Règlement européen, mais il ne s’agit nullement, pour nous organisme de contrôle – comme certains aiment parfois le prétendre -, de nous borner à réglementer l’achat de fraises bio en Espagne… Il s’agit, avant tout, de travailler à la pérennité d’une agriculture durable qui participe de l’agroécologie. Nous devons absolument conserver cet objectif, cette ambition… Or la réglementation évolue sans cesse et c’est pourquoi les organisations citoyennes sont très importantes, au sein du monde bio, afin de garder le cap que nous nous sommes fixés, de garder les pieds sur terre, de conserver nos racines. Une certaine dilution du bio semble, bien sûr, inévitable dès lors qu’on veut en développer le marché ; un pôle associatif fort doit donc absolument veiller à la sauvegarde des principes de base qui lui ont permis d’exister. Ainsi certains producteurs, arrivés par le seul attrait des primes bio, deviennent-ils parfois d’authentiques puristes. Et la très grande majorité des agriculteurs qui ont fait le pas vers le bio sont, à présent, très heureux de l’avoir fait et regrettent même souvent de ne pas l’avoir fait plus rapidement. Les opportunistes du bio le sont rarement de père en fils, et le fils fera, le cas échéant, la prise de conscience que n’avait jamais pu faire le père…

En tant qu’organisme de contrôle, nous devons bien connaître les règles du bio, bien les expliquer et bien les appliquer. Je suis donc partisan d’un contrôle préventif, je suis pour une présence continue. Il ne s’agit pas de tomber n’importe comment sur le dos de n’importe qui. Il faut bien sûr être suffisamment costaud pour lutter contre les fraudes possibles. Mais rester étroitement relié au secteur bio me tient énormément à cœur. Or il est aujourd’hui possible qu’un organisme de contrôle se borne à contrôler un cahier de charges, en étant en déconnexion totale par rapport au secteur concerné. Nous donnons donc, chez Certisys, un rôle très important à notre comité consultatif – l’évolution de l’ancienne COMAC (Commission mixte d’Agrément et de contrôle) – qui est un lieu de rencontre et d’échanges entre les professionnels, les consommateurs et les autorités, dans le cadre d’une garantie participative. Nous constatons que, bien qu’il y ait toujours davantage de bio, le secteur associatif y est, à certains égards, moins actif. Alors que le politique a démantelé la plateforme Bioforum Wallonie, il n’existe plus de véritable coordination du secteur. Or, en bio, c’est tout le monde qui discute, tout le temps, c’est un vrai mouvement de société qui est à l’œuvre où tout le monde a voix au chapitre en permanence. Et c’est peut-être ce qui fait toute la différence ! Cette importante dimension citoyenne doit rester à l’initiative des évolutions du secteur, qui ne doivent pas venir seulement de l’administration ou de l’Europe. Certisys estime donc que la bonne application des règles dépend aussi de la capacité de pouvoir consulter facilement le secteur. La problématique des élevages de volailles montre bien que nous sommes constamment aux prises avec des limites ; il est donc stratégiquement indispensable de savoir ce que veulent, dans leur ensemble, les gens qui font le bio au quotidien… »

Toujours davantage de missions

« Depuis une dizaine d’années, dit Blaise Hommelen, les organismes de contrôle sont également considérés comme des collecteurs de données. Or notre premier métier est de voir comment les règles bio évoluent, de bien les communiquer en direction des opérateurs et de veiller à leur bonne application. Maintenant, on nous oblige à collecter et à organiser toutes ces données, que ce soit pour la problématique des primes bio ou pour les statistiques qui sont certes nécessaires, tant au niveau belge qu’européen, pour le développement des filières ou la localisation des matières premières… Nous avons donc été obligés d’investir énormément dans les systèmes informatiques pour encoder, exploiter, stocker et transférer ces données. Mais nous devons veiller, d’autre part, à leur fiabilité et il nous incombe donc de tout vérifier dans le détail, ce qui est un authentique travail de fourmis. Ce boulot colossal occupe cinq personnes, à plein temps, chez Certisys et nous met une pression importante… Bien sûr, ces connaissances aident aussi le secteur à mieux se connaître lui-même mais peut-être des relais devraient-ils être pris par d’autres, au-delà de la simple collecte d’informations, afin d’en penser plus adéquatement le développement global ?

Certisys est avant tout une entreprise de service, répétons-le. Nous engageons de nombreuses personnes, en nous rendant compte à quel point il est indispensable de les former adéquatement aux spécificités du bio. Le plan de formation que nous appliquons est donc fondamental, à nos yeux. Je regrette vraiment de ne pas emmener suffisamment ces nouveaux engagés à la rencontre de pionniers du bio, afin de leur poser simplement ces deux questions : qu’est-ce que le bio à leurs yeux, et qu’est-ce qu’ils attendent vraiment de Certisys ? Tout notre personnel doit absolument se confronter à ces deux questions. On n’apprend malheureusement pas ce qu’est le vrai bio à l’école d’agriculture… »
Plus d’infos : www.certisys.eu

« Mes aliments ont un visage », vingt ans de campagne, cinquante ans de convictions

Au-delà de simples consommateurs de produits sur des étalages, les partisans et partisanes de Nature & Progrès sont surtout de réels soutiens aux femmes et hommes artisan.ne.s de leur alimentation. En 2001, la campagne « Mes aliments ont un visage » de Nature & Progrès concrétisait l’intention de mettre ce lien au centre de la réflexion. Vingt ans après, la nécessité de nous connecter aux maillons de notre alimentation est toujours bien présente…

Par Mathilde Roda

Est-il encore nécessaire de rappeler que Nature & Progrès puise son origine dans le rassemblement de citoyens, d’agriculteurs, d’agronomes, liés par une vision commune de ce que devrait être l’agriculture productrice de leur alimentation ? Depuis près de cinquante ans, cette interconnexion, ce lien privilégié entre consommateurs et producteurs, anime toutes les actions de l’association.

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A chaque crise sa solution

C’est à la suite d’une ennième crise du secteur alimentaire industriel – voir l’encadré ci-dessous – qu’est née l’idée de ce message : « Mes aliments ont un visage » ! Cinq mots qui résument notre philosophie, qui ramènent à l’essentiel : derrière chaque aliment, il y a une productrice, un producteur, une transformatrice, un transformateur. Du moins, il devrait y en avoir ! Et c’est ce que nous prônons, chez Nature & Progrès. « Nul n’a le droit, pensons-nous, de limiter l’aliment à un simple bien commercial. Le producteur ne saurait être vu comme un simple fournisseur d’ingrédients ; le consommateur n’est pas davantage un vulgaire acteur économique, un acheteur d’aliments« , indiquait la campagne de 2001. Et aujourd’hui, nous tenons à réitérer cet appel !

Car trop nombreuses sont les crises alimentaires qui nous pendent encore au nez ! Le secteur industriel a de plus en plus la mainmise sur notre alimentation, même en bio. Les débats sont rudes pour tenir le cap. Quand on parle de valeurs, on nous répond « loi du marché ». Comment faire valoir la parole des agriculteurs quand ceux-ci sont réduits à de simples fournisseurs de matières premières ? Comment aider au développement des transformateurs qui veulent valoriser les productions wallonnes quand on les met en concurrence avec des industries peu regardantes sur la provenance des denrées utilisées ? Sous couvert de développement de filières, on continue finalement de soutenir le même modèle agricole productiviste. Au pays du bas prix, le rendement est roi ! Et le risque pour le consommateur reste le même…

Pour nous, c’est un fait : nombres des dérives dans le secteur agroalimentaire seraient évitables si nos aliments transitaient le plus directement possible du lieu de production vers nos cuisines. Et s’il ne fallait qu’un seul geste pour qu’ils passent de la main du producteur ou du transformateur vers celle du consommateur ? Et si, ainsi, nous pouvions nous réapproprier notre droit de manger sainement, en soutenant ceux qui travaillent en ce sens ?

Bien plus qu’une campagne de communication

Il y a vingt ans, nous vous interpellions. « Acheter bio, c’est une chose. Mais, pour faire de votre aliment un outil formidable de développement humain, économique et environnemental, il convient que cet achat concerne des produits locaux, des produits proches des hommes, dont la culture aura un impact positif sur leur lieu et leurs conditions de vie. » Et vingt après, notre position n’a pas changé. C’est dans l’ADN de Nature & Progrès de revendiquer que nos aliments aient un visage ! Les initiatives de regroupement en circuit-court qui essaiment, ces dernières années, soufflent un vent d’espoir et montrent que notre message est porteur. Il est d’ailleurs marquant de voir que ce sont toujours des producteurs bio de Nature & Progrès qui en sont les figures de proue.

Mais finalement, notre modèle alimentaire a peu évolué depuis l’après-guerre. Il suffit de déambuler dans les allées des grandes surfaces, qui restent le canal principal d’achat du bio – 39% des parts de marché en 2019 -, pour voir que le changement tant attendu ne s’est pas réellement opéré. Si les productions bio wallonnes gagnent du terrain dans les étalages, celles-ci restent anonymes. Certes, des visages, on nous en sert : ceux des mannequins qui posent en salopette, fourche à la main, sur des affichages publicitaires trompeurs. Qu’on se le dise, dans les grandes surfaces, les aliments n’ont pas de visage.  La situation reste donc majoritairement la même : le maillon central de l’alimentation, c’est le distributeur – ou la structure de transformation qui le fournit. Le consommateur et le producteur sont réduits au rang d’outils financiers. L’aliment, un objet de spéculation comme un autre ? Pour Nature & Progrès, c’est non. Un grand non !

À la suite de la crise du lait, des producteurs bio belges se sont regroupés pour valoriser les productions locales, auprès des grandes surfaces. Comme la coopérative Biomilk, dont on retrouve le lait dans les rayons de Delhaize. Au départ, la brique mettait clairement en avant la présence de la coopérative. Lors de la révision du packaging bio, Delhaize en a profité pour lisser le visuel, et le logo « Bioptimist » a supplanté celui de Biomilk – saurez-vous repérer la marque Biomilk sur l’emballage ci-dessus ? -, permettant ainsi au distributeur de garder la main mise sur le packaging. Le producteur est déshumanisé et son produit vendu sous une marque de l’enseigne, qui reste maître de la commercialisation, du marketing, et surtout de la négociation des prix. Biomilk devient ainsi plus facilement interchangeable avec un autre groupement, déséquilibrant les négociations à la défaveur de la coopérative.

Un œil dans le rétroviseur : 1999 et la crise de la dioxine en Belgique

Les dioxines, ce sont des molécules organochlorées, des polluants organiques persistants dans l’environnement et qui ont la réputation d’être dangereuses pour la santé. Pourquoi ? Déjà parce que l’Homme est un bio-accumulateur de ces molécules car il est en bout de chaîne alimentaire et incapable de les éliminer de son organisme. Ensuite parce que ces molécules se transmettent de la mère au fœtus ou, via l’allaitement, au jeune enfant. Nous vous laissons ouvrir vos encyclopédies pour en savoir plus sur leurs origines dans notre environnement. Sachez seulement que des études considèrent que certains types de dioxines sont hautement toxiques, en agissant au niveau du développement, du système immunitaire, des hormones… Et qu’elles peuvent également causer des cancers…

On constate, début 1999, que des aliments pour animaux – monogastriques en l’occurrence, donc poulets et porcs -, produits en Belgique, sont contaminés à des doses hors normes de dioxines, via des graisses minérales qui n’auraient pas dû se retrouver là où elles se trouvent. Ces dioxines sont détectées dans les œufs et la viande conventionnelles qui sont consommés. Mais voilà, dans un monde où les filières alimentaires sont de plus en plus compliquées, remonter à la source de la fraude devient un incroyable casse-tête !  Pour en savoir plus, nous vous conseillons de lire l’article du journal Le Soir : La crise qui empoisonna la Belgique, disponible en ligne.

La déconnexion des différents maillons de la chaîne fait qu’au final le producteur n’est plus maître de l’alimentation qu’il donne à ses animaux. Un cas isolé ? Pas vraiment ! La mondialisation et la capitalisation de notre alimentation rend les contrôles toujours plus ardus. La responsabilité de chacun est diluée au nom de la productivité et de la libre concurrence. Pour preuve : on voit revenir la manipulation de l’alimentation par des acteurs industriels qui, à coups de lobbying puissant au niveau européen, tentent de libéraliser la diffusion des OGM dans l’agriculture et donc dans notre alimentation. Pour plus d’information, voir notre brochure intitulée La problématique des nouveaux OGM – disponible sur www.natpro.be – ou relire le dossier de votre précédent numéro de Valériane.

Au-delà du scandale politique et économique que la crise de la dioxine provoqua, c’est la confiance des consommateurs dans le système alimentaire qui fut durablement mise à mal. Heureusement pour l’industrie, l’humain a la mémoire courte. C’est pourquoi Nature & Progrès est là pour vous rappeler que consommer est un acte politique ! Et si nous accordions plus d’importance aux artisans de notre alimentation ?

Réaffirmons que nos aliments ont un visage !

En rapprochant producteurs et consommateurs, nous sommes en mesure de garantir une bio locale et éthique, qui repose sur une relation de confiance. Connaître l’humain qui se cache derrière ce que nous consommons en est l’essence même. L’aliment fait le lien, tel un contrat tacite mais essentiel, entre celui qui le produit et celui qui le consomme. Il est l’engagement du producteur à procurer une alimentation de qualité, tout en respectant l’environnement et la santé. Il est l’engagement du consommateur à soutenir cette philosophie de production. Il est le garant de la confiance du citoyen envers les agriculteurs et les transformateurs qu’il soutient, mais aussi de la qualité de vie de tous ceux qui font que, du champ à l’assiette, l’aliment est !

Dans la nécessité de maintenir les valeurs du bio face au développement important du secteur, il devient de plus en plus limpide que les producteurs bio de Nature & Progrès apportent des solutions. C’est pourquoi chaque jour, nous défendons leurs valeurs qui sont aussi les vôtres ! (Re)découvrez donc les producteurs bio de Nature & Progrèswww.producteursbio-natpro.be – qui vous proposent viandes, fromages, charcuteries, fruits et légumes de saison, farines, biscuits, bières… Toute une variété de produits dont ils maîtrisent la culture et la transformation, en toute transparence.

Les choses ont évolué en vingt ans ! les producteurs bio de Nature & Progrès ont développé leurs magasins et les surfaces agricoles bio ne cessent de croître. Il faut s’en réjouir ! Tout en restant attentifs aux fondamentaux. La croissance des marchés doit se faire en respectant les valeurs du lien entre production et consommation. Nature & Progrès est là pour le rappeler et pour réaffirmer les convictions défendues depuis ses débuts : « Mes aliments ont un visage » ! Nous connaissons tous le nom de l’auteur du dernier livre que nous avons acheté. Nous connaissons le nom de nos animateurs télé et radio favoris. Celui de notre coiffeur, nous le connaissons évidemment parfaitement. Alors comment ne pas connaître celui des hommes et des femmes qui se cachent derrière notre alimentation ?

Soyez attentifs, durant toute cette année, aux messages qu’ils auront à vous faire passer. Ouvrez l’œil, et le bon. Pour voir s’épanouir les visages de vos producteurs bio !

Pour réduire les inégalités, la folle idée d’une « sécurité sociale de l’alimentation »

Le “monde d’après”, beaucoup en rêvent. Un monde plus juste, respectueux des écosystèmes, moins compétitif, relocalisé, démocratique, soutenable… Une utopie, quoi ! Nous sommes habitués à penser qu’il est essentiel de visualiser un autre monde pour qu’il nous attire à lui comme un aimant. Ce mois-ci, à partir du constat des inégalités d’accès à une alimentation saine et durable pour tous, nous abordons une véritable « utopie » alimentaire, une idée un peu folle, et pourtant une idée qui mérite d’être connue, approfondie, débattue. Au sein de Nature & Progrès aussi ?

Par Guillaume Lohest

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Introduction

On trouvera peu de monde, aujourd’hui, pour défendre une alimentation industrielle et importée, à base de produits gras, sucrés et transformés. Il existe un très fort consensus sociétal autour des aspects de santé liés à l’alimentation, tandis qu’en matière d’environnement, l’ensemble des acteurs politiques reprend le refrain du local, durable, de saison. Pourtant, malgré ces évidences relativement partagées, tout le monde n’a pas une nourriture saine dans son assiette. Nous sommes (très) loin d’être égaux en matière d’alimentation.

Trop cher ?

Pourquoi ? Le premier cliché qui vient à l’esprit, le plus tenace, c’est celui du prix. Les produits locaux, artisanaux, biologiques, équitables sont en moyenne plus chers que leurs équivalents industriels, conventionnels et… inéquitables – nous reviendrons sur cet adjectif. L’explication serait donc à chercher de ce côté-là. Faudrait-il donc que les prix de ces « bons » aliments baissent ?

Nous savons qu’il faut répondre non à cette question, parce que la réalité est inverse : c’est l’alimentation industrielle et importée qui coûte trop peu cher, parce qu’elle repose sur un modèle agricole et commercial qui favorise l’exploitation dans les deux sens du terme, celle des sols et des ressources, et/ou celle des êtres humains – travailleurs sous-payés ou clandestins, coûts de production non couverts par le prix d’achat, etc. On sait d’ailleurs que la part consacrée à l’alimentation dans le budget des ménages n’a cessé de diminuer au fil des décennies.

Un système low-cost

Si elle est si bon marché dans les rayons, c’est parce que cette nourriture est produite en quantité, souvent au détriment de la qualité, et qu’elle est en outre massivement subventionnée, entre autres via la Politique Agricole Commune (PAC) de l’Union européenne – voir en page 43. Dans bon nombre de cas, il serait impossible pour les agriculteurs de survivre sans ces aides européennes… ce qui montre bien que la nourriture qu’ils produisent ne leur est pas achetée assez cher ! Ce système industriel et agricole dominant, Olivier De Schutter l’appelle l’alimentation low-cost. « Dans ce système, les aliments ultra-transformés à forte densité énergétique (gras/salés, gras/ sucrés) sont ceux qui coûtent le moins cher. Résultat, les populations les plus pauvres achètent pour un faible coût des aliments de mauvaise qualité nutritionnelle et à forte densité énergétique. Ces aliments favorisent à la fois les carences en vitamines et minéraux, et l’obésité » (1).

Diminuer les prix des aliments locaux, biologiques et de saison pour les rendre encore plus low-cost est donc une voie impossible. Non seulement parce que cela ne pourrait se faire qu’au détriment des producteurs dont la majorité peine déjà à trouver un équilibre financier, mais aussi parce que le prix n’est sans doute pas l’élément décisif en matière de changement d’habitudes alimentaires !

Les dimensions sociales et culturelles de l’alimentation

Dans son Livre Blanc « Pour un accès de tous à une alimentation de qualité » (2), Solidaris a identifié cinq déterminants sur lesquels il est indispensable d’agir pour réduire les inégalités alimentaires. Le prix n’est donc qu’un élément parmi d’autres ! Outre l’accessibilité pratique – localisation, transports, etc. -, les obstacles sont aussi à chercher dans l’accès à l’information, ainsi que dans l’imaginaire culturel et dans les dimensions psycho-sociales de notre rapport à la nourriture.

Autrement dit, on choisit surtout de manger ce qu’on mange – et de nourrir nos proches de telle ou telle façon – parce que cela répond à des normes ou à des représentations qui sont profondément inscrites en nous. À prix équivalent, nous cuisinons rarement ce qui est objectivement meilleur pour notre santé ou plus respectueux des écosystèmes : nous choisirons une nourriture qui correspond à ce que nous estimons qu’elle doit être, selon un équilibre subtil qui vient peut-être un peu de notre volonté et de nos valeurs, mais aussi et surtout de nos goûts, de nos représentations, de nos compétences et de nos habitudes. Par exemple, à certains moments de l’année, les fruits et légumes de saison sont disponibles en quantité et à des prix abordables, et tout le monde connaît l’adage « cinq fruits et légumes par jour ». Pour autant, très rares sont les ménages dont l’alimentation repose sur le socle de base des fruits et légumes de saison. Car le prix et l’information rationnelle ne sont pas tout. Nous ne sommes pas des machines : nous sommes aussi des estomacs, des papilles gustatives, des souvenirs, des hôtes, de bons ou de piètres cuisiniers, etc. Et tout cela joue !

Les inégalités alimentaires tiennent donc aussi, pour une large part, à des déterminants socio-culturels. Une importante étude sociologique de 2009 avait identifié quatre types de comportements alimentaires liés aux catégories sociales – voir figure ci-contre. Ces comportements sont des héritages culturels remontant parfois à des époques anciennes, ils sont fortement ancrés dans les habitudes. C’est donc aussi sur ce plan-là que les milieux sociaux ne sont pas égaux : les milieux aisés ont tendance à adopter rapidement de nouvelles normes et à s’en considérer comme les dépositaires. Autrement dit, à vouloir diffuser la « bonne parole alimentaire » assimilée aujourd’hui à une consommation locale, bio et de saison. Les milieux populaires sont divisés entre des attitudes volontaires d’intégration de ces normes, et des postures de rejet, de revendication d’autres valeurs.

Dès l’enfance

Cela se traduit notamment dans l’éducation alimentaire des enfants. « Dans les catégories aisées, bien nourrir son enfant relève d’une démarche éducative et d’une conception “pédagogique”, structurée par un ensemble de règles et de principes vigoureusement affirmés. Les mères, qui disposent des conditions sociales nécessaires (revenus, temps disponible, niveau de scolarisation élevé), s’investissent fortement dans ce qu’elles conçoivent comme une éducation alimentaire, pour elles une priorité, et s’y donnent précocement un rôle » (3). Les schémas de pensée dans les milieux populaires sont souvent différents – et il n’y a pas à juger cela moralement puisqu’il s’agit d’un héritage social, déterminé largement par une persistance d’inégalités au long cours. « Dans les catégories modestes, la priorité est qu’ils mangent, et qu’ils mangent ce qui leur plaît : l’honneur tient au fait de pouvoir nourrir ses enfants soi-même. Le goût des aliments à prétention diététique comme les légumes, perçus comme austères par les mères, leur viendra peut-être plus tard, avec le temps, mais ne constitue pas un enjeu. Opulence alimentaire et satisfaction des préférences enfantines – qui s’observent par exemple dans le fait que plusieurs mères vont jusqu’à proposer quatre plats différents à table – sont objet de fierté, car ils sont à la fois réaction à la peur du manque et signe d’abondance, persistance de très anciennes représentations s’expliquant par « la peur fondamentale de manquer »  » (4) Stigmatiser les milieux populaires sur base de critères moraux n’a ainsi pas davantage de sens que d’en appeler à la loi du marché ou à des signaux-prix pour inverser les tendances de consommation. On touche ici à des dimensions sociologiques et psychologiques plus profondes.

