Cette analyse est parue dans la revue Valériane n°177
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Par Mireille De Graeuwe,
animatrice
chez Nature & Progrès
Le bien-être des enfants se joue avant la naissance : le fœtus peut être exposé très tôt aux pollutions chimiques. Garantir une alimentation de qualité, sans pesticides, pendant la grossesse et tout au long des 1.000 premiers jours, est un enjeu majeur de santé publique.

Les 1.000 premiers jours de la vie constituent une période cruciale où l’exposition aux pesticides peut laisser des traces durables. Lors des rencontres citoyennes préparatoires de la table-ronde de l’Odyssée pour la santé, les participants ont mis en lumière que protéger la santé dès la grossesse et la petite enfance n’est pas seulement une question individuelle : c’est un enjeu collectif qui engage l’alimentation, l’agriculture et nos choix de société.
Vous avez dit 1.000 premiers jours ?
Les « 1.000 premiers jours » s’étendent de la conception – c’est-à-dire la période prénatale – jusqu’à l’âge d’environ deux ans. Ils incluent donc la grossesse et les premiers mois de vie, comprenant les débuts de l’alimentation et sa diversification. Cette fenêtre est considérée comme déterminante car elle constitue une phase d’organisation et de programmation du développement biologique, immunitaire, neurologique, métabolique et endocrinien. Toute perturbation – notamment par des contaminations chimiques – peut avoir des effets durables ou même irréversibles. Le concept retient l’attention des professionnels de santé, des chercheurs, et d’autres acteurs parce qu’il indique un moment privilégié pour agir et prévenir plutôt que réparer.
Que savons-nous ?
Les pesticides, et plus largement les contaminants chimiques (résidus alimentaires, polluants atmosphériques, perturbateurs endocriniens…), entrainent des risques accentués pendant les 1.000 premiers jours. Plusieurs études scientifiques démontrent cette vulnérabilité. Pendant la grossesse, des pesticides peuvent traverser la barrière placentaire et atteindre le fœtus. Une étude italienne récente menée sur des souris montre que l’exposition périnatale au chlorpyrifos, un insecticide organophosphoré, peut induire, à l’âge adulte, des altérations du sommeil et de la respiration ainsi qu’une réponse neuro-inflammatoire accrue. Des chercheurs français ont démontré que pendant les 1.000 premiers jours, les perturbateurs endocriniens peuvent modifier durablement la programmation biologique de l’enfant et induire des risques accrus de troubles respiratoires, métaboliques ou neurodéveloppementaux. Lors de ses conférences, Bruno Schiffers, professeur honoraire de l’ULiège, interpelle sur l’accumulation des preuves démontrant le lien entre les troubles du développements (TDAH, autisme, leucémie, etc.) et les pesticides.
Responsabilité collective et individuelle
Il est crucial d’insister sur une nuance fondamentale : la protection des enfants contre les polluants ne relève pas uniquement de la responsabilité individuelle des parents ou des citoyens. Comme le souligne Céline Bertrand, experte en santé environnementale, les politiques nient l’évidence scientifique en matière de pesticides et santé, et « on persiste à sacrifier la santé, et notamment celle des enfants, sur l’autel de la prospérité. »
Les parents ne peuvent pas porter seuls ce fardeau : c’est une question de cadre sociétal, de choix relatifs au modèle agricole, de réglementation des pesticides, de systèmes alimentaires accessibles et publics.
Il s’agit d’une responsabilité collective : institutions, décideurs, agriculteurs, administration publique et citoyens ensemble. Dans ses actions d’éducation permanente, Nature & Progrès contribue à rendre visibles ces liens entre agriculture, alimentation, santé et environnement, de permettre une réflexion critique et émancipatrice plutôt que de laisser chacun cheminer seul. D’autres acteurs mettent également des initiatives intéressantes en place.
En France : l’Ordonnance verte
La ville de Strasbourg s’est engagée dans une démarche exemplaire de santé environnementale à travers son programme « Ordonnance verte », une initiative visant à réduire l’usage des pesticides et à promouvoir des pratiques écologiques dans tous les espaces de vie[i]. Cette politique locale, portée conjointement par les services municipaux, les associations et les habitants, place la santé publique et la préservation de la biodiversité au cœur des priorités urbaines. Dans cette logique, la municipalité a lancé, en 2022, un dispositif innovant à destination des femmes enceintes : la distribution hebdomadaire de paniers de légumes bio et locaux, accompagnée de deux ateliers consacrés aux perturbateurs endocriniens, substances particulièrement nocives pendant la grossesse.
A ce jour, plus de 29.000 paniers ont été distribués, soutenant à la fois la santé des mères et des bébés, l’agriculture biologique locale et la protection des ressources naturelles. Ils sont proposés dans treize points de collecte répartis dans les différents quartiers strasbourgeois afin de garantir une équité territoriale et un accès facilité pour toutes les femmes, y compris celles des quartiers prioritaires. Cette action repose sur une large mobilisation : 250 professionnels de santé (gynécologues, sages-femmes et médecins généralistes) peuvent prescrire l’Ordonnance verte, pour des durées variant de deux à sept mois selon le revenu familial des bénéficiaires.
Pour aller plus loin, la ville s’associe à la recherche scientifique. Une étude clinique menée par l’Inserm et les hôpitaux universitaires de Strasbourg vient de démarrer. Elle vise à mesurer la concentration de perturbateurs endocriniens dans les urines des femmes enceintes avant et après leur participation au dispositif, afin d’en démontrer l’efficacité.
