L’arbre mort donne la vie !

Conversation avec Cécile Bolly

Après l’immense secousse qui fut celle de la Covid-19, il nous a semblé primordial de parler de la vie et de la mort – et de tout ce qui a vraiment de l’importance à nos yeux – à l’aide des innombrables symboles et images que nous offre la nature. Une simple rencontre avec Cécile Bolly, médecin et guide-nature, photographe et auteure de nombreux livres sur les arbres (1), nous ouvre un champ de ressources insoupçonnées. Juste pour vivre, mieux…

Propos recueillis par Dominique Parizel

Introduction

« J’ai fondé, il y a bien longtemps, l’association Collines, raconte Cécile Bolly, afin d’animer des stages dans la nature, pour les enfants à ce moment-là : nous partions dans la nature avec un âne et une aquarelliste… Ces stages sont actuellement destinés aux adultes. Depuis lors, j’ai eu l’occasion de participer à la création de Ressort, centre de formation continue de la Haute école Robert Schuman (HERS), qui ne veut pas faire simplement un « commerce » de la formation continue mais propose des choses plus nouvelles et plus créatives pour participer à la transformation de la société. Dans le pôle « Être et devenir », nous proposons aujourd’hui une formation en pleine nature, destinées à des soignants… entre autres de soins palliatifs ! Comme j’anime aussi des formations « Arbre et conscience » au CRIE du Fourneau-Saint-Michel, nous poursuivons le partenariat en louant leurs locaux, précaution utile en Belgique, même lorsqu’on a l’ambition de travailler en pleine nature. »

Mieux appréhender ce qu'est mourir au contact de la nature

« La philosophie de la formation que nous proposons aux soignants, précise Cécile Bolly, est simplement d’être dans la nature, en contact avec le vivant et avec tout ce que la nature offre comme métaphores et comme symboles. La nature invite ou même oblige à être entièrement présent pour profiter pleinement de ce qu’elle nous offre, ce qui nécessite une attitude particulière d’écoute et de disponibilité. En étant accompagné dans ce qu’il perçoit dans la nature grâce à sa sensibilité, chacun développe alors une attitude de présence qui peut être transférée à la relation avec les patients. Cet apprentissage se fait dans une ambiance de grand respect mutuel, où chacun s’engage à participer aux exercices, à apprivoiser le silence dans des temps de méditation assise ou marchée, à se remettre en question, à partager ce qu’il découvre. La démarche d’ouverture nécessaire se fait par exemple par un atelier d’écriture, par une cérémonie du thé ou encore en utilisant des liens végétaux : m’appuyant sur mes connaissances en vannerie, j’aime que les soignants tissent des liens pour se relier les uns aux autres… Quand on travaille la ronce, par exemple, il faut d’abord la fendre et avant cela, enlever les épines, en utilisant le dos d’un couteau et en étant délicat. Si certains participants prennent la lame pour aller plus vite, il ne leur reste alors, quand ils ont terminé, que des lambeaux de ronce… Au contraire, le travail à l’aide du dos du couteau laisse l’écorce de la ronce entière de la ronce et elle devient ainsi un lien très solide. Les paniers en paille de seigle et ronce, utilisés pour faire lever le pain, sont ainsi d’une très grande solidité. Et ainsi en va-t-il aussi de l’être humain : attaquer, symboliquement parlant, ses défauts avec la lame ne donnera que des lambeaux alors que l’aider délicatement à se transformer permettra de créer des liens solides… La nature est très riche d’images et de symboles qui permettent de comprendre des choses qu’on n’aurait pas comprises autrement. Elle permet ainsi de guérir les humains en les inspirant dans leur cheminement intérieur. Nous ne souhaitons pas réserver l’apprentissage d’une telle écoute profonde à des soignants en soins palliatifs, parce que dans tous les services, les soignants peuvent être amenés à côtoyer des gens en fin de vie qu’ils voudront accompagner… Nous accueillons donc les soignants et bénévoles, qui souhaitent développer cette attitude d’ouverture et de sérénité qui permet d’aider les patients à traverser les moments difficiles. Toute la symbolique présente dans la nature permet aussi aux soignants d’apprendre à apprivoiser le silence. Car ce qui  aide un patient qui est en fin de vie ou qui souhaite parler de sa fin de vie, ce n’est pas qu’on lui parle sans cesse d’une chose et l’autre ou qu’on essaie de le rassurer.  C’est au contraire qu’il puisse ressentir une présence paisible et bienveillante, à ses côtés, qui témoigne encore de sa valeur d’humain. Même s’il est en fin de vie…

Dans la formation (qui est soutenue par la Fondation Roi Baudouin),  des temps particuliers sont prévus afin d’aider les soignants à transférer ce qu’ils ont appris dans leur pratique professionnelle. Et un peu de temps sépare chaque journée pour qu’ils puissent le mettre en ?uvre, la journée suivante incluant un retour sur ce qui s’est passé pour eux, avant de repartir dans de nouveaux exercices et de nouveaux apprentissages… »

Ce qu'on nomme la "fin de vie"…

« La Belgique, explique Cécile Bolly, qui a été pionnière en Europe pour les soins palliatifs, à domicile en particulier, donne à un patient en fin de vie qui désire rester chez lui la possibilité de différentes aides : une équipe de « seconde ligne » – comprenant infirmière, psychologue, etc. – peut venir à domicile et un matériel très spécifique peut être prêté, des visites de médecins, infirmiers et kinésithérapeutes sont également prévues… Tout cela gratuitement ! Dans les équipes de seconde ligne, les soignants sont spécialisés en matière de soins palliatifs, ce qui n’est pas toujours le cas des médecins généralistes, des infirmiers et infirmières de première ligne qui manquent parfois d’habitude de la fin de vie. D’où l’intérêt de travailler ensemble mais aussi de continuer à former tous ceux qui seront en présence de patients qui vont mourir, en leur apprenant à ne pas « se sauver » y compris par des phrases qui clôtureraient davantage le dialogue qu’elles ne l’ouvriraient… L’idée de notre formation est donc de les aider à dialoguer, à oser parler avec les patients de la vie et de la mort. Car là où l’on croit parler de la mort, c’est en fait de la vie qu’il s’agit !

C’est une vérité que nous mettons souvent en évidence : quand un patient envisage qu’il va bientôt mourir, c’est toujours sa propre vie qu’il désire raconter, toutes les valeurs qu’il a incarnées, tout ce qu’il a vécu de marquant. Il en parle avec d’autant plus d’urgence qu’il en sent l’échéance prochaine. Mais ce qu’il vit génère aussi beaucoup d’émotions, que craignent parfois les soignants. A l’occasion de cours à des étudiants en médecine à l’université de Louvain, je leur propose d’aller chez des patients en fin de vie en étant accompagnés d’un professionnel, pour qu’ils vivent par eux-mêmes cette expérience. Ils redoutent évidemment l’intensité des émotions qu’ils imaginent devoir affronter, mais reviennent toujours avec le sentiment d’avoir vécu une des plus belles expériences de leur formation ! Car c’est bien de la profondeur et de l’intensité de la vie qu’il s’agit, plutôt que d’un dialogue centré sur la tristesse ou le désespoir. La difficulté est évidemment d’oser être là et d’y rester, car la présence d’un patient en fin de vie nous renvoie immanquablement à notre propre mort, à notre propre histoire… C’est bien cela que chaque soignant peut travailler – j’ai envie de dire « doit » travailler – afin d’être complètement disponible à l’autre. Sans quoi il est encombré par ses propres difficultés, projette des attentes ou des peurs sur l’autre, réagit comme il voudrait que d’autres réagissent pour lui-même et oublie que le patient est forcément quelqu’un de différent. Par l’espace qu’ouvre la nature et par la dimension très particulière du temps et de la temporalité en forêt, il est très intéressant d’oser y aborder la question de la mort. Elle est omniprésente dans la forêt et au fil des saisons, elle donne naissance à la vie ! Et l’intitulé de notre formation est bien « l’arbre mort donne la vie » car quand un arbre meurt en forêt, il est source de vie pour de nombreux animaux, comme dans n’importe lequel de nos jardins d’ailleurs… »

Admettre la mort pour préserver la vie

« L’idée de conserver un arbre mort en forêt est très récente, admet Cécile Bolly. Naguère, on les coupait pour les évacuer. Or une faune spécifique ne vit que sur le bois mort. L’enlever, c’est donc diminuer la biodiversité… On peut faire un parallèle avec l’être humain : refuser de parler de sa mort, l’évacuer, c’est empêcher de donner vie à de nombreux éléments de son histoire, à la diversité de ses expériences, de ses désirs, de ses projets. C’est se priver d’une profonde richesse humaine que de ne pas accepter de parler de la mort. Et souvent, malheureusement, les patients aimeraient en parler mais ne trouvent personne qui accepte de le faire avec eux. On leur promet de nouveaux traitements, on leur fait de vaines promesses de survie et ils se retrouvent isolés face à leur mort plutôt que d’être accompagnés, jusqu’au moment du passage. C’est très souvent la difficulté d’accueillir les émotions qui empêche les soignants de proposer un accompagnement adéquat. C’est également ce qu’on a fait très longtemps (et parfois encore maintenant) avec les enfants, en leur disant « ne pleure pas » ou « ne te mets pas en colère, ce n’est pas beau !« , ce qui revient à les priver et à nous priver de ce que leur émotion cherche à exprimer, à faire comprendre.

Je pense profondément que toute une part de l’apprentissage dont les soignants ont besoin n’est pas seulement d’ordre technique, mais surtout d’ordre psychique et relationnel, d’ordre intérieur et spirituel. C’est une présence qui doit être travaillée, et cette présence-là gagne à être expérimentée dans la nature où, même immobile et silencieux, on reçoit en permanence d’innombrables signes auxquels nous pouvons nous rendre attentifs, nous rendre présents ; une sorte d’apprivoisement, dans le non-faire, qui nous rend témoins, qui nous force à écouter. Même s’il n’y a que le silence à écouter, au moins l’aurons-nous entendu ensemble. La profondeur de ce qui nous est donné à vivre dans la nature n’est évidemment pas l’apanage de la mort. Je pense en particulier aux rituels qu’on peut proposer à toutes sortes d’occasion, y compris la préparation à la naissance, comme le fait une de mes filles, qui s’est formée aux éco-rituels. Cela nous aide d’ailleurs à comprendre que nous sommes nous-mêmes la nature, que nous n’en sommes pas séparés. Nous pourrions donc très bien installer notre formation dans un grand jardin, ou dans un coin de verger… L’essentiel est que nous retrouvions une vraie collaboration avec la nature plutôt que de chercher à la maîtriser. Et que nous découvrions qu’elle peut nous guérir, en profondeur.  Nous sentir tenus de sauver la nature, du réchauffement climatique notamment, c’est avant tout admettre l’idée que la nature nous sauve. A la condition que nous soyons disponibles, évidemment.

« Il faut sauver les condors, a dit l’ornithologue Ian MacMillan, non pas seulement parce que nous avons besoin des condors, mais parce que nous avons besoin de développer les qualités humaines nécessaires pour les sauver, car ce sont ces qualités-là dont nous aurons besoin pour nous sauver nous-mêmes.« 

Mourir n'est pas un échec !

« Lors de nos activités, poursuit Cécile Bolly, nous sommes également attentifs à favoriser ce qui nous aide à prendre soin de nous. C’est par exemple le cas de notre nutrition (dont la médecine s’occupe jusqu’à présent très peu). Il peut par exemple s’agir de proposer une nourriture végétarienne lors d’une journée, afin que chacun réfléchisse au contenu de son assiette. Ou bien aborder la dimension symbolique de la nourriture. J’aime commencer un repas par un rituel zen qui consiste à manger les trois premières bouchées en se reliant à une dimension chaque fois particulière de la nourriture. On mastique la première bouchée dans la gratitude à témoigner envers ceux qui nous ont nourris. Depuis nos parents et nos éducateurs jusqu’aux agriculteurs qui ont cultivé pour nous, en passant par ceux qui ont construit les routes pour que les camions puissent arriver à nous, ceux qui ont construit les moteurs pour que les camions puissent rouler, etc. La deuxième bouchée est mangée avec la conscience que c’est à nous maintenant qu’il incombe d’être nourriture pour le monde – pas juste donner à manger, mais être nourriture par notre manière de vivre, de partager, d’être soucieux des autres. La troisième bouchée, enfin, doit nous rappeler qu’elle est peut-être la dernière et que, si c’est le cas, ce que nous avons encore à vivre doit être vécu pleinement. Il peut paraître bizarre de penser, chaque jour, que nous allons mourir mais c’est justement ce qui nous met du côté de la vie. Cela n’a absolument rien de morbide… Se rappeler que nous allons mourir, c’est se rappeler de vivre l’essentiel.