Que faire, dans l’immédiat ?

Cela ne signifie pas qu’il n’y a rien à faire. Prix, normes, représentations, information, éducation : tous ces éléments jouent. Il y a donc lieu d’agir sur tous les plans, sans considérer aucune voie comme la panacée. Un exemple concret concerne le débat sur l’alimentation bio dans les supermarchés, qui agite le secteur bio depuis… des décennies. Est-ce vendre son âme au diable, ou au contraire influencer les grands acteurs en les forçant à intégrer de nouvelles normes ? Aucune réponse tranchée n’est possible. Comme le résume Olivier De Schutter, la tension doit subsister : « La très grande majorité de la population continue d’aller dans des supermarchés classiques, on doit donc encourager davantage de produits bio et locaux sur les rayons des supermarchés – mais cela doit être à condition d’un suivi rigoureux et d’une remise à plat des rapports avec les producteurs, afin qu’ils bénéficient d’une rémunération équitable » (5). Pas question donc, pour lui, de miser sur la stratégie de l’abaissement des prix pour attirer les consommateurs vers les produits jugés qualitativement meilleurs. « On pense souvent que le low-cost serait une solution parce qu’on a des familles en pauvreté qui ne peuvent faire autrement que de s’approvisionner à travers ces filières. Mais c’est une impasse. La malbouffe affecte notamment les plus précaires, qui ont les indices de surpoids et d’obésité les plus importants. Ce n’est pas inévitable. Cuisiner chez soi des produits frais et de saison, en réduisant la consommation de viande, n’est pas spécialement cher. Mais ça demande une organisation, et c’est parfois difficile pour des ménages qui ont des longues navettes ou n’ont qu’un accès difficile à des produits de qualité. En outre, l’alimentation low-cost ne peut pas être un substitut à une protection sociale digne de ce nom. Il faut, par un relèvement des salaires minima et des allocations sociales, que des régimes alimentaires sains soient abordables pour tous » (6).

Une idée folle… ou la seule pertinente ?

Pour modifier durablement les comportements alimentaires, il faudrait donc agir sur tous les fronts à la fois. Impossible ? Peut-être pas. Durant le premier confinement lié à la pandémie de Covid-19, une tribune parue sur le média Reporterre a ravivé une idée très audacieuse, qui avait déjà fait de timides apparitions dans le débat public par le passé : celle d’une sécurité sociale de l’alimentation. Hein ? Quoi ? Eh bien oui, aussi fou et étrange que cela puisse paraître, cette proposition n’est pas dénuée de sens. Il suffit de réaliser un parallèle avec les soins de santé pour percevoir toute sa pertinence. Aujourd’hui, près de trois quarts des dépenses médicales des Français sont prises en charge par la sécurité sociale. « En 1945, dans une économie pourtant exsangue, des hommes et des femmes engagés pour des « jours heureux » ont pensé un monde où toutes et tous pourraient se soigner sans distinction de classe. Ils ont bâti et défendu la sécurité sociale. À la place des politiques de réduction des inégalités ou des logiques de charité discrétionnaire chères aux libéraux, ils ont créé du droit, à partir d’un système universel. Quelques décennies plus tard, revendiquons le même engagement pour l’alimentation : que le droit soit le socle de toutes les politiques alimentaires et agricoles à venir » (7). L’idée d’une sécurité sociale alimentaire, telle que développée au départ par un groupe thématique de l’association française Ingénieurs sans Frontières, peut être résumée de la manière suivante : allouer cent cinquante euros par mois par personne pour l’alimentation, utilisables uniquement auprès d’acteurs du marché alimentaire « conventionnés » – comme aujourd’hui on parle de médecins conventionnés. Les signataires de la tribune dans Reporterre ajoutent : « Cent cinquante euros par mois vont permettre durablement aux ménages les plus précaires un bien meilleur accès à une alimentation choisie, de qualité. Une sécurité sociale de l’alimentation obligera les professionnels.les de l’agriculture et de l’agroalimentaire, s’ils veulent accéder à ce « marché », à une production alimentaire conforme aux attentes des citoyens.nes » (8).

Oui mais… D’où viendraient les milliards d’euros nécessaires à un tel projet ? La proposition, là encore, suit le parallèle avec la sécurité sociale actuelle : « L’analogie avec la sécurité sociale nous a menés sur l’idée historique d’une cotisation. Cette option est cohérente avec notre volonté d’avoir des caisses de sécurité sociale gérées de manière démocratique, là où un financement par l’impôt risquerait d’induire une gestion centralisatrice par l’État. Une première option à étudier serait une cotisation supplémentaire qui serait prélevée sur le salaire ou revenu brut. Ceci impliquerait une baisse du salaire ou du revenu net, plus ou moins compensée par le versement de 150 euros par mois à dépenser uniquement pour une alimentation conventionnée » (9).

Vers une démocratie alimentaire

Quel intérêt, alors, si c’est pour recevoir d’une main ce qu’on donne de l’autre ? Tout d’abord, cette cotisation serait évidemment proportionnelle aux revenus. Cela signifie que la question des inégalités serait attaquée de front, suivant l’adage : chacun contribue selon ses capacités et reçoit selon ses besoins. Pour faire simple : certains contribueraient au pot commun davantage qu’ils n’en bénéficieraient. Autre intérêt à cette idée : le « conventionnement » des acteurs alimentaires reposerait sur un débat démocratique, une cogestion par des représentants des mangeurs et des producteurs. Cela signifierait une sortie partielle de la pure logique de marché. Les acteurs souhaitant pouvoir vendre à l’intérieur de ce système solidaire devraient se plier aux choix démocratiques de la population. Au passage, on retrouve là, généralisé et renforcé, un fonctionnement participatif qui ressemble au système participatif de garantie (SPG) cher à Nature & Progrès.

Bien sûr, il s’agit encore d’une utopie. De très nombreuses questions pratiques se posent, sur le fonctionnement concret d’un tel système et surtout sur la transition, pour les acteurs du système actuel, vers ce système alimentaire partiellement « socialisé ». Notez que le groupe de travail à l’origine de cette proposition est allé très loin déjà dans les implications pratiques possibles (10). Il y a là, à n’en pas douter, un formidable vivier de réflexions pour les associations d’éducation permanente qui font de l’alimentation une thématique centrale. « Il n’est pas possible de dire que les initiatives qui s’occupent aujourd’hui de construire une démocratie alimentaire, un accès de tous à une alimentation de qualité, sont « nombreuses ». Mais elles existent. (…) Faire vivre ce projet de sécurité sociale de l’alimentation, c’est se donner l’objectif de mettre en avant et de généraliser ce type d’initiatives, bien plus à même de répondre aux enjeux agricoles et alimentaires que les injonctions à la “consomm’action” ou les discours des grandes surfaces promettant « une agriculture bio accessible à tous« . C’est lutter contre l’idée que la responsabilisation individuelle par l’éducation serait suffisante pour répondre aux enjeux agricoles et alimentaires, quand bien même elle est nécessaire (11).

Notes

(1) « Alimentation et inégalités sociales de santé : l’accès à une alimentation de qualité en question.« , par Martin Biernaux, chargé de projets au service Promotion de la santé de Solidaris – Mutualité socialiste, FIAN Belgium, www.fian.be

(2) Livre blanc « Pour un accès de tous à une alimentation de qualité« , Solidaris, 2014. Voir livre-blanc-alimentation-version-telechargeable.pdf (alimentationdequalite.be).

(3-4) Régnier, Faustine, et Ana Masullo. « Obésité, goûts et consommation [*]. Intégration des normes d’alimentation et appartenance sociale« , Revue française de sociologie, vol. 50, n°. 4, 2009, pp. 747-773.

(5-6) Olivier De Schutter, « On doit replacer l’alimentation au centre de nos existences« , propos recueillis par Frédéric Rohart dans L’Écho, 14 décembre 2020.

(7-8) « Créons une sécurité sociale de l’alimentation pour enrayer la faim« , tribune dans Reporterre, 25 mai 2020.

(9) Pour une sécurité sociale de l’alimentation, Ingénieurs sans frontières (isf-france.org)

(10) « Le groupe thématique Agricultures et Souveraineté Alimentaire d’Ingénieur.e.s sans frontières (ISF) regroupe des citoyen.ne.s œuvrant pour la réalisation de la souveraineté alimentaire et des modèles agricoles respectueux des équilibres socio-territoriaux et écologiques. »

(11) Pour une sécurité sociale de l’alimentation, Ingénieurs sans frontières (isf-france.org)

La cohérence dans l’assiette, bien plus qu’un Challenge !

Le Veggie Challenge est un de ces nouveaux défis alimentaires qui s’est déroulé pendant tout le mois de mars. Il visait à « améliorer le monde » en « faisant la différence pour l’environnement et en sauvant des vies animales« , en mangeant « de la nourriture plus saine, plus savoureuse et plus écologique« . Quelques mises au point manifestement s’imposent…

Par Sylvie La Spina 

D’après les chiffres avancés par les organisateurs, chaque personne se passant de viande permet d’économiser mille litres d’eau et six cent trente-trois grammes d’émission de CO2 par jour. Plus de vingt mille personnes auraient participé au Challenge en Belgique…

nouveaux ogm non à la déréglementation
Un Veggie Challenge… totalement hors-sol !

Une première observation qui mettra d’emblée de mauvaise humeur les éleveurs, les agronomes et bon nombre de citoyens éclairés : les chiffres sur la consommation d’eau ! Les mouvements végans ne peuvent s’empêcher de compter, dans l’eau d’abreuvement des animaux, les pluies qui tombent sur les prairies et les cultures servant à alimenter le bétail, ce qui a pour avantage d’attirer l’attention, tant le chiffre est exorbitant. Mais personne ne réfléchira à sa cohérence, le citoyen ayant l’habitude – et c’est bien malheureux ! – de prendre pour argent comptant les propos de ces mouvements. Même les pouvoir publics ou politiques subsidiant ou soutenant le Veggie Challenge semblent n’y voir que du feu.

Parcourons le site Internet de l’organisation et découvrons les nombreuses idées de recettes inspirantes qui permettent de se passer de viande, de produits laitiers et d’œufs. Pour donner à tous l’envie de changer son alimentation – et pour ne pas entendre râler les enfants -, il s’agit d’être innovant, en jonglant avec la gamme de produits végétaux disponibles. Mais nous voici en plein mois de mars : le potager est quasiment vide, comme les réserves de nos maraîchers et arboriculteurs… Ce n’est pas un souci pour les organisateurs qui proposent des menus à base de tomates cerises, de courgettes, de concombres, de fruits rouges et d’autres délices typiquement d’été. Eh bien quoi ? Rien d’anormal : ils sont disponibles chez Colruyt, sponsor du Veggie Challenge ! Venant de loin, cultivés dans des serres à ambiance tropicale, tandis que tombent les derniers flocons de l’hiver… Vous avez dit écologique ?

Une bonne moitié des recettes comporte l’utilisation de substituts : faux fromage, faux poulet, faux haché… Un exemple parlant : les Sensational Saucisses Garden Gourmet. Selon le site du fournisseur : « une saucisse à base de plantes qui a le même aspect, le même parfum, la même saveur et qui se cuit de la même manière qu’une saucisse à base de viande« . Et pour cause, les chimistes de Nestlé sont sur le coup ! Les ingrédients ? De l’eau, des protéines de soja, des huiles végétales, des épices, du méthylcellulose mais aussi du boyau végan composé d’alginate de sodium – utilisé comme substitut de sperme dans les films pornos – miam, miam… -, du chloride de calcium, de l’amidon de tapioca… Un cocktail industriel mûrement réfléchi, ce qui explique sans doute son coût – vingt-deux euros le kilo – à côté des saucisses bio pure viande – quinze euros le kilo chez le même fournisseur… Bref, si l’objectif de cette action était sans doute louable, elle manque cruellement de cohérence. Et si nous pensions notre assiette autrement ?

Moins mais mieux

Il est vrai que nous avons eu tendance, ces dernières décennies, à consommer beaucoup – sans doute beaucoup trop – de produits animaux. Et si nous en consommions moins mais mieux ?

  1. Un élevage écologique et respectueux du bien-être animal

Quelle est votre vision de l’élevage idéal ? Pour moi, les animaux doivent être élevés à l’extérieur et non confinés dans des bâtiments. Le coronavirus nous montre, en pratique, l’impact du confinement sur le bien-être, la santé et la psychologie. C’est pareil pour les animaux ! Une vache ou un mouton doivent manger de l’herbe en prairie, un cochon doit avoir l’occasion de fouir, et une poule de gratter la terre. L’alimentation doit être bio, régionale et bien entendu sans OGM. C’est justement ce que proposent les producteurs bio et notamment ceux qui sont labellisés Nature & Progrès.

Cependant, vous pouvez aussi décider d’élever, par vous-mêmes, quelques animaux pour votre propre consommation. C’est une activité enrichissante qui permet de mieux comprendre les réalités rencontrées par les éleveurs professionnels, un peu comme le jardinier qui appréhende mieux la valeur des légumes et le travail d’un maraîcher qu’un citoyen lambda qui va les acheter en grande surface… Quelques poules pour les œufs, deux chèvres pour le lait ou encore quelques poulets, moutons et cochons pour la fourniture occasionnelle en viande. Avec une consommation raisonnable, pour un ménage, une dizaine de poulets par an sont largement suffisants ; un mouton et un cochon tous les deux ans, par exemple, le sont également.

Si l’élevage pour la consommation personnelle présente peu de difficultés en soi, c’est au niveau de l’abattage que tout se complique. Il faut d’abord avoir franchi le cap psychologique de décider d’ôter la vie à son animal afin de s’en nourrir. C’est tellement plus facile de déléguer cette étape aux abattoirs lorsqu’on achète de la viande déjà découpée… Se réapproprier ce geste demande un cheminement mais aussi un savoir-faire qui s’est presque perdu. L’abattage d’animaux pour sa propre consommation est autorisé pourvu que la mise à mort respecte certaines règles relatives au bien-être animal, comme l’obligation d’un étourdissement. Les gestes à appliquer sont précis. Comment remettre en avant ce savoir-faire ? N’y a-t-il pas là matière à études et à actions ?

  1. Substituer, mais avec des produits artisanaux et de saison

Réduire sa consommation de produits animaux est sain. Mais sachons rester cohérents, en évitant les substituts industriels ou les produits issus de l’autre bout de la planète. Car c’est bien là que se situe l’incohérence de la grande majorité des mouvements à idéologie végane ! Enormément de fruits et légumes poussent sous nos climats – même des pêches et des kiwis, en serre non chauffée, près de la Baraque Fraiture ! – et de nouvelles cultures de quinoa, lentilles et autres petites graines viennent aujourd’hui compléter les menus locaux. Comme dit plus haut, la fin de l’hiver est la période la plus difficile pour se procurer des fruits et légumes frais. Cependant, en plus d’innover dans les recettes à base de légumes d’hiver, il n’y a pas de plus grand de plaisir que celui d’ouvrir un bocal de bons légumes d’été. Nos ancêtres le savaient davantage que notre société moderne : c’est en été que l’on prépare l’hiver !

Avec Nature & Progrès, allons plus loin !

Pour Nature & Progrès, une sensibilisation à la réduction de la consommation de produits animaux doit comporter, en premier lieu, une réflexion sur le choix de l’élevage qui nous nourrit, sur l’éleveur et sa philosophie, sur sa manière de conduire son troupeau et d’alimenter ses animaux, sur son degré d’autonomie en production et en transformation.

Redécouvrons aussi le métier de la boucherie : bien plus que la découpe de la viande et sa préparation avec des additifs, nos bouchers artisanaux utilisent un réel savoir-faire qui permet de mieux comprendre ce qui fait une viande de qualité. N’œuvrons pas contre la viande mais œuvrons pour la bonne viande ! Visitons des cultivateurs bio qui se lancent dans des productions innovantes, petites graines, légumineuses et compagnie ! Initions les citoyens à la réappropriation de leur alimentation par le jardinage, l’élevage et la conservation des fruits et légumes pour préparer l’hiver. Ensemble, relevons le défi d’une assiette bio, locale, écologique et cohérente !

D’une manière générale, nous nous permettrons de renvoyer le lecteur à notre étude, publiée en 2019, intitulée : La juste place de l’animal dans notre monde – Réinventer le contrat domestique. Nous y montrons que, si le refus de l’industrialisation de la nourriture semble légitime et cohérent, une trop grande radicalité dans notre bienveillance vis-à-vis du monde animal est de nature à produire des effets indésirables. « Notre tentative de dialogue avec le monde végan, concluions-nous alors, au lieu de rechercher une juste place pour l’animal dans le monde, ne gagnerait-elle pas à trouver plutôt celle de l’homme, ce pâle démiurge toujours trop prompt à se poser, oscillant sans arrêt entre l’ornière de droite et celle de gauche, tantôt en prédateur effroyable et tantôt en sauveur magnanime ?« 

Sur le front de la bio, la vraie…

Au cœur d’un mois de janvier pétrifié par l’angoisse de la Covid-19 – nos médias bégayant à l’envi vaccins et variants puis quand c’est fini l’inverse -, deux faits saillants sont venus égayer le landerneau assoupi de la bio : une émission d’Investigation tout d’abord, sur la RTBF le 12 janvier, puis la publication, le 20 janvier, du rapport de la vénérable Cour des comptes relatif au Plan stratégique bio adopté en 2013 et au soutien accordé, par la Région Wallonne, au développement de l’agriculture biologique. Entre ces deux moments, comme d’éloquents échos…

Par Dominique Parizel

Image campagne producteurs 2021
Introduction

Les fins limiers de la RTBF nous ont, tout d’abord, livré la substance de six mois d’Investigation – c’est le nom de l’émission – dont le sujet du 12 janvier allait nous montrer la Face cachée du bio. Mais, passé un teasing scandaleusement affriolant où l’on prétendit quasi nous révéler le sexe des anges, la montagne accoucha évidemment de la souris, sa compagne, jetant en pâture au consommateur hébété ce que n’importe quel familier de la question pouvait lui apprendre en un quart d’heure. En ce compris la triste histoire de la vitamine B2 OGM donnée quasiment « par erreur » à nos poulets, un imbroglio auquel personne – pas même les autorités publiques du pays – n’a encore trouvé de solution. La faute à pas de chance…

"Couvrez ce sein que je ne saurais voir" (Tartuffe, acte III, scène 2)

Du reste, on aurait pu appeler tout cela la Face cachée de la grande distribution mais d’abord, ç’aurait fait nettement moins sexy et, ensuite, Hercule ne se sentait peut-être plus de taille à nettoyer, une fois encore, les écuries d’Augias. S’étant d’abord fait l’Espagne du côté d’Almeria – en avion ! -, au cœur de la « mer de la plastique » – cette incroyable étendue de serres que même Yann-Arthus Bertrand nous a montrée depuis le ciel ! -, Investigation découvrit – devinez quoi ? – la bio à deux vitesses ! D’un côté, d’honnêtes petits producteurs locaux en circuit court et, de l’autre, la grande distribution qui se fournit – devinez où ? Là-bas ! N’ignorant pourtant rien, pensons-nous, des émeutes racistes d’El Ejido – il y a plus de vingt ans de cela ! -, le journaliste nous révéla, une fois encore, à quel point le travailleur agricole est inhumainement surexploité et sous-payé, au vu et au su de tout le monde puisque, je viens de vous le dire, cette ignominie ne date pas d’hier. Bien sûr, le même journaliste se fit une joie d’exhiber tout cela sous le nez empourpré des responsables de la grande distribution qui exécutèrent avec brio leur grand numéro de vierges effarouchées, pourtant prises la main dans le sac du petit consommateur et jurant, mais un peu tard, ignorer où leurs subalternes peuvent bien – fi donc, l’ami ! – avoir l’outrecuidance de s’en aller quérir leurs tomates. Décidément, le service, mon bon monsieur, n’est plus ce qu’il était… Merci, les gars, vous êtes pathétiques et cela commence vraiment à bien faire.

Bon. Tout cela fut pourtant maintes fois expliqué au lecteur de Valériane : d’une part, il y a le petit producteur en circuit court qui vend ce qu’il produit, en cherchant à savoir autant que possible ce qu’aime le mangeur qu’il côtoie et qu’il respecte. De l’autre, il y a la grande distribution qui « cherche des volumes » pour rencontrer une demande de masse, largement hypothétique, et qui écrase les prix puisqu’elle doit payer, en plus, une grande quantité de « services » totalement absents du circuit court : transport, emballage, publicité, etc. Elle entretient, à cet effet, le mythe – accepté, nous dit-on, par le consommateur lambda – que le « bio est cher » ! « Voilà justement ce qui fait, bien-aimé consommateur, nous apprit ensuite Investigation – certes en y mettant toutes les formes -, que votre fille est muette » (Le médecin malgré lui, acte II, scène 4) ! Enfin, voilà pourquoi votre tomate bio de grande surface n’a pas tout-à-fait le goût que vous espériez… Peut-être la RTBF nous épargnera-t-elle, à l’avenir, pareille tartufferie, en évitant de mettre six mois pour aller chercher à l’autre bout de l’Europe l’évidence que nous avons quotidiennement sous les yeux et que tout le monde connaît pertinemment mais refuse pourtant d’admettre ! En appelant un chat, un chat, aussi. Tiens, vous avez remarqué ? On n’a même pas pipé mot, ou presque, du conventionnel. La preuve, par l’absurde, que ce n’est plus là « que ça se passe » ?

