Où l’on voudrait affirmer que consommer du bio qui vient de loin serait pire que consommer du local non bio… En fait, les comparaisons de ce type n’ont juste aucun sens. Prétendre trancher entre une bio trop – ou pas assez – cadrée et du local – dont nul ne peut dire où il commence, ni où il s’arrête – est un exercice indébrouillable. Choisissons donc, autant que faire se peut, des produits bio proches de nous…

Par Mathilde Roda et Marc Fichers

 

Nombre d’entre nous tiennent aujourd’hui pour évident que l’agriculture biologique devrait être considérée comme l’agriculture « normale ». Chez Nature & Progrès, nous sommes bien sûr de ceux-là. Tant que la chimie – avec ses promesses de rendements et de rentabilité fictives – dominera la « bien-pensance » agricole, l’agriculture biologique ne sera vue, par les grands acteurs économiques de notre alimentation, que comme un marché parmi d’autres. Il semble heureusement possible de remettre aujourd’hui en question l’agrobusiness bio, tout en plaidant la cause d’une bio projet de société. C’est une question existentielle : quelle route voulons-nous de suivre ? Répondre à cela ne veut pas forcément dire qu’il faille faire demi-tour sur l’autoroute ; emprunter la contre-allée serait déjà un bon début… Les fondements même de la bio montrent qu’il a toujours été question de construire collectivement le chemin et c’est pourquoi, chez Nature & Progrès, la bio est forcément participative. Parce qu’avec un cahier des charges techniques, il n’est pas possible de s’intéresser aux questions éthiques, sociales et écologiques que pose immanquablement le système agroalimentaire. Un modèle alimentaire en phase avec la société ne peut plus éviter de les inclure. Pour Nature & Progrès, chaque personne – même non issue du milieu agricole – a évidemment toute sa place dans une réflexion sur l’agriculture. Nous voulons une agriculture biologique, locale et solidaire, qui nourrisse tous les citoyens, sans la moindre exception, tout en garantissant aux agriculteurs et aux artisans de vivre décemment de leur métier.

 

Label public ou label privé ?

Nature & Progrès a toujours accompagné l’éclosion et l’évolution du label bio, en Wallonie. Toutefois, après la reconnaissance officielle de l’agriculture biologique, notre association eut à trancher : soit critiquer de l’extérieur le label bio officiel et développer son propre label privé, soit continuer de l’intérieur à faire évoluer dans le bon sens le label de tous ? La deuxième option fut choisie par Nature & Progrès, en Belgique, et ce choix historique pour notre association a toujours de fortes implications sur notre engagement.

Nous avons vu jusqu’ici que la législation bio européenne avait traduit les principes du bio en articles de loi contraignants et contrôlés. Les huit premières pages du règlement de base contiennent cent dix-neuf « considérants » qui rappellent à quel point l’agriculture biologique est un système global : une vision chère à Nature & Progrès. L’implication de notre association dans les différentes instances de consultation du secteur bio consiste donc à rappeler en permanence cette réalité, à « dézoomer » les regards portés sur l’agriculture biologique afin de rappeler, sans jamais se lasser, tout ce qu’il y a au-delà des seules techniques de production.

Il est également important de rappeler à quel point l’agriculture biologique répond à une demande du consommateur qui opte toujours plus résolument pour une alimentation basée sur des produits et des procédés naturels, qui respectent l’environnement et le bien-être animal, tout en participant au développement rural. Le cahier des charge bio répond-t-il entièrement à ces enjeux ? Chacun en jugera. Toutefois la charte de Nature & Progrès, qui sert de base à la réflexion lorsque notre association doit prendre position au sein du secteur, nous permet de porter avec force la voix des consommateurs et des producteurs signataires… De rendre plus concrète leur vision…

 