La crise de la Covid-19 nous a montré à quel point nous avons cherché à maintenir, à tout prix, la vie biologique de personnes très âgées, en oubliant leur vie psychique. Si la mort est encore parfois vécue comme un échec par la médecine, elle reste aussi un tabou pour l’ensemble de la société, qui intime en permanence à ses membres d’être performants. Si quelqu’un de votre famille vient à mourir, vous disposez de trois jours d’arrêt pour le deuil, puis vous êtes priés de redevenir performant et d’arrêter d’embêter les autres avec le chagrin qui est le vôtre. Notre vie sociale nous force à repousser la mort au lieu de nous rappeler qu’elle est bien là, que nous mourrons un jour, et que, dans le temps qui nous est donné, nous pouvons accomplir ce qui est essentiel à nos yeux, rendre la terre de plus en plus belle… Se rappeler que c’est peut-être la dernière bouchée que nous avalons est donc un acte symbolique qui nous amène à penser aux choses qui ont vraiment de l’importance et à ne pas perdre notre journée… »

Souffrance éthique

« Je ne travaille pratiquement plus en tant que médecin généraliste, dit encore Cécile Bolly, mais davantage comme psychothérapeute, d’une part, et comme formatrice en éthique, de l’autre. De nombreux soignants, durant cette longue épidémie, ont été placés dans l’obligation de transgresser, de piétiner leurs propres valeurs. C’est ce qu’on appelle la « souffrance éthique », c’est-à-dire le fait de ne pas pouvoir agir en cohérence avec les valeurs fondamentales qu’ils veulent défendre. Les soignants qui travaillent en maisons de repos aiment les personnes âgées, veulent les soigner dans la proximité et leur donner de la chaleur humaine. Or, d’un seul coup, ils n’ont plus pu les toucher et les prendre dans leurs bras ! Sous la contrainte de nouvelles règles, ils ont subitement dû travailler en complète opposition avec leurs propres valeurs et faire l’inverse de ce qu’ils aiment faire, ce qui a généré énormément de souffrances… Avec le centre Ressort, nous sommes les témoins de nombreuses situations dramatiques, au sein des maisons de repos, que nous cherchons à apaiser. Cette épidémie est l’occasion de mieux comprendre et mettre en ?uvre une démarche éthique dans le soin. Parfois, elle nécessite d’ailleurs de dire non, de désobéir par exemple pour rappeler que la vie biologique n’est pas seule en cause. Autre chose se joue à chaque instant : la déshérence par rapport à un idéal, par rapport au choix d’une profession, par rapport à celui ou celle qu’on devient. S’il n’est pas possible de garder un lien fort avec les valeurs qui nous animent, cela induit une perte totale de sens et ce constat est sans doute valable pour l’ensemble de nos concitoyens. C’est sans doute pour cela qu’il y a tant de burn-out actuellement… Mais je pense que ceux qui passent par un burn-out sont encore suffisamment bien pour dire stop : je n’irai pas plus loin, sinon je meurs ! Ce qui parle ainsi en eux, c’est leur être profond, qui a la clairvoyance, la sensibilité pour leur dire de ne pas aller plus loin dans cette voie-là. Beaucoup d’autres, hélas, paraissent encore vivants mais sont morts à l’intérieur pour être toujours à même d’accepter la loi que dictent aujourd’hui certaines entreprises…

Il y a déjà un certain nombre d’années, j’ai eu la chance de rencontrer un pédagogue médical canadien nomme George Bordage qui, à la fin de sa carrière, résumait à ceci ce qu’il avait encore à nous dire : « creusez un sillon, choisissez-en un et creusez-le, vous découvrirez le monde entier ! » Moi, j’ai choisi l’éthique, surtout pour les soignants, même si beaucoup de demandes ont également émané du monde enseignant. Et dans l’éthique, ce qui me passionne, c’est entre autres de réaliser des outils que les soignants peuvent utiliser pour éveiller l’éthicien qui dort en eux… Il est sûr que les outils que nous mettons au point au centre Ressort pourraient convenir à l’ensemble de la société. Et une profession particulièrement méprisée, Nature & Progrès ne me contredira pas, dans l’éthique qui est la sienne, est sans doute celle d’agriculteur. Comment travailler encore pour l’agro-industrie en prétendant défendre une éthique ? Qui comprend aujourd’hui l’immense détresse que cela génère ? »

Plus d’informations sur les formations : www.ressort.hers.be

(1) Dans les pages de Valériane n°72, Benjamin Stassen attirait déjà notre attention sur La Magie des Arbres, paru aux éditions Weyrich, en 2008. Plus récemment, on citera également L’arbre qui est en moi, également paru aux éditions Weyrich, en 2018…

Repartir de plus belle ?

Les beaux jours qui reviennent et la pression populaire croissante vont certainement amener nos autorités à « lâcher du lest », même si le maudit virus qui nous gâche la vie ne se satisfera sans doute pas d’une seule année de crise. L’occasion de faire un premier bilan de ce qu’il nous a déjà coûté. Et de ce qu’il risque bien de nous coûter encore…

Par Dominique Parizel

nouveaux ogm non à la déréglementation
Introduction

L’histoire de la Covid-19 restera avant tout une question de points de vue. Chacun d’entre nous l’aura vécue, tant bien que mal, mais chacun racontera une expérience différente, allant de la longue période de tranquillité et de méditation au désastre absolu, tant sur le plan humain que professionnel. C’est très simple : dans ma rue, ma voisine de gauche a quitté son homme, celle d’en face déménage et celle de droite… est morte, mais d’autre chose que de Sars-Cov-2 ! Raconter la pandémie sera donc extrêmement aléatoire et en tirer des enseignements pour l’avenir le sera plus encore. Ce que produira la somme de toutes ces tranches de vie, en matière de réalités quotidiennes qui la changent – la vie ! -, demeure dès lors très incertain, même si quelques tendances lourdes semblent pourtant se dessiner. Nous allons tenter l’exercice, non pas pour énoncer l’une ou l’autre vérité d’évangile qui se prétendrait universelle mais dans le seul souci d’aider chacun d’entre nous à mieux évaluer ce qu’il advient de sa propre existence, de sa propre relation au vaste univers. Juste la spéculation d’un esprit par trop confiné peut-être, la rumination d’une vache à l’étable qui attend l’arrivée du printemps et le bel horizon des prés reverdis. Merci d’avance pour votre indulgence…

1. Paysage après (avant) la tempête

La grippe espagnole fit ses premiers morts en septembre 1918. Le dernier cas fut signalé en… juillet 1921. On lui attribue entre vingt et cinquante millions de morts. Plus d’un quart de la population mondiale aurait été infectée. Le lien entre mortalité et pauvreté fut alors clairement établi. Aucun vaccin ne fut utilisé car si le vaccin contre la variole, par exemple, existait déjà, la mise au point de la majorité des autres fut largement postérieure. Les premiers vaccinés contre la grippe furent ainsi les soldats américains qui combattirent, en Europe, à partir de 1944…

Plus il circule, et plus il mute !

Mi-mars 2021, après une année complète dans nos vies, « notre » Covid-19 avait fait officiellement deux millions six cent mille morts, à travers le monde, pour une centaine de millions de cas. Dont un cinquième pour les seuls Etats-Unis, et un dixième pour le seul Brésil… Bien sûr, les chiffres donnés par de nombreux pays semblent très partiels. En Russie, par exemple, le nombre de morts « anormales », entre 2019 et 2020, dépasse de très loin le nombre des décès attribués au virus. Nulle machination à cela mais le simple fait que la Covid-19 fut rarement diagnostiquée comme telle dans les coins reculés de cette vaste étendue… Chez nous, passé la deuxième vague, les chiffres se sont stabilisés sur un « plateau » relativement élevé, comme si une course de vitesse était engagée entre les effets de la vaccination massive et l’installation progressive, dans nos régions, des nouveaux variants plus contagieux du virus, venus d’Angleterre, d’Afrique du Sud et d’ailleurs. Si un virus n’est pas, à proprement parler, un être vivant, ce n’en est pas moins une entité biologique très opportuniste qui se modifie rapidement afin de s’installer et de se multiplier dans les milieux qui lui sont les plus favorables. Il est très probable que la vitesse de circulation d’un virus – c’est-à-dire la rapidité avec laquelle les humains se le repassent des uns aux autres – favorise ces mutations. Ainsi, le « variant britannique » – sans doute 60% plus contagieux que la souche originelle du virus – est-il probablement déjà, lois de Darwin obligent, très majoritaire en Belgique.

Redoutant l’arrivée d’autres variants – dont le « variant sud-africain » – de Sars-Cov-2, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) s’inquiète à présent de l’apparition d’un « variant amazonien » qui aurait surgi au fin fond du Brésil, un pays dont les autorités furent particulièrement négligentes en matière de prévention et de gestes barrière. Les scientifiques se pressent donc à Manaus, au cœur de la grande forêt équatoriale, où le séquençage du variant est en cours afin de mieux en connaître la dangerosité exacte. On s’interrogera ensuite pour savoir où il s’est éventuellement répandu… Mais peut-être le cas de cette mutation se révélera-t-il indolore, anecdotique. Il n’en demeure pas moins que la plus grande crainte réside aujourd’hui dans le fait que l’un ou l’autre de ces nouveaux variants puisse échapper au « contrôle » vaccinal, que les anticorps produits par les vaccins qui nous sont administrés s’avèrent soudain défaillants face à la nouvelle forme qu’aurait prise Sars-Cov-2. Auquel cas, nous pourrions être repartis pour un tour de carrousel, avec la mise au point de nouveaux vaccins adaptés à la mutation et l’organisation de nouvelles tournées générales de piqûres, avec tous les dégâts collatéraux qu’occasionneraient d' »enièmes » prolongations de la crise. Mais jusqu’à quand ?

Dans ce contexte, le gros doigt fait par l’Europe pour nous mettre en garde contre l’interdiction des voyages « non-essentiels » apparaît comme très inopportune. Car freiner au maximum la circulation du virus – comprenez : le fait que des humains le transportent avec eux quand ils se déplacent – offre évidemment, en retardant leur contamination, une protection sanitaire accrue des populations, mais donne surtout au virus moins d’opportunités de muter rapidement. Or les gadgets de type Passeport vaccinal qu’elle souhaite mettre en place – outre qu’ils constituent probablement une atteinte à nos libertés, nous y reviendrons – ne garantissent rien qui soit suffisamment hermétique aux variants venus d’ailleurs. La seule attitude appropriée est donc de rester sur place, le temps que ça passe, tout simplement ! Voilà déjà une chose à méditer pour mieux endiguer les pandémies du futur. D’une manière plus générale, il est sans doute urgent de mettre des limites au « bougisme » (1) et, par conséquent, aux effets de la mondialisation. Gens et marchandises ne voyagent jamais seuls…

Des horizons qui se bouchent et se rebouchent

Le mot « récession » n’ayant pas cours dans le merveilleux vocabulaire du dogme « croissanciste », nous avons appris, début mars, que notre pays avait subi une « croissance négative » de 6,3% de son PIB (Produit Intérieur Brut) – c’est-à-dire de l’ensemble des « richesses » produites par le pays en un an -, entre 2019 et 2020. En fait de « richesses », tout fait farine au bon moulin, exportations d’armes et de patates à chips y compris… Ce chiffre n’est finalement pas aussi terrible que nous avions pu l’imaginer, alors que certains nous annonçaient allègrement le double, au plus fort de la première vague… Reste que ce n’est quand même pas rien, juste ce qui nous est arrivé de pire depuis la guerre ! Et, pour la seule branche « arts, spectacles et activités récréatives », la chute approche carrément les 20%, ce qui est sans doute une indication plus fiable quant à l’état réel de notre moral. C’est dire surtout à quel point certains d’entre nous souffrent beaucoup plus que d’autres… Autre indicateur de l’état véritable de notre santé mentale – même si, contrairement à ce qui fut parfois suggéré, le nombre des suicides reste constant (2) -, la crainte d’un baby-crash généralisé semble sérieuse (3). En janvier 2021, en France, le nombre de naissances a chuté de 13 % par rapport à janvier 2020, a révélé l’INSEE (Institut national de la statistique et des études économiques), le 25 février. Peut-être n’est-ce là qu’un effet conjoncturel lié à la crise, dirons certains, plus qu’un effet générationnel qui refléterait une volonté profonde de faire moins d’enfants… « La perte d’un emploi ou la peur du chômage peut avoir une grosse influence sur la décision de fonder ou d’agrandir sa famille« , explique ainsi la démographe Eva Beaujouan, même si, pour certains autres couples, le contexte mondial est devenu si sombre que l’idée même d’y faire des petits est d’emblée écartée. Il y a vingt ans déjà, dans son livre intitulé Résister au bougisme, Pierre-André Taguieff notait déjà ce passage, cette transition, d’une « religion du progrès » – cet avenir auquel nous pouvions tranquillement nous abandonner – à une inquiétude qu’il qualifiait de « post-moderne » – cet avenir indiscernable avant tout dépendant de nos choix, individuels et collectifs. Nous y sommes ! Nous sommes tous habités désormais par cette inquiétude, tous au beau milieu du champ de patates, à piétiner dans la gadoue…

Non sans une certaine candeur, la RTBF nous expliquait, en date du 18 novembre 2020, que les jeunes sont déprimés « parce qu’ils ont besoin de vie sociale. Privés de club de sport, de cours en présentiel, privés de ces liens sociaux fondamentaux dans leur vie. S’ajoute à ça le fait que beaucoup ont perdu leur job d’étudiant. Des soucis financiers frappent de plein fouet l’autre catégorie la plus touchée : les travailleurs de l’horeca. Ceux-là redoutent de tout perdre. Ils craignent aussi que le confinement se prolonge et ruine la période de fin d’année… » Tout cela s’étant malheureusement vérifié, nous sommes aujourd’hui beaucoup plus loin encore « dans la forêt », égarés et malheureux tels des petits Poucet, à nous demander si c’est vraiment le virus et ses dégâts collatéraux qui affectent autant notre moral. Ou plutôt l’évidence d’une inquiétude beaucoup profonde qui nous saute soudain aux yeux ! Rouvrir quelques magasins, quelques camps de vacances et quelques bars à pintes, même « spéciales », suffira-t-il à calmer l’angoisse collective ? Mais errons-nous, pour autant, nus comme des vers en dépit des montagnes de vêtements que nous n’avons pas achetés cet hiver, compromettant gravement une « période de soldes » généralement faste pour le business, ce qui a tellement préoccupé nos chers médias ? Une couche de chiffons en plus sur le dos ou dans l’armoire, l’avenir nous eut-il paru, tout d’un coup, plus lumineux et plus aisé à discerner ?