 

La vraie bio selon Nature & Progrès : bien plus qu’un label !

Alors, allons-y, appelons un chat, un chat. Producteur local ou supermarché ? Si la bio répond toujours à un cadre technique légal bien défini, chacun se fera, au-delà de ça, sa propre idée quant à l’éthique qui doit être celle de l’agriculture biologique. Pour Nature & Progrès, produire bio est un choix agricole et alimentaire qui doit permettre à la société d’évoluer vers plus de respect de l’homme de l’environnement. Depuis près de soixante ans, notre association s’efforce d’être le garant de l’esprit d’origine de l’agriculture biologique. Même après la reconnaissance officielle de l’agriculture biologique, en 1991, elle a toujours cherché à promouvoir un label qui va plus loin qu’un simple cahier des charges technique. Chaque jour qui passe, la mise en avant de son label privé permet à celui-ci de compter aujourd’hui près de septante producteurs et transformateurs wallons qui sont heureux de partager leur goût du bon et du sain à travers leur métier, en privilégiant la rencontre avec le consommateur… De quoi lui permettre de mettre un visage sur son alimentation ! Bien entendu, ces producteurs et transformateurs travaillent dans le strict respect de la règlementation bio, mais pas seulement… En choisissant d’adhérer au label Nature & Progrès contrôlé par la certification participative, ils s’engagent à respecter des normes sociales et environnementales strictes. La réglementation européenne officielle, quant à elle, leur garantit le non-recours aux pesticides et aux engrais chimiques de synthèse, ainsi que le bien-être animal.

La bio, telle que nous la défendons, est bien loin d’être seulement du « sans pesticide » ! Cette bio est un véritable mouvement social où producteurs et consommateurs font évoluer, ensemble, notre agriculture et notre alimentation. Chez Nature & Progrès, vous n’entendrez jamais parler de « produits bio » ou de « parts de marché » ; nous préférons mettre en valeur des fromagers, des agriculteurs, des boulangers, des brasseurs, etc. Et, bien sûr, les consommateurs qui leur font confiance… Il s’agit donc d’un mode production, qualitatif et positif, qu’il faut mettre en avant ! Chacun d’entre nous peut, à son échelle, influencer positivement la société de demain en soutenant l’action de producteurs locaux qui appartiennent à une communauté dont les valeurs sont fortes et que nous nous efforçons de défendre, au quotidien, dans notre travail. Qui est mieux placé, pour vous en parler, que les membres de cette communauté eux-mêmes ? Vous pouvez les retrouver sur : https://www.producteursbio-natpro.com.

Le recul inspiré par la Cour des comptes

Rendu public, le jeudi 20 janvier, le rapport de la Cour des comptes intitulé Le soutien de la Région Wallonne à l’agriculture biologique indique que le Plan stratégique adopté en 2013 n’a pas tenu toutes ses promesses. N’ayant fait l’objet d’aucune évaluation, il n’est pas possible de connaître son impact sur le développement des filières bio en Wallonie. « Il est donc impossible d’isoler les effets du plan de la tendance structurelle du marché bio« , analyse la Cour des comptes, qui indique également que « la politique publique ne prend pas en compte les évolutions de la demande selon les catégories de produits. Cela se répercute notamment dans la répartition des primes de la PAC, qui ne correspond pas aux productions permettant de répondre à la demande des consommateurs. » Globalement, estime la Cour des comptes, la politique wallonne en matière d’agriculture biologique « souffre d’un manque de vision à moyen et long terme » et « relève davantage de l’accompagnement que d’une orientation forte du développement futur de l’agriculture biologique.« 

Interpellé, le ministre wallon de l’Agriculture, Willy Borsus, évoque les orientations que donnera, à l’agriculture biologique, le nouveau Plan 2021-2030 qui sera prochainement soumis au gouvernement wallon. Il envisagerait notamment 30% de la surface agricole utile, en bio, à l’horizon 2030. Nature & Progrès s’associera évidemment à pareille ambition, pour les raisons suivantes :

  • la demande des consommateurs locaux semble, à présent, s’orienter clairement en direction des produits bio et, plus spécialement, des circuits courts ;
  • l’agriculture biologique, refusant sans équivoque l’emploi des pesticides chimiques de synthèse et des OGM préserve la santé humaine et la qualité de l’environnement, s’efforçant de ne participer à aucune pollution du milieu où nous vivons ;
  • seule la bio prête vraiment attention à l’autonomie des fermes, leur permettant de devenir des entreprises plus résilientes, seule la bio permet aux producteurs de rester maîtres de leur outil de production. Nous rejoignons ainsi le ministre dans sa volonté de développer des filières, à condition toutefois que ces filières restent à taille humaine, le développement d’outils devant, par exemple, tenir compte des spécificités locales plutôt que de tabler sur des structures qui risqueraient d’oublier, à terme, qu’elles sont au service des producteurs et des consommateurs ;
  • la recherche en agriculture biologique demeure un réel problème car, en bio, le savoir est surtout localisé chez les producteurs, son évolution s’étant produite sur base d’échanges de connaissances. La gestion d’une ferme biologique ne pouvant s’envisager que de manière globale, un problème de mammite chez des vaches laitières, par exemple, ne pourra pas s’arrêter à un diagnostic au sujet des trayons mais l’agriculteur devra, entre autres, se poser la question de la diversité de sa praire, en termes de fourrage. Envisager la recherche filière par filière, comme le fait le conventionnel, ne fonctionnera donc pas en bio. Pour cette raison, Nature & Progrès réclame donc un centre de recherche exclusivement bio dont la mission ne serait pas de trouver des solutions mais plutôt de valider scientifiquement les pratiques empiriques mises en œuvre, par les producteurs, sur le terrain. Mais il s’agit sans doute d’un renversement de point de vue qu’il sera très difficile à faire accepter au monde scientifique…
Consolider l'acquis !

Ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain ! L’ancien plan stratégique 2013-2020 n’a peut-être pas tenu toutes ses promesses mais il a, tout de même, produit quelques résultats très utiles, permettant notamment l’accompagnement des agriculteurs par une structure spécialisée, Biowallonie, qui a permis au secteur de grandir jusqu’à une ferme sur quatre. Il a également permis le maintien, sur le territoire, d’une réglementation contrôlée de façon stricte.

Félicitons-nous surtout du fait que le secteur bio soit piloté par l’ensemble des acteurs qui le font vivre, agriculteurs, transformateurs, consommateurs et organismes de contrôle et d’encadrement compris. Tous œuvrent, ensemble, au développement de l’agriculture bio, en toute autonomie par rapport aux secteurs conventionnels qui préfèrent d’autres modes de travail et pensent leur développement par filières et par produits…

L’alimentation intuitive

L’instinct de l’animal sauvage le pousse à chasser et à se nourrir dès que la faim le tiraille. Il mange à satiété, sans excès, et reste parfois plusieurs jours, voire des semaines pour certains, avant de se nourrir à nouveau…
Pourquoi ne fonctionnons-nous pas de la même façon ?
Quels sont les mécanismes qui nous amènent à constater que nous avons faim ?
Comment peuvent-ils éventuellement dévier de leur
fonction première ?

Par Philippe Heynen

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Introduction

Mais, tout d’abord, qu’entend-on par « instinct » ? Les définitions – source : le Petit Larousse – sont multiples et couvrent de nombreux pans de la vie… Le mot « instinct » vient du latin instinctus – impulsion – et de instinguere – pousser. En voici les différentes acceptions :

– part héréditaire et innée des tendances comportementales de l’homme et des animaux (instinct de survie),

– impulsion souvent irraisonnée qui détermine l’homme dans ses actes, son comportement (instinct de méfiance),

– don, disposition naturelle, aptitude à sentir ou à faire quelque chose (instinct du beau),

– tendance qui pousse les êtres humains à vivre en groupe, ou à adopter un même comportement (esprit grégaire),

– force qui pousse un être vivant à lutter pour son existence quand elle est menacée (instinct de conservation),

…et encore :

– l’ensemble des interventions et méthodes de lutte contre l’érosion hydrique et éolienne, dont les effets sont souvent catastrophiques en milieu tropical,

– loi exprimant que la valeur d’une grandeur physique associée à un système isolé reste inchangée tout au long de l’évolution temporelle du système, aussi longtemps qu’il n’interagit pas avec un autre système. (Les lois de conservation [de l’énergie, de la quantité de mouvement, etc.] jouent un rôle fondamental dans les théories physiques. Elles sont liées aux propriétés de symétrie de l’espace-temps, supposé homogène et isotrope).

L’alimentation… sous l’angle de l’instinct

On constate, par ces multiples définitions, que l’instinct fait partie intégrante de notre vie de tous les jours, qu’il s’agisse de survie, d’impulsion, de conservation. Nous souhaitons donc aborder ici cette terminologie sous l’angle du choix et de la subsistance, et plus particulièrement de celle qui est liée à l’alimentation et à la nutrition, un ensemble de gestes que nous sommes amenés à poser, à plusieurs reprises, chaque jour de notre vie.

De l’instinct de survie du nouveau-né qui, tout naturellement, dès la « délivrance », cherche et trouve le sein de sa mère, de l’instinct de croissance qui pousse chaque enfant et adolescent à se nourrir, dès que la faim se fait ressentir, on en arrive à l’instinct, souvent oublié, caché, celui de l’adulte qui se nourrit pour vivre ou, très souvent, vit pour manger !

Nous sommes envahis d’informations, de conseils de diététique, de régimes plus farfelus les uns que les autres, de propositions de plats « tout prêts à être consommés/réchauffés », de publicités diverses et de photos suggestives… Tout cela dans le seul but d’une soi-disant meilleure santé mais avec, pour finalité principale, la vente d’un produit plutôt qu’un autre, la perte de poids et un corps « parfait » ou, tout du moins, répondant aux normes, aux canons en vigueur. Donner mauvaise conscience aux gens et leur prodiguer des conseils dirigés est aussi une technique souvent utilisée par les grandes sociétés commerciales…

Manger cinq fruits et légumes par jour, repas à heures fixes, débuter sa journée par un petit-déjeuner copieux, la poursuivre par un dîner raisonnable et la finir avec un repas du soir « de pauvre », ne pas manger entre les repas, faire du sport plusieurs fois par semaine, comptabiliser les calories ingurgitées, éviter le sucre, privilégier un régime sans sel, sans graisses… Tout cela sont les informations les plus souvent distillées dans le public, via tous les canaux habituels -télévision, radio, livres, réseaux sociaux, diététiciens…, avec souvent même quelques « produits miracles » à la clé, que ce soit une marque de produits, des programmes de fitness, des régimes alimentaires à basses calories, etc.

Tient-on compte de l’individualité de chaque personne, de son hérédité, de son capital génétique, de son passé, de son vécu, de sa morphologie, de sa situation – travailleur manuel, intellectuel, sportif, personne âgée – et de ses éventuels problèmes de santé ? Prend-on en compte son aptitude à choisir elle-même ce qui est bon pour elle, en fonction de ses goûts, de ses attentes, du moment ou de la saison ?  Bref, prend-on en compte son instinct naturel à choisir ? Très rarement… Et il ne s’agit évidemment pas de redevenir le cueilleur-chasseur que nous étions à nos origines, de chasser nos proies et de grimper aux arbres pour nous nourrir…

A l’écoute de son corps… développer l’instinct de survie !

C’est de cet instinct naturel dont nous voulons vous entretenir dans la suite de cet article, cette intuition qui devrait nous guider vers le meilleur aliment pour soi, au meilleur moment, ou pas d’aliment du tout si l’on n’en ressent pas le besoin instinctif… Il s’agit, en bref, de l’alimentation intuitive, aussi appelée réflexive ou raisonnée, induisant un nouveau rapport à la nourriture, plus respectueux de notre corps. Être à l’écoute de sa faim, construire une relation saine avec la nourriture, manger en se servant de sa raison sont les principes non exhaustifs de cette façon de s’alimenter. C’est aussi arriver ne plus penser à la nourriture avec sa tête, avec son mental, mais plutôt parvenir à ressentir ses besoins réels avec son propre corps.

S’autoriser à manger tout ce que le corps nous réclame va évidemment aussi à l’encontre de ce que prônent la plupart des diététiciens. Il s’agit là cependant du principe général de l’alimentation intuitive : être libre de choisir ses aliments – ceux qu’on aime et ceux qu’on n’aime pas – et être à l’écoute de sa faim. Bref, retrouver la « vraie » sensation de faim et de satiété, en quelques mots distinguer la vraie faim de l’envie d’aliments… Savourer ses repas est un autre grand principe cher à l’alimentation intuitive.  Attendre la vraie faim et manger alors ses aliments préférés, agrémentés d’une petite gourmandise et/ou d’un verre de vin, si cela peut nous faire plaisir…

Retrouver le sentiment de satiété est très important également : « sortir de table en ayant faim » est un adage qu’on entend très souvent. Il ne s’agit évidemment pas de se laisser « mourir » de faim, de se priver de nourriture mais bien de reconnaître – ou d’arriver à retrouver – la sensation et le moment où le corps nous dit : « j’en ai assez »…  Et alors, d’attendre un moment pour voir si le corps est encore en demande, ou non.  Manger lentement, bien mâcher les aliments, se nourrir en étant dans le calme et dans un bon état d’esprit sont aussi des aides primordiales pour retrouver plus facilement ce sentiment de satiété.

Pratiquement…

Il est bien sûr nécessaire d’oublier, dans la pratique, tous les principes liés à des régimes ou à des plans préétablis, à des conseils diététiques visant exclusivement à « perdre du poids », à obtenir une ligne filiforme ou à ressembler à une star du grand écran… Il faut aussi éviter de se culpabiliser : si cela nous procure du plaisir, pourquoi ne mangerait-on pas à l’occasion quelques biscuits au chocolat pour le petit-déjeuner, accompagnés d’une bonne tasse de café ? Ou simplement un jus de fruit « maison » accompagné d’un morceau de fromage pour le repas de midi… Et alors ? Si on en ressent vraiment le besoin, après peut-être un grand effort physique l’après-midi, pourquoi ne se préparerait-on pas un repas complet et plus copieux, le soir, avec un potage, un morceau de viande, des pommes de terre et une belle salade de saison ? Et le jour suivant, pourquoi pas inverses le repas du midi et du soir ? Pourquoi ne passerait-on pas un repas, en fonction de ses envies, de ses sensations, de ses besoins… De son instinct. Au-delà du plaisir retrouvé, booster son immunité naturelle est très souvent le résultat qui découle d’une telle alimentation. Et en ces temps si particuliers et fort troublés, ce n’est que profit pour les défenses de notre corps.

En résumé, il s’agit de trouver un équilibre harmonieux entre le besoin et l’envie, tout en privilégiant toujours le premier par rapport à la seconde. Mais si l’instinct nous trompe ? Eh bien, les sensations du corps nous le rappelleront très vite et une éventuelle erreur ne sera pas répétée. L’adoption de l’alimentation intuitive demande parfois, au départ, l’accompagnement d’un professionnel puisqu’elle se base, en effet, sur l’écoute de nos propres sensations, de situations personnelles compliquées, de difficultés familiales ou professionnelles, d’échecs, d’anxiété ou de tristesse à répétition, d’émotions négatives, toutes dépendances pouvant perturber les mécanismes naturels dont nous sommes toutes et tous dotés. Soyons donc patients, prenons le temps de bien préparer ce « passage » et, si nécessaire, demandons conseil à une personne compétente dans ce domaine.

Que l’on adopte ou que l’on poursuive une alimentation intuitive et même si l’on n’y adhère que partiellement ou pas du tout, gardons aussi toujours à l’esprit les grands principes suivants, chers à la naturopathie :

  • consommons des produits/aliments cultivés dans notre jardin ou issus de l’agriculture biologique contrôlée ;
  • mangeons prioritairement des produits locaux et de saison ;
  • adoptons une alimentation variée et équilibrée ; n’éliminons pas – pour une longue période, du moins – certains aliments essentiels souvent considérés comme non indispensables ou nocifs par une certaine « élite » car faisant grossir ou provoquant une hausse du cholestérol : sucres, sel, graisses, protéines…
  • préparons nos repas nous-mêmes, le plus souvent possible…

Et attention ! N’adoptons jamais une alimentation intuitive, sans conseil médical, si l’on a un quelconque problème de santé, mental ou un trouble du comportement alimentaire.

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Ne pas à confondre avec l’instinctothérapie

L’instinctothérapie est une pratique alimentaire crudivore controversée proposée, en 1964, par Guy-Claude Burger et apparue en France, en 1983. Croyant à une adaptation incomplète aux modifications de l’alimentation humaine depuis la Préhistoire, cette approche prescrit une méthode où l’on évite d’altérer l’odeur, le goût ou la consistance des aliments naturels, « de manière à laisser l’instinct alimentaire réguler spontanément l’équilibre nutritionnel et à garantir le fonctionnement correct du métabolisme. » Source : Wikipédia.

Les repas sont constitués d’aliments « originels », c’est-à-dire crus, non assaisonnés, et non mélangés, choisis et dosés suivant les variations des perceptions de l’odorat, du goût et de la réplétion. La règle principale est celle du plaisir, l’aliment le meilleur à l’état naturel étant censé apporter les éléments les mieux adaptés aux besoins de l’organisme. Sont exclus : le lait animal et certaines céréales, considérés comme trop récents dans l’histoire de l’alimentation pour avoir donné lieu à une adaptation génétique. L’absence de réactions chimiques culinaires devrait, par ailleurs, éviter la pénétration et l’accumulation de molécules dénaturées susceptibles de favoriser diverses pathologies…

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Les questionnements de Nature & Progrès s’orientent, on le sait, vers la production, la transformation et la consommation d’une alimentation de qualité. La disposition de l’être humain à accueillir ou non tel ou tel aliment est, bien sûr, directement connectée à ces préoccupations. Pareille approche est cependant d’un tout autre ordre, et la présente analyse permet aisément de s’en rendre compte. Les champs d’investigation en relation avec l’acte pourtant simple et banal de s’alimenter nous apparaissent toujours plus dans leur grande diversité, alors même que nous avons toujours eu la volonté d’envisager ce fait du quotidien d’une manière globale, holistique. Comment résoudre cette importante contradiction ? Pour l’heure, cette question demeure ouverte, en permanence, dans un coin de nos têtes…

Le Réseau RADiS

Pour des filières bio et solidaires à l’échelle des territoires

Nature & Progrès s’associe avec la Fondation Cyrys pour créer le Réseau RADiS (Réseau Alimentaire Dinant Solidaire – La bio se partage) dans la région dinantaise. Ce nouveau projet, qui se veut être un projet-pilote inspirant pour la Wallonie, nous permettra de travailler sur trois missions qui nous tiennent à cœur : la relocalisation de l’alimentation, le développement de l’agriculture biologique et l’accessibilité de l’alimentation bio et locale pour tous. A travers ce dossier, nous vous invitons à découvrir cette nouvelle initiative, et si le cœur vous en dit, à rejoindre le mouvement !

Par Sylvie La Spina

1. Développer des systèmes alimentaires bio, solidaires et pensés à l’échelle des territoires

Les crises sont riches d’enseignements et sont une opportunité de repenser notre société. Dans le domaine alimentaire particulièrement, la pandémie de Covid-19 a mis en lumière la nécessité de relocaliser l’alimentation, de renforcer notre attention sur le domaine de la santé en bannissant, une bonne fois pour toutes, les pesticides et de renforcer la solidarité envers les personnes en situation difficile, pour une alimentation bio et locale accessible pour tous.

Relocaliser notre alimentation : il est temps d’agir !

Dans nos régions, ces dernières décennies ont été celles de la révolution alimentaire. Il suffit de remonter quelques générations à peine en arrière pour se rendre compte que nos aïeux ont eu faim. Ils craignaient les mauvaises récoltes, les ravageurs qui pouvaient anéantir les aliments précieusement stockés en hiver. La sécurité alimentaire était en jeu et nombreuses étaient les familles qui produisaient des fruits, des légumes, des pommes de terre, de la viande, des fromages : une sorte d’économie de subsistance qui n’est pas si loin puisqu’elle est encore aujourd’hui majoritaire dans les pays « en voie de développement ». Il est loin, dans nos contrées, ce temps insécurisant ou l’on priait les saints de nous protéger de la faim mais aussi des épidémies de peste, grippe espagnole ou autre virus. Tiens, tiens… En témoignent encore des croix et des chapelles, éparpillées dans les petits villages de nos campagnes… Pourtant, notre société, maintenant habituée aux supermarchés ravitaillés par les industries alimentaires, d’ici ou de beaucoup plus loin, a récemment reçu un électrochoc quand un certain virus a bouleversé le système et révélé sa fragilité. Les avions sont restés au sol, les frontières se sont fermées, et tout le monde a retenu son souffle. Et voici des hordes de consommateurs qui se dirigent vers le système avec lequel ils sentent plus en confiance : les producteurs locaux. Pour éviter la folie des supermarchés et leur stratégie « de masse », pour retrouver de l’authenticité et de la confiance, et davantage de proximité. Bien vite, on s’est rendu compte que les producteurs en circuits courts ne suivaient pas, ce qui a posé la question de notre sécurité alimentaire.

Notre agriculture locale est-elle encore destinée à nous nourrir, et en est-elle seulement encore capable ? Constatons que notre région dépend énormément des céréales produites hors de ses frontières pour alimenter ses boulangeries, que l’autoproduction de fruits et légumes est estimée, en Wallonie, à seulement 17% et que l’industrie alimentaire est dominante, en ce qui concerne les filières viande, œufs et lait. Il y a beaucoup à faire pour améliorer l’autonomie alimentaire locale, pour que les productions locales soient destinées à nourrir les consommateurs locaux !

