Il y a quelques temps déjà que Nature & Progrès plaide pour une réforme du bail à ferme, pour une réforme qui aide vraiment le monde paysan à s’engager pleinement dans la voie de productions de qualité. Il y a quatre ans, un colloque organisé par nos soins traçait les grandes lignes d’une réflexion qui devait faire d’une loi dépassée un outil majeur pour une agriculture moderne. Depuis, l’attelage gouvernemental wallon a voulu franchir le Rubicon ; il s’est malheureusement foulé une patte en plein milieu du gué…

Par Dominique Parizel et Marc Fichers

Introduction

Donc, on nous annonce une réforme stratégique pour l’agriculture wallonne qui facilitera l’accès à la terre et harmonisera les relations entre bailleurs et preneurs. A quoi d’autre, en effet, un bail pourrait-il bien servir ? Dès son entrée en vigueur prévue pour le 1er janvier 2020, le nouveau bail à ferme wallon renforcera, nous dit-on, le modèle familial cher à notre région et facilitera l’accès des jeunes à la terre… On se réjouit de voir cela.

Ce qu’on y trouve de neuf…

Certes, le bail « à perpète » n’existe plus ; c’est bien le moins qu’on pouvait attendre. Désormais, un bail classique, liant preneur et bailleur pour neuf ans, ne pourra être renouvelé que… trois fois ! Obligatoirement écrits et enregistrés, les baux nouveaux seront accompagnés d’un état des lieux et la sous-location sera interdite. Le droit de préemption pour les agriculteurs âgés de plus de soixante-sept ans bénéficiant d’une pension de retraite et sans repreneur sérieux sera supprimé, de même que les cessions privilégiées abusives. Deux nouveaux types de baux verront le jour : bail de courte durée conclu pour une période de cinq ans afin de couvrir des situations particulières comme la liquidation d’une succession ou la sortie d’une indivision, bail de « fin de carrière » permettant aux deux parties de poursuivre d’un commun accord au-delà du troisième renouvellement et jusqu’au moment où le preneur aura atteint l’âge de la retraite. Deux nouvelles mesures enfin entendent favoriser l’accès des jeunes à la terre : des avantages additionnels si le preneur à moins de trente-cinq ans lors de la conclusion du bail, des baux de carrière et de longue durée soutenus via des incitants fiscaux. Tout cela prendra la forme d’une réduction sur les droits de donation et de succession dus sur les terres soumises au bail à ferme.

Dernière précision, et non des moindres : un propriétaire pourra ajouter une clause de lutte contre l’érosion, les pouvoirs publics – communes, CPAS… – pourront ajouter des clauses environnementales pour favoriser les produits locaux, la bio, le maraîchage, etc.

Quatre longues années de consultation

Nature & Progrès s’est donc investi, depuis quatre ans, dans de longues discussions sur la régionalisation de la loi sur le bail à ferme. Cette loi, pour rappel, encadre la location des terres agricole, et deux tiers des terres agricoles sont sous ce régime en Belgique. A l’occasion d’un colloque qui eut lieu en mai 2015, dans le cadre de notre projet « Echangeons sur notre agriculture », Nature & Progrès a réuni l’ensemble des acteurs de la question : propriétaires, agriculteurs locataires, notaires, sociétés de gestion agricole et de nombreuses associations, comme Terre-en-vue, etc. La journée fut suivie de nombreuses rencontres entre producteurs et consommateurs, organisées un peu partout en Wallonie, dans le but de dégager des pistes originales susceptibles d’inspirer nos politiques en vue d’une révision historique.

Il apparut rapidement, lors des consultations, que la loi sur le bail à ferme ne remplissait plus son rôle, à savoir la mise à disposition de terres à destination d’une agriculture familiale et nourricière. Les nombreuses évolutions de l’interprétation de la loi l’avaient, en effet, transformée en un contrat de moins en moins intéressant, voire carrément rebutant pour les propriétaires. Il était devenu quasiment impossible, par exemple, pour un propriétaire de mettre fin au bail signé avec un agriculteur et transmis de génération en génération au sein de sa famille. Les propriétaires préférèrent, dès lors, se tourner vers des sociétés de gestion agricole, tandis que les locataires en fin de carrière prirent l’habitude de sous-louer la terre à plein tarif, tout en conservant leur accès aux primes agricoles (1).