Visions à la dérive

Abandonnés à la solitude de leurs kots, les étudiants ont eu le temps d’y penser, à cet avenir incertain. Et ils ont raison de demander des comptes, même si personne aujourd’hui n’est prêt à leur en donner… Tout le monde réclame des perspectives mais plus personne n’est en mesure d’en concevoir, tant le vieux logiciel providentiel, « croissanciste » et progressiste paraît bel et bien périmé. Une nouvelle donne économique et sociétale se met en place que personne ne parvient à anticiper ni même à décrypter. Mais nos dirigeants d’antan n’ont-ils pas toujours eu la détestable habitude de ne jamais rien prévoir, ne réagissant qu’une fois le problème sur la table. Début mars, on fit donc mine de nous « déconfiner » un peu, mais à l’air alors : oké pour dix têtes de pipe dehors, les gars, mais alors avec masques et distanciation sociale… La belle histoire ! Exactement ce que nous étions déjà autorisés à faire depuis belle lurette dans les files d’attente de n’importe quel magasin… Ou alors, attendez, on rouvre mais avec des protocoles sanitaires si compliqués qu’il est souvent plus simple et moins onéreux de rester carrément fermé. Et attention ! Il y a plus drôle encore. « Traverser une maison pour se rendre dans le jardin est désormais autorisé« , nous apprend Le Soir, du 6 mars ! « Et même d’utiliser les toilettes des gens chez qui nous nous trouvons« , écrit encore le quotidien… A-t-on jamais rêvé plus sophistiqué dans le genre précision qui infantilise ? Combien de procès-verbaux pour utilisation abusive de toilettes la police a-t-elle dressés depuis ?

Soyez tranquilles, pas de parti-pris chez nous envers aucun mandataire, homme ou femme (ou autre), de droite ou de gauche (ou autre). Il y a ceux, bien sûr, qui s’empêtrent dans les Comités de concertation à répétition et d’autres qui se perdent le nez dans le masque quand la vaccination patine. Mais pourquoi ne pas associer davantage les médecins généralistes en qui la population a toute confiance ? Parce que ce sont les vaccins eux-mêmes qui font défaut ? Certes, la responsabilité publique est un métier bien difficile, et de plus en plus mal-aimé. Nous ne déplorerons même pas, dès lors, que la capacité d’action des services publics soit si fréquemment surestimée – nous ne prétendons pas ici être en mesure de l’évaluer, d’ailleurs – par des ministres ainsi amenés à faire soudain et trop souvent machine arrière. Tant pis pour eux ; c’est juste leur crédibilité qu’ils jouent ! Nous n’évoquerons pas, non plus, la navrante saga des masques Avrox, qui sont aujourd’hui au rebut, ni encore les atermoiements du testing, ni même le tracing qui s’est si souvent égaré en cours de route, même avec l’aide des Apps les plus modernes… Nous ne dirons plus notre ébahissement devant ceux qui « dérogent » pour des pesticides prohibés ou qui grommellent encore, juste pour la forme, sur la sortie du nucléaire… Nous regretterons davantage l’impuissance face aux fantasmes d’automatisation des gares et des trains, un univers déjà pas accueillant – non, disons-le, franchement glauque et glacial – où l’on ne trouvera bientôt plus âme qui vive, si ce n’est un vigile pataud ou un steward rigolard. Juste quelques boîtes à tickets, quelques portiques qui claquent et des trains bardés d’écrans et de caméras, et qui démarrent tout seuls – et on fait quoi, s’ils ne démarrent pas ? Blade Runner en mode banalisé, en somme, un monde qui nous faisait déjà frémir, il y a cinquante ans au moins… Quant aux bus, ils nous emmèneront certes vers nos vaccins, dans la joie et l’allégresse, sans que nous ayons le moindre ticket à composter. A l’heure où les chauffeurs se bunkérisent pour ne plus subir l’œil triste des gens ordinaires – à Liège du moins, où j’habite, ce sont de vrais hommes invisibles, ces anti-héros du service public ! – et où même les abonnés regrettent presque d’avoir payé pour rien tant les contrôles sont rares, on se demande pourquoi la gratuité n’a pas été généralisée. Du point de vue de l’empathie et du sanitaire, on ne peut évidemment pas dire que les TEC et la STIB aient brillé par leur créativité. Encore une occasion de perdue de faire un geste pour une population vraiment dans le dur…

En l’espace d’une seule année, les transports en commun ont été institués comme le moyen de transport du pauvre, du pauvre malheureux qui est dans l’obligation de courir le risque d’aller s’y faire contaminer. La solidarité, la vraie, n’eut-elle pas été de leur épargner au moins l’injure du gros doigt moralisateur, du « paie ton bus, misérable » ! Quoi ? Vous feriez ça comment, s’exclame alors le bon bourgeois indigné ? Dame, en taxant l’automobiliste, pardi. Là serait la justice, là serait le courage, là serait la solidarité, la vraie. Ne pas voir cela – et bien d’autres choses -, c’est préparer le lit des extrémistes – qui se fichent pas mal de dire qui financera quoi comment -, ne me dites pas que vous ne l’aviez pas déjà compris ? A propos, Le Pen battra-t-elle Macron, l’an prochain ? A la faveur de la pandémie qui enfle encore et toujours – et vu l’incapacité de la gauche française à faire front commun -, tout est possible, non ?

2. De quoi nous souffrons vraiment

Holà, calme-toi, vieil agité pas encore vacciné. Tout n’est quand même pas allé de travers, depuis un an… Leur priorité, à nos gouvernants, c’est de revenir à la normale, en « présentiel », dans l’enseignement. Ils ont raison, non ? Bien sûr que oui qu’ils ont raison. Mais cela ne pourra s’appuyer que sur un dépistage massif et régulier, et sur la mise à l’écart immédiate de tout individu testé positif. Exactement ce qu’il eut fallu faire, à l’échelle de la population entière, dès le début de la menace. Défaut de prévoyance ? Encore une bonne chose à méditer pour les pandémies du futur…

Qui se soucie de nous ?

Donner la priorité au retour à l’école est évidemment une première réponse à la crise mentale qui secoue l’ensemble de la population. Mais, quelles que soient les compétences et les motivations de nos enseignants, se contenter d’un simple retour au business as usual sera largement insuffisant. Ceux qui étudient sont en souffrance, ils sont en demande. Qu’ils expriment leur détresse avec plus ou moins de force, il faudra leur expliquer pourquoi nous sommes si cupides, si égoïstes, si « court-termistes », si peu soucieux du destin de la planète… Ben oui, nous y voilà. Il est heureux qu’un « banc d’essai » au traitement de la grande crise climatique – là où se concentre aujourd’hui toute cette grande inquiétude « post-moderne » dont nous parlions – ait été fourni par une pandémie que la majeure partie de la population hésite encore à qualifier de crise écologique. Pour l’heure, il faut, dans l’urgence, faire le tri avec les chers gamins : au fond, qu’est-ce qui est un gros souci, et puis qu’est-ce qui n’a pas été si mal que cela ? De quoi souffrons-nous vraiment ? Ici et maintenant.

D’abord, nous avons tous peur de mourir. Autant le dire clair et net. Ce foutu machin, et tous les experts qui nous en causent d’une manière si docte et inspirée, nous ont fichu une pétoche infernale. Et personne n’est là pour dédramatiser tout cela, personne pour relativiser, personne pour en rigoler, même si ce n’est évidemment pas drôle. Bref, rien de tout ce qu’on appelle ordinairement la « culture ». Des médias, bien sûr, qui radotent et qui repassent leurs vieux plats pourris aux heures de grande écoute – puis qui se prennent la tête quand plus personne n’écoute -, des « réseaux sociaux » aussi, en pagaille, où le tout-venant déverse sans limite raisonnable son angoisse et sa bêtise. Et puis, des prophètes délirants, comme s’il en pleuvait, et du simplisme prêt-à-consommer pour qui le monde n’est que haine et opportunisme… Oublions-les. Tout cela peut amuser un temps mais, au bout d’une longue année d’ennui et d’ennuis, nombreux sont ceux font le choix, plus ou moins définitif, de « tourner le bouton », la tête en plein micmac… Il y a les bons livres aussi, heureusement, mais tout le monde n’aime pas cela… Alors trop souvent, nous restons là, face à nous-mêmes, à ruminer comme de vieilles vaches à l’étable. Trop seuls face à la peur qu’on nous a faite… Pourquoi ?

Ici se confondent deux notions pourtant très différentes – ou qu’on nous a sans doute volontairement « permis » de confondre – : le confinement et l’isolement. Le confinement est un enfermement, le plus souvent consenti pour une raison de force majeure, qui vise à protéger l’individu du monde extérieur et de ce qui s’y passe. L’isolement est une mise à l’écart, indispensable d’un point de vue sanitaire, parce que cette même personne représente un danger pour ses congénères du monde extérieur. L’isolement bien sûr n’est pas l’emprisonnement qui est une peine à purger ; quant à la quarantaine, c’est évidemment un isolement, et pas un confinement… Ce que nous imposèrent les circonstances, dans le cas de la réponse sanitaire apportée à Sars-Cov-2, fut souvent ressenti douloureusement d’un point de vue mental, même si nous y avons éventuellement consenti. Pris, à tort ou à raison, comme une injonction disproportionnée, c’est surtout la cause de la détresse qui se propage et s’étend, affectant principalement une grande partie des plus jeunes… La question se pose donc de savoir de quoi il s’agit vraiment, Confinement ou isolement ? Il y a un an exactement, juste avant la première vague, aucun Belge n’était malade mais un « confinement » fut pourtant imposé, en tirant parti avec habileté du fait que tout contaminable est un contaminant en puissance. Cette réponse sanitaire fut-elle consentie ou, au contraire, imposée à la population, et dans quelle mesure exacte ? Le fait est que le mot ne fut plus officiellement utilisé ensuite, remplacé par une abracadabrantesque histoire de bulles sorties d’on ne sait trop quelle vieille pipe à savon. Trop tard ! La population et les médias s’étaient habitués à l’idée de ce confinement / déconfinement, l’utilisant depuis à tort et à travers, dans la confusion la plus grande. La question du consentement ou de la coercition risquant d’être débattue fort longtemps encore, disons simplement que c’est, là aussi, une chose importante à méditer, en prévision des pandémies du futur.

Le révélateur de crises latentes

La limitation drastique de nos contacts, nécessaire afin d’endiguer la circulation du virus et sa capacité à muter rapidement, a entraîné ipso facto la fermeture des lieux où la vie sociale a lieu, sans tenir le moindre compte des impacts sur la santé mentale que causeraient cet isolement de fait, ou ce simple confinement suivant que notre ressenti balance de l’un ou l’autre côté… Le lobbying économique, au service d’intérêts particuliers, semble avoir d’abord penché pour un confinement général, court mais radical. Il se ravisa ensuite afin d’exiger un déconfinement complet dont les conséquences se sont avérées particulièrement chaotiques. Ces mêmes milieux tablent à présent sur la vaccination de masse, méprisant carrément le fait que les gens ne sont pas des numéros et qu’on ne dispose pas tout-à-fait de leurs corps comme de vulgaires baudruches qui garnissent le paysage social…

Et pourtant, Sars-Cov-2 ne désarmant pas, aucune autre issue ne semble aujourd’hui se dessiner. Aux yeux d’une part considérable de la population, la grande manipulation qu’est la vaccination sera cependant inscrite au passif des gros acteurs économiques et de leurs hérauts. Que cela leur semble juste, ou pas ! La Covid-19 n’est évidemment pas seule en cause. En réalité, on l’a souvent souligné, la pandémie est le révélateur, l’amplificateur des crises graves qui agitaient, qui clivaient déjà nos sociétés depuis des lustres. Nous nous bornerons ici à en évoquer trois : l’aggravement des inégalités, la crise de l’organisation du travail et la méfiance croissante de nos concitoyens envers l’état et ses représentants. Le coronavirus est venu nimber tout cela de bien singuliers éclairages…

– Inégalités

Il y a, aux yeux de beaucoup d’entre nous, des riches et des pauvres, depuis que le monde est monde… Il n’aura échappé à personne que les victimes prioritaires de Sars-Cov-2 furent bien les plus faibles d’entre nous, physiquement mais sans doute aussi moralement : ceux qui étaient déjà malades, la clientèle des maisons de repos, les gens en surpoids ou en dépression, etc. S’ajoutent bien sûr à ce sinistre « protocole morbide », tous ceux qui vivent dans des locaux surpeuplés ou quasiment insalubres, dans des quartiers dits défavorisés où la promiscuité est grande et l’adoption des gestes barrière aléatoire. Viennent encore les précaires de l’information que n’atteignent jamais les savants conseils des épidémiologistes et la rhétorique, pourtant diverse et variée, de nos ministres… Avec la crise sanitaire, le capitalisme dont ils sont les gardiens du temple n’a fait qu’aggraver la crise sociale ! Or la technique des confinements locaux et temporaires, par exemple, semble avoir le vent en poupe. Mais qui cela touchera-t-il majoritairement sinon des quartiers populaires, ne faisant qu’accentuer l’impact social de la crise ? De quoi exacerber des tensions qui ne sont pas neuves et créer localement un véritable climat d’émeute… Le tohu-bohu qui régna, le samedi 13 mars à Liège, et les dégâts matériels certes injustifiables qui s’ensuivirent sont malheureusement là pour en attester.

Mais bon dieu, nous sommes quand même des gens ouverts au dialogue, entend-on alors… Nous pouvons entendre cette détresse mais pourquoi embêter les riches quand les pauvres sont en souffrance ? Ne revisite-t-on pas là le Germinal, du cher vieux Zola, et n’entend-on pas déjà siffler le Kärcher à Sarko ? Attention ! De nos jours, les classes moyennes auxquelles nous appartenons, pour la plus grande partie d’entre nous, n’ont plus la garantie de ne jamais basculer, par un jour certes particulièrement funeste, dans la précarité et le besoin. Il suffit parfois de bien peu de choses… Aujourd’hui, les demandes d’aide explosent ! Selon la Croix-Rouge, 40% de la population font face à d’importantes difficultés d’ordre financier… A une époque où la richesse se concentre de plus en plus dans les villes – dans certains quartiers de certaines villes ! -, le choix d’une agriculture qualitative et prospère est également devenu une nécessité pour garantir un avenir à bien des territoires en déshérence – ou même carrément en voie d’abandon – et aux populations qui y résident.