Local, bio et solidaire, les trois bases du Réseau RADiS

La pandémie de Covid-19 nous a ramenés aux valeurs fondamentales : manger mais aussi être en bonne santé. Et quoi de plus élémentaire qu’une bonne alimentation pour être en bonne santé ! Les impacts des pesticides sur diverses affections, comme les cancers et diverses maladies neurologiques, ne sont plus à prouver. Il est grand temps d’agir, en bannissant définitivement ces produits néfastes pour l’environnement et dont nos systèmes agricoles n’ont pas besoin, comme le démontrent quotidiennement les pratiques de nos agriculteurs bio. A travers sa campagne « Vers une Wallonie sans pesticides, nous y croyons« , Nature & Progrès lutte quotidiennement pour bannir les pesticides de notre environnement et de nos assiettes.

La crise d a également démontré la fragilité de notre système social. Pendant la pandémie, le taux de pauvreté a fait un bond, en Belgique, et les demandes d’aides et de colis alimentaires ont explosé. Les stratégies alimentaires territoriales doivent prendre en compte les personnes en situation de précarité financière et/ou sociale, qui représentent une frange de plus en plus importante de la population. Arrêtons de fermer les yeux sur ce problème et attelons-nous tous, dans les domaines où nous sommes actifs, à prendre des mesures pour une société plus juste et inclusive !

Voici donc les trois piliers qui sont à la base du Réseau RADiS et qui motivent nos actions. Nous avons longtemps rêvé d’un système alimentaire plus sain, plus juste, plus local, reliant les producteurs et les consommateurs, de campagnes plus harmonieuses… Il est temps maintenant de passer du rêve à la réalité, en nous concentrant sur un premier territoire, celui de Dinant, où tout est à construire en rassemblant évidemment tous les acteurs, y compris et surtout les citoyens.

2. Le Réseau RADiS, un partenariat entre Nature & Progrès et la Fondation Cyrys

Début 2020, la Fondation Cyrys contacte Nature & Progrès pour discuter d’actions à mener pour développer un système alimentaire bio, local et solidaire dans la région de Dinant. Ce premier brainstorming en appela un autre, deux semaines plus tard, en plein confinement cette fois. L’actualité n’a fait que renforcer les idées défendues par les deux partenaires, qui ont décidé de s’unir pour lancer un projet pilote dans la région de Dinant : le Réseau RADiS. Comme vous le verrez, le projet est une suite logique des actions de nos deux structures. Une initiative dans laquelle nous investissons beaucoup d’énergie et d’espoir.

Une véritable disponibilité humaine

Isabelle Caignet, membre et bénévole chez Nature & Progrès, travaille depuis plusieurs années à la Fondation Cyrys. Elle nous explique l’histoire et les missions de la fondation crée par l’Abbaye de Leffe à Dinant.

« La Fondation Cyrys, nous explique-t-elle, est une fondation d’utilité publique qui, contrairement aux fondations privées, est reconnue par un arrêté ministériel. Elle a été mise en place, en septembre 2017, par les chanoines de l’Abbaye de Leffe qui perçoivent, en effet, des royalties dues à l’utilisation du nom « Leffe » par le groupe brassicole AB-Inbev. Il ne s’agit donc pas d’actionnariat mais seulement de droits liés à l’utilisation d’un nom. Fidèles à une tradition de philanthropie, les chanoines ont créé une fondation pour soutenir des projets locaux allant dans le sens de leurs valeurs.

La publication, en 2015, de l’encyclique Laudato si’, du Pape François, sur la sauvegarde de la maison commune a fortement marqué les chanoines. Ils ont été interpellés par le concept d’écologie intégrale et par la phrase qui dit qu’il n’y a pas deux crises séparées, l’une sociale et l’autre environnementale, mais une seule crise socio-environnementale complexe. Leur volonté fut donc de ne plus séparer l’humain d’un côté, à travers des actions sociales et philanthropiques, et l’environnemental de l’autre, celui-ci étant d’ailleurs souvent le parent pauvre de leur action. Ces deux axes devaient donc être vus conjointement ; la nature ne pouvait plus être pensée en opposition à l’humain mais de manière liée. Leur intérêt, leur curiosité, par rapport à la transition joua aussi un rôle important, dans toutes les dimensions locales, conviviales, participatives, à taille humaine, et d’ouverture à tous.

Tout cela a donc permis à la Fondation Cyrys de voir le jour ; l’équipe s’est étoffée au fil du temps et est aujourd’hui composée de quatre personnes. Les fondateurs souhaitèrent une véritable disponibilité humaine et du temps vraiment consacré à l’action, plutôt que de fonctionner par appels à projets correspondant à une somme à allouer. La Fondation Cyrys privilégie l’analyse, à l’aune des missions qu’elle s’assigne, de projets qui cheminent jusqu’à elle. Les chanoines ont défini une zone d’action privilégiée qui s’étend sur six communes – Yvoir, Dinant, Houyet, Hastière, Onhaye et Anhée – et souhaitent pouvoir constater un impact, à moyen et long terme, sur ce territoire, ce qui n’empêche pourtant pas que les actions puissent également se faire ailleurs, ou bénéficier aussi à d’autres. Leur volonté d’être proches de ceux avec qui ils cohabitent fut une donnée importante dans la mise en place de la Fondation Cyrys. »

Isabelle explique comment la Fondation en est venue à créer, avec Nature & Progrès, le Réseau RADiS. « Un projet, poursuit-elle, travaillant avec les cantines scolaires avait déjà mis en évidence le peu de producteurs bio, en fruits et légumes, dans la région. Contrairement à d’autres régions, il n’existe pas non plus d’initiatives de type Ceinture alimentaire. Une coopérative de producteurs-consommateurs s’était lancée mais n’a pas dépassé le stade des trois ans. Nous avions bien conscience qu’une action d’échange devait être entreprise vis-à-vis des agriculteurs mais nous ne savions pas comment faire. Approcher le milieu agricole demande aussi une certaine légitimité. En tant que membre de Nature & Progrès, il m’a semblé évident, par ma propre expérience du SPG du label Nature & Progrès et du projet Echangeons sur notre agriculture, de faire appel à l’association pour proposer un partenariat. J’ai obtenu le feu vert pour une prise de contact, au début de cette année… »

Nature & Progrès : concrétiser le projet Echangeons sur notre agriculture !

Pendant six années, Nature & Progrès a sillonné la Wallonie pour rassembler producteurs et consommateurs autour de notre alimentation. Ces rencontres ont été l’occasion de mieux se connaître et se reconnaître, de découvrir le monde agricole pour certains, d’échanger des idées pour tenter de répondre à des problématiques comme l’accès à la terre, la crise du secteur laitier ou l’abattage de proximité, par exemple. Un nombre considérable de solutions ont été rassemblées dans le cadre du projet, et compilées au sein de nos brochures largement diffusées vers le monde agricole, politique ou vers le grand public – elles sont toujours disponibles sur le site www.agriculture-natpro.be.

Le projet a mis un coup de projecteur sur différentes thématiques, ce qui a donné naissance à des initiatives. Un éleveur a rassemblé des camarades, dans sa région, pour remettre la main sur la valorisation de leurs productions laitières. Plusieurs producteurs de céréales se sont dirigés vers des cultures panifiables pour alimenter un moulin et des boulangeries. Un projet se développe pour abattre les animaux à la ferme. Toutes ces concrétisations mettent en avant la qualité des idées qui ont émergé des rencontres entre producteurs et consommateurs, et sont autant de pas vers les idéaux défendus par Nature & Progrès.

Si ces projets individuels sont enthousiasmants, certaines initiatives gagneraient à être pensées de manière plus collective, plus territoriale. En effet, le projet Echangeons sur notre agriculture a démontré deux choses : le développement de filières alimentaires bio et locales manque d’outils et de liens. La rencontre et la coopération des acteurs permettrait de mutualiser idées et outils, aboutissant à des initiatives fortes et liées à un territoire. À la suite du développement de l’agro-industrie, nos petits outils de transformation primaire ont connu un déclin mais aujourd’hui nos producteurs, transformateurs et consommateurs, en quête d’autonomie, en ont à nouveau grand besoin. Des moulins, des malteries travaillant à petite échelle, des abattoirs, des fromageries manquent au développement de nouvelles filières alimentaires bio et autonomes. Il est temps de développer un maillage d’outils de transformation collectifs sur les territoires.

Nombreux sont les producteurs qui veulent se diriger vers de nouvelles filières locales. Des transformateurs sont, eux aussi, en réflexion et souhaitent s’approvisionner plus localement. Des consommateurs, enfin, désirent s’investir dans les questions alimentaires, recréer des circuits locaux, soutenir les initiatives de territoire. Favorisons leur rencontre, leur dialogue, pour échanger sur les besoins et les attentes, et construire ensemble des partenariats ! La suite logique du projet Echangeons sur notre agriculture est donc bien là : rassembler les acteurs, échanger mais, cette fois, pour mettre en place la concrétisation des idées, des filières, des outils à l’échelle d’un territoire. Place à l’action !

Le Réseau RADiS associe deux acteurs en réflexion sur notre société, avec des idéaux qui se complètent. La Fondation Cyrys renforce le coté solidaire, inclusif, du projet, tandis que Nature & Progrès apporte une expertise dans le domaine alimentaire et dans les filières. Nul doute qu’avec ces compétences et motivations réunies, notre ambitieux Réseau RADiS sera un modèle qui pourra essaimer partout en Wallonie !

3. Le Réseau RADiS : créer du lien, favoriser le partage

Dans différents domaines, on appelle réseau un ensemble de pôles reliés entre eux par des liens afin d’échanger des informations, de partager des ressources, de transporter de la matière ou de l’énergie. Nous avons choisi d’utiliser ce vocable pour souligner le rôle important de la démarche participative et créatrice de liens sur laquelle repose le projet. Philippe Defeyt, économiste et membre volontaire et enthousiaste du comité de pilotage du Réseau RADiS, témoigne de l’importance du capital social dans le projet.

« Le Réseau RADiS, dit Philippe Defeyt, rejoint un objectif que nous sommes aujourd’hui nombreux à poursuivre, au sein de notre société : des productions durables dans tous les domaines, en cela compris, bien sûr, l’alimentation humaine. J’insisterais personnellement beaucoup plus, au fur et à mesure que se précise le constat de terrain qui est à la fois intéressant et interpellant, sur ce que certains sociologues et certains économistes appellent le « capital social ». Il s’agit simplement des liens entre les gens. Il est très interpellant, en effet, qu’après autant d’années de conscientisation et de mobilisation, de recherches, d’actions et de plans divers, il faille encore constater que des acteurs qui ont potentiellement plein de choses à faire en commun ne se connaissent pas. Là résidera, à n’en pas douter, une partie extrêmement importante du travail effectué sur le terrain. »

Rassembler autour d’un objectif commun et sortir de l’entre-soi

« Il ne suffit pas que les gens se connaissent, précise-t-il. Bien sûr, c’est important car cela signifie que, quand les occasions se présentent, chacun sait déjà à qui il a affaire, qui est sensible à quoi, comment « prendre les gens »… Bien sûr, chacun a également ses propres contraintes et ses propres visions du monde, cela fait depuis toujours partie des réalités. Néanmoins, il faut pouvoir, à un moment donné, être proactif ; il ne suffit pas de dire simplement qu’on rencontre des gens… Car ces rencontres doivent avoir un objet ou, en tout cas, il faut au moins en proposer un dont se saisit qui le souhaite. Ceci entre dans le cadre d’une réflexion plus globale sur notre société : le capital social est extrêmement important dans toutes ses dimensions et il est d’autant plus important dans un cadre de développement durable où il faut être économe de moyens. Chacun ne peut plus faire son petit investissement dans son coin et même les agriculteurs classiques redécouvrent les charmes d’une démarche coopérative qui consiste, par exemple, à partager des équipements lourds. Cela vaut a fortiori pour toutes les démarches de transition… »

« A la mise en place de filières, poursuit Philippe Defeyt, je préfère l’idée de faire se rencontrer les producteurs et les consommateurs, mais aussi les producteurs entre eux, et les consommateurs entre eux. C’est l’avenir, me semble-t-il, à tous points de vue, et pas seulement dans la production alimentaire. Cela vaut aussi dans toute une série d’autres secteurs : il s’agit de liens où chacun apprend de l’autre. Les uns apprennent aux autres ! Une fois qu’on se connaît, ce genre de lien peut très vite devenir informel : j’ai une question, je sais à qui m’adresser, je passe un petit coup de fil… J’ai un doute, je le partage, j’essaie d’apporter une réponse… Au départ, bien sûr, un lien structurel, structuré, est peut-être nécessaire qui serait l’occasion de faire « prendre la mayonnaise »…

Ce qui me semble important, dans cette idée de capital social et humain, c’est précisément de sortir des filières. Même dans le monde économique traditionnel, des rencontres ont lieu au sein de filières données et des gens se parlent et discutent entre eux… Les éleveurs se parlent, les betteraviers se parlent… Mais l’intérêt majeur, dans une perspective de développement durable, est au contraire de sortir de l’entre-soi ! D’abord parce qu’on apprend les uns des autres – une technique de protection contre des nuisibles sera peut-être transposable à des cultures différentes – et qu’il est nécessaire d’avoir une connaissance juste de ce que l’autre fait. Un exemple dans le domaine de la transition : quand se réunissent des gens qui promeuvent des démarches alternatives, on sait d’avance ce qu’ils vont se raconter. Quand on réunit ces gens avec des « commerçants » et/ou des fermiers plus traditionnels, il est déjà plus compliqué de savoir ce qui va en sortir… Quelle sera l’expérience qui va être profitable pour l’autre ? C’est là tout l’intérêt de sortir de l’entre-soi… »

Prendre le temps et faire le pas

« Il y a bien sûr de nombreux obstacles au développement du capital social, poursuit Philippe Defeyt. C’est d’abord une question de temps or il y a des urgences, surtout dans une période de crise comme aujourd’hui. Il y a ensuite des formes de méfiance et d’incompréhension, des formes de représentation, c’est-à-dire qu’on se fait une image toute faite d’autrui, certains porteurs de projets de transition se méfiant, par exemple, d’entreprises commerciales traditionnelles au sujet desquelles ils imaginent plein de choses… Réduire ces obstacles demande évidemment du temps et du travail mais il faut surmonter ces difficultés qui empêchent la maximisation du développement du capital social et humain à l’échelle d’une région ou d’une sous-région. »

« La transition réside essentiellement, à mes yeux, dans le partage, conclut Philippe Defeyt. Partages d’équipements, de données, de connaissances… Faire en sorte que mon expérience serve à d’autres, qu’il soit possible de réfléchir en sortant de l’entre-soi. Tout cela reste, pour moi, une ligne directrice extrêmement importante. L’agriculture est un lieu magnifique pour faire cela. Il y a une histoire dans le monde agricole, peut-être moins chez nous que dans d’autres pays mais il existe encore des coopératives qu’il faut bien sûr faire évoluer et moderniser. La démarche coopérative est une chose géniale car elle distingue les choses qu’on fera mieux ensemble que tout seul ! Et, au-delà du fait qu’une telle démarche crée des liens, elle l’emporte par son argument économique. Gérer ensemble une coopérative est très bon pour le capital social car, forcément, on se parle. Mais c’est bon également sur le plan économique… Acheter des équipements qui servent très peu est, par exemple, un non-sens économique alors que le faire à plusieurs peut avoir pleinement son sens… »

Comme le projet Echangeons sur notre agriculture, le Réseau RADiS se veut un projet de rencontres brassant un large éventail d’acteurs, tous réunis avec un objectif commun : développer des filières bio, locales et solidaires dans la région dinantaise. Et ça commence… Maintenant !

Développer les filières par la mise en réseau

Le Réseau RADiS travaille sur un territoire comprenant six communes : Anhée, Yvoir, Onhaye, Dinant, Hastière et Houyet. Sur ces communes, une quarantaine de producteurs bio, quatre transformateurs bio, des commerçants, des restaurants et une horde de consommateurs, certains sensibles à nos valeurs, d’autres pas, certains avec des moyens financiers, d’autres, moins… On met le tout dans le chaudron, on chauffe, et… ?

Fabrice de Bellefroid, administrateur de Nature & Progrès, est également engagé comme expert dans le comité de pilotage du Réseau RADiS. Son expérience dans le milieu agricole, au contact des producteurs, et sa participation à différents projets – dont la mise sur pied de la coopérative ADM-bio qui transforme en soupes la production légumière impossible à présenter en magasins – sont une réelle richesse pour la construction de notre initiative. Il témoigne : « Le réseau n’a pas pour objet la création de coopératives d’infrastructures, comme des moulins, mais il s’agit davantage d’aider, d’encadrer et de mettre des personnes en contact. Tout part des ambitions et des volontés de ceux qui sont sur le terrain, à qui on peut, le cas échéant, faire l’une ou l’autre suggestion. Nous avons entrepris une première démarche en direction des producteurs. Nous avons constaté combien, sur une aussi petite région, les agriculteurs ne se connaissaient pas et étaient heureux de se rencontrer pour échanger leurs points de vue. On peut donc penser que, d’une manière très générale, une meilleure connaissance mutuelle des différents acteurs, des questions alimentaires et leur mise en réseau est très riche de potentiel. »

Partir de la production locale ou partir des consommateurs ?

La première étape du projet a donc été de contacter les producteurs bio, de découvrir ce qu’ils produisent et comment ils valorisent leurs productions, et de récolter leurs ambitions individuelles. Nous avons rapidement constaté un intérêt pour la production de céréales panifiables, de nombreux agriculteurs étant déjà producteurs de céréales de qualité standard pour les filières fourragères et énergétiques. Si c’est possible de contribuer à nourrir leurs voisins, ils sont partants ! Mais… Comment créer la filière ? Avec quels outils de transformation, et surtout, pour faire quoi ? Des farines ? Du pain ? Des pâtes ?…

On note aussi un intérêt des producteurs bio pour la diversification des cultures afin d’allonger la rotation, ce qui est bénéfique pour la gestion des adventices et des maladies et pour la fertilité du sol. Fabrice explique : « Ces cultures – quinoa, chanvre… – sont certes nouvelles pour les agriculteurs mais elles offrent de belles plus-values tout en étant réalisables avec le matériel classique. Elles sont pleines d’intérêt au niveau agronomique, au niveau alimentaire et diététique, au niveau des circuits courts, etc. Mais demander à un cultivateur de produire des lentilles ne dit évidemment rien sur la garantie qu’il aura de les vendre… » Et ici se trouve le premier constat de notre étude : les producteurs sont frileux à l’idée de se lancer dans la valorisation de leurs productions, n’étant pas sûrs que les consommateurs achèteront effectivement leurs produits…

Fabrice poursuit : « Nous sommes donc davantage repartis des consommateurs, pour évaluer le débouché. La possibilité d’approvisionner les collectivités semble une piste prioritaire, en collaboration avec l’association Influences végétaleshttp://influences-vegetales.eu/ – qui accompagne les écoles et les collectivités dans l’approvisionnement des cantines en bio en circuit court, en « vrai local » !  » Voici donc une belle opportunité pour développer des filières, vu les volumes que peuvent potentiellement représenter les demandes des cantines scolaires. Mais tout n’est pas si simple : « Nul n’a jamais la garantie de convaincre les parents de demander du bio et local pour leurs enfants, dit Fabrice de Bellefroid, ni que les enfants mangeront finalement les soupes qu’on met dans leur assiette… C’est la réalité du terrain dont on ne parle pas forcément : ce n’est pas parce qu’on place des soupes dans telle ou telle école que les enfants vont ipso facto en boire. Il est cependant beaucoup plus facile de travailler avec les écoles et avec les collectivités qu’avec le consommateur direct. Une autre façon de commercialiser serait de s’appuyer sur les épiceries sociales et solidaires, et les groupements d’achats… »

Une filière faible : les fruits et légumes 

Avec Influences végétales, nous avons donc identifié les besoins des cantines scolaires souhaitant se diriger vers des produits bio et locaux. Mais finalement, quel est le niveau des productions alimentaires locales par rapport à la consommation locale sur notre territoire d’action ? Y a-t-il des filières à développer plus que d’autres ? En réunissant des chiffres sur les surfaces de production – bio et non bio ensemble – et les cheptels animaux – bio et non bio ensemble – dans les six communes, et en comparant leurs productions théoriques avec la consommation des habitants du territoire, on arrive à un constat marquant : les surfaces et cheptels semblent amplement suffisants, et parfois même largement, pour rencontrer, en théorie, les besoins alimentaires des habitants… sauf pour les fruits et légumes ! Les surfaces consacrées aux fruits et légumes ne pourraient couvrir, selon nos calculs, que 4 % à peine des besoins alimentaires des citoyens ! La moyenne wallonne d’auto-approvisionnement alimentaire dans ces filières étant de 17 %, il y a donc beaucoup de travail pour développer cette filière ! Cette étude comparative des surfaces et les cheptels avec les besoins des consommateurs est disponible sur le site internet www.reseau-radis.be.

Selon Fabrice, « ce serait donc une belle occasion de faciliter l’installation de maraîchers, en leur suggérant de se concentrer sur certains types de production qu’ils maîtrisent bien… et en collaborant ! La perspective de pouvoir alimenter des cantines leur permettrait de produire de manière plus conséquente, sans se tracasser pour les rebuts. Un atelier pourrait alors les transformer en soupes à destination des écoles… »

Deux axes de travail prioritaires

Mettre en lien les activités et souhaits des producteurs avec les besoins des transformateurs, des commerçants et des consommateurs, y compris les cantines, est donc une première étape permettant d’augmenter la part des productions bio et locales dans l’assiette du consommateur dinantais. Nous avons particulièrement épinglé deux filières sur lesquelles nous souhaitons travailler : les fruits et légumes bio et les céréales panifiables. Pour la première, il s’agira de comprendre quels sont les freins à l’installation de nouveaux producteurs bio, pourquoi certains ont fait le choix de ne pas se faire certifier bio, de voir comment renforcer l’accès à la terre et comment collaborer pour mutualiser au maximum et atteindre la rentabilité. Pour la seconde, il s’agit de définir les produits finis auxquels nous souhaitons arriver, et mettre en place les outils manquants, en créant, certainement, une activité économique et des emplois. Des groupes de travail vont se mettre en place dès ce mois de janvier, rassemblant tous les acteurs intéressés, pour se pencher sur ces questions.

