Bien sûr, il est toujours loisible, même en bio, de manger en dépit du bon sens, d’outre-manger, de « mal manger » dans le mépris total de ce que recommande la faculté… Cependant, même si le consommateur intègre à son assiette les équilibres et l’hygiène indispensables à sa bonne santé, rien ne lui garantit que son alimentation remplisse tous les critères de la qualité optimale qu’il souhaite. En cause : des méthodes industrielles mues davantage par la logique du profit que par le souci de nourrir, au mieux de leurs possibilités, l’humain qui a placé en elles sa confiance…

Par Dominique Parizel

nouveaux ogm non à la déréglementation
Introduction

Mais pourquoi les normes savamment mises en place pour l’agro-industrie ne servent-elles jamais de manière prioritaire à la fabrication de denrées de qualité ? Tout simplement parce que l’usine à bouffe est avant tout une machine à fabriquer de l’argent. Toute forme de qualité, tout coût excédentaire au-delà de ce qu’exige simplement la norme en vigueur correspond forcément, à ses yeux, à une dépense inutile. La norme qui la guide n’a donc aucune utilité d’ordre qualitatif ou sanitaire ; elle fixe seulement le niveau de qualité suffisant pour que le consommateur rassuré par la publicité continue d’acheter massivement. Et pour que se remplissent ainsi les coffres-forts des mastodontes transnationaux qui sont à la manœuvre…

Que sait encore le consommateur de la qualité de ce qu'il mange ?

Toute publicité autour d’un produit alimentaire d’origine industrielle trompe délibérément le consommateur dans la mesure où elle cherche systématiquement à en faire une sorte d’ambroisie destinée à une clientèle d’exception, le parant pour ce faire de valeurs affectives et symboliques qui lui épargnent tout simplement d’évoquer sa véritable nature, sa véritable identité. Et d’avoir à risquer, par conséquent, des mensonges encore plus graves à son sujet… Aussi énorme soit la ficelle, elle marche interminablement, incroyablement. La publicité se mue ainsi en une providentielle mine d’or pour tous les annonceurs du monde et peu importe finalement la matérialité, la réalité de ce qu’on donne à ingérer aux clients : l’impact colossal du discours publicitaire – consommer plus pour être plus heureux ! – supplante, et de très loin, la médiocrité nutritionnelle du produit. Ainsi la « marque de soda la plus célèbre au monde » prétend-elle faire sortir le Père Noël de sa manufacture à jouets dès que circulent de grands camions rouges garnis de guirlandes colorées. Sous d’autres cieux et en d’autres saisons, elle sublime la goutte de fraîcheur providentielle perlant sur ses petites bouteilles à taille de guêpe et qui serait tout aussi attirante que à la sueur tombant du muscle ambré d’un beau livreur… Elle nous fait aujourd’hui danser cocassement ou nous destine, en un seul clip, tout l’art du monde pourvu qu’on y repère sa marque d’universelle panacée, à l’image du Sirop Typhon de l’ancien et prophétique succès de Richard Anthony, quelque part autour de 1969… Elle évite ainsi tout questionnement superflu sur la composition du liquide noirâtre dont elle pollue le monde et fait passer pour un sommet de qualité gustative ce qui n’est au fond qu’un vieux remède archi-édulcoré de rebouteux d’arrière-boutique. Le monde entier prend des vessies pour des lanternes mais c’est exactement le but recherché dès lors que l’idéologie publicitaire relègue aux oubliettes tout souci d’ordre alimentaire. Qu’une pandémie d’obésité soit à la clé, cet universel pourvoyeur de bonheur et de respect n’en a cure : le marchand d’armes n’est jamais responsable des carnages que provoquent ses fusils mais seuls ceux et celles qui en pressent la gâchette… Ou qui dégoupillent la canette !

Parfois conscient qu’on le manipule à outrance, le consommateur certes s’organise mais ses « organisations de consommateurs », ne pouvant agir qu’à la marge d’un système globalement vicieux, n’en corrigent jamais que l’un ou l’autre os qu’on leur laisse fort opportunément à ronger…

Nos repas quotidiens ne peuvent plus nous mentir

La grande distribution n’est pas épargnée par cette logique. Sa puissance logistique et l’omniprésence de sa communication semblent d’insurpassables promesses de notoriété pour n’importe quel produit qu’elle consent à diffuser. Son organisation complexe s’applique principalement à des denrées « chosifiées » dont on emplit à ras bord les caddies : emballages en tous genres dont on peut comparer la taille, le prix et la durée de vie, voire un certain niveau qualitatif à condition qu’ils se plient à une batterie de critères que personne ne comprend et dont tout le monde, d’ailleurs, se fiche éperdument… La confiance qu’on fait à la grande distribution est à la mesure de l’esbrouffe qu’elle jette à la tête du chaland mais, plus le temps passe, plus le maquillage du vieux clown se fissure et plus ce qui semblait magique se banalise. L’artifice – et même une certaine mocheté du quotidien – sautent soudain aux yeux de tous…

Que s’est-il passé ? Être touché par la grâce de la grande distribution a un coût qui se répercute souvent sur la production, qu’elle écrase sous son incurable obsession d’écraser les prix ! Son organisation, complexe et onéreuse, requiert volumes, délais et marges budgétaires non négligeables… Comme le « noir soda du bonheur » que nous évoquions ci-avant, elle exhibe toujours plus d’images de marques et toujours moins de qualités intrinsèques. Quand le consommateur se soucie de fraîcheur et de proximité, elle ne répond que conservation et centrales d’achats. Et il devient trop évident qu’une grande mécanique aussi sophistiquée est inadaptée à nos besoins nouveaux. D’une universelle promesse de bonheur par l