– Travail

N’évoquons même pas ce vaste pan du monde du travail où télétravailler est inimaginable, un monde où la pénibilité est rarement reconnue à sa juste valeur, en temps de crise a fortiori. Saluons, une fois encore, tous ceux qui ont pris des risques pour le bien de tous, et souvent pour un salaire indigne de leur effort. Passons trop rapidement sur tous les autres qui n’ont pas droit de cité dans la marche de l’entreprise qui est pourtant la leur mais doivent se motiver avec le seul but de garantir des dividendes aux actionnaires… Concentrons toute notre attention sur cette fantastique opportunité offerte par la crise sanitaire : le télétravail !

Ah ! Le télétravail, quelle fantastique aubaine pour améliorer l’existence… Ne devait-il pas être l’occasion rêvée de mettre moins de véhicules sur les routes et d’épargner aux travailleurs le temps précieux ainsi gâché ? Pour une meilleure qualité de vie, croyait-on… Un an après, tout le monde râle : patrons en manque de contrôle, employés frustrés de contacts style Caméra café, familles encombrées par l’irruption d’un employé et de ses nombreux outils… Soyons justes : là encore le défaut de prévoyance fut particulièrement criant. Qui aurait imaginé des conditions expérimentales aussi délirantes pour tester avec rigueur l’intérêt exact du télétravail ? Absence d’infrastructures et de matériel adéquats dans la plupart des logis, absence de compensations financières – chauffage, électricité, matériel de bureau… – par la quasi-totalité des employeurs, défauts graves d’organisation du boulot et intrusions fréquentes de la hiérarchie, etc. Il y a surtout le fait évident que le télétravail ne semble jamais envisageable que partiellement, et jamais à 100% comme ce fut décrété de but en blanc. Hé, la faute à qui si personne n’avait pensé à rien avant que le ciel nous tombe sur la tête, si le patronat n’avait jamais voulu y croire, préférant le vieux paternalisme bêtifiant à une saine collaboration basée sur la confiance ?

En réalité, pouvoirs publics et employeurs se sont jetés là-dessus, dès le début de la crise, comme la vérole sur le bas clergé. Comme si c’était du pain bénit ! Il s’agit hélas d’une forme d’organisation compliquée dont ils ne savaient évidemment pas grand-chose, dont ils se méfiaient même pour la plupart. Tous furent pourtant trop heureux d’avoir quelque chose à proposer dans l’urgence. Dans les métiers « pour lesquels le télétravail est possible« , c’était sans doute cela… ou rien du tout ! L’affaire fut donc vite pliée, d’autant plus qu’il eut été difficile de payer tous ces gens à ne rien faire. Avec l’impact terrible qu’une mise à l’arrêt générale aurait eue sur l’économie… L’idée d’un « revenu de base » refit donc vite surface en pareil contexte, un revenu alloué sans condition, de la naissance à la mort, uniquement parce que chacun a le droit de vivre décemment. Un autre débat, direz-vous ? Pas si sûr…

– Représentation

Isolement aidant, le sentiment n’a jamais été aussi fort de ne pas être entendu, ni même simplement écouté. Nombreux éprouvent même maintenant le sentiment nouveau d’être carrément oubliés ! Les crises qui s’empilent n’ont jamais été aussi graves mais semblent totalement ignorées au seul profit des plus riches qui font tourner l’économie. Faire redémarrer rapidement la machine fut longtemps le seul souci ! La protection du business semble, à présent, trouver d’autres voies et c’est le souci de la santé mentale générale qui exige que la vie reprenne son cours. L’Etat, lui, emprunte tant qu’il peut dans un compromis généralisé qui ne pouvait avoir de sens qu’en temps de « vaches grasses », le seul pourtant qui paraît encore possible alors que la fragmentation de la vie politique n’a jamais été aussi forte. Un spectacle d’impuissance totale, en somme, qui indispose toujours plus gravement l’électeur ordinaire, lequel préfère, de plus en plus souvent, le simplisme grandiloquent des extrêmes – qui ne sont pourtant pas beaucoup plus malins ! -, sachant très bien, par ailleurs, que c’est toujours le citoyen ordinaire qui paiera finalement la facture. Dans six mois, dans deux ans, dans vingt ans…

Bref, la confiance du citoyen dans l’Etat s’érode toujours un peu plus à chaque coup. La démocratie s’est engagée dans une impasse, sans aucun plan B bien sûr, alors qu’elle n’avait déjà guère de plan A… En France, le rapport annuel de la Cour des Comptes publié mi-mars, centré sur les effets concrets et la gestion opérationnelle de la crise sanitaire, a pointé une trop faible anticipation des services publics concernés, au premier rang desquels la santé et l’éducation nationale. Il serait difficile de prétendre avoir fait beaucoup en Belgique. Pire encore que ce péché d’omission public : cette crise de confiance gagne aujourd’hui la science elle-même qui s’est, il est vrai, trop souvent compromise avec de gros intérêts transnationaux. Tout cela est parfaitement connu mais aucune réponse ne se dessine pour autant. Plus rien n’est donc aujourd’hui pardonné à l’Etat et à l’ensemble de ses représentants. Des défaillances de logistique ordinaire en temps de crise grave – qui n’ont absolument rien à voir avec l’impossibilité de prévoir l’imprévisible – sont ressenties comme de véritables injures faites aux « gens normaux », à tous ceux qui « trinquent » au quotidien. De l’eau apportée, volontairement ou non, au moulin de ceux qui veulent toujours moins d’Etat et qui revendiquent la « loi du plus fort » économique ? Le « trumpisme » décidément nous guette, il est derrière la porte. Est-il encore temps de réagir ?

Ce qui va bien, ce qui va mal

Allons bon. Tout cela, ce n’est quand même que de la grande théorie. Un simple regard sur nous-mêmes, sur nos conditions réelles d’existence devrait nous permettre d’y voir plus clair, de dresser un bilan plus objectif de nos conditions de vie réelles. Restons pragmatiques, parlons plutôt de la « vraie vie », de quoi notre quotidien est fait : manger, habiter, dormir, bouger…

D’accord. Admettons que ce qui va plutôt bien est la conséquence d’un retour – plus ou moins accepté, plus ou moins temporaire – des consommateurs dans leur environnement de proximité. Ils s’efforcent d’acheter local, prennent le temps de cuisiner et, globalement, mangent mieux. L’agriculture biologique a bien fait son job et a ouvert la voie à suivre. Le citoyen l’a bien compris. Sauf, bien sûr, ceux qui « n’ont plus les moyens » et qui optent, nous dit-on, toujours plus pour le hard-discount ou vont carrément grossir la file des épiceries sociales quand le porte-monnaie est vide… Nature & Progrès, depuis cette année, expérimente le Réseau RADiS et entend ainsi démontrer qu’il n’y a de fatalité pour personne. Pour peu qu’on s’efforce de raviver le capital social, partout où c’est possible…

Côté habitat, son amélioration bénéficie des dépenses qui n’ont pas pu être faites ailleurs ; quand on reste toute la journée chez soi, ben oui, on est aux premières loges pour constater tout ce qui cloche. Encore faut-il que le droit à habiter soit un droit à habiter décemment. Or la crise sanitaire a montré à quel point ce droit était bafoué pour beaucoup d’entre nous… Rayon mobilité, l’évolution ne semble guère satisfaisante tant l’état catastrophique des transports en commun tend à ramener les gens inquiets dans leur bagnole. Mais pour aller où ? L’errance au volant serait-elle une manière de tromper l’angoisse ? La tendance n’est pas bonne car, si une reprise de l’activité mondiale s’amorce – poussée dans le dos par le dogme libéral dominant -, le prix du pétrole risque fort de repartir à la hausse et de nous emmener tout droit vers un bordel économique digne de 2008. A moins que l’alternative soit enfin sur les rails, avec l’électricité ou l’hydrogène ? Mais qui pourra se payer les splendides berlines qu’on nous fait miroiter ? Aucun constructeur ne semble prêt à proposer de petites urbaines qui font gagner de la place et de l’énergie… Est-ce pourtant si difficile à comprendre ?

L’homme de la rue, trop préoccupé par ses propres soucis, s’est évidemment empressé d’oublier tout ce qui est d’ordre écologique et climatique, cela va sans dire. Et personne n’a vraiment le cœur de le lui rappeler… Nous l’avons dit, l’isolement que nous vivons – même s’il ne dit pas son nom – est avant tout d’ordre mental. Nous pouvons être critiques sur notre « vie d’avant » mais manquons totalement de moyens pour comprendre où nous emmène la « vie d’après ». Peut-être est-ce également dû aussi à un manque d’engagement individuel de notre part, en faveur de ce que nous estimons être juste. Comment la crise fera-t-elle évoluer l’opinion ? Il est trop tôt pour la dire. L’écologie et le numérique triomphent, nous dit-on, mais rien n’est moins sûr… Le second a vu s’effondrer quelques grands mythes tenaces : la visioconférence, par exemple, fonctionne si mal que Microsoft est déjà en train de raconter que les réunions connectées du futur se feront à l’aide… d’hologrammes ! Quant à l’enseignement « en distanciel », il a tellement déprimé étudiants et enseignants qu’il ne semble déjà plus que très exceptionnellement envisagé, pour ce qui est du secondaire en tout cas, les étudiants du supérieur, de leur côté, n’aspirant qu’à retrouver leurs chers auditoires… L’écologie enfin fait toujours frémir les milieux économiques qui n’y voient que dépenses impossibles à financer ; ils n’admettent pas que la crise du coronavirus soit une crise écologique qui a pesé 6,5 % du PIB belge en 2020 et ne pensent qu’à renvoyer des avions strier l’azur virginal du confinement. Mais combien pèsera la crise climatique dans les années qui viennent ?

3. Le monde d'après

L’illusion générale, le solipsisme comme pensée unique, du « retour à la normale » est toujours la norme. Vaccination au printemps, liberté de « boire un verre » en été. Et sur notre terrasse préférée, encore… Voilà la promesse du gouvernement belge, si toutefois un vilain canard ne revient pas faire des couacs, couacs dans le petit marigot de la Covid-19, laquelle évidemment ne cessera pas d’exister pour autant, même si une large majorité d’entre nous s’en sera peut-être protégée… Mais pour combien de temps ? N’allez quand même pas imaginer un retour au déconfinement raté de l’été 2020. Les protocoles sanitaires s’inviteront à votre table pour un bon moment encore. Ce qui n’empêche pourtant pas les beaux optimismes de parler d’atterrissage… Et de redécollage, sans doute, de Ryanair et consorts. Ce magnifique fleuron du secteur aérien qui nous fait tant rêver et où, nécessités économiques obligent, les employés ont dû se résoudre à des baisses de salaires… Mazette. Qu’est-ce qui va leur rester ?

Tragédie classique et cinéma américain

Etrange artifice cependant que de qualifier de « normale » ce qui n’était qu’un banal contexte d’origine, et qui n’avait absolument rien de stable, ni de durable, ni même de simplement satisfaisant ou épanouissant. Ce contexte « en évolution » n’était qu’une « coupe », à un instant T, déjà constellé comme un ciel d’été par la multitude des crises que nous avons décrites. Pourquoi souhaiter revenir à cela plutôt qu’à autre chose ? Quelle est cette fable franchement inepte qui nous prend, une fois encore, pour des simplets ?

Nous nagions donc en pleine félicité lorsque, de la manière la plus inopinée qui soit, survint cette coquecigrue, bien sûr très méchante puisqu’elle a tout mis la tête en bas. Ce serait à peu près cela l’idée ? Pareil bouleversement peut être comparé à l' »épitase » qui survient sans crier gare pour chambouler la « protase »… L’épitase est le premier des trois temps de la tragédie antique. Quelque chose change brusquement, pour tout le monde : un seigneur se convertit, une ombre fait des révélations, un peuple se révolte… Le deuxième temps est ensuite celui de la confrontation : les protagonistes entre eux, ou les protagonistes face aux événements, ou encore un protagoniste face à lui-même… C’est, comme qui dirait, la première vague après l’apparition subreptice de la Covid-19 : on s’interroge, on réagit, on râle, on applaudit les héros à huit heures du soir… La transformation du petit train-train quotidien pose pourtant rapidement de sérieuses questions existentielles, induisant d’importants retournements d’attitude ou d’opinion. C’est la métabase, un terme d’ailleurs utilement recyclé en informatique pour désigner l’ensemble des données relatives aux systèmes eux-mêmes… Enfin, le troisième et dernier temps voit l’apogée du drame, le climax, l’acmé, dont rares sont à vrai dire ceux qui s’en sortent indemnes. Peut-être n’y sommes-nous pas encore, dans notre petite tragédie à nous ? Cette phase de tension extrême met en lumière les conséquences inévitables de ce qui s’est passé. C’est la catastase, et nul n’y échappe. Nos grands auteurs classiques étaient suffisamment lucides pour ne pas imaginer de retour à quoi que ce soit, ce qui eut d’ailleurs consisté à nier le sens même de leurs œuvres… Aujourd’hui, il n’y a plus guère que les économistes « de la terre plate » pour imaginer un truc pareil, ceux qui croient encore et toujours qu’il n’existe aucune limite à la biosphère… Ou ceux qui veulent nous expédier sur Mars, en compagnie d’Elon Musk… Ou qui prétendent que maladie + médicament = retour à la normale…

Mais attention ! Le théâtre classique reposa aussi sur les trois unités – un seul laps de temps, un seul et même lieu, une seule et unique action – or nos démêlés avec Sars-Cov-2 sont infiniment complexes, entre comorbidités et commisération, dégâts écologiques et paupérisation croissante, un peu partout à travers le monde et dans le temps qu’il plaira au satané virus. Difficile donc d’en prévoir l’issue précise, à cette catastase Covid, mais on peut bien sûr s’amuser quand même à essayer. Encore un truc important à méditer, en prévision des pandémies du futur… Le cinéma, lui, s’y était risqué, il y a bien longtemps déjà. Vous avez certainement revu Contagion, de Steven Soderbegh (2011), ou Outbreak, de Wolfgang Petersen (1995), ou encore – nettement moins gai ! – Epidemic, de Lars von Trier (1987). Ou encore l’épatant Perfect Sense, de David Mackenzie (2011), ou l’épouvantable Blindness, de Fernando Meirelles (2008). De quoi inspirer un peu des responsables publics qui ont quand même singulièrement manqué d’imagination, ces derniers temps… Mais il est vrai que les cinémas ont baissé leurs volets. Et que les gros dégâts ne sont peut-être pas là où l’on croit : le cinéma français aurait au moins cent cinquante films « sous le coude », prêts à sortir en salles. Ou pas… Et pas de sorties en salles, pas de diffusion à la télé. C’est comme ça… Quant au cinéma américain, il fut contraint de reporter très exceptionnellement la distribution de ses Oscars à la fin du mois d’avril. Vous avez dû en entendre parler, ces jours-ci, non ?