4. L’accessibilité de l’alimentation bio et locale pour tous

Selon une étude de l’IWEPS, un wallon sur cinq est en situation de précarité financière. D’après la Fédération des Services Sociaux, l’aide alimentaire concerne quatre cent cinquante mille personnes en Belgique, soit 4 % de la population ! Les personnes bénéficiant du revenu d’intégration sociale, identifiées et gérées par les CPAS, sont près de cent cinquante mille en Belgique, soit 1,3 % de la population, dont 687 sur les six communes de notre territoire d’action.

La situation des personnes en difficulté économique est diverse : personnes sans revenus – chômeurs, exclus du chômage, incapacité de travail -, personnes actives mais à faibles revenus, petites pensions, familles monoparentales – parent actif ou non -, personnes sans domicile fixe… La diversité des situations implique que les personnes ont des besoins différents. Certains sont isolés et ont besoin de contacts sociaux, d’autres ont peu de temps disponible, certains disposent de peu d’infrastructures pour cuisiner, voire pas du tout, etc.

Un certain nombre de freins à l’accessibilité des personnes aux aliments de qualité ont été identifiés : le prix, le manque de temps, le manque de compétences – cuisine, méthodes de conservation… -, le manque de motivation pour cuisiner, le manque de moyens matériels – cuisine, terres, lieu de stockage… -, l’accessibilité physique – la mobilité -, l’accessibilité culturelle, etc.

Les types d’aides alimentaires existantes

L’aide alimentaire repose aujourd’hui sur plusieurs actions. La plus courante est la distribution de colis alimentaires, alimentés par différentes ressources : les produits achetés par le biais des fonds européens, le plus souvent peu périssables, et les produits issus des dons – invendus de grandes surfaces, de particuliers, etc. – recueillis par les courageux bénévoles des associations caritatives. Des infrastructures dédiées aux personnes en situation économique précaire sont aussi offertes, comme les restaurants sociaux et les épiceries sociales. Parfois, les CPAS peuvent aussi distribuer des chèques alimentation permettant aux allocataires de se fournir dans les magasins.

Toutefois, si elle part toujours de bonnes intentions, cette aide caritative présente des limites tant elle met ses bénéficiaires dans une position d’assistanat souvent humiliante, surtout quand les distributions de colis sont publiques, et notamment quand l’accès est conditionné et demande des justifications lourdes qui portent atteinte à la vie privée. Elle peut même être dégradante, les produits alimentaires distribués n’étant pas toujours de bonne qualité, et issus souvent des rebuts, les « poubelles des riches » ! Bref, cette aide augmente gravement le clivage social, en mettant les publics précarisés bien à distance des personnes plus nanties. Elles n’offrent pas aux bénéficiaires les produits répondant à leurs attentes : manque de produits frais, manque de diversité, divergences culturelles, absence de choix… Les programmes d’aide alimentaire visent aussi souvent à pousser les gens à changer leurs habitudes, à les diriger vers une alimentation plus saine et équilibrée, ce qui est perçu comme très moralisateur.

« Le sentiment d’humiliation, d’atteinte à leur dignité, semble être composé de deux éléments : l’humiliation de recevoir des produits invendus, c’est-à-dire les « déchets » des autres consommateurs et de l’agro-industrie, et la violence de ne pas avoir le droit de choisir les produits qu’ils veulent, de ne pas pouvoir les refuser ni les contester ». Source : ATD Quart Monde 2019. L’expérience de l’aide alimentaire. Quelles alternatives ? Rapport d’une recherche en croisement des savoirs.

« Il faut absolument éviter d’enfermer tous les statuts précaires dans un seul et même grand sac, renchérit Philippe Defeyt, membre du comité de pilotage du Réseau RADiS, et plus encore de les enfermer dans « leur » monde. Je ne suis donc personnellement pas favorable au développement des banques alimentaires et des restaurants sociaux qui présentent l’immense défaut de mettre les gens à part. Va-t-on faire des circuits pour les pauvres, des formations pour les pauvres, des bus pour les pauvres, des hôpitaux et des écoles pour les pauvres ? Où va s’arrêter cette logique ? Un pauvre, comme n’importe lequel d’entre nous, a le droit de choisir ce qu’il consomme, d’aller dans les circuits de distribution qu’il souhaite… Que l’on fasse avec lui ce qu’on fait avec tout le monde, c’est-à-dire encourager les gens à mieux réfléchir à leurs choix, oui, d’accord ! Mais comme tout le monde : ni plus, ni moins. Les banques alimentaires et les restaurants sociaux sont des filières qui gardent les pauvres entre eux, en-dehors de la société. »

Vers de nouveaux modèles alimentaires

Il semble donc nécessaire de partir sur de nouveaux modèles d’aide alimentaire basés sur la solidarité et évitant les écueils des stratégies caritatives actuelles. Les solutions devront éviter l’assistanat en impliquant les personnes, éviter le clivage social en créant des liens sociaux et en favorisant une mixité sociale intégrative, reposer sur la solidarité et la convivialité, donner le choix, aller vers la qualité et être adaptées à la situation des différents types de publics. Développer ces nouvelles stratégies d’aides nécessite, par conséquent, de sortir des sentiers battus. Le Réseau RADiS a l’ambition de creuser des solutions d’aides à l’accessibilité des produits bio et locaux plus justes, plus valorisantes pour les personnes qui en ont besoin. Encore un beau défi !

Renforcer l’accessibilité des produits sans porter atteinte aux revenus agricoles

Les agriculteurs sont souvent, eux-mêmes, dans une situation de précarité sociale – isolement – et économique – faible valorisation de leurs productions. Parler, avec les producteurs, d’aider les consommateurs pauvres peut donc faire apparaître quelques crispations sur les visages… Va-t-on encore nous ajouter une pression sur les prix alors qu’il est déjà difficile de vivre de la culture et de l’élevage ?

Selon Fabrice de Bellefroid, membre du comité de pilotage du Réseau RADiS, « il y aura toujours un fossé entre ce que la frange démunie de la population peut dépenser pour se nourrir et les conditions de vie décentes de celui qui produit. Dès lors, de deux choses l’une, soit la prise en charge sociale est accentuée, par le biais d’épiceries sociales par exemple, soit le consommateur est invité à investir une part de son temps, sur le champ, avec le producteur. La réduction de ce fossé fait évidemment partie du projet du Réseau RADiS. »

Toujours selon Fabrice, « l’autocueillette est une solution prometteuse. Le Champ des possibles, à Jupille, montre par exemple qu’un beau panier de légumes hebdomadaire peut ne pas dépasser trois cents euros par an si le travail de récolte, de nettoyage et de préparation des légumes est réalisé par ceux qui les consomment, alors qu’il incombe généralement aux producteurs. C’est donc bien une manière d’avoir accès à de bons légumes frais à des prix extrêmement modiques… On peut également imaginer cela pour les fruits dont la grosse charge en main-d’œuvre grève fortement le prix final. »

Par ailleurs, des magasins coopératifs, permettant aux coopérateurs à faibles revenus d’obtenir un prix réduit en l’échange de quelques heures de travail – réassortiment des rayons, tenue de la caisse… – est également une solution. Echanger un peu de travail contre un prix plus faible, que ce soit en autocueillette ou via des magasins solidaires, implique cependant que les personnes disposent de temps, ce qui pour certains publics est souvent compliqué : personnes ayant deux emplois, familles monoparentales…

Une aide publique sous forme de chèques-alimentations

La Fédération des Services Sociaux, que nous avons contactée pour recueillir leur avis sur la question, soutient le caractère indispensable des aides publiques, et promeut un soutien sous forme de chèques alimentation. Isabelle Caignet, de la Fondation Cyrys, les rejoint. « Il faudrait fonctionner, dit-elle, en lien avec les CPAS, avec des épiceries qui accepteraient des bons d’achat, sans qu’on puisse faire de différenciation, à la caisse du magasin, entre celui ou celle qui s’en sert et le reste de la clientèle… Une sorte de carte de fidélité qui octroierait de substantielles réductions. Les expériences montrent qu’un volet parallèle de sensibilisation reste indispensable : rapport à l’alimentation, ateliers de cuisine, etc. »

D’autres pistes peuvent encore être envisagées : épiceries solidaires mixtes, groupements d’achats collectifs permettant d’acheter, en plus gros volumes et à plus faible prix, des denrées alimentaires, mise en place de potagers collectifs, de cuisines collectives ou de conserveries mobiles, d’ateliers permettant de sensibiliser et de former à la cuisine et à la conservation des aliments… Les idées se multiplient, au fur et à mesure que l’on creuse la question. Reste à les évaluer et à les éprouver afin de faire les meilleurs choix dans les conditions que nous rencontrerons, surtout en fonction des souhaits et besoins réels des personnes que l’on cherche à aider…

L’emploi contre la pauvreté

Le Réseau RADiS a l’ambition de développer des activités de valorisation des productions agricoles bio pour les rendre accessibles aux citoyens de la région. Ces activités seront, sans aucun doute, créatrices d’emplois et/ou pourraient faire l’objet de programmes de réinsertion socio-professionnelle des publics en situation précaire. C’est aussi une piste explorée dans le cadre de notre projet, notamment via une première rencontre avec l’association Cynorhodon, une entreprise de formation par le travail dans le domaine du maraîchage bio et de l’entretien des espaces verts.

Philippe Defeyt nous interpelle sur la nécessité de développer un volet économique solide pour pouvoir intégrer ensuite un volet social d’aide aux personnes démunies. « La question du travail avec les publics précarisés, estime-t-il, doit être au centre des préoccupations ; je serai le dernier à être insensible à cette dimension-là. Je défends assez bien l’idée qu’au vu de la pression du monde économique traditionnel, il faut d’abord et avant tout être des professionnels. Pour faire du maraîchage, il faut un maraîcher ! Il faut qu’il gagne sa vie correctement mais aussi qu’il soit à même de s’organiser pour durer. Quand les démarches économiques sont bien solides, il est alors possible de penser aussi à la dimension sociale : accueillir des stagiaires, travailler avec une Entreprise de Formation par le Travail, collaborer avec un atelier de travail adapté, avec des banques alimentaires, etc. »

Voici donc un beau défi pour notre Réseau RADiS de travailler, en parallèle, au développement des filières bio et locales, sur les aspects de l’intégration sociale et de l’accessibilité de l’alimentation pour tous. Un sujet aussi stimulant que complexe qui nous plongera dans un domaine que nous maîtrisons encore peu, actuellement chez Nature & Progrès, mais qui est d’une importance majeure pour une société plus équitable.

Un petit producteur sénégalais face à la crise du lait

Mamadou Baldé, la cinquantaine bien passée, est un des nombreux petits producteurs de lait que l’on rencontre autour de Kolda, une petite ville du sud-est de la Casamance, au Sénégal. Il fait partie de ces éleveurs qui ont fait de la production de lait un métier à part entière. Il y a une vingtaine d’année, les politiques, appuyés par certaines associations et ONG, ont lancé un programme de valorisation de la production laitière afin de réduire les importations tout en créant un revenu monétaire à l’éleveur. Le « miracle » de la téléphonie nous permet de faire le point avec lui…

Par Hamadou Kandé

- Mamadou, voulez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

Je suis éleveur et agriculteur car, ici, nous faisons les deux métiers en même temps. Autant je m’occupe de mes vaches, autant je prends soin de mes champs de cultures vivrières et de cultures de rente pour subvenir aux besoins de la famille. J’ai cinquante-six ans, je suis monogame et j’ai huit enfants. Mes garçons adultes – ils sont quatre – vivent en ville où ils poursuivent leurs études. Ils reviennent à la maison pendant les vacances scolaires. Les autres enfants vivent à la maison car ils vont au collège. Ils participent aux activités domestiques : travaux champêtres et entretien des vaches et des petits ruminants…

- Combien de vaches avez-vous ?

J’ai actuellement un cheptel de septante-cinq têtes, et une vingtaine de moutons et de chèvres. Cependant tout ne m’appartient pas, dans ce cheptel : certaines vaches appartiennent à ma femme, d’autres appartiennent à mes enfants car ce sont des dons que nous avons faits, à chacun, à la naissance. Suivant les chances des uns et des autres, ces vaches se sont multipliées. C’est pareil pour les autres petits ruminants : la majorité appartient à ma femme et quelques-uns à mes enfants. Le reste est à moi. Ici, chacun reconnaît ses bêtes.

- Comment organises-tu la gestion de tes vaches ?

Pendant la saison des pluies – de juillet à novembre -, tout le cheptel est regroupé en un seul troupeau. La traite se fait le matin, ensuite nous détachons les vaches et le berger – un employé saisonnier payé à la fin de la campagne – conduit les bêtes au pâturage ; il les ramène en fin d’après-midi et nous les attachons, une par une, durant la nuit. Voilà le rythme habituel et quotidien. Durant cette période d’abondance de fourrage, la production de lait peut doubler, voire tripler, par rapport à la production en saison sèche.

Entre novembre et juin, le troupeau est divisé en deux groupes : la majorité est gérée de façon traditionnelle. Les vaches sont laissées en divagation, elles se débrouillent toutes seules pour trouver leur nourriture. Notre seule obligation est de les abreuver et de les attacher pendant la nuit. Pendant cette période, la production de lait chute drastiquement. Les femelles arrivent à peine à satisfaire les besoins de leurs veaux et la quantité consommée par la famille est réduite, voire pratiquement nulle.

Il y a ensuite un second groupe de vaches laitières – les plus productives : en moyenne, deux litres par jour – qui est parqué dans une étable. Ici, le but est de produire du lait en quantité pour le vendre à la laiterie du village afin d’avoir un peu d’argent pour subvenir aux besoins de la famille.

- Combien de vaches sont ainsi stabulées ?

J’enferme au maximum sept vaches. Le choix de ce nombre réduit est dicté par la rentabilité de l’activité. Vu que nos races locales produisent très peu de lait, il est impossible de s’en sortir financièrement si vous enfermez beaucoup de vaches. Cela augmenterait la quantité d’aliment à acheter alors que la production de lait n’augmenterait pas autant.

- Les producteurs de lait sénégalais bénéficient-ils d’aides publiques ?

Non. Il n’existe aucune aide. Nous achetons les compléments alimentaires au prix fort du marché, alors que notre lait, frais et local, est concurrencé par le lait en poudre importé d’Europe…

- Comment se passent tes journées ?

Je démarre, tous les matins, à six heures. Au réveil, je vais d’abord voir le grand troupeau qui est souvent parqué à trois kilomètres du village. Il arrive que je trouve quelques problèmes à régler d’urgence, quand il faut, par exemple, rattacher certaines bêtes qui ont rompu leur corde. Après la visite du grand troupeau, je reviens à l’étable, installée près de la maison, pour procéder à la traite des sept vaches qui s’y trouvent ; je les conduis ensuite au puits pour qu’elles boivent et, enfin, je leur donne leur ration alimentaire. Je retourne alors auprès du grand troupeau où je suis aidé par les enfants disponibles. S’ils sont tous empêchés, ce qui arrive assez souvent, je fais seul la traite. Ensuite, je libère les vaches et je reviens à la maison pour m’occuper d’autres choses… Les après-midis, entre treize et quinze heures, je vais abreuver le grand troupeau qui revient spontanément au point d’eau, au puits. En fin d’après-midi, vers dix-huit heures, je retourne attacher les vaches, chacune à sa place. Et, le lendemain, c’est reparti pour le même cycle… Ce rythme-là est tenu pendant tout le cycle de stabulation, qui va de novembre à juin. Ensuite, les deux groupes sont réunis en un seul troupeau, pendant la période d’abondance du fourrage, la saison des pluies. La production de lait monte alors en flèche durant car l’ensemble des vaches laitières connaissent une augmentation de leur production.

- Comment arrivez-vous à vous occuper des vaches et des champs, en même temps ?

Le travail que je viens de vous décrire peut-être effectué par toute la famille. Les enfants s’impliquent dès l’âge de six ans. Ils assistent leur père ou leur mère, et c’est ainsi qu’ils apprennent tout ce qu’il faut savoir.

- Quels sont les avantages de la stabulation ?

Ils sont de trois ordres : la stabulation apporte des revenus monétaires mensuels, alors qu’avant nous n’avions de l’argent que lorsque nous vendions notre production d’arachides, ou si nous vendions une bête. Le second avantage, et non le moindre, est la rapidité de multiplication du troupeau. Les vaches, bien nourries dans l’étable, portent un petit tous les années et demie environ, contre une moyenne de trois ans pour celles qui restent à l’état traditionnel. Le fumier de l’étable est également de meilleure qualité et il annule nos besoins en engrais chimique. Du coup, je n’achète pas d’engrais, ce qui se traduit par une économie substantielle.

- Quel est l’avenir de ce nouveau métier de producteur de lait ?

Il est très compliqué de prédire l’avenir ! La race locale est très peu productive et, si vous ne visez que le lait sans les autres avantages, vous aller rapidement abandonner à cause de la concurrence du lait reconstitué, à partir de la poudre de lait importée. Le croisement avec des races importées permet de relever le niveau de production, mais ce croisement n’est pas facile à obtenir car l’insémination obéit à un calendrier officiel des agents de l’état qui n’épouse pas le nôtre. Pour des raisons techniques, le programme d’insémination est regroupé et il n’est pas possible de faire une demande individuelle suivant, la situation particulière d’un troupeau. Si vos vaches ne sont pas prêtes quand le programme est lancé, eh bien, vous passez à la trappe. Ce qui fait que les producteurs locaux n’en bénéficient que très rarement… Dans ma famille, nous sommes éleveurs de père en fils, mais je crains fort d’être le dernier de la lignée à faire ce travail…

- Pourquoi dis-tu cela ?

Mes enfants qui sont tous allés à l’école ; ils ne souhaitent pas vivre les mêmes difficultés que moi. Le métier d’éleveur était prometteur à mes débuts. Je suis de la génération qui est passée de l’élevage traditionnel contemplatif à un élevage, dit moderne, où l’éleveur travaille à générer, via son lait, des revenus monétaires pour faire face à ses besoins. Avant l’éleveur se contentait, en priorité, d’auto-alimenter les siens avec sa production. Quand il avait besoin d’argent, pour une dépense familiale, il vendait une bête… C’est avec ma génération que les choses ont commencé à changer. Maintenant, l’éleveur investit dans l‘achat de compléments alimentaires pour produire du lait qu’il revend sur le marché local. Cette production est devenue une activité économique régulière qui se fait douze mois sur douze, alors que, du temps de mon père, elle était pratiquement inexistante sauf durant les cinq mois de la saison des pluies, où la production était excédentaire par rapport aux besoins de consommation de la famille.

- Pourquoi, alors, les enfants ne sont-ils plus attirés par le métier ?

Depuis les années quatre-vingt, les éleveurs – avec l’appui des OGN et des services de l’élevage – ont entamé la modernisation de leur activité, en investissant dans l’achat de compléments alimentaires, pour faire de la production du lait une activité génératrice de revenus… Ainsi, contrairement à mon père qui vendait une bête pour faire faces à ses besoins, moi je vends du lait pour subvenir à mes différents besoins sociaux : ordonnance, frais scolaires, habillement… Du coup, la production de lait est devenue une activité stratégique, pour nous les éleveurs. Le lait, en plus de permettre une bonne alimentation de nos familles, génère des revenus. C’est devenu un métier à part entière.

Cette nouvelle forme d’exploitation de nos vaches, avec la pratique de la stabulation pendant les mois de la saison sèche, permet une bonne intégration de l’élevage à l’agriculture, grâce au fumier qui aide à enrichir le sol et les restes des récoltes qui fournissent une bonne partie de l’alimentation des vaches laitières. Depuis l’apparition de cette forme d’exploitation de nos élevages, un second métier a fait son apparition dans nos zones agricoles : celui des transformateurs, au sein de petites unités de transformation artisanale du lait local. Ces unités créent de la valeur ajoutée, en transformant le lait local qu’ils nous achètent en divers autres produits. De nouveau emplois sont donc apparus avec cette activité de transformation. Grâce à elles, une certaine constance dans l’offre des différents produits laitiers est apparue, ce qui est une bonne chose pour les consommateurs.

- Mais ce fut une embellie de courte durée ?

La demande en produit laitiers est assez grande dans notre pays. Le développement de la production locale a encore revigoré l’offre et les consommateurs ont pris goût à ces aliments locaux, dérivés du lait, qu’ils trouvent désormais près de chez eux. Ce succès, lié à un travail de terrain mené par les éleveurs et les associations, a toutefois attiré une autre catégorie de transformateurs industriels, uniquement motivés par le gain qu’ils peuvent tirer de l’activité. Très vite, ces nouveaux transformateurs de lait se sont orientés vers le lait en poudre, moins cher et disponible en grandes quantités. Ils ne se soucient aucunement de la qualité nutritionnelle de leurs produits. Seul le profit compte à leurs yeux !

Le calcul est vite fait : un kilo de lait en poudre coûte 2.500 francs CFA, soit 3,80 euros. Avec cette quantité de poudre en lait, on obtient neuf litres de lait reconstitué qui est vendu à 300 francs CFA, soit 0,45 euros, alors que le vrai lait local est revendu entre 350 francs CFA, pendant la saison des pluies, et 400 francs CFA, pendant la saison sèche. Cette différence de plus ou moins 50 francs CFA fait pencher la balance en faveur du faux lait des transformateurs industriel. De plus, ces industriels occupent le terrain publicitaire, avec des slogans mensongers qui font croire au public mal informé que leur lait est local et frais ! Le stratagème consiste à donner, à leurs marques, un nom local auquel ils collent une image locale, souvent celle d’une femme éleveur peulh – une ethnie spécialisée dans l’élevage, dans toute l’Afrique de l’Ouest. Les consommateurs n’ont aucune possibilité de faire la différence entre ce lait issu de la poudre de lait et le vrai lait local, produit par les éleveurs du coin.

- La poudre de lait importée est donc fatale pour le lait local ?