Depuis quatre ans, en participant à divers groupes de travail, Nature & Progrès s’est donc efforcé de faire évoluer cette législation en poursuivant des objectifs précis :

– redonner vie au bail à ferme en le rendant à nouveau attrayant pour les propriétaires et les locataires, nécessité étant de conclure de nouveaux baux afin de favoriser une agriculture moderne et respectueuse ;

– opter pour un bail écrit obligatoire, un contrat clair entre les différentes parties car les baux oraux étaient devenus trop courants sans qu’on n’en connaisse bien souvent ni le début, ni les souscripteurs ;

– répondre à la demande des citoyens en rendant possible la mise en location de terres sous clauses environnementales définies de commun accord entre le preneur et le bailleur.

De plus en plus de petits propriétaires ne recherchent pas en premier lieu un revenu locatif – à partir de deux cents euros par hectare et par an ! – mais désirent que leurs terres soient exploitées dans le strict respect de leurs convictions personnelles : en bio, par exemple, avec le maintien des haies, des arbres, des prairies, etc. Car même si locataire et propriétaire s’entendent sur ces conditions, la loi sur le bail à ferme ne permet pas, au nom de la « liberté de culture », de les mettre par écrit. Elle ne garantit donc pas leur respect ! Tout au plus la remise en état du bien en fin de bail. Le bail à clauses environnementales répond donc à l’évolution de notre société. Des sociétés de gestion agricole l’ont d’ailleurs bien compris puisqu’elles proposent des modèles de gestion des terres comportant des clauses environnementales. Chez Nature & Progrès, nous préférons que la culture de la terre reste confiée… à des agriculteurs et, si possible, des jeunes ! Nous voulons aussi que la terre soit accessible à tous ceux qui sont intéressés par l’agriculture mais qui n’ont pas – ou plus – de liens familiaux directs avec le secteur agricole.

Et tout ça pour ça ?

Après quatre années de rencontres et de négociations avec les représentants du ministre wallon de l’agriculture, un texte de réforme du bail a enfin été adopté par le gouvernement. Il a poursuivi depuis son petit bonhomme de chemin au Parlement… Le moins qu’on puisse dire, c’est que ce texte nouveau ne révolutionnera pas les campagnes. Mais c’était peut-être son objectif…

La perpétuité du bail, par exemple, qui rebute tant les propriétaires, et empêche la mise en location de terre, a été remplacée par une période de seulement… trente-six ans ! Cette période suscitera-t-elle un engouement nouveau des propriétaires pour mettre leur terre en location ? Rien n’est moins sûr ; nous sommes même prêts à parier que c’est un fameux coup dans l’eau de la mare aux canards… Et si une mesure a bien prévu la possibilité d’introduire des clauses environnementales dans le bail, elle n’a rien d’une aubaine mais n’est qu’une aimable « mesurette » laissée aux gestionnaires de biens publics. Les clauses environnementales n’ont pas été permises, en effet, aux propriétaires privés et c’est vraiment regrettable car cela eut vraiment répondu à l’évolution de notre société où l’intérêt pour la consommation de produits issus de l’agriculture biologique, faut-il encore le dire et le répéter, ne cessent d’augmenter… Or, s’ils sont propriétaires, les consommateurs de ces produits ne souhaitent pas que leurs biens soient gérés d’une façon contraire à leurs convictions. Le risque est donc important que les sociétés de gestion agricole continuent à se développer, privant ainsi les petits agriculteurs biologiques d’un légitime accès à la terre. Ce qui ressemblait à une bonne intention n’est donc, au fond, qu’une véritable occasion ratée…

L’intérêt pour une gestion écologique des terres va pourtant continuer à croître et cette tendance majeure de notre temps aura pour simple conséquence qu’une nouvelle, une vraie, réforme de la loi sur le bail à ferme devra prochainement être remise en chantier. Que d’efforts en pure perte… Que de temps perdu…

(1) Voir notre dossier intitulé « Réflexions et pistes pour favoriser l’accès à la terre de nos agriculteurs modèles« , téléchargeable sur https://agriculture-natpro.be/dossiers/brochures/