Passeport vaccinal

Ah, ben tiens, justement, celui qui vient d’inventer le Passeport vaccinal fait tout pour me contredire. Un sacré lascar, celui-là, qui pourrait postuler comme scénariste à Hollywood. Jugez plutôt : un document administratif national pourrait attester qu’une personne ne risque pas d’être contaminée ou d’en contaminer d’autres. Contaminables ou contaminés, disions-nous, c’est du pareil au même. Il faut juste ne pas l’être ! D’accord. Mais, euh, cela servirait à quoi au juste, ce truc ? Eh bien, réjouis-toi peuple avide d’éloignement, ce sésame te permettra de retrouver ta liberté de mouvement ! L’Association internationale du transport aérien (IATA) a, par exemple, déjà lancé un Travel Pass qui rassemble tous les documents exigés par le lieu de destination d’un passager. Le premier ministre grec, le libéral conservateur Mitsotakis, estime ainsi que ceux qui sont déjà vaccinés devraient être libres de voyager mais il pense surtout, on s’en doute, aux nombreux touristes israéliens – les champions mondiaux de la vaccination ! – susceptibles de visiter son pays, cet été… Le bidule pourrait évidemment servir à bien d’autres choses, comme donner accès à n’importe quel lieu public, par exemple… Le Passeport vaccinal, en somme, octroierait davantage de droits aux vaccinés. Des droits que n’auraient pas ceux qui ne le sont pas encore, ou qui ne souhaitent jamais l’être. Voilà bien le problème…

L’Europe, elle, ne veut qu’une chose, nous l’avons déjà évoqué : favoriser la libre circulation des biens et des personnes. Ne pouvant toutefois rien imposer en matière de santé, elle se bornerait à offrir ses services pour connecter les différentes « solutions » nationales que les Etats mettraient en place, un tel dispositif ne semblant pas envisageable, en tout cas, tant que la vaccination ne sera pas accessible pour tout le monde. Mais un tel passeport ne serait-il pas une atteinte à la liberté vaccinale, en instaurant des discriminations entre ceux qui en veulent bien et ceux qui n’en veulent pas ? Nul ne trouve pourtant discriminatoire, nous dit-on, d’interdire l’entrée d’une crèche à un enfant non-vacciné puisque c’est la santé des autres enfants qui est en jeu… Reste que comparer, en termes de santé publique, les soins apportés à la petite enfance avec le gros business touristique est un tour de passe-passe juridique qui semble très audacieux. Rien ne prouve, d’autre part, qu’une personne vaccinée n’est pas contagieuse ; le déterminer sera d’autant plus aléatoire que les vaccins administrés et les stratégies nationales de vaccination sont très différents selon les cas…

Le voyage c’est la liberté mais la liberté est-elle à ce prix ? Gageons que ce flicage supplémentaire de nos vies ne tarderait pas à tomber entre les mains de BigData… Vraiment pas de quoi raviver le sentiment de convivialité et de confiance dont le citoyen a tant besoin ! Faut-il encore rappeler que la protection de ses données personnelles est une question essentielle à ses yeux ?

Oui mais dites, alors, et le climat ?

La crise de la Covid-19 cèdera ensuite le terrain à la crise climatique et à la grande crise écologique, d’une manière générale. Si, toutefois, nous entrons dans une phase de décompression trop intense – les années vingt n’ont-elles pas toujours joui d’une réputation d' »années folles » ? -, sans doute la majorité d’entre nous omettra-t-elle de fournir les efforts nécessaires ? Ou prétextera qu' »on » a déjà donné et qu' »on » n’a plus les moyens de le faire… Que l’économie gnagnagna et le PIB blablabla… Il ne nous reste plus pourtant que dix ans pour agir… Peut-être même la crise sanitaire actuelle n’est-elle qu’un prélude, une « ouverture » à des difficultés plus grandes encore qui nous guettent dans l’ombre ? Que toutes les crises qu’on n’a pas voulu voir depuis si longtemps au nom des sacro-saintes nécessités du capitalisme ne sont qu’autant de bombes à retardement qui attendent leur heure en égrenant les tic-tacs. Comme dans les plus mauvais thrillers… La difficulté à s’accorder autour d’une répartition objective de l’effort à consentir, et les petites algarades politiciennes que cette répartition engendre, ne sont guère de nature à rassurer l’opinion et condamnent par avance l’incurie du personnel politique. D’autant plus que l’important « marqueur social » qui accompagne aujourd’hui toutes ces questions en fait, plus que jamais, une affaire de riches et de pauvres.

De pauvres ? Parlons-en. C’est un secteur qui n’est pas en croissance négative. Et inutile de compter sur eux pour acquitter une hypothétique taxe carbone, même si les « gilets jaunes » ont lentement déserté nos ronds-points… Nous entrons dans une phase où ceux qui ont l’argent, et le pouvoir, se racrapotent toujours davantage sur leurs vieilles certitudes – et se confinent, volontairement à n’en pas douter, dans des ghettos dorés -, avec une peur d’autant plus forte de renoncer à leurs gri-gris de vieux magiciens qu’ils n’ont plus rien d’autre à mettre à la place… Or ces vieilles certitudes s’écroulent l’une derrière l’autre. Depuis un an, même à l’école, la révolution numérique en a pris un gros coup sur la cafetière ! Qui aurait imaginé une chose pareille, il y a douze mois à peine ? Nos gosses eux-mêmes savent qu’ils deviennent cinglés à passer huit heures par jour devant leurs écrans et aspirent à sortir taper la balle entre copains… Même leur smartphone ne les fait plus rêver ; ce n’est déjà plus qu’un vulgaire utilitaire, potentiellement aussi addictif qu’une ligne de coke, vecteur de mensonges, de harcèlements et d’arnaques en tous genres… Formidable outil de guérilla urbaine, certains réseaux sociaux seront, à n’en pas douter, prochainement mis sous contrôle…

Le monde de demain dépassera la surconsommation sur laquelle reposent nos économies, ou il s’y engluera comme une mouette dans une marée noire. La culture vivante survivra à sa marchandisation même si nous devons errer pour cela, pourchassés comme les vieilles tribus nomades de « voleurs de poules ». Réfléchissons à deux fois, avant de léguer à nos enfants de pâles artefacts sur écrans froids, sortons de nos têtes les fariboles qu’invente la mondialisation, retournons au réel et au tangible. Renouons le contact avec ce qui vit, remettons les mains dans l’humus bien gras, laissons trépider la chair et dégouliner la sueur. Crions, chantons, dansons, loin des « influenceurs » qui nous promettent des jours meilleurs. N’en abandonnons pas le privilège aux starlettes précuites de la télé et aux petits cons de la dernière séance… Oui mais, alors ? Le climat, dans tout ça ? Déconfinement ou déconfiture ?

Conclure, puisqu'il le faut…

Besoin des autres, frères, sœurs, collègues, garçons, filles, amis, familles… Un an loin d’eux et nous périssons de langueur. Restos, bistrots, lieux sociaux… Grand-messes, fitness, pince-fesses, tout est bon pourvu qu’on se voie, qu’on se cause, qu’on se postillonne à la face et qu’on se démasque enfin pour lever le coude entre potes… Nous voulons de l’humain, du vrai, de la confrontation franche et loyale, du face à face ; nous ne voulons plus des vieilles raideurs ampoulées héritées du paternalisme d’avant Metoo. Aucun compromis là-dessus ne sera plus possible. Jamais. Que ce soit dans la rue, à la maison, au travail ou ailleurs…

Bien sûr, nous ferons ce qu’il faut pour que l’épilogue soit proche, pour que la conclusion de cette farce tragique arrive très vite. Nous ferons ce qu’il faut surtout pour qu’il n’en surgisse pas d’autre. De graves remises en question auront lieu, de terribles mécomptes économiques sont annoncés. Ils augurent d’un autre monde. Pour le meilleur ou pour le pire…

Notes :

(1) On relira utilement à ce sujet : Pierre-André Taguieff, Résister au bougisme, éditions Mille et une nuits, 2001.

(2) Voir l’enquête CoviPrev, de Santé publique France

(3) Lire : Covid-19 : pourquoi l’année 2021 risque d’être celle d’un « baby crash » (francetvinfo.fr).

Vaccin (ou pas vaccin) ?

Le moins qu’on puisse dire est que, pour beaucoup d’entre nous, la réponse à cette question n’est pas claire. Impossible de trancher entre les risques – avérés ou fantasmés – pour l’individu vacciné et les précautions à adopter, en termes de vie sociale, à la lumière de ce que nous apprend l’épidémiologie. Il semble aujourd’hui très difficile d’associer l’un et l’autre point de vue afin de permettre, à chacun d’entre nous, de trancher en son for intérieur : vaccin (ou pas vaccin) ?

Par Dominique Parizel

nouveaux ogm non à la déréglementation
Introduction

Difficile d’entrevoir de quoi demain sera fait. A l’heure où nous écrivons ces lignes (en janvier 2021), l’optimisme de rigueur lié au début de la campagne de vaccination est fortement tempéré par l’inquiétude nouvelle due aux « nouveaux variants ». Et quand vous lirez ces lignes, probablement ne saurez-vous toujours pas pour quelles raisons différentes personnes infectées au sein d’un même cluster ne présentent jamais les mêmes symptômes… Voilà bien une chose qui apparemment n’intéresse personne, si l’on excepte bien sûr ce qui ressort de l’évidence : certaines sont plus vieilles, plus malades, plus obèses, plus désespérées… Sans doute péchons-nous gravement en ignorant les capacités notre système immunitaire ? Nous savons pourtant ce qu’il faut faire – et ne pas faire – pour le renforcer. N’oublions donc pas notre vitamine D qui semble de plus en plus plébiscitée… Mais voilà bien une chose que les médias – qui n’ont d’œil que pour l’actualité – et les politiques – perpétuellement en « communication de crise » – n’ont guère le temps, semble-t-il, d’envisager sérieusement. Tant pis ! Reprenons plutôt le fil de notre histoire…

Pas d'autre espoir, à ce qu'on nous dit, que de vacciner !

L’humanité met tous ses œufs dans un même panier. Sa seule stratégie réside dans la vaccination massive et, vu l’urgence, elle ne s’accompagne guère d’effort pédagogique. Les objections que soulèvent les vaccins ne datent pourtant pas d’hier et les « complotistes » de tous poils ont beau jeu d’en faire leurs choux gras. Nous ne nous attarderons pas là-dessus. Il semble évident que, comme pour la grippe saisonnière, des publics dits « à risques » doivent être prioritairement vaccinés et, si le vaccin fonctionne sur leurs individus – comme cela devrait être le cas si le virus n’a pas le mauvais goût de trop se modifier entre-temps -, les courbes d’hospitalisation et de mortalité devraient, nous explique-t-on, s’effondrer rapidement. Et tout le monde, espérons-le, se calmer un peu… Les vaccins – rougeole, tétanos, poliomyélite, etc. -, nous connaissons cela depuis l’enfance : ce n’est généralement que le virus lui-même, rendu inopérant ou très affaibli, ou une protéine qui le compose, qui nous est injecté pour préparer notre système immunitaire à produire les anticorps qui s’opposeront à l’agent infectieux. S’agissant de Sars-COV2, les Chinois ont eu la prudence de recourir à cette ancienne stratégie vaccinale, déjà largement éprouvée. Sachons leur rendre cette justice, même si la fable qu’ils nous racontent encore, de la chauve-souris et du pangolin qui seraient à l’origine de la pandémie, semble de plus en plus remise en question (1).

Ce qui inquiète pourtant, c’est qu’avec les coronavirus apparaît aussi une nouvelle génération de vaccins qui soulèvent des problèmes éthiques et philosophiques auxquels toutes les réponses n’ont sans doute pas été apportées. La caractéristique de ces vaccins est d’injecter dans les cellules humaines une copie du matériel génétique du virus concerné, en l’occurrence une partie de son ARN, les coronavirus dont fait partie Sars-COV2 étant des virus à ARN. Nos cellules décoderont ainsi les « secrets de fabrication » de la protéine qui enclenche le processus immunogène et la fabriqueront elles-mêmes ! Toutefois, pour amener cette information dans nos cellules, un vecteur est nécessaire et les nouveaux vaccins dits « génétiques » sont donc de deux types :

Pfizer-BioNTech et Moderna utilisent une nanoparticule de graisse où est emprisonné le désormais célèbre « ARN messager », c’est-à-dire une transcription par une polymérase d’une partie de l’ARN du virus ; cet « ARN messager » fusionne avec la cellule humaine pour y apporter ses données, exactement comme le ferait un virus pour l’infecter ;

AstraZeneca et le russe Spoutnik vont nettement plus loin puisqu’ils utilisent carrément un virus – un adénovirus à ADN – « désarmé » du matériel génétique qui fait sa virulence et qui est alors remplacé par une partie de l’ARN du coronavirus.