Malgré les prix élevés des compléments alimentaires, la filière locale restait rentable pour l’éleveur local. Malheureusement, l’invasion du lait en poudre vient donner le coup de grâce à cette activité endogène qui impactait positivement le monde rural et l’élevage, au sens large du terme. Comme le serpent qui se meurt la queue, les éleveurs sénégalais ne comprennent pas que ce soient leurs homologues européens qui leur portent ainsi l’estocade fatale ! Cette poudre de lait importée qui a fini d’étouffer le développement de la production locale est à l’origine de tous les problèmes des éleveurs. Et ces problèmes renforcent la détermination des jeunes à tenter l’aventure de l’émigration clandestine ! C’est David contre Goliath. Mais on ne sait que trop bien ce qu’il advint de Goliath…

Dès demain du 100% bio et fait maison

Tel devait être le thème de notre salon Valériane 2020… Mais, si le salon n’a pas lieu, la proposition qui est ainsi faite à chacun.e d’entre nous reste évidemment, plus que jamais, d’actualité. Qu’est-ce que le « fait maison » ? Quelle est la réalité derrière la formule ? Elle recouvre, vous vous en doutez, une très grande diversité d’approches et de méthodes… Nous avons donc sollicité, pour y voir un peu plus clair, le témoignage de cinq « proches » de Nature & Progrès. Nous leur avons posé quatre questions très simples pour les laisser évoquer librement leur rapport à la nourriture. Matière à réflexion…

Propos recueillis par Dominique Parizel

Introduction

Les quatre questions :

  1. Quel a été ton parcours vers le « fait maison » ?
  2. Où situe-tu ton degré d’autonomie alimentaire ?
  3. Table-tu plutôt sur l’autoproduction ou sur la proximité avec les producteurs locaux ?
  4. As-tu des « trucs et astuces » à recommander ?
Patricia, quelque part en Hesbaye liégeoise, est très active sur facebook

1- J’ai toujours eu beaucoup de plaisir à manger et à découvrir des saveurs. J’ai toujours été intéressée par l’environnement et la nature, j’ai toujours aimé les balades… Avec mon groupe facebook, je me considère comme une « délivreuse » de savoir-faire, dans les deux sens du terme : je les libère là où ils sont resté coincés et je les apporte à ceux qui en ont besoin, pour gagner en qualité de vie sans nuire à l’environnement. Je propose juste ce que je fais tous les jours : des choses qui me paraissent simples mais qui ne le sont peut-être pas aux yeux de quelqu’un d’autre. Nous avons tous une histoire familiale riche de connaissances singulières qui doivent absolument être partagées. Une recette n’est une chose figée ; elle doit toujours être transformée par celui ou celle qui la fait. Moi, je propose des recettes avec ce qu’on a sous la main car je trouve la cuisine trop souvent inutilement sophistiquée.

2- Autonomie est un terme à la mode. Moi, je suis autonome au saut du lit mais, quand j’arrive au déjeuner, il me faut du thé, du café, du lait, du sucre… Et, même si je fais mon pain moi-même, je n’ai pas cultivé la céréale… Pour nourrir une famille entière, il faudrait cultiver un hectare car les céréales prennent énormément de place. Donc, même si nos potagers nous rendent plus autonomes, la collaboration avec des professionnels est indispensable. Il m’est difficile de m’engager pour les agriculteurs, même si j’en côtoie souvent. Je préfère donc parler de consommation en circuits courts, de résilience et d’efficience en cuisine. Ce serait déjà pas mal, pour beaucoup de monde, d’être autonome en cuisine, au fourneau. Si j’achète un colis de bœuf, j’aurai des beaux morceaux et des moins beaux morceaux que j’aurai autant de plaisir à manger… à condition de savoir les cuisiner ! Des carbonades qui mijotent, tout un après-midi, embaument toute la cuisine. C’est terrible, croyez-vous, cela prend des heures ? Du calme ! Venez sur mon groupe pendant que cela cuit. Ou allez vous promener… S’organiser est indispensable mais il ne faut pas non plus devenir l’esclave de ses convictions. Il y a des jours où on peut juste ouvrir une boîte de sardines… Toutefois, les nombreuses petites aides culinaires qui sont très utiles – comme les légumes lactofermentés en bocaux -, il faut pouvoir prendre le temps de les faire. Ce sont des activités qui déstressent…

3- Je cultive une petite parcelle dans mon jardin – quelques plants de courgettes et de potirons, des poireaux, des betteraves et des salades – où j’ai surtout des aromatiques, ainsi que des fraises et des petits fruits. J’ai aussi une parcelle dans un jardin communautaire, à Awans, où on m’a même demandé d’être présidente. Sans doute parce que j’avais un beau chapeau… Je suis bénévole au Valeureux et également chez Hesbicoophttps://hesbicoop.be/ – quand j’arrive à quitter ma cuisine et mon écran d’ordinateur… Hesbicoop est une centrale où les producteurs amènent leurs marchandises qui sont ensuite dispatchées vers différents centres de ralliement où nous les répartissons en paniers pour les particuliers. C’est du local où nous incorporons un peu d’équitable. Une solution qui permet aussi d’éviter des déplacements inutiles en voiture, le problème du circuit court étant souvent de devoir courir à dix endroits différents pour dix denrées différentes. Nous proposons un juste milieu : tout centraliser pour ne faire qu’un trajet par semaine…

4- Un truc ? Faites du bouillon maison ; on peut en faire énormément de choses… Pour mes préparations, je fais deux casseroles de bouillon par mois que je stocke au frigo et au congélateur. Tous les quinze jours, j’achète environ trois kilos de carcasses crues de poulets bio. Je les cuis une première fois à petits bouillons dans une grande quantité d’eau – avec de la sauge, du thym, du laurier et du romarin réduits en poudre -, ce qui permet de retirer facilement les chairs. Je récupère ainsi un tiers du poids en effilochés de volaille. Soit environ un kilo de viande bio pour deux euros !

Cela prend du temps ? Ben oui. Je me pose dans ma cuisine pendant une demi-heure et je ne ressens pas ça comme une corvée. Je rêvasse en occupant mes mains… Je les replonge les carcasses nettoyées dans le bouillon pour qu’elles libèrent un maximum de goût, je passe ensuite le jus au tamis et j’ajoute ou non des légumes en fonction des utilisations prévues. Le faire à ce moment-là permet de ne pas avoir les légumes empêtrés dans les petits os. Ce temps investi me permet d’avoir, en permanence, sous la main un exhausteur de goût naturel et nourrissant. Et plus un kilo de viande pour un moindre coût… Ce bouillon, vous pouvez le servir, avec légumes et effiloché de volaille, en plat unique, en ajoutant simplement des céréales. Ou le transformer en bol « ramen », en y ajoutant de la sauce soja… Ou encore ajouter les effilochés dans une salade… Ou comment faire de la top cuisine en valorisant juste un « déchet »…

Joseph, du côté de Waremme, encadre un potager collectif…

1- Nous faisions un jardin, à la maison, dans les années cinquante, comme tout le monde en faisait à l’époque. C’était du bio avant l’heure… Cette culture subsiste toujours chez moi aujourd’hui ! Les gens – dont mes parents d’origine polonaise qui ont été déportés pendant la guerre – avaient subi d’immenses privations. La nourriture était donc une chose très importante à leurs yeux mais ce qui l’était encore plus c’était que leurs enfants ne connaissent pas ce qu’ils avaient vécu. L’érosion de la part consacrée à l’alimentation, dans le budget d’un ménage, l’a fait passer de 50% après la guerre à moins de 15% actuellement. Il y a tout un débat de société à faire autour de cela : pourquoi consacrons-nous moins de budget et moins de temps à nous soucier de la qualité de notre alimentation ? Cela a-t-il vraiment un sens ?

2- A la maison, nous ne produisons pas tout nous-mêmes ; nous n’avons pas de bétail ni même de petit élevage. Nous sommes de très petits consommateurs de viande et sans doute l’âge y est-il pour quelque chose ? Notre production concerne donc essentiellement les fruits et légumes. Nous achetons peu de choses et, quand c’est le cas, c’est du bio. Je ne saurais donc dire si la qualité globale de l’alimentation, ainsi que certains le prétendent, a baissé depuis l’époque de mes parents. Toutefois, notre propre récolte de pommes de terre nous mène de la fin juin jusqu’à février-mars et nous achetons des patates bio pour faire la soudure. La différence est évidente avec ce que je fais au jardin ; on sait qu’on mange des pommes de terre mais pas beaucoup plus que cela. Je ne me prononcerai donc pas sur les pommes de terre en conventionnel…

Je connais beaucoup de travailleurs détachés polonais qui travaillent dans le maraîchage en Hesbaye ; je leur rends à l’occasion l’un ou l’autre service de traduction pour remplir des documents. Ils me donnent en remerciement des surplus de production bio destinés à la benne quand il y a un excédent momentané. Si je compare un poireau de cette production avec un poireau de mon jardin, je dirais qu’il faut vraiment mettre le nez dedans pour savoir ce que c’est. Je pense donc que la baisse globale de qualité est malheureusement bien réelle et tient au fait que les méthodes culturales bio sont identiques à celles du conventionnel, hormis évidemment pour tout ce qui concerne les intrants. Ceci dit, on ne parle de conventionnel que depuis cinquante ans ; avant cela, tout était en bio « sans le savoir »…

3- Notre autonomie est assez élevée sur la partie maraîchère. Je mange peu de fruits, n’étant pas sucre du tout. Ma femme l’est de moins en moins… Et nous consommons peu de viande, pas de poisson… Nous nous rendons bien chez les producteurs locaux mais nous sommes parfois un peu gênés de ne prendre chez eux que les tchinisses qui nous manquent… Nous faisons peu de conserves – nos surplus sont congelés – en restant attentifs à consommer le plus frais possible. Nous faisons bien sûr un peu de lactofermentation – choucroute et cornichons -et nous séchons également des fruits mais de manière très marginale. Nous faisons des coulis de tomates et des pesto… Nous avons un extracteur, pour faire des jus de fruits et de légumes, et nous faisons notre propre pain, avec les farines d’Agribio ou de Vajra

Le jardin collectif de La prêle, au sein duquel je suis actif pour la huitième année, a surtout pour but de montrer que des gens qui se déplacent pour cultiver sur un lieu collectif, s’en sortent très bien en n’y consacrant pas plus de deux ou trois heures par semaine pour environ cent vingt-cinq mètres carrés. Tout est affaire d’organisation ; les jardiniers qui ont un jardin trop grand ne savent souvent pas par où commencer quand tout est à faire en même temps… Pour des gens inexpérimentés, se faire encadrer est souvent très utile car les causes d’échecs sont plus nombreuses que les réussites… Je pense que le jardin est source de grandes économies ! Pas sur le prix de ce qu’on produit mais par rapport à tout ce qu’on n’achète plus. Car le ménage qui prend goût au jardinage vit dans son jardin et les autres stimulations extérieures perdent beaucoup de leur impact. On va s’amuser au jardin, on se fait de bons petits repas et on est heureux comme cela ! Être en harmonie avec sa propre personnalité et avec la nature environnante est le principe même de la décroissance.

4- Je préconise l’utilisation de la « marmite norvégienne » pour cuisiner en faisant de belles économies d’énergie. Mais cela mérite un article spécifique…

Carine, dans le Brabant Wallon, ou comment marier opportunisme et créativité…

1- Une infirmière qui s’occupait de moi, dans une période difficile de ma vie, m’a un jour annoncé qu’elle allait se mettre à faire du pain au levain, du pain bio… C’était il y a plus de quarante ans ! Le pain étant la base de l’alimentation, tout a commencé par là et mon esprit s’est ouvert. J’ai ensuite suivi des cours sur le jeûne, les soupes, l’alimentation végétarienne, etc. J’ai pris conscience de la nécessité d’assainir la façon dont je me nourrissais et dont je nourrissais les autres. A commencer par mes propres enfants qui, à leur tour, ont été très sensibles à toutes les questions liées à la nourriture, au « zéro déchet », etc. Tout cela m’amène aujourd’hui à une très grande autonomie alimentaire, en ce sens que, si j’ai envie de soupe, je fais le tour du jardin et je trouve une ortie et de l’égopode auxquels j’ajoute la patate qui traîne dans mon panier et les deux carottes qui restent dans mon frigo… La créativité fait partie de ce que je suis devenue. Je récupère tout ! Si un magasin met devant sa porte du pain rassis pour les animaux, eh bien, je ne le donne pas aux animaux et je le mange moi-même ! Je peux donc me débrouiller avec un budget extrêmement restreint. Mais, soyez rassurés, un bon pain bio vieillit mieux que l’éponge de la boulangerie du coin qui se borne à cuire des pâtons venus on ne sait d’où… Puéricultrice de formation, j’ai à cœur de dépanner des mamans mais ma vision de l’aide a changé : pendant qu’elles s’occupent elles-mêmes du bébé, je leur fais cadeau d’un repas, ou simplement d’une bonne soupe… Je suis également traiteur autodidacte, spécialisée dans la cuisine vietnamienne, pour des œuvres, des communions, des mariages… Des petits budgets… Je donne également des formations sur le pain au levain. Au salon Valériane, entre autres…

2- En matière d’autonomie, je ne suis pas parfaite mais je tends vers… Voilà comment je pourrai définir mon niveau. Cela s’inscrit dans le sens d’une réflexion personnelle. Je suis là, ici et maintenant, dans ma maison et je n’ai pas été gênée par le confinement. Je n’ai pas de liste de courses impressionnante à transmettre parce que la base nécessaire est toujours là, chez moi. Je fais, par exemple, des recettes à base de tempura, une pâte à beignet d’origine japonaise, dans laquelle je passe des fleurs et que j’accompagne d’une sauce soja diluée… En fait, je suis une opportuniste alimentaire. J’ai vu, ce matin, quatre champignons dans une prairie. Je les ai ramassés, coupés, congelés… Ils me serviront bien, un jour ou l’autre…

3- Je suis entièrement favorable à la production locale. Mon jardin n’est certes pas très fourni mais je fais activement partie d’un groupement d’achat, labellisé Nature & Progrès, et nous avons une nouvelle épicerie coopérative à Mont-Saint-Guibert qui est très bien fournie. J’aime aussi les fromages de la Baillerie qui ne sont pas certifiés bio mais c’est ceux-là qui me conviennent. Question de goût, de discernement… et de proximité ! Et, surtout, je connais les producteurs…

4- A l’époque du vite-fait, tout-fait et souvent mal fait, j’apprécie beaucoup les petites recettes sympathiques, réalisables rapidement – mais avec créativité – avec ce qui tombe sous la main. Ce sont mes « improvistes » ! Voici donc ce que j’ai toujours sous la main, en version bio et local si possible : quelques tranches de pain ou un paquet de crackers, une boîte de sardines ou de maquereaux – issus d’une pêche responsable -, quelques œufs… Dans mon frigo : mayonnaise, fromage frais ou dur, quelques olives, du bouillon et du parmesan. Dans mon placard : noix, amandes, pâtes, riz, quinoa, couscous, lentilles corail ou vertes, coulis de tomate bio… Dans mon panier de légumes : oignons, carottes, radis, concombre, tomates, fenouil… Dans mon congélateur : quelques pilons de poulets, quelques tranches de dos de dinde surgelés par deux, un peu de fromage râpé… Dans mon tiroir à épices : thym, laurier, ail, curcuma, paprika, curry… Et, bien sûr, dans mon jardin : de la verdure – orties, consoude, égopode -, des fleurs – capucines, lierre terrestre, hémérocalles, mauves, etc. -, des fruits – rhubarbe, mûres, groseilles et framboises – et quelques herbes – ciboulette, persil, sauge…

Xavier, quelque part au cœur des Ardennes, anime désormais la page recettes de votre revue Valériane

1- J’ai commencé à cuisiner avec maman quand j’étais enfant : gâteaux, desserts… Une fois l’adolescence venue, pour essayer de la soulager un peu, j’ai fait les repas une fois par semaine. Arrivé dans la vie active, je m’y suis mis de plus en plus et j’ai naturellement mis au point mes propres recettes, amélioré celles que je connaissais déjà. Nous faisions une cuisine familiale ; étant originaire de Jalhay, il s’agissait de plats de la région liégeoise et de recettes de famille. Nous nous sommes installés, ma compagne et moi, près d’Houffalize en 2013, et produisons une partie de notre alimentation sur un terrain d’un hectare. Mes parents avaient bien un potager qui n’était pas très grand et ne produisait pas énormément. Maintenant, je réalise tout moi-même à partir d’ingrédients bio autoproduits ou achetés chez des producteurs proches. Je teste des choses à partir de ce que j’ai appris, toujours dans le strict cadre familial… Cuisiner est juste un hobby pour faire plaisir à la famille ou aux amis qui viennent manger chez moi. Je fais avec ce que j’ai et il est rare que j’aille chercher ailleurs.

2- Notre degré d’autonomie alimentaire est quasi-complet en ce qui concerne les légumes. Nous nous battons évidemment contre les ravageurs, limaces et campagnols principalement. Nous n’avons presque pas produit de pommes de terre et de carottes, l’année dernière, et avons donc dû en acheter. Mais il y a deux ans, la production de tomates a été si bonne que nous avons encore des conserves de coulis. Je pense qu’il faut viser la variété au niveau du potager, en s’apprêtant toujours à subir l’un ou l’autre échec et en n’hésitant pas à recourir à de la lutte intégrée contre les ravageurs, en améliorant la biodiversité et en amenant des moyens de lutte naturels ou mécaniques… Nous avons réglé nos gros problèmes de limaces en adoptant le canard coureur indien ; nous nous attaquons aux campagnols en plaçant des barrières physiques qui leur empêche d’accéder aux parcelles. C’est en testant et en améliorant chaque année, sans se décourager, qu’on trouve les solutions adéquates, mais l’autonomie n’est pas une fin en soi. Nous produisons aussi une part de notre viande – de la volaille principalement et occasionnellement des moutons et des cochons – mais être totalement autonome en la matière semble extrêmement difficile… Pour la plupart des gens, le plus gros problème reste l’accès à une terre où installer leur potager. Mais tout le monde peut cultiver des salades et quelques plants de tomates, dans des bacs, sur sa terrasse…

3- Tout ce que nous achetons à des producteurs est strictement local, même si, à l’occasion – nous avons tous les deux des métiers très mobiles -, nous ramenons des denrées de producteurs plus éloignés. Les producteurs locaux pratiquent des prix tout-à-fait raisonnables et se fournir chez eux n’est pas plus cher que de le faire en grandes surfaces… Le principal problème réside donc dans la bonne gestion des stocks puisqu’on ne rend pas visite à un producteur chaque semaine : un fromage, par exemple, s’achète par roue dont on congèle éventuellement une partie. Acheter local permet donc de gagner en qualité sans que cela atteigne vraiment le portefeuille. Mais cela change surtout l’organisation des courses, de manière générale…Notre micro-ferme, elle, n’a d’autre fonction que d’améliorer notre qualité de vie, même si nous y proposons des activités qui peuvent être utiles pour tout auto-producteur non-professionnel… Nos fruits et légumes autoproduits sont incontestablement meilleurs au goût, ne serait-ce que parce qu’ils sont récoltés à maturité. Quant au coût d’un potager, il est principalement lié au temps qu’on y passe…

4- Le plus difficile est d’oser se lancer, essayer l’une ou l’autre chose… Ne suivez jamais une recette au pied de la lettre, prenez-en l’idée et tournez autour. Elles ne sont là que pour donner envie. Modifiez, retirez, ajoutez… C’est là que vous commencerez à prendre du plaisir dans votre cuisine, à innover et à produire ce qui vous plaît vraiment. Conserver les légumes est utile également mais ce n’est pas conserver qui prend le plus de temps, c’est récolter. Cependant, si on veut avoir des petits pois toute l’année, il faut bien les conserver. Ou alors attendre des producteurs qu’ils le fassent pour vous. Congeler est très simple, stériliser n’est pas compliqué même s’il faut parfois préparer les légumes, et lactofermenter n’est guère plus difficile mais il est nécessaire de bien comprendre le processus. Il faut juste avoir de la place pour ranger tout cela…

Bernadette, dans le Namurois…

1- Nous étions quatre enfants à la ferme, à aider notre père qui était veuf : gérer le potager et faire la cuisine parce qu’il n’avait pas trop le temps, étant agriculteur. Le milieu rural nous a beaucoup aidés car nous avions du petit élevage, poules, lapins, cochons, etc. Je faisais déjà les conserves et la charcuterie, alors que j’avais à peine douze ou treize ans… Nous congelions déjà beaucoup car il y avait beaucoup de viande à la ferme. La viande de porc précuite était conservée dans sa propre graisse qu’on coulait chaude entre les morceaux, dans un pot en grès ; nous allions ensuite repêcher les morceaux dans le saindoux… A la campagne, tout le monde vivait simplement ; il y avait juste une petite épicerie au village où on allait peut-être tous les quinze jours. Et une boulangerie aussi…

Nous avons continué ce mode de fonctionnement après notre mariage, même si la proximité de la ville a amené de nouvelles tentations. Nous avons toujours un très grand potager et un verger avec une soixantaine d’arbres : pommes, poires, prunes, pêches, figues, abricots… Et, bien sûr, des petits fruits… Nous avons malheureusement dû nous limiter fortement au niveau des animaux mais nous avons encore des poules, des oies, des canards, des dindes… Jusqu’il y a une vingtaine d’années, nous avions vaches et cochons… Nous faisions appel à un ami boucher pour la découpe et je faisais moi-même toutes les charcuteries, ainsi que le beurre, la maquée et un fromage à pâte dure, de type Saint-Paulin. Je transformais également tous les petits fruits…

2- Nous étions totalement autonome, hormis peut-être un peu de poisson de temps en temps… Aujourd’hui, nous le restons à 95% en légumes. Nous avons notre épeautre chez un ami fermier, que nous faisons moudre au moulin d’Odeigne, et nous faisons 90% de notre pain. Nous sommes autonomes à 100% en fruits, si l’on veut bien excepter quelques bananes bio…Pour les fruits de table, nous le sommes à 75%…

3- Nous mangeons nettement moins de viande qu’au début de notre mariage. J’en achète donc encore un peu au groupement d’achat de Nature & Progrès. Deux colis de trois kilos tous les deux mois… Et tout le reste, je le prends lors du salon Valériane…

4- Tous nos déchets organiques vont directement aux poules. Pour le reste, ne jamais jeter de nourriture est une chose qui me tient particulièrement à cœur ! Je m’efforce donc d’accommoder absolument tous les restes de repas. Un pain bio dure une semaine, et un pain sec passe aisément dans une soupe, ainsi que tous les légumes qui traînent au fond du congélateur. Une carbonnade flamande se recycle aisément en boulet à la liégeoise. Pas de problème communautaire sous mon toit !