Les retombées observées sont déjà significatives : une enquête de satisfaction révèle que 93 % des participantes ont modifié leurs habitudes, notamment alimentaires, après avoir participé au programme. Pour Alexandre Feltz, adjoint à la santé, il s’agit bien d’un projet politique à part entière, visant à transformer durablement les comportements plutôt qu’à simplement informer. Cette initiative fait de Strasbourg un modèle inspirant de politique intégrée : une ville peut, à son échelle, réinventer la prévention et rendre la santé environnementale accessible à toutes et tous.
En Wallonie, les paniers Mini-Pousses
Inspiré par l’initiative strasbourgeoise, Fréderic Jadoul, producteur de la coopérative Agricovert, a voulu répliquer le modèle en Wallonie. Les paniers Mini-Pousses[ii] voient le jour grâce à l’obtention d’une aide de 10.000 euros. 80 femmes enceintes (de leur troisième jusqu’au neuvième mois) recevront prochainement chaque semaine un panier bio et disposeront dès lors d’un soutien concret pour diminuer l’exposition de leur futur enfant aux intrants chimiques. Agricovert souhaite faire perdurer l’initiative et est à la recherche d’autres partenariats, subventions publiques et éventuellement contributions volontaires de certaines familles bénéficiaires. Ce projet pourrait aussi s’inscrire dans le cadre plus large d’une « sécurité sociale de l’alimentation », c’est-à-dire la reconnaissance de l’alimentation saine comme un droit, et non comme un produit de luxe.
Les initiatives de la ville de Strasbourg et d’Agricovert offrent des repères concrets : on peut agir, on peut construire des alternatives dans la durée. Réduire les contaminations pendant les 1.000 premiers jours passe dépasse les initiatives locales : il s’agit d’un enjeu global qui touche l’agriculture, l’alimentation et la société tout entière. La perspective des 1.000 premiers jours ouvre une approche systémique.
Un enjeu systémique
L’agriculture doit passer d’un modèle intensif fondé sur l’usage systématique de traitements chimiques à des pratiques bio qui privilégient la biodiversité, les rotations de cultures, les engrais organiques et autres méthodes culturales préventives. Il est aussi indispensable de garantir un accès pour toutes et tous, dès la naissance, à ces aliments de qualité. Les politiques de santé publique doivent reconnaître que les choix agricoles et alimentaires sont partie prenante de la santé, non un secteur à part. En matière de justice sociale, il faut veiller à ce que les alternatives ne soient pas réservées à un segment privilégié : les familles les plus vulnérables sont souvent les plus exposées. La responsabilité ne peut pas reposer uniquement sur les individus, mais doit être partagée par la société, les institutions, les agriculteurs et les citoyens. Les initiatives locales sont essentielles, mais elles doivent s’inscrire dans une logique de transformation globale. Penser les 1.000 premiers jours, c’est intervenir très tôt, avant même la naissance, pour prolonger les effets bénéfiques dans le temps.
Pour Nature & Progrès, il s’agit de poursuivre et de renforcer notre engagement. Nous œuvrons pour une agriculture au service de la vie, respectueuse de la nature, des hommes et des générations futures. En focalisant l’attention sur les 1.000 premiers jours, nous choisissons de placer la santé, la qualité de l’alimentation et l’agriculture biologique au cœur d’un projet de société. Chaque petit pas vers une réduction des contaminations compte. Agir tôt rend possible un avenir où enfants et parents vivent dans un environnement plus sain, nourris d’alternatives plutôt que d’additifs.
Comment être un parent bio ?
L’environnement dans lequel grandissent nos enfants est le reflet de nos choix collectifs. Les polluants environnementaux, l’accès à une alimentation saine et le contact avec la nature sont des déterminants cruciaux de leur santé et de leur avenir. Pourtant, l’agriculture intensive, le manque d’espaces verts et la sédentarité menacent cet équilibre.
Nous souhaitons ouvrir un espace de réflexion, d’échange et d’action collective sur base de vos préoccupations, pour aborder des sujets tels que :
- Les 1000 premiers jours de vie. Exposition aux pesticides et polluants (PFAS, etc.) durant la grossesse et la petite enfance. Quels impacts sur la santé, le développement et le microbiote ?
- L’alimentation, de la maison à la collectivité. Comment garantir le droit à une alimentation bio et de qualité à la maison ? Quelle place pour le bio et le local dans les crèches et les écoles ? Quelles stratégies pour y parvenir ?
- Accès au dehors et immunité. Quel est le rôle du contact avec la nature dans le développement de l’enfant et de son immunité ? Pourquoi nos enfants reconnaissent-ils mieux les marques de voitures que les plantes de leur quartier ? Quelle est la place de la nature dans leur vie d’enfants ?
Les groupes thématiques permettent de se rassembler à intervalles réguliers, de partager savoirs et expériences de parents et de professionnels, d’inviter des experts (pédiatres, agronomes, pédagogues) pour des éclairages, de visionner des documentaires, de visiter des initiatives inspirantes et de construire des actions concrètes d’interpellation ou de sensibilisation auprès des instances politiques locales, des entreprises ou des structures d’accueil.
Intéressé(e) ? Prenez contact avec Pauline (pauline.beguin@natpro.be) en mentionnant au minimum votre nom, votre téléphone et votre code postal.
La dynamique commence déjà avec de premières rencontres (voir agenda).
- Le 11 janvier 2026 à 18h30 à l’Espace Santé à Ottignies
- Le 12 février 2026 à 18h30 à la Librairie Nature & Progrès à Jambes.
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