La tentation de la polémique

Selon Christian Vélot, généticien moléculaire à Paris-Saclay (2), le risque est sérieux, avec les solutions adoptées par AstraZeneca et le Spoutnik, que l’ADN vaccinant s’intègre dans les chromosomes humains or les thérapies géniques, explique-t-il, ont montré que l’endroit où une telle intégration se produit reste mal maîtrisé. On serait donc en présence d’une authentique « mutagénèse insertionnelle », avec un risque de cancer non négligeable, surtout à l’échelle où la vaccination est effectuée… D’autre part, l’adénovirus vecteur pourrait perturber – puisque c’est quand même bien un virus ! – la réponse vaccinale souhaitée ; des cas d’immunotoxicité sont même observés en thérapie génique et en immunothérapie…

Christian Vélot pointe aussi un problème commun à tous ces vaccins : les virus échangeant volontiers du matériel génétique, un risque de recombinaison virale serait toujours possible ; la vaccination ayant déjà introduit du matériel génétique dans nos cellules, une seule infection simultanée pourrait être suffisante, à ses yeux, pour que le risque soit réel, pouvant même être à l’origine d’une nouvelle pandémie ! « N’ajoutons pas à l’incertitude et à l’imprévisibilité d’un virus, l’incertitude et l’imprévisibilité d’une technologie. Ce cumul n’est pas acceptable« , conclut le généticien moléculaire français. Nous lui laisserons, jusqu’à plus ample informé, l’entière responsabilité de cette opinion car il omet malheureusement de rappeler que le corps humain est, en permanence, « inondé » par un flot important de virus en tous genres, parfaitement inoffensifs dans leur très grande majorité. Cela sans que pourtant rien ne semble se recombiner jamais. Le procès des nouveaux vaccins génétiques semble donc, en dépit de ses objections, bien difficile à instruire.

L'épidémiologie, ce monstre sans cœur !

La biosécurité, bien sûr, ne paraît pas compatible avec l’urgence mais il y a bien urgence aux yeux de ceux qui nous gouvernent, n’en déplaise à Christian Vélot. Vingt mille morts déjà, dans la seule petite Belgique, le chiffre est énorme et politiquement insupportable, en tout cas, pour les autorités, tout cela crie leur impuissance à juguler ce qui passa naguère pour une inoffensive « grippette ». Le temps qui passe est la promesse d’une crise socio-économique toujours plus hors de contrôle et surtout l’assurance de problèmes de santé mentale importants, chez les jeunes singulièrement. Il faut donc en finir, et rapidement ! A l’heure où nous écrivons, nous l’avons dit, tous les espoirs reposent sur la vaccination et il est de plus en plus inopportun d’avoir seulement l’air de douter de ses effets, même si la liberté vaccinale reste fort heureusement de mise. Nos médias nous abreuvent de sondages dignes du « café du commerce » – pourtant volets clos depuis début novembre ! – qui ressemblent plus à de la « méthode Coué » qu’à une réelle photographie des convictions d’une population qui – pas plus que nous d’ailleurs – n’a vraiment les moyens d’en avoir… Mais, si l’éventuel effet secondaire du médicament est admis sans trop de peine par le malade, le vaccin lui est administré à des gens bien portants qui ne tolèrent pas le moindre risque. Chacun fait donc rapidement son petit calcul bénéfices / risques, ce qui ne pose évidemment guère de problèmes aux « populations à risques » qui sont en demande de protection. Mais qu’en sera-t-il des autres ? De tous ceux qui n’ont plus la force d’endosser le poids de leurs malheurs, de ceux qui se sentent abandonnés et qui rêvent secrètement de tout voir péter ? Sur tous pèse la pression insoutenable de grands intérêts économiques et de médias moralisateurs qui, faute d’imagination, rêvent juste d’un très hypothétique retour à la normale… Cette pression fera sans doute que la grande majorité de la population belge aura finalement été vaccinée, à la fin de l’année 2021. C’est du moins, à l’heure qu’il est, le pronostic dominant.

L’épidémiologie, dans ce panorama chaotique, joue un rôle particulièrement ingrat, elle qui étudie la fréquence et la répartition des problèmes de santé dans le temps et dans l’espace, elle qui est autant matheuse et sociologue que médicale à proprement parler, elle qui étudie la possibilité que nos malheurs surviennent ou se prolongent, en fonction de courbes qui soudain font des vagues pour vrais surfeurs, plutôt que de simples vaguelettes invitant aux vacances. Nos responsables politiques n’écoutent plus que les épidémiologistes – ce qui leur donne soudain un niveau de responsabilité auquel ils ne sont pas habitués – et quelques médecins bien sûr, mais pas les généralistes, et juste un peu les pédiatres, mais ni les psychologues, les sociologues ou les historiens… Allez comprendre cela ! Très peu les pédagogues et les agronomes… Un peu les coiffeurs, semble-t-il, mais évidemment pas le monde de la culture. Stimuler l’immunité naturelle des gens ? Personne, dans tout ce beau monde, n’en a apparemment jamais entendu parler… Le colchique dans les prés, quant à lui, par le biais d’un médicament nommé Colchicine connu pour bloquer la réplication cellulaire, semble nourrir quelque espoir de désamorcer les « tempêtes immunitaires » associées au cas les plus graves de Covid-19.

De nouvelles questions sans réponses évidentes…

L’argument qui semble convaincre est celui, charitable, de la protection que nous devons à autrui. Sera-t-il déterminant dans le passage à l’acte de nos concitoyens ? C’est difficile à dire. Les « gestes barrières » semblent de plus en plus ancrés dans nos vies mais combien de temps supporterons-nous ces manières un peu bizarres qui nous sont souvent contre nature ? Et même chez ceux qui font de la vaccination le meilleur gage de « retour à la normale » – ou à quelque chose qui y ressemblerait vaguement -, le questionnement perdure, sans réponses vraiment formelles…

Un vacciné peut-il toujours être porteur du virus ? Personne ne semble avoir de certitude à ce sujet… Combien de temps durera notre immunité, une fois que nous serons vaccinés ? Trop tôt pour la dire. Une étude australienne a bien parlé de huit mois chez les personnes infectées (3)… Pourquoi tient-on à vacciner tout le monde puisque la seule protection des groupes à risque devrait logiquement aplatir les courbes qui posent problèmes : hospitalisations, soins intensifs, décès ? Sans doute parce qu’une circulation trop intense du virus – même s’il cessait d’infecter gravement certaines parties de la population – laisserait trop de latitude à la sélection naturelle pour produire de « nouveaux variants » au potentiel sans doute plus redoutable. Patatras, nous y voilà ! Aujourd’hui, ce sont eux qui nous font trembler et plus encore depuis ce dimanche 17 janvier, où cent trente personnes ont été infectées d’un seul coup par le « variant britannique », autour d’une maison de repos de Flandre Occidentale, faisant d’emblée plusieurs morts ! Nous savions pourtant pertinemment que des virus, ça mute, mais tout semble soudain à nouveau imaginable… Nos universités sont prêtes à séquencer en grand l’ADN des nouveaux intrus qui nous arrivent, tant il est primordial de savoir vite à qui nous avons affaire… Le quotidien Le Monde nous indique, ce 22 janvier, que certains variants – même si ce n’est pas le cas du « variant britannique » – semblent échapper aux anticorps formés contre le virus d’origine par les contaminations et les vaccins. Faudra-t-il craindre, dès lors, une perte d’efficacité des vaccins actuels, voire même imaginer la nécessité de remettre régulièrement à jour, aussi longtemps que la Covid-19 sera parmi nous, le « bouclier vaccinal » sans lequel nous ne pourrons plus vivre ? Cette efficacité en berne bouleversera-t-elle l’actuelle stratégie vaccinale ? Des mutations, toujours plus problématiques, nous forceront-elles, dans un avenir plus ou moins proche, à vacciner et revacciner, à échéances régulières, les publics à risque en priorité, en espérant que la grande majorité des autres – qui ne serait donc pas « servie » – pourra continuer à opposer une réponse immunitaire naturelle, adéquate et efficace ? Faudra-t-il craindre un Passeport vaccinal digne de Big Brother, un répertoire de tous nos vaccins qui existe d’ailleurs déjà, en Belgique, sans que personne n’y ait pourtant jamais rien trouvé à redire. L’idée de rendre ce sésame obligatoire – et dûment mis à jour – est déjà évoquée pour être admis dans les transports en commun, par exemple. Indispensable même, pour sauver l’aviation commerciale du naufrage qui la guette… Et puis quoi encore ? Pour aller au restaurant ou au cinéma ? Une intrusion aussi intolérable dans notre vie privée pourra-t-elle nous être imposée au nom de la sécurité sanitaire ? La vigilance citoyenne, à n’en pas douter, s’impose : pas de liberté vaccinale sans stricte confidentialité ! Quelles que soient les nécessités sanitaires. Et économiques…

Se respecter collectivement

Mais alors, le grand objectif d’immunité collective que nous promet la vaccination massive, afin de retrouver la vie d’avant, tient-il toujours ? Est-elle seulement pensable à l’échelle du confetti qu’est la Belgique ou devra-t-elle être mondiale ou, à tout le moins, continentale ? L’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) nous a déjà charitablement avertis qu’il ne fallait plus y rêver avant 2022 au moins (4). Comment comprendre – bien que cela ait été prudemment « déconseillé » par nos autorités – que cent soixante-cinq mille Belges soient encore partis à l’étranger, à Noël, ramenant dans leurs bagages le « variant britannique » ? Ils auront forcément témoigné un peu plus de solidarité, durant le congé de Carnaval, puisque les voyages non-essentiels sont toujours interdits, mais ont-ils pour autant compris ? Comment admettre, vu la gravité de la situation sanitaire qui sévit depuis un an, que le gouvernement belge table encore sur la seule « bonne volonté » du quidam, alors qu’un pourcent et demi d’inconscients – disons un pourcent, en retranchant les déplacements dits « essentiels » – suffit à compromettre les efforts de tout le reste de la population ? Et à accroître, en sein, dépit et frustration qui ne peuvent qu’inciter à quitter les chemins balisés…

Attention ! Ne confondons pas ici ce qui serait manifestement arbitraire et liberticide avec la mesure collective indispensable pour que soit sauvegardé le sens même de ce qu’on dit être l’intérêt commun. Prendre des mesures, chers amis, suppose aussi – au risque de sombrer, dans le ridicule surtout – qu’on se donne vraiment les moyens d’en garantir le respect. Toujours sous l’indispensable contrôle démocratique, cela va sans dire… Se respecter collectivement, eh oui, c’est d’abord vouloir se conformer individuellement à de telles exigences. Quant à nos médias, ces oiseaux bavards de notre solitude, qui dénombrent avec obstination les gens qui errent encore dans nos aéroports, ils prêtent enfin un peu d’attention à l’état mental des ados inactifs et au désespoir des étudiants claquemurés dans leurs kots. Toute l’attention doit aujourd’hui se concentrer sur l’humain plutôt que sur l’économique, sur ceux qui souffrent vraiment plutôt que sur ceux pour qui rebondir n’est qu’une question de temps… Nous resterons, quant à nous, avec ce questionnement existentiel : alors, vaccin (ou pas vaccin) ?

Notes

(1) Si la responsabilité de la chauve-souris semble sûre, 96% du patrimoine génétique de Sars-COV2 ayant été retrouvés dans un virus dont elle est porteuse, l’entremise du pangolin dont la viande est écoulée illégalement sur certains marchés en Chine semble, quant à elle, de moins en moins probable…

(2) Voir : https://criigen.org/covid-19-les-technologies-vaccinales-a-la-loupe-video/

(3) Voir : https://www.lemonde.fr/sciences/article/2020/12/24/covid-19-une-reponse-immunitaire-qui-persiste-au-moins-huit-mois-apres-les-premiers-symptome_6064445_1650684.html

(4) Voir : https://www.bbc.com/afrique/monde-55631238

Les plantes et le virus

En cette période mouvementée, où nous avons perdu nombre de nos repères, il est réconfortant de savoir que les plantes sont là. Cela me fait du bien parce que, malgré le confinement, je trouve la possibilité de descendre en bas de chez moi cueillir quotidiennement quelques brins d’égopode, de jeunes pousses d’ortie, des feuilles d’ail des ours parfumées et de la pimprenelle à saveur de noix fraîche…

Par François Couplan

Introduction
Heureusement, j’ai un peu de verdure, alors qu’en plein Bruxelles, la chose serait plus compliquée, quoique pas impossible. Grâce à ces tendres végétaux, je me nourris simplement, mais de façon agréable : un oignon revenu dans une bonne rasade d’huile d’olive, la verdure hachée, une carotte en rondelles et du fromage fondu ou un œuf dans le mélange : voici mon déjeuner quotidien. Et il me convient.

Un obscurantisme particulièrement agaçant

Certes, ma gourmandise, cultivée depuis l’enfance, m’a incité à déguster les plats les plus copieux et les plus sophistiqués mais je sais me contenter de peu, et qui plus est, je l’apprécie. Je le pratique d’ailleurs régulièrement et ce fait n’est sans doute pas étranger à la santé que j’affiche encore au bout de septante années d’une vie plus que bien remplie. Et je crois que bientôt – non, dès à présent ! – il va falloir s’y mettre : sans vouloir paraître moraliste, car chacun est libre du choix de ses comportements, il me semble que plus nous serons capables de vivre frugalement, mieux chacun s’en portera – la planète aussi, par la même occasion…C’est qu’on ne doit pas confondre quantité et qualité ! Nous nous sommes habitués à la première en négligeant la seconde. Or les plantes sauvages nous l’offrent en abondance. Si j’en aime les saveurs souvent marquées – et je ne suis pas le seul -, j’en ressens aussi tous les bienfaits. Il faut le faire savoir : ces végétaux sont extrêmement riches en micronutriments (1) qui nous font généralement défaut : l’Organisation Mondiale de la Santé alerte depuis longtemps sur le fait que la plupart des humains manquent de vitamine C (2), de fer (3), d’oligo-éléments et d’antioxydants qui ralentissent le vieillissement de l’organisme. La réaction habituelle est de supplémenter l’alimentation par la prise de compléments alimentaires. Cependant, quand on connaît la teneur souvent ahurissante des légumes et des fruits sauvages, on se pose la question : mais pourquoi ne les met-on pas à profit ?