Conclure ?

Tout ceci démontre au moins une chose : il est possible de cuisiner bio, sainement et pas trop cher ! Il faut d’abord en prendre conscience mais c’est aussi un choix de vie dont on peut parier qu’il rend ceux qui le font moins malades et moins stressés… La crise que nous traversons n’a sans doute fait qu’accentuer cette tendance lourde dans notre société : pourquoi courir pour gagner sa vie si c’est pour être en déficit chronique de bonheur et casser sa pipe un gros paquet d’années trop tôt ? Libre évidemment à ceux qui courent encore de critiquer pareille philosophie… Tant qu’ils ont la santé…

Un modèle coopératif qui rassemble

L’exemple du Flietermolen, à Tollembeek

Ainsi va notre Belgique fédérale : beaucoup de boulangers bio de l’ouest de Bruxelles se fournissent au Flietermolen, dans le Pajottenland, c’est-à-dire en Flandre. Mais le grain moulu au Flietermolen, lui, vient peut-être de Wallonie… Avis aux coupeurs de cheveux en quatre : cela n’a strictement aucune importance ! Ici, c’est un nouveau modèle de société, un nouveau modèle coopératif et qualitatif qui tente de se mettre en place…

Par Jürg Schuppisser et Christine Piron

Introduction

Au Heetveldemolen de Tollembeek, Richard Van Ongevalle et Judith Clerebaut se marient en 1954, reprenant officiellement à leur compte la mouture sur meules de pierre et le moulin à cylindre de type Midget. Albert Hugo maîtrise parfaitement cette « machine révolutionnaire » anglo-américaine mais doit faire place au jeune couple. Sait-il alors que le Flietermolen, à moins de trois kilomètres de là, possède la même machine ?

Entouré de champs, il est posé sur la douce colline du Flieterkouter, une butte artificielle abritant les fondations et les réserves de ce moulin à vent construit en pierre vers 1788. Il subit de lourds dégats, en 1940, et n’est plus exploité. Albert Hugo et son épouse, Elsa Darbé, le rachètent en août 1954, font blanchir les murs extérieurs à la chaux, enlever les ailes et la tête rotative et dégager les caves sous la butte. Un moteur diesel en devient la force motrice et tout refonctionne jusqu’en 1976 : un petit moulin à taille humaine, très moderne et adapté à la demande. Les héritiers le mettent en vente, en 1985, après le décès d’Albert Hugo. Il reste à vendre pendant trente ans !

Mais, en 2016, l’acheteur s’appelle Julian Still, fils d’agriculteur britannique, actif en Belgique depuis vingt ans dans la gestion de société et de filières économiques en crise.

Une nouvelle coopérative multiacteurs.trices

Julian ne veut absolument pas rester meunier, tout seul. Pour lui, toute activité a besoin d’un environnement, d’un cadre, d’un espace dans lequel on s’invite pour produire, ensemble, des merveilles, c’est-à-dire une coopérative qui regroupe acteurs et actrices d’un même projet de société. L’idée n’est pas encore bien comprise dans nos régions ; Julian le sait pour l’avoir déjà tenté dans sa carrière. Heureusement, Katrien Quisthoudt avait, elle, l’expérience d’un habitat groupé autogéré et avait déjà boulangé son pain. Ils se croisent par hasard puis, sur conseil du meunier Jespers, de Bierghes, Julian se rend à la Ferme Quenestine, à Rebecq, à la rencontre de Robert Lisart, agriculteur et boulanger.

« Nous sommes tous conditionnés par les filières industrielles tentaculaires, regrette Julian, qui pratiquent l’extraction de la plus-value. Une filière, c’est une chaîne de création de valeurs : la production d’abord, puis la ou les transformation(s), la distribution et, en toute fin, la consommation. Si, dans cette chaîne, un des maillons décrète l’appropriation de la plus-value, sans réinvestir et la répartir dans la filière, le résultat sera la pollution de la planète, la dépression et le burnout pour les acteurs, une perte de santé pour les consommateurs qui sont, quant à eux, conditionnés par la quête du bon marché. Dans ce contexte la boulangerie n’a plus le droit de dire que son pain est trop bon marché… » Elle finit par mettre la clef sous le paillasson. En Belgique, aujourd’hui, c’est une par semaine ! « Et, en plus, la moitié des pains sont jetés », ajoute Katrien…

« Nous voulons changer de modèle, affirme clairement Julian ! Notre modèle est la coopérative multi-acteurs.trices. Nous nous réunissons entre fermier.ères, meunier.ères, boulangeries bio, magasins bio, consommateur.trices. Nous nous mettons d’accord sur tous les prix d’achat des céréales et de vente des farines. Tout est transparent et ouvert. Nous voulons créer du fair-trade local, une filière, une chaîne durable où tout le monde a son mot à dire. Nous venons d’avoir notre réunion annuelle des seize fermiers de la région. Il y a deux ans, nous n’étions que quatre… »

« Le moulin tourne depuis deux ans, poursuit Katrien. Nous sommes en production et en apprentissage. Le premier bilan indique la répartition de la demande : 70% de farine de froment, 20% d’épeautre, 10% de seigle. La demande augmente. Les magasins et les boulangeries poussent comme des champignons, la majorité d’entre eux a moins de trois ans d’existence, souvent des reconversions de carrière et des jeunes… »

Les systèmes complexes, c'est du Belge !

« Je réfléchis beaucoup aux systèmes complexes, explique Julian, une notion qui intervient lors de la mise en place d’une chaîne. Au départ, aucun maillon ne maîtrise la totalité de la chaîne. Une fois noyé dans la complexité, on perd la notion du bon et du mauvais, du correct et de l’incorrect, du noir et du blanc. Tout devient gris. Au début, en rassemblant tout le monde autour de la table, chacun gardait sa perspective de départ et chacun avait raison. Tout le monde a raison ! Mais, à force de discuter, d’écouter les autres, le phénomène d’émergence intervient. Les systèmes complexes, c’est du Belge ! L’émergence arrive comme une voie séparée. L’ensemble produit autre chose que la somme des éléments apportés par chacun des participants. Concrètement : l’agriculteur ne voit pas la même chose que le boulanger. Le premier pense terre, semences, culture, climat, maladies, voisins en conventionnel… L’autre pense levée, fermentation, cuisson et demande des clients. Les clients, eux, veulent le beurre, l’argent du beurre et le sourire de la crémière, c’est-à-dire le bon pain naturel, bien nutritif et pas cher. Le meunier, lui, veut des céréales avec un bon taux d’humidité, les plus propres possible… Il faut mettre tout cela ensemble pour y arriver, et il y a matière à discussion comme sur les meilleures variétés de céréales… »

Robert Lisart, lui, est agriculteur de Rebecq. Il cultive des céréales, du froment et de l’orge brassicole mais aussi des légumes bio, pois, haricots, pommes de terre… Il complète sa rotation avec des prairies temporaires. Sans bétail, il échange, avec un éleveur de bovins, sa paille de céréales contre du fumier pour nourrir la terre. Il cultive les champs de la Ferme Quenestine – originellement appelée Ferme Storme – dont la construction remonte à 1824. Cette ferme est typique de l’agriculture pratiquée au XIXe siècle, avec sa cour carrée, ceinturée de grands bâtiments ayant chacun sa fonction propre. Robert a fait le pas du bio, en 2012, et ne le regrette pas car son travail a retrouvé du sens, grâce aux liens que le moulin a pu recréer entre tous les acteurs de la chaîne alimentaire. Robert salue aussi toutes les « petites » initiatives locales de Rebecq et de ses environs, qui vont dans le sens d’une réappropriation du « chapitre alimentaire ».

La coopérative, concrètement

Dans la coopérative, chaque membre dispose d’une voix, quel que soit le nombre d’actions qu’il possède. Les coopérants sont tenus au courant des enjeux liés au moulin par le biais d’un bulletin d’information et régulièrement invités à des réunions de coopération. Ils sont également les bienvenus lors des rencontres avec les différents « acteurs » à l’occasion desquelles sont, entre autres, décidés les différents prix : achat de grain, vente de farine, etc. Une évaluation de l’année écoulée se fait lors de l’Assemblée générale annuelle, après quoi est fixé le montant des dividendes versés aux membres. La direction générale à suivre, les priorités et les réalisations espérées pour l’année à venir sont également discutées à cette occasion.

S’asseoir autour de la table avec tous les maillons de la chaîne et se mettre, ensemble, d’accord sur les prix reste donc le meilleur mode de fonctionnement possible. Au cours de ces tables rondes, chacun doit apprendre à écouter l’autre, pour qu’une solution émerge, lentement mais sûrement, qui est ensuite réalisée. L’équipe du personnel, quant à elle, est auto-gérée La coopérative adopte ainsi une approche pragmatique qui aborde l’inconnu étape par étape, et qui permet aussi prendre le recul nécessaire si les choses ne vont pas comme prévu, ou si les idées n’ont pas de succès escompté. Au Flietermolen, la conviction commune est qu’il est possible d’ajouter de la valeur, en tant que coopérative, et un consensus se dessine sur la meilleure manière de la partager…

En guise de conclusion

Aux yeux de Nature & Progrès, le système de production de notre alimentation doit absolument changer ! Or le Flietermolen offre un exemple de coopération qui doit absolument être encouragé. Chacun s’y enrichit humainement, en œuvrant dans le sens du bien commun. Nous ignorons, par ailleurs, quelle sera l’avenir de l' »empreinte alimentaire » de Bruxelles, c’est-à-dire d’où viendra la nourriture des Bruxellois puisqu’il ne sera certainement pas possible de tout produire intra muros. Il est probable qu’à l’avenir cette problématique prenne un tour de plus en plus politique mais la solution passera-t-elle par l’achat de terres en dehors de la Capitale ? L’option de collaborations avec des agriculteurs et des transformateurs locaux, en Flandre, en Wallonie ou ailleurs, ne serait-elle pas, de très loin, préférable ? Une vaste question dont nous n’avons sans doute pas fini de débattre…

Adhésion et informations : http://flietermolen.be/home-fr/

Transition alimentaire

Comment se nourrir à Waremme demain ?

Dans le but de réfléchir à la relocalisation notre alimentation, Nature & Progrès table évidemment sur la collaboration avec les mouvements de transition : un partenariat s’est ainsi créé avec le groupe de Waremme en Transition. Voici donc quelques pistes de fonctionnement proposées par des acteurs du changement, et formulées par ces acteurs de changement eux-mêmes, qui œuvrent ensemble pour plus de résilience alimentaire. Une démarche ouverte qui ne peut pas s’arrêter de chercher à progresser…

Par Michaël Stassart et Valérie Stassen, membres de Waremme en Transition

Introduction

Waremme en Transition (WET) s’inscrit dans le mouvement international de la transition qui a démarré en Grande-Bretagne, en 2006, et qui regroupe aujourd’hui plus de quatre mille initiatives de transition dans cinquante pays. Ces initiatives forment un réseau mondial, nommé Transition Network. WET s’inscrit également dans le réseau belge de transition : https://www.reseautransition.be/.

Le mouvement est composé de citoyennes et citoyens qui ont décidé d’agir au niveau local pour répondre aux défis environnementaux. Il s’agit de réinventer nos façons de vivre ensemble, de produire et de consommer afin de participer à la restauration des écosystèmes, à la lutte contre le changement climatique et à la réduction de notre dépendance aux ressources non renouvelables. Les membres de WET veulent rendre leur ville, les villages, les quartiers et les rues plus durables et plus conviviales en répondant, positivement et localement, aux défis posés.

Une initiative citoyenne

WET a comme objectif de :

– développer une vision : imaginer un avenir positif qui fait la paix avec la terre, en créant une vision tangible, claire et concrète du territoire de Waremme régénéré ;

– sensibiliser les habitants de Waremme sur les enjeux environnementaux, sur leur empreinte écologique et sur les solutions possibles, au moyen de partages d’expériences et de la diffusion d’informations fiables, accessibles, articulées, ludiques et engageantes en respectant les capacités de chaque personne à trouver une réponse appropriée à sa situation ;

– faire naître, réaliser, promouvoir, soutenir à Waremme, toute initiative, individuelle ou collective, qui vise à relever les défis environnementaux, sociaux et économiques que traverse notre société…

Les alternatives locales et participatives sont favorisées. C’est donc tout naturellement que des liens ont été créés avec d’autres groupes partageant les mêmes valeurs, dont Nature & Progrès, qui est actif depuis quarante-quatre ans en Hesbaye, et le Passage 9, Centre culturel de Waremme. Ces partenariats permettent à l’association, portée par des bénévoles, de bénéficier d’un soutien et d’une expertise professionnelle dans l’accomplissement de leurs projets.

Pour les membres de WET, la question de l’accès à une alimentation de qualité, locale et, de préférence, issue de l’agriculture biologique est primordiale. Le groupe remet clairement en question un système agroalimentaire qui leur est imposé et que ne leur convient plus. Ils décident donc d’organiser une soirée d’échanges et de rencontres, en invitant les habitants de Waremme, les éleveurs et les agriculteurs locaux du secteur conventionnel et de l’agriculture biologique, le réseau associatif des environs et les élus politiques, à débattre ensemble sur l’actuel modèle alimentaire et son futur.

Se nourrir, à Waremme, demain

Notre système alimentaire est à bout de souffle ! La transition vers un autre modèle reconnectant les citoyens, les agriculteurs et la nature est l’affaire de tous.

Le 30 novembre 2019, un évènement fédérateur rassemble donc, à Waremme, une cinquantaine de personnes. Elles se réunissent dans la grande salle du Centre culturel, préparée avec soin par les membres de WET. Nous visionnons d’abord une vidéo, intitulée « Pourquoi devons-nous changer notre système alimentaire« , qui nous démontre les limites du système agroalimentaire actuel et nous renvoie vers notre responsabilité de consommateur. Après cette introduction, nous faisons connaissance les uns avec les autres, via un petit débat mouvant et nous nous asseyons en table de discussions. La lecture d’un texte nous projette dans un rêve : un autre monde est possible mais comment le voyez-vous ? C’est le sujet du premier tour d’échanges entre les participants. Afin d’ancrer nos rêves dans la réalité et sur le territoire de Waremme, nous procédons à un deuxième tour de discussions portant sur des pistes d’actions pour une transition saine et durable.

Une mise en commun démontre ensuite que l’intérêt général porte premièrement sur la nécessité de créer des liens et de renforcer la solidarité entre les habitants, mais aussi avec les producteurs, afin de se ré.approprier une manière saine de manger. Et cela passe par le soutient aux diverses filières alimentaires locales et le développement des potagers, collectifs ou individuels, sur toutes les surfaces vertes disponibles. Deuxièmement, de re.créer des espaces verts en ville. Et, en troisième lieu, de continuer à dialoguer avec les pouvoirs publics dans l’espoir de voir soutenues les différentes initiatives et demandes citoyennes… Un moment convivial clôture l’évènement, permettant aux uns et aux autres de faire d’avantage connaissance et de poursuivre leurs débats…

Six enjeux se dégagent des discussions

À la suite de cet évènement, il était important, pour l’équipe de WET, d’analyser les résultats des tables rondes et d’identifier les six enjeux les plus importants de la soirée :

– favoriser la production locale – comme créer une ceinture alimentaire en Hesbaye -, favoriser l’autoproduction, payer un prix juste au producteur, entretenir des espaces d’ »incroyables comestibles » ;

– structurer les filières locales : les participants souhaitent se nourrir « du champ à l’assiette », en fréquentant une halle des artisans et un marché des producteurs locaux, en se fournissant directement à la ferme et en achetant des produits locaux dans les commerces existants ;

– restaurer la nature : par exemple, créer des espaces verts et des forêts, restaurer les cours d’eau, planter des haies, régénérer des sols ;

– augmenter les savoirs : en créant un potager dans chaque école, en suivant des formations – potager, permaculture, compost, cuisine, écologie -, en diffusant une base de données des acteurs de la transition, en fréquentant des « journées fermes ouvertes » ;

– renforcer les solidarités : pour les participants, il est important de rendre la nourriture saine accessible à tous, de recourir à des échanges gratuits entre particuliers – SEL, mise à disposition des jardins non utilisés -, d’encourager le volontariat et le glanage, des caisses de solidarités ;

– aiguiller le soutien des pouvoirs publics : ceux-ci pourraient mettre à disposition des maraîchers les terres agricoles appartenant aux pouvoirs publics, réduire les taxes des produits sains, encourager l’installation des producteurs, réserver un emplacement gratuit au marché pour les producteurs, favoriser le passage vers l’agriculture biologique…

Ces pistes dactions identifiées par les citoyens serviront de guide pour l’élaboration des projets de WET dans les mois à venir.

Waremme en Transition : bilan de la première année d’existence

Une naissance réussie ! Le noyau de la transition – le groupe initiateur – s’est constitué grâce à la mobilisation d’une dizaine de citoyens. Une dynamique collective s’est ainsi mise en place autour de la transition écologique. Le groupe se réunit mensuellement.

Une intégration de l’initiative de transition au sein du tissu local ! WET a reçu un accueil très positif des acteurs locaux qui se concrétise par la mise en place de plusieurs collaborations : avec des associations telles que le Centre culturel de Waremme, Nature & Progrès, Natagora, le GAL et d’autres initiatives de transition qui ont permis de mettre en place les premières actions. Nous avons constaté que les acteurs publics locaux sont souvent à la recherche de relais citoyens pour coconstruire des projets ou pour faire vivre les projets qu’ils ont eux-mêmes initiés. Nous avons ainsi été sollicité par les services communaux dans le cadre d’un appel à projet lancé par la Région Wallonne, « Ma commune en transition« . Suite à cet appel, WET bénéficie d’un subside communal et régional.

Cette première année a encore été l’occasion de nouer des liens avec les entreprises : avec le monde de l’agriculture, tout d’abord, par l’organisation des activités autour de la transition alimentaire mais aussi par la rencontre des commerçants locaux. Enfin, la mise en place du jardin communautaire s’est faite en collaboration avec un promoteur immobilier. Nous espérons ainsi, au travers de ces multiples collaborations, faire progressivement percoler la transition dans l’ensemble du tissu local.

L’impulsion d’une vision positive de notre avenir ! Le mouvement de la transition considère que l’élaboration d’une vision de l’avenir attrayante mobilisera les citoyens qui auront le désir de la faire vivre : c’est le scénario dit « de l’espérance » de l’éco-philosophe Joanna Macy. Face à la crise écologique, Joanna Macy met en évidence trois scénarios possibles : le « déni », la « grande désagrégation » et le « changement de cap ». C’est le scénario de l’espérance, à savoir un engagement collectif et personnel pour la transition d’une société de croissance autodestructrice vers une société qui soutient la vie, orientée vers un bonheur reposant plus sur les liens que sur les biens. L’enjeu est de retrouver une harmonie entre l’espère humaine et la biosphère, afin de garantir un mode de vie qui ne détruise pas les écosystèmes dont il dépend (1). WET a réalisé, en 2019, une première tentative d’élaboration de cette vision d’avenir, principalement pour l’alimentation.

Les défis de 2020 : consolider et renforcer la dynamique collective

Il s’agit, avant toute chose, de consolider les acquis de notre première année d’existence. En premier lieu, permettre à notre groupe de base de s’épanouir au travers de la réalisation des projets qui tiennent à cœur les membres du groupe. Deuxièmement, nous avons l’intention de poursuivre notre intégration dans le tissu local et d’étendre le réseau de la transition à Waremme. Ce travail de rencontres et de sensibilisation est, pour nous, essentiel. C’est d’ailleurs très enrichissant et cela constitue, à nos yeux, le meilleur moyen de faire bouger les choses. En 2020, nous accorderons une attention particulière à la sensibilisation des acteurs politiques locaux et des agriculteurs. Troisièmement, les défis sont immenses et donc les projets potentiels d’envergure. Outre le travail en collaboration avec les acteurs existants, il nous faut réussir à élargir notre groupe de base, en mobilisant davantage de citoyens voulant jouer un rôle actif dans la transition à Waremme.

Enfin, nous souhaitons inscrire WET dans un réseau plus large de la transition en Hesbaye. Nous bénéficions, en effet, sur le plateau de la Hesbaye, d’une unité de production agricole qui pourrait constituer un bon point de départ pour une action commune concernant la transition alimentaire. Nous profitons donc de l’occasion pour faire appel aux autres initiatives de transition situées en Hesbaye et aux Hesbignons qui voudraient rejoindre le mouvement de la transition.

L’âge de faire…

Le premier projet concret – et déjà en cours de réalisation – est un jardin communautaire dédié à la culture maraîchère et fruitière, sur le site dun ancien verger mis à disposition par le promoteur dun projet immobilier situé sur les parcelles voisines. Il s’agit d’en faire un lieu de permaculture urbaine. Ce jardin, situé au centre-ville, sera destiné à devenir un lieu d’échanges sociaux, de transmission de savoirs, de détente et dentraide. L’équipe porteuse du projet fera bientôt appel aux volontaires pour effectuer les premiers travaux daménagement avant larrivée du printemps.

Par ailleurs, nous réfléchissons encore à dautres projets à réaliser, en 2020, comme par exemple la mise en place d’un cycle de conférences avec Nature & Progrès et – pourquoi pas ? – le lancement des bases d’une ceinture alimentaire pour Waremme. Il nous semble également primordial de jeter des ponts avec des initiatives issues de la transition, comme la ceinture alimentaire liégeoise. Les ambitions de ces acteurs, en termes d’approvisionnement local, ne pourront, en effet, être rencontrées qu’avec la contribution des agriculteurs hesbignons !