De la vision à la mise en pratique

Voici donc, pour terminer, quelques exemples concrets de ce que cette vision inspire. En ce qui concerne les productions végétales, Nature & Progrès a toujours réclamé que des moyens conséquents soient mobilisés pour orienter la recherche vers des variétés résistantes et des techniques culturales efficaces. Nous défendons aussi l’octroi des moyens de valoriser au mieux les productions bio, avec des techniques et des outils de transformation adaptés ; nous nous opposons fermement à toute entrée de produits d’origine chimique de synthèse dans la législation bio. Nous plaidons pour diriger les négociations de la PAC vers un soutien plus important aux pratiques bio, favorables à la biodiversité et à l’autonomie des agriculteurs…

En termes d’élevages, nous appuyons toutes les règles qui feront que les herbivores soient élevés à l’herbe. Et, pour que les cochons satisfassent leur besoin naturel de fouir, nous réclamons pour eux la garantie d’un accès suffisant à la terre ou, au minimum, une large épaisseur de paille… Nature & Progrès défend, dans les fermes, la place des monogastriques – cochons et volailles – au sein d’ateliers de diversification et non comme mono-élevages à grande échelle. Nous réclamons aussi une transparence totale des élevages, des coopératives agricoles et des firmes d’aliments. Pas d’ingrédients cachés en bio ! Et ceci vaut évidemment pour les OGM qui doivent restés en dehors du bio, quelle que soit la technique de manipulation du génome qui est considérée. Et nous exigeons de la transparence jusque dans les commerces, pour que les consommateurs trouvent aisément toutes les informations nécessaires pour faire leurs choix de la manière la plus éclairée…

Tout ce travail se fait en collaboration avec – et parfois à l’encontre ! – d’autres représentants du secteur bio et du secteur agricole. Si Nature & Progrès investit autant d’énergie dans ce travaille de l’ombre – hélas bien peu connu du grand public – qui ne génère aucun retour économique direct pour l’association, c’est parce qu’il est dans l’ADN de l’association de porter haut et fort les valeurs originelles de l’agriculture biologique. Nous sommes persuadés que le bio est toujours un facteur de changements, tant d’un point de vue strictement agricole que sur le fonctionnement de notre société dans son ensemble. Le bio, tant pour nos consommateurs que pour nos producteurs, c’est une sorte de « retour à la normale »…

 

Le consommateur est exigeant, il élève la voix !

Le secteur bio fait face à des enjeux nouveaux. Sa forte croissance des dernières années fait beaucoup réagir. Face à cette concurrence croissante, le secteur chimique veut prouver que, lui aussi, peut répondre aux enjeux de notre société. Il apprécie beaucoup le terme d’ »agroécologie » qui dorénavant n’appartient plus aux agriculteurs bio qui la pratiquent depuis plus de soixante ans. Il sert, à présent, de caution à une utilisation dite « raisonnée » de produits qui continuent pourtant de polluer notre environnement, notre santé et le portefeuille des producteurs. De même, le terme « durable » a-t-il explosé dans les grandes surfaces, détournant l’attention de la vraie pierre d’achoppement que représentent toujours les pesticides et les engrais chimiques de synthèse.

Toute cette vaine rhétorique est une poudre aux yeux qui cherche à mettre de côté les principes fondamentaux de la bio : des fermes rentables et cohérentes avec leur terroir, des élevages forts de leur éthique de production et écologiquement rationnels, des cultures résistantes aux maladies offrant le refuge à la biodiversité sauvage et reposant sur une vie du sol correctement stimulée, des produits transformés simples qui valorisent avec respect des matières premières de qualité, ainsi que la prospérité des agriculteurs et des artisans transformateurs. La bio, nous le disions, c’est bien plus qu’une simple combinaison de techniques de production… Dès lors, consommer bio et local est, plus que jamais, un authentique acte politique de soutien aux producteurs et aux transformateurs qui font vivre nos campagnes, qui œuvrent chaque jour au développement, près de chez nous, de filières véritablement durables. Pour notre santé et de celle de la Terre !