La réponse est étonnante, et je l’expose en détail dans mon dernier livre, Ce que les plantes ont à nous dire. Elle tient, en fait à ce que nous ne mangeons pas des aliments mais des symboles ! En l’occurrence, les plantes sauvages ont été dévalorisées depuis des siècles et, pour cette raison, elles ne font plus partie de la nourriture possible de l’honnête homme. Or, si jusqu’à présent je trouvais simplement bête de passer à côté de produits tellement bons au goût et pour la santé pour des motifs socio-historiques qui n’auraient plus lieu d’être, je dois avouer que, dans les circonstances actuelles, cet obscurantisme m’agace profondément…

Le système immunitaire : notre atout majeur

L’une des grandes absentes des directives que l’on nous assène à longueur de journée est la suivante : faites tout ce que vous pouvez pour améliorer votre immunité naturelle. Certes, on nous recommande fort justement de nous laver les mains et d’éviter tout contact avec les autres mais on oublie, semble-t-il, qu’un organisme doué d’un système immunitaire en bon état résiste mieux à l’agression de virus, même extrêmement contagieux. Il est essentiel de le rappeler. Souvenons-nous que nous sommes en permanence soumis à la présence d’agents infectieux de toutes sortes et que notre corps a, heureusement, les moyens d’affronter efficacement la plupart d’entre eux – la meilleure façon de se soigner ne consiste-t-elle pas à ne pas tomber malade ? Or, à mon avis, la santé ne tient pas qu’au hasard : un organisme à qui l’alimentation apportera tous les éléments dont il a besoin sera très probablement mieux à même de faire face aux agents pathogènes de notre environnement. Y compris le coronavirus SARS-CoV-2, responsable de la pandémie Covid-19 actuelle.

Pourquoi ne le fait-on pas ? Sans doute y a-t-il toutes sortes de raisons, économiques et culturelles qui font préférer le développement d’un vaccin à celui de notre propre système immunitaire. Cela mérite d’être exploré. Peut-être aussi parce que nous sommes dans l’urgence et que l’amélioration de son immunité est un processus relativement long – mais nous devons dès à présent penser au futur tout comme au quotidien. Je soupçonne aussi que notre mentalité belliciste y est pour quelque chose. « Nous sommes en guerre… » et nous vaincrons ce méchant virus ! Il faut savoir d’où provient cette mentalité et quelles en sont les conséquences.

Bon, je ne m’attends pas à ce que nos dirigeants prônent, du jour au lendemain, la consommation régulière de plantes sauvages pour améliorer l’état de santé générale de la population mais je suis persuadé que les personnes sensées qui découvriront les possibilités que nous offrent les végétaux en tireront avantage pour elles-mêmes et pour leurs proches : ce n’est que du bon sens – additionné, il faut l’avouer d’une certaine dose de connaissances précises pour ne pas faire de bêtise et se guérir définitivement de tous ses maux terrestres. Et ça vous étonne ? Dans la situation actuelle, il y a quelque chose qui m’étonne… : c’est que les gens s’en étonnent.

Succomber à un simple rhume…
Certes, depuis quelque temps on se préoccupe d’environnement, on craint que le réchauffement climatique ne bouleverse notre vie, certains pensent que le nucléaire représente un danger majeur et, de plus en plus souvent, on entend parler d’effondrement… Personnellement, j’ai conscience de ces risques depuis de très nombreuses années – oh, plus d’un demi-siècle… Ce sont les plantes qui me l’ont raconté et je vous transmets leurs confidences dans mon nouveau livre – p.136 et suivantes – car le sujet est d’importance. Donc la pandémie qui nous assaille ne m’a pas surpris. Elle est, comme les catastrophes que je viens de mentionner, la conséquence directe du changement de mode de vie radical que nous avons entrepris voici dix mille ans. Certes, l’agriculture nous a donné Bach, Jimi Hendrix, Van Gogh et Notre-Dame de Paris. Mais l’adopter, c’était ouvrir la boîte de Pandore ! Et l’invention de l’élevage liée à la concentration des humains dans des villages, puis dans des villes, s’est révélée du pain béni pour les microbes. Il faut savoir que nous sommes les descendants de ceux qui ont résisté aux toutes premières épidémies transmises par les animaux domestiqués au Proche-Orient, voici une dizaine de milliers d’années. Résistants, les habitants des Amériques, eux, ne l’étaient pas à l’arrivée des Européens : d’après certaines estimations, près de 90% de la population a succombé aux maladies introduites, certaines aussi bénignes pour nous qu’un simple rhume. Mais nous n’étions pas non plus à l’abri de tout, la grande peste du XIVe siècle a emporté, en certains lieux de notre continent, plus de la moitié des gens – l’équivalent ferait aujourd’hui quelque trente-cinq millions de morts…

Je ne voudrais pas que l’on se méprenne sur ce que je dis : il est dommage de mourir, il est plus terrible encore de voir un proche décéder. Mais je pense important de prendre conscience de deux choses. La première est que la civilisation que nous avons créée, qui nous nourrit et qui nous oblige à réfléchir selon ses règles, est fragile. Nous avons en ce moment l’exemple d’un dysfonctionnement majeur. Il y en aura d’autres, c’est certain. Le second point est que la seule certitude que nous puissions avoir, en voyant le jour, est que nous mourrons un jour. Or la mort, qui pourtant nous fascine, est un sujet tabou dans notre monde moderne où nous voulons tout dominer, même la grande faucheuse… Mais ça, ce n’est pas possible !

Sortir de notre anthropocentrisme
Donc, que faire ? Céder à la psychose ambiante qui risque de se développer jusqu’à devenir panique, voire pis encore ? Il y a mieux à faire. Je pense qu’il faut bien comprendre les mécanismes par lesquels nous sommes arrivés dans la situation actuelle – et là, je ne parle pas que de l’épidémie qui nous submerge mais de tous nos maux civilisationnels -, sans y voir d’intention. Comprendre est essentiel car nous sommes des êtres de raison, tout autant que d’émotion, et il importe d’équilibrer ces deux aspects – or je vois aujourd’hui les émotions l’emporter de loin sur la raison… Les plantes, encore elles, m’ont expliqué bien des choses à propos de nous-mêmes et je crois que si vous les écoutez, vous en tirerez profit. Ce sont elles aussi qui m’ont suggéré des pistes à suivre pour améliorer ce qui peut l’être. Elles nous proposent de modifier l’attitude dominatrice que nous arborons du haut de notre toute-puissance, en descendant de notre piédestal et en accordant de l’importance à l’ensemble du vivant – même aux virus et aux bactéries… Elles nous conseillent de sortir de notre anthropocentrisme, de ce monde uniquement humain dans lequel nous devenons fous et de nous intéresser à elles, pas seulement pour leurs vertus mais pour leur existence propre. Il est possible de développer avec les végétaux une véritable relation qui commence par le recours à tous nos sens et nous emmène dans un univers d’émerveillement sans fin.

Conclusion
L’alimentation n’est pas forcément là où on le pense – au supermarché ! – ni sous la forme qu’on pense – emballée dans du plastique… La Covid-19, en passant par-là, est venu bouleverser bien des repères. Sommes-nous, pour autant, au début d’une nouvelle ère ? Je pense plutôt que nous nous trouvons en plein milieu d’un grand processus qui dure depuis bien longtemps et a encore de beaux jours devant lui. C’est un immense mouvement qui nous entraîne et dont nous sommes, que nous le voulions ou non, partie prenante. On le nomme l’évolution…

J’ajouterai que le sentiment qui me semble essentiel de manifester – même si en ces temps troublés cela demande un effort – est la gratitude. J’ai beau actuellement me sentir en manque de liberté et avoir dû reporter bien des choses à des temps meilleurs, je ne peux que remercier pour ce qui m’est accordé, tout en me sentant proche de ceux qui souffrent. Que la force des plantes soit avec vous !

La pandémie due au Covid-19 parmi d’autres épidémies

Il est venu bouleverser nos vies, par un beau matin de printemps… Aujourd’hui, les traces laissées par de longues semaines de confinement continuent à nous faire réfléchir, même si le modèle économique dominant fait l’impossible pour nous persuader que le « retour à la normale » est déjà là… Mais en quoi nos existences ont-elles changé ? Cet épisode que nous traversons est-il grave, en regard de ce que l’humanité a déjà connu ? Est-il inattendu ? Un spécialiste des microbes et des virus nous aide à y voir un peu plus clair…

Par Jean-Pierre Gratia

Introduction

Partout dans le monde, on s’active pour comprendre comment fonctionne ce nouveau virus et on écrit beaucoup à son sujet, probablement trop. Il y a de la part de plusieurs éditorialistes, commentateurs ou « apprentis experts » pas mal d’inexactitudes et de propos divergents peu rationnels. Je ne m’y étends pas ici, de même que je n’aborde pas les questions qui font polémique et qui n’ont d’ailleurs pas un appui inconditionnel des experts, comme l’immunisation collective, l’origine du virus ou le traitement à l’hydroxychloroquine (1).

Structure et mode d'action du virus

Un peu de science d’abord. Parmi les virus respiratoires, c’est le septième rétrovirus du type coronavirus identifié comme transmissible à l’homme. Parmi ces virus, il y en a trois qui sont à l’origine de maladies parfois mortelles :

– le syndrome respiratoire aigu (Sras), qui a fait des centaines de morts en 2002-2003,

– le syndrome respiratoire du Moyen-Orient (Mers), qui a sévi en Arabie Saoudite en 2014,

Covid-19, à l’origine de la pandémie actuelle, qui a déjà tué plusieurs centaines de milliers de personnes dans le monde.

Le génome du Covid-19 consiste en une molécule d’ARN à une seule chaîne de près de trente mille nucléotides et comprend quinze gènes. Il dériverait du génome du Sras-CoV qui fait environ la même taille, à une centaine de nucléotides près. Dans les deux cas, le gène le plus important code pour une longue protéine, qui est ensuite coupée pour libérer des protéines structurelles et enzymatiques du virus. Le deuxième gène important est celui qui code la protéine S pour les spicules, qui sont les protéines ancrées dans la coquille lipido-protéique entourant la particule de virus (Fig. 1a) et qui permettent l’entrée du virus dans les cellules cibles du tractus respiratoire et gastrique. Les deux virus possèdent la même protéine S – 99% d’identité – et utilisent donc la même « porte d’entrée » pour infecter les cellules, le récepteur cellulaire qui est une autre protéine – l’enzyme de conversion de l’angiotensine 2, ou ACE2 – qu’on retrouve à la surface de nombreuses cellules du corps humain (Fig. 1b). Mais, dans le cas de Covid-19, la force de cohésion de la protéine S au récepteur cellulaire est au moins dix fois supérieure à celle de la protéine S du Sras, ce qui rend le Covid-19 plus contagieux.

Infection, réponse à l'infection par le Covid-19 et prévention

La contagiosité du Covid-19 dépend de son taux de transmission (R0) qui désigne le nombre moyen de personnes saines qu’un malade peut contaminer. Quand R0 est inférieur à 1, la maladie ne se diffuse pas et n’atteint pas le stade de l’épidémie. Quand R0 est égal à 1, le nombre de contaminations reste stable, sans provoquer de pic épidémique, mais quand il est supérieur à 1, la maladie se propage de façon exponentielle et provoque une épidémie, voire une pandémie. Le R0 du Sras était compris entre 2 et 5, selon les stades de l’épidémie. Pour le Covid-19, il serait supérieur mais reste à préciser, au fur et à mesure de l’évolution du nombre de cas. Tous les deux se transmettent via des microgouttelettes expulsées lors de quintes de toux, d’éternuements ou de bavardages entre personnes rapprochées.

La charge virale d’un individu infecté, qui le rend contagieux, semble la même chez l’enfant que chez l’adulte, mais la réponse à l’infection n’est pas la même chez l’enfant infecté, où elle est non apparente, que chez l’adulte – surtout âgé – qui, très vulnérable, peut mourir. La distribution des cas sévères en fonction de l’âge est inhabituelle pour une pandémie. La grippe, surtout pendant la première vague d’une épidémie, entraîne presque toujours plus de décès chez les moins de soixante-cinq ans, surtout chez les jeunes enfants. La réponse résiderait dans la combinaison de deux effets : le vieillissement du système immunitaire et les particularités du Covid-19. Une autre question non résolue concerne le décès inattendu chez de rares enfants et, en revanche, la guérison d’une personne aussi âgée que notre compatriote Marie-Henriette qui a contracté la maladie… à cent six ans !

On ignore jusqu’à quand la pandémie va persister et sur quelle étendue dans le monde. Normalement, il devrait y avoir progressivement immunisation mais on ignore si elle sera suffisante et persistante. Pour certains virus, comme celui de la rubéole, de la rougeole ou de la variole, on procède à la vaccination qui protège, pendant à peu près toute la vie, mais ce n’est pas le cas d’autres virus dont le HIV du Sida – un autre rétrovirus. Pour que le vaccin soit efficace, il faut qu’il induise des anticorps neutralisants, c’est-à-dire des immunoglobulines qui bloquent l’antigène de surface de la particule virale. Quand cet antigène change, comme c’est le cas de la grippe saisonnière ou du Sida, l’immunité est nulle ou partielle. Le traitement par antiviraux n’est efficace que quand ils agissent synergiquement au niveau de différentes cibles pour bloquer les premières phases de l’infection et la réplication du génome. C’est pour cela qu’on recourt à la trithérapie pour les HIV- séropositifs.

Histoire des épidémies et pandémies

Des pandémies ont toujours existé et on doit s’attendre à ce qu’elles se répètent régulièrement avec un taux de mortalité élevé. Il y a d’importantes différences au niveau du nombre de morts selon ces maladies ; il serait vain de les comparer car elles ont eu lieu à des endroits et à des époques où l’assistance sanitaire était très inégale. On prétend, par exemple, que la pandémie à Covid-19 est moins importante que la grippe espagnole, en 1918. C’est possible puisque cette dernière a fait plusieurs millions de morts. Il faut toutefois noter qu’à cette époque l’assistance médicale était nettement insuffisante et que le Covid-19, à ce moment-là, aurait fait aussi de très nombreuses victimes.