Note :

(1) M.M. Egger, Soigner l’esprit, guérir la terre, p.13

Davantage de céréales bio et locales sur notre table

Citoyens et professionnels se mobilisent !

Nature & Progrès rassemble, depuis deux ans, consommateurs, agriculteurs, meuniers, malteurs, boulangers, brasseurs, chercheurs et autres professionnels du milieu agricole autour de la filière céréalière. Mais peu de céréales locales se retrouvent encore actuellement dans les farines, pains et bières, même confectionnés en Belgique. A peine quelques pourcents… Comment améliorer cet état de fait ?

Par Sylvie La Spina

Introduction

Comment augmenter la part de céréales locales et bio dans nos assiettes et dans nos verres ? Un foisonnement de pistes a été rassemblé lors des rencontres du projet et présenté à l’occasion d’un colloque, organisé par Nature & Progrès, le 15 novembre 2019, à Namur. Une journée qui a rassemblé plus de cent trente personnes, c’est dire si le sujet est important et d’actualité.

Un intérêt multi-acteurs

Le colloque a rassemblé citoyens, agriculteurs, meuniers, boulangers, malteurs, brasseurs et autres transformateurs mais aussi des politiques, des chercheurs, des structures du monde agricole et des porteurs de projets. Tous nous ont fait part de leur intérêt pour le travail réalisé sur les céréales, par Nature & Progrès à travers son projet Echangeons sur notre agriculture, durant ces deux dernières années.

Charles-Edouard Jolly, agriculteur à la ferme bio du Val Notre Dame, à Antheit, développe des cultures de céréales panifiables et d’orge brassicole et recrée peu à peu des filières locales. Il témoigne : « C’est très amusant à faire, et ça revalorise encore plus notre travail. Le problème, c’est la mise en réseau. Cela demande beaucoup de temps de rencontrer les différents transformateurs et distributeurs pour arriver à une filière courte. Mais je pense que cela a beaucoup d’avenir…« 

C’est lors d’une activité, organisée en 2018 par Nature & Progrès, que Cécile Schalenbourg, agricultrice à Donceel, rencontra Georges Sinnaeve, chercheur du CRAw venu parler de la qualité des céréales panifiables. Elle réalisa alors le potentiel de valorisation de son blé en farines alimentaires. Le GAL « Je suis Hesbignon » aida alors Cécile et d’autres agriculteurs à mettre en place leur projet : recherche d’un moulin, informations et formations, outils de communication… Selon Cécile, « le projet Echangeons sur notre agriculture de Nature & Progrès fait un très bon lien entre la théorie et la pratique. Les porteurs d’initiatives qui viennent témoigner au colloque sont des gens qui ont déjà éprouvé leur projet et peuvent, en toute transparence, livrer leurs connaissances…« 

Gil Leclercq, porteur du projet de la micro-malterie du Hoyoux, insiste : « ce colloque est une source d’inspiration pour d’autres porteurs de projets, tant pour le secteur panifiable que pour le secteur brassicole ; c’est aussi l’occasion de rencontrer les agriculteurs et les brasseurs qui sont intéressés par une filière locale.« 

Catherine Marlier, porteuse d’un projet de hall-relais Cultivae, témoigne : « c’est intéressant de pouvoir se rencontrer car on ne prend pas le temps de le faire ; nous sommes tous isolés sur nos projets, avec nos problèmes, et le fait d’échanger et de pouvoir en parler, cela nous renforce. En plus, on sent une volonté citoyenne qui nous conforte dans ce dans quoi on croit. Quand on veut créer quelque chose qui va dans un sens différent, cela demande beaucoup d’énergie.« 

Enfin, un membre de Nature & Progrès travaillant activement sur le projet de la ceinture alimentaire namuroise, Michel Berhin, explique : « ce colloque est un temps fort parce qu’il aide à identifier les acteurs présents au niveau local. La conclusion des rencontres de Nature & Progrès ne s’appuie pas sur un regard théorique mais bien sur les acteurs de terrain.« 

Des pistes intéressantes

Tout au long de ces deux années de travail sur les céréales alimentaires, de nombreuses pistes sont ressorties au fil des rencontres entre les différents acteurs pour aider au développement de filières locales, du grain à la table.

– la production

Un enjeu de taille, pour les producteurs, est d’atteindre la qualité de céréales nécessaire pour la transformation. Pour les céréales panifiables, les normes de qualité sont strictes car définies pour une transformation industrielle des farines. Elles impliquent une standardisation des procédés de fabrication – la pâte ne doit pas coller à la machine ! – et une optimisation économique, notamment un temps de pétrissage et de repos les plus courts possibles qui se font au détriment de la digestibilité et de la qualité nutritive du pain. Quand les céréales sont récoltées, séchées et triées, elles sont analysées puis réparties en fonction des normes en céréales panifiables et en céréales « tout-venant », purement et simplement écartées de la consommation alimentaire !

Ces normes pourraient donc être revues et, surtout, être distinctes en fonction de la finalité de la filière : industrielle ou artisanale. En effet, un boulanger travaillant de manière artisanale pourra plus facilement s’adapter à des farines « hors-normes », sans même avoir recours à des additifs technologiques. Cela ne veut pas dire qu’il utilisera n’importe quels grains car il faut évidemment veiller à ce qu’ils soient, tout de même, de bonne qualité : absence de mycotoxines, bon stade de maturation… Mais cela permettrait d’éviter le déclassement de nombreux lots en céréales « tout venant ».

Par ailleurs, on oublie trop souvent les autres modes de transformation des céréales : le « floconnage », la fabrication de biscuits ou de gaufres, celle de pâtes alimentaires… Ces filières mériteraient à être développées en Wallonie. Il est donc important de définir les critères de qualité des grains pour ces transformateurs afin de récupérer encore un peu plus de céréales « tout venant » pour alimenter localement nos concitoyens.

La qualité des céréales peut être améliorée en poursuivant les recherches sur l’itinéraire cultural, notamment la fertilisation qui conditionne le taux de protéines du grain. Si des études ont déjà été menées sur la fertilisation – type, quantité, période d’apport – ou le précédent cultural, il reste encore de nombreuses pistes à explorer : notamment les associations de cultures de céréales et de légumineuses. Ces cultures conjointes permettent de fournir de l’azote à la céréale mais nécessitent un tri des graines à la récolte. Les recherches sur les variétés de froments, d’épeautres et d’orges doivent être poursuivies notamment avec une finalité alimentaire et une adaptation au mode de culture biologique.

Enfin, un dernier frein à la valorisation des céréales est la taille des lots. Le parcellaire wallon est très morcelé et il est nécessaire de rassembler les productions de plusieurs agriculteurs pour atteindre les volumes demandés par certains transformateurs. Mais, pour être rassemblés, ces lots doivent être de qualité relativement homogène ! En Wallonie, on compte une septantaine de variétés de froments en champs, qui ont toutes leurs spécificités. Pourquoi des groupes de producteurs ne se concerteraient-ils pas pour cultiver la même variété, dans des conditions relativement similaires, afin de se donner plus de chances de valorisation ?

Le prix du marché pour les céréales alimentaires est aujourd’hui très défavorable aux filières : il est plus rentable pour un agriculteur de semer des céréales destinées à l’alimentation animale ou à l’énergie, plus faciles à cultiver et présentant un meilleur rendement en grains. Voilà ce qui explique le déclin de nos céréales alimentaires ! Et pourtant, la valeur de la céréale ne compte que pour quelques pourcents dans le prix du pain – 5 à 8 % – ou de la bière – moins d’1 %… Qu’est-ce qu’on attend ?

– le conditionnement

Après la récolte, les céréales doivent être triées, parfois séchées, et stockées jusqu’à leur transformation par le meunier ou le malteur. Or il y a, aujourd’hui, un manque flagrant de structures de tri des céréales biologiques, lesquelles doivent évidemment être conditionnées à part des céréales conventionnelles. Il manque aussi des outils pour le décorticage des céréales comme l’épeautre. Il est donc important de développer ces outils, que ce soit pour un producteur individuellement – le conditionnement à la ferme – ou pour un groupement d’agriculteurs – un hall-relais agricole. La formation des agriculteurs est également nécessaire pour bien maîtriser ces étapes critiques pour la bonne conservation des grains.

– la transformation

Les moulins connaissent un renouveau en Wallonie. Il était grand temps car c’est l’acteur incontournable pour le développement de filières panifiables locales. La vingtaine de moulins wallons sont cependant encore loin de suffire, par rapport aux besoins des producteurs et des boulangers. Il est donc important de soutenir la mise en place de nouveaux moulins, notamment d’outils travaillant à façon pour d’autres acteurs et permettant ainsi le développement de nouvelles filières. Comme pour les autres outils de première transformation – les abattoirs dans la filière viande, par exemple -, la rentabilité de ces outils est difficile à atteindre. Il faut, par conséquent, envisager soit un soutien public – comme les abattoirs communaux vus comme un service offert par la commune aux éleveurs -, soit l’intégration avec le reste de la filière, amont et aval, permettant notamment de bénéficier de la plus-value de la seconde transformation. Dans ce dernier cas, c’est la forme de coopérative qui est la plus appropriée comme le montrent plusieurs initiatives : Flietermolen ou Agribio, par exemple.

Pour la malterie, il reste deux opérateurs travaillant à façon en Belgique, ce qui permet des filières du grain à la bière. Cependant, les volumes traités par ces malteries sont importants par rapport à la taille des lots d’orges produites en Wallonie et par rapport aux besoins en malt des microbrasseries. Des micro-malteries, traitant de petits volumes d’orges, permettraient donc une meilleure valorisation des céréales locales mais aussi une meilleure stimulation, l’innovation et la diversification de nos microbrasseries et le développement de bières de terroir. Une micro-malterie est d’ailleurs en projet dans la région de Havelange.

La boulangerie artisanale a du plomb dans l’aile ! De plus en plus de consommateurs achètent leur pain en grande surface, ne distinguant plus de différence de qualité, ou refont leur pain à la maison car ils recherchent le bon goût et la digestibilité du « pain d’antan ». Il faut dire que les pratiques des boulangers ont fort évolué ces dernières décennies : pétrissage mécanique, abandon du levain, utilisation des mêmes farines et procédés, finalement, que la boulangerie industrielle. Il reste quelques irréductibles « vrais » boulangers qui travaillent en direct avec les producteurs des farines, sans le moindre additif et avec un savoir-faire immense qui inspire aujourd’hui de nouvelles vocations. Revenons donc vers ces méthodes artisanales pour offrir localement aux consommateurs, dans des boulangeries de quartier, du vrai bon pain ! Redonnons-leur confiance dans ce produit noble, base de notre alimentation, en offrant plus de transparence sur le mode de fabrication, la qualité des farines et, bien entendu, leur origine…

– les filières

Les rencontres animées par Nature & Progrès l’ont démontré, tout au long de ces deux années d’étude des filières céréalières : les différents acteurs ne se connaissent pas ! Chacun nourrit son projet et ses idéaux dans un coin de sa ferme, de sa brasserie ou de sa boulangerie. Mais il n’existe aucun lieu pour échanger, partager et… décider de travailler ensemble. Une plateforme et des inventaires des acteurs sont donc nécessaires afin que le boulanger, qui cherche un producteur de céréales, rencontre les agriculteurs de sa région, qu’il puisse aussi identifier un moulin qui serait prêt à moudre le grain et lui fournir la farine. Ces plateformes et inventaires stimuleraient alors le développement de filières locales !

Encourageons également la diversification au sein des fermes wallonnes. Pour un producteur de céréales, il peut être intéressant d’investir dans un moulin et dans un atelier de fabrication de pâtes – comme à la Ferme Harnois, près de Virton -, un atelier de boulangerie – comme à la Ferme Dôrloû, à Wodecq – ou une brasserie – comme à la Ferme à l’Arbre de Liège, à Lantin ! Cette diversification ne signifie pas que le producteur doit ajouter une casquette sur sa tête. Elle peut lui permettre d’accueillir une personne sur la ferme, employée ou indépendante, pour prendre en charge cet atelier.

En résumé…

Que de pistes prometteuses proposés par Nature & Progrès et par ses membres, que d’idées judicieuses et, surtout, quelle émulation pour le développement de filières céréales alimentaires 100% locales ! Le consommateur est demandeur de produits bio et locaux, les producteurs ont envie de franchir le pas, des transformateurs veulent mettre en avant le terroir wallon, la recherche et l’encadrement des acteurs sont bien présents… Le terreau est là pour davantage d’autonomie de nos fermes et la valorisation de notre artisanat ! Qu’est-ce qu’on attend ? Qu’est-ce qui nous freine encore ?

De l’ogre brassicole au goût wallon

Nos bières belges, ne sont pas si belges que ça, tant elles ont souvent recours à des ingrédients venus d’ailleurs. Mais quels rôles les différents maillons de la filière de production céréalière ont-ils à jouer pour redorer le blason de l’orge brassicole en Wallonie ? Car, même si d’autres céréales peuvent être maltées, pour apporter des goûts et des arômes différents, l’orge brassicole est au cœur de la filière. Sans orge brassicole, pas de malt, et – oh tristesse infinie ! – : pas de bière !

Par Mathilde Roda

Introduction

Nature & Progrès propose quelques pistes pour redynamiser la filière afin d’accroître la qualité de nos produits brassicoles et d’amener plus de valeur ajoutée au travail des brasseurs. Plutôt que de destiner nos céréales à l’alimentation du bétail et à la fabrication de « biocarbutants », il nous paraîtrait, en effet, plus intéressants de les diversifier et de les développer en les adaptant aux débouchés des produits transformés qui font notre renommée. Et, au premier plan d’entre eux, nos bières. En fait, cela tombe sous le sens, non ?

Bruno Godin, du Centre wallon de Recherche Agronomique (CRAw) de Gembloux, nous apporte son éclairage technique sur le sujet, en recontextualisant la problématique brassicole wallonne.

La recherche : l’orge est sélectionnée pour répondre à certains critères

N’est pas brassicole n’importe quelle orge ! Pour que l’ogre soit apte à être maltée, elle doit répondre à un certain nombre de critères.

– Bruno Godin, pourquoi tant de critères pour l’orge brassicole ?

Pour répondre aux exigences de maltage, il faut une faible dormance afin de pouvoir malter l’orge le plus rapidement possible après la récolte. Un haut potentiel de germination est nécessaire au processus ainsi que de gros grains chargés d’amidon car c’est l’amidon qui va permettre la production d’alcool. Les variétés doivent, de plus, être résistantes à la fusariose – une maladie causée par des champignons produisant des mycotoxines – et à la verse. Autant dire que ça fait beaucoup de critères !

– Et justement, d’où viennent-ils ?

Dans chaque pays, les critères sont définis par la fédération des négoces. Ce sont classiquement des grosses filières d’exportation qui subissent les pressions du marché. En Belgique, c’est Synagra qui fixe les normes.

– Ces critères-là, ils se jouent déjà au moment de la sélection variétale ?

Oui tout à fait. On est passé de processus de maltage qui prenaient un mois, il y a cent ans, à une semaine aujourd’hui. La sélection a été faite pour optimiser ces critères avec, pour mots d’ordre, rapidité et homogénéité des processus. Donc, comme en panifiable, des lignées sont croisées et testées sur base de ces critères. Certains peuvent être rapidement évalués : calibre, pouvoir de germination, taux de protéine : on évalue facilement et rapidement la protéine et cela permet d’estimer l’amidon… On peut aussi réaliser des micro-maltages et des micro-brassins, en laboratoire et à partir de quelques dizaines de grammes d’orge, pour vérifier son comportement. Mais les normes correspondent aux exigences pour les bières de type « pils », produites à basse fermentation, alors que, pour une filière de bières spéciales, on doit s’intéresser aux besoins de la haute fermentation. Or même les experts brassicoles le disent : on ne connaît pas bien les normes pour la haute fermentation. Ce qui est dommage aussi, c’est qu’on oublie le goût dans tout ça. Le goût n’a jamais été un marqueur de sélection et c’est vrai pour toutes les céréales alimentaires…

La production : cultiver l’orge brassicole, c’est toute une technique !

– Outre la sélection variétale, qu’est-ce qui peut influencer la qualité de l’orge ?

Depuis vingt ans, nous nous sommes spécialisés vers le tout fourrager et nous avons oublié les risques à gérer en céréales alimentaires. Or la manière de cultiver a évidemment un impact non négligeable ! Toute une série d’autres bonnes pratiques doivent être respectées, comme de séparer la « bonne » récolte des zones versées. Une chose de primordiale en brassicole, c’est la propreté ! Il ne faut surtout pas retrouver d’autres céréales, ni plusieurs variétés d’orge. Il faut du monovariétal pour un maltage homogène, sinon le brasseur aura des problèmes de filtration et de gestion de sa recette…

– Alors pourquoi, malgré ces difficultés, certains pays voisins ne semblent-ils pas avoir de problèmes à produire de l’orge brassicole en grande quantité ?

En Belgique, la période des moissons est souvent pluvieuse, or l’humidité étant la bête noire du stockeur ! Lorsqu’on a cherché à se spécialiser en transformation alimentaire, ce sont les industries à plus haute valeur ajoutée que les céréales, et plus facile à gérer avec la chimie, qui ont pris le dessus : les pommes de terre et la betterave. En France, par exemple, où le climat est plus favorable, on retrouve de grandes plaines céréalières car c’est le meilleur moyen de rentabiliser ces terres. Dans d’autres contextes, comme au Danemark, l’orge brassicole est le seul moyen d’apporter de la valeur ajoutée à des terres peu productives. En Wallonie, on se situe entre ces deux situations et on a préféré se diriger vers des productions céréalières à haut rendement, pour l’alimentation du bétail ou l’amidonnerie. On a choisi la quantité plutôt que la qualité.

– Comment faire alors pour remotiver aujourd’hui nos producteurs à se lancer dans cette culture ?

Disons clairement que produire de l’orge brassicole n’est pas une commodité. Mais cette culture présente aussi des avantages : diversification, allongement des rotations, valeur ajoutée… Et puis, tout est une question d’habitude, c’est simplement un métier à réapprendre. De plus, l’orge brassicole étant rustique, bien résistante aux maladies, cela trouve évidemment tout son sens en bio ! Surtout qu’il y a un déficit de production en céréales alimentaires bio…

Le maltage : une première transformation peu rentable

– On parle souvent du manque de micro-malteries en Belgique. Cela peut-il être un levier pour redynamiser la production d’ogre brassicole ?

Il existe deux malteries familiales en Belgique – la malterie du Château et la malterie Dingemans – qui tournent déjà avec de bons volumes et un carnet de commande plein. Il n’est donc pas facile pour les brasseurs qui veulent de petits volumes – qui plus est d’une orge locale pas forcément formatée aux normes industrielles – de trouver une cellule de maltage disponible. Pour pouvoir transformer à petite et à moyenne échelle, il faut donc une malterie adaptée et qui travaille à façon, il faut donc clairement une demande du consommateur, qui influencera le brasseur et qui stimulera la demande en orge locale et donc sa production. La micro-malterie est l’élément central qui fait le lien entre tous ces maillons.

– Qu’est-ce qui freine leur développement à l’heure actuelle ?

Vu le prix de la bière en Belgique, il y a peu de valeur ajoutée à se partager et le maltage est très peu rentable à petite échelle. Une micro-malterie demande beaucoup d’investissement en matériel et il faut vraiment avoir des acteurs de la filière prêts à suivre pour être sûr d’amortir le projet et de le rendre viable à long terme. Il est donc nécessaire de fédérer des agriculteurs, des négoces et des brasseurs autour du projet, avant même de le lancer, une sorte de solidarité nord-nord au sein de la filière, un commerce équitable à la belge…

Le brassage : un haut potentiel de valorisation du terroir belge !

Mais je vois un autre intérêt au développement d’une micro-malterie wallonne. Les brasseries industrielles, non seulement dictent leurs normes en achetant de gros volumes à prix bas. Les micro-brasseurs, non seulement payent un prix plus fort, mais sont soumis aux critères de qualité du malt industriel. Avec une filière locale à petite échelle, certes il y aurait un surcoût pour le consommateur, de l’ordre d’un à deux centimes d’euro pour une trente-trois centilitres, mais il serait possible de produire des bières complètement ancrées dans leur terroir ! Et le bio est d’autant plus intéressant de ce point de vue… Et c’est bien pour cela que les micro-malteries qui veulent se mettre en place veulent souvent viser le 100% bio. Mais il faudrait, pour cela, que les volumes suivent…

– Il y aurait donc un haut potentiel de qualité différenciée en Wallonie, même dans le secteur brassicole ?

Bien sûr ! Finalement, en céréales alimentaires, si on veut mettre en avant le terroir et le goût, il ne faut pas trop produire. On peut faire le parallèle avec le vin et se dire qu’il faut peut-être une même approche : aller vers une offre en plus petits volumes mais avec plus de valeur ajoutée. Evidemment, cela implique d’avoir des consommateurs qui soient en phase avec cela…

Conclusion

Les marchés font-ils le goût ? Non ! Les marchés embrayent sur la demande de consommateurs qui ne connaissent rien aux produits et réagissent simplement à leur réputation et au « récit » qu’en fait la publicité. Laisser faire les marchés, c’est tout standardiser, à terme.

Comment, au contraire, retrouver une typicité, une qualité pour nos produits brassicoles ? Nature & Progrès pense que c’est en permettant le développement de filières courtes et en confiant à de véritables artisans spécialisés la transformation de produits agricoles de terroir, en stimulant le dialogue entre cet artisan et l’agriculteur qui le fournit. A l’évidence, les outils de transformation, comme les micro-malteries, doivent également se trouver au cœur de ces filières. Fabriquer massivement « à façon », et souvent à l’étranger, est une option quantitative qui n’a de sens qu’en visant la conquête de marchés lointains. Cette vision compromet, hélas, la nécessaire évolution du goût et du savoir-faire qui sont un placement dans le long terme…