Il y a eu probablement des pandémies avant notre ère, au temps des dinosaures ou peut-être de l’homme de Néandertal… La première pandémie connue, identifiée comme telle, est la Peste Antonine, qui eut lieu entre 165 et 180 de notre ère, appelée ainsi mais probablement due au virus de la variole. Après la Peste de Justinien, qui a fait plusieurs millions de morts en 541, est survenue une épidémie de variole, au Japon en 735. Le virus de la variole, de la famille des poxviridae à ADN bicaténaire, y a fait alors entre un et deux millions de morts mais en a fait cinquante fois plus, au Mexique en 1520.

Les XXe et XXIe siècles ont connu diverses grippes mortelles, à commencer par la fameuse grippe espagnole en 1918, qui est due au virus de l’influenza H1N1 – H1 pour hémagglutinine de type1 et N pour la neuraminidase-type 1, servant toutes deux à la fixation de la particule à la cellule à infecter. Après d’autres grippes – grippe asiatique en 1957, grippe de Hong-Kong en 1968, grippe porcine en 2009 – est venue l’épidémie Ebola, causant la fièvre hémorragique responsable de onze mille, morts essentiellement au centre de l’Afrique, de 2014 à 2016. Le virus, découvert par un médecin belge, Peter Piot de l’Institut tropical d’Anvers, présente un génome constitué d’ARN monocaténaire de polarité négative et d’environ dix-neuf mille bases, à l’intérieur d’une particule longue par concaténation de particules plus courtes. Cet ARN code sept protéines structurelles, l’ARN polymérase ARN-dépendante et des nucléoprotéines.

Les épidémies et pandémies concernent autant les microbes que les virus – ceux-ci se distinguant des premiers, seuls doués de vie. La peste bubonique au XIVe siècle était due à la bactérie Yersinia pestis, du nom de son découvreur Alexandre Yersin de l’Institut Pasteur de Hanoi, qui infectait les rats. Transmise à l’homme par des puces, elle a fait deux cents millions de morts. En janvier 1349, les habitants de Londres venaient d’être informés d’une dévastation ailleurs en Europe, à Florence notamment où 60 % de la population sont morts de la peste. Ils l’ont appelée la « mort noire » – Black Death – qui a finalement atteint les ports anglais accueillant les bateaux provenant du continent. La peste s’est alors étendue causant la mort de la moitié de la population londonienne, ainsi que celle de plus de 30 % de la population en Europe. Les symptômes étaient douloureux, dont la fièvre, des vomissements, des saignements, des pustules sur la peau et des nodules lymphatiques, d’où son nom de peste bubonique. La mort survenait en trois jours. Au XVIIe et XVIIIe siècles, les grandes pestes ont régulièrement ravagé l’Europe.

Parmi les autres épidémies d’origine microbienne, le choléra est dû à la bactérie Vibrio cholerae. Strictement limitée à l’espèce humaine, elle est caractérisée par des diarrhées brutales et très abondantes – gastro-entérite – menant à une sévère déshydratation. En l’absence de thérapie par réhydratation orale, la forme majeure classique peut causer la mort, dans plus de la moitié des cas, en l’espace de trois jours dès les premières heures. La contamination est d’origine fécale, par la consommation de boissons ou d’aliments souillés. Limitées initialement à l’Asie – Inde, Chine et Indonésie -, les épidémies de choléra se développent, au XIXe siècle, en véritables pandémies qui atteignent le Moyen-Orient, l’Europe et les Amériques. La puissance du choléra est démultipliée par le passage de la marine à voile à la vapeur, et par l’arrivée du chemin de fer. La France fut touchée par une épidémie au printemps 1832, après la Russie en 1828, la Pologne, l’Allemagne et la Hongrie en 1831, Londres début 1832. Puis l’épidémie revient en France, en 1854, et y fait cent quarante-trois mille morts…

Chronologie des épidémies connues, avant celles dues aux coronavirus (2)

Année(s)

Nom

Agent pathogène

Zone géographique

Nombre de victimes

 

165-180

Peste Antonine Peste

Virus de la variole

Empire romain

5 millions

 

541-542

Peste de Justinien

Yersinia pestis

Europe et Bassin méditerranéen

30 à 50 millions

 

735-737

Epidémie de variole

Virus de la variole

Japon

 

1 million

1347-1351

Peste noire

Yersinia pestis

Europe

25 millions

 

1520

Epidémie de variole

Virus de variole

Europe

56 millions

 

XVIIe siècle

Grande Peste

Yersinia pestis

Europe

3 millions

 

XVIIIe siècle

Epidémie de variole

Virus de variole

Amérique du Nord

90 % des Amérindiens

 

1817-1923

Pandémies de choléra

Vibrio cholerae

Monde

1 million

 

1855-1920

Pandémies de peste

Yersinia pestis Monde

12 millions

 

 

1889-1890

Grippe russe

Virus influenza H3N3

Monde

1 million

 

Fin XIXe siècle

Fièvre jaune

Flavivirus

Monde

moins de 100.000

 

1918-19

Grippe espagnole

Virus influenza H1N1

Monde

40 à 50 millions

 

1957-58

Grippe asiatique

Virus H2N2

Monde

1,1 million

 

1968-70

Grippe de Hong-Kong

Virus H3N2

Asie

1 million

 

1981-?

Sida

Rétrovirus HIV

Monde

35 millions

 

2009-10

Grippe porcine

Virus H1N1

Monde

moins de 200.000

 

2014-16

Ebola

Virus Ebola

Afrique centrale

moins de 11.000

 

Les interactions homme - animal

Il semblerait que le premier foyer de peste bovine signalé en Afrique de l’Est, en 1887, ait décimé 90 % du cheptel bovin et provoqué une famine généralisée. Les récentes épidémies de fièvre de West Nile et d’influenza aviaire et la hausse de la rage en Europe de l’Est et en Asie attestent de la vitalité des maladies émergentes dans le monde. Elles présentent une menace croissante pour la santé publique et, à peu près chaque année, une nouvelle maladie d’origine animale apparaît et présente un risque pour la population mondiale. Les souches de virus de la grippe apparaissent souvent par l’interaction de populations humaines, porcines et aviaires. C’est ainsi que le XXe siècle a été témoin de trois pandémies de grippe d’origine animale probable :

– la grippe espagnole, en 1918, dont le virus aurait dérivé d’une souche provenant d’une espèce animale, notamment aviaire, réservoir naturel de bon nombre de virus,

– la grippe porcine, en 1957,

– la grippe aviaire, en 1968.

Selon plusieurs équipes de chercheurs, certaines chauves-souris auraient été des réservoirs naturels du virus Ebola. La dernière épidémie survenue, en 2007 en République démocratique du Congo, a suggéré que le virus pouvait passer directement du chiroptère à l’Homme. Suite aux nombreuses épidémies de peste et de typhus qui ont perduré jusqu’au milieu des années cinquante, on a trouvé des anticorps dans le sang des animaux domestiques, d’où la conclusion d’une possible transmission de l’agent pathogène dans les deux sens.

Propagation et impact socio-économique des épidémies

Parmi les facteurs de propagation des épidémies, la circulation continue de personnes est évidemment importante. L’avion est donc aujourd’hui un facteur clé au niveau mondial car les lignes sur lesquelles il y a de gros flux de passagers créent des chemins préférentiels pour l’agent pathogène. Il est possible que si la Chine avait fermé ses aéroports très tôt, en novembre 2019, le Covid-19 n’aurait pas déclenché de pandémie. Corrélativement, chez les animaux, les épidémies sont notamment portées par les animaux migrateurs.

Aussi loin qu’on remonte dans le temps, les épidémies peuvent décider de l’issue d’une bataille. Qu’on pense à la guerre d’Éthiopie où l’on doit remercier le bacille de la typhoïde. Pendant la retraite de Russie de Napoléon, on a dénombré davantage de soldats français morts du typhus – maladie due à une bactérie du groupe des Rickettsies – que tués par l’armée russe. La peste, l’anthrax – ou charbon -, la dysenterie, le typhus, la typhoïde, le choléra, la gangrène gazeuse, le botulisme furent parmi les maladies étudiées comme vecteurs possibles de propagation d’épidémies, et aussi comme base de l’arme bactériologique. En Asie, le riz permettait d’attirer les rongeurs qui, une fois piqués par les puces, devenaient à leur tour porteurs de Y. pestis, découvert durant une épidémie de peste à Hong Kong. Cette épidémie a donné l’occasion au Japonais Shiro Ishii d’inoculer ce bacille à plusieurs prisonniers servant de cobayes, dès 1933, puis lors de la guerre contre les Etats-Unis où des prisonniers furent employés.

Les épidémies ont un impact socio-économique évident. La première constatation réside dans l’inégalité sociale dans la mort qu’elles causent (3). Ainsi le Covid-19 a-t-il fait beaucoup plus de victimes chez dans la population noire que dans la population blanche, à Washington notamment. Lors de la peste à Londres, en 1349, les autorités construisirent un très grand cimetière appelé Smithfields pour enterrer le plus grand nombre de victimes possible, ce qui aux yeux des croyants permettrait à Dieu « de reconnaître les siens », au jour du Jugement Dernier. Bien que le chroniqueur de l’époque ait écrit que les riches autant que les pauvres n’ont pas été épargnés, les recherches archéologiques, dans ces cimetières, ont révélé des inégalités sociales et économiques. La peste est revenue en Angleterre au XVIIe siècle, et là encore, se sont produits des affrontements socio-politiques.

Au XVIe siècle, en Amérique du Nord, la variole a affecté les communautés Cherokee, tuant 30% des personnes infectées. Les conditions sociales en cette période coloniale ont amplifié l’impact des facteurs biologiques. Plus tard au XVIIIe siècle, une épidémie de variole a encore eu lieu au Sud-Ouest des Etats-Unis. Elle a coïncidé avec les attaques contre les communautés Cherokee, où les britanniques ont brulé les fermes et forcé les habitants à fuir leur maison, causant la famine et l’expansion de la variole.

Quelles seront les conséquences politiques, sociales et économiques de la pandémie Covid-19 ? Interrogeons encore l’histoire, surtout au cours de cette Anthropocène (4). Les pandémies sont les inévitables compagnons de l’expansion économique. Sous l’Antiquité, des réseaux commerciaux interconnectés et des villes très peuplées avaient déjà rendu les cités plus riches mais aussi plus vulnérables, tout comme notre économie mondiale intégrée. Les effets du Covid-19 seront cependant très différents de ceux des virus du passé qui frappaient des populations bien plus pauvres et dotées de moins de connaissances sur les virus et les bactéries. Le nombre de victimes devrait être bien moindre que celui de la peste noire ou de la grippe espagnole mais, toutes proportions gardées, les catastrophes sanitaires d’antan peuvent donner des indications sur les changements que risque de connaître l’économie mondiale face au coronavirus.

Le coût humain des pandémies est terrible mais les effets à long terme sur l’économie ne le sont pas toujours. La peste noire a fait un nombre de victimes stupéfiant – entre un et deux tiers de la population de l’Europe d’alors ! – et elle a naturellement laissé des cicatrices durables. Cependant, au sortir de cette peste, les terres arables vacantes sont soudain devenues abondantes. Ce qui, ajouté à la pénurie brutale de main-d’œuvre, a renforcé le pouvoir de négociation des paysans face aux propriétaires terriens et a contribué à l’effondrement de l’économie féodale.

Vers une nouvelle Anthropocène

Le confinement nous a contraints à limiter notre genre de vie, devenu excessif dans certains cas, par exemple, au niveau voyages en avion avec à la clé des week-ends passés dans un aéroport inconfortable, attractions diverses, restaurants rassemblant un grand nombre de personnes dans des espaces restreints. Certes, cet épisode de confinement a été pénible pour les commerçants, les industriels, les viticulteurs, les chauffeurs de taxis, les professionnels de la culture, les artistes, les organisateurs des expositions, les étudiants, etc. Ainsi que pour tous ceux qui durent soigner les malades, évidemment…

Par contre, pour le consommateur pas trop exigent, cela a parfois été une expérience plutôt bénéfique, sur le plan économique comme sur le plan culturel. Il a fallu réinventer des loisirs at home avec la lecture et, à cette occasion, les enfants ont fait preuve de créativité, ce qui est manifestement positif. Le silence et le calme ont réapparu, l’air est redevenu normalement respirable et la production de gaz à effet de serre a été réduite de 7%, se rapprochant ainsi de la norme prévue par les Accords de Paris.

Quand tout redeviendra possible, il serait bon d’en tirer la leçon et de limiter les voyages en avion pour satisfaire les jeunes qui, dans les manifestations, arboraient des pancartes où on pouvait lire : « Moins de kérozène, plus de chaleur humaine« , réduire les déplacements qui ne sont pas indispensables et acheter localement. Il est souhaitable que des hommes politiques responsables fassent peser de tout leur poids des arguments en faveur d’une nouvelle Anthropocène où l’économie rejoint l’écologie…

Notes :

Le Covid-19 chez les malades hospitalisés, et augmentent même le risque de décès et d’arythmie cardiaque. The Lancet a cependant annoncé, le 4 juin, le retrait de cette étude, publiée le 22 mai. Elle avait été suivie, en France, d’une abrogation de la dérogation permettant l’utilisation de cette molécule contre le Covid-19 et la suspension d’essais cliniques destinés à tester son efficacité.

(2) D’après L’histoire des pandémies, dans Courrier International 1537 (16 avril 2020), 34-35.

(3) Blow Ch. (2020), Les Noirs en première ligne. Courrier International 1537 (16 avril 2020), 24; Wade L. (2020), An unequal blow. Science Weekly News, May15, pp. 700-703. DOI: 10.1126/science.368.6492.700

(4) Terme introduit par Paul Josef Crutzen pour désigner la période géologique qui a suivi la Révolution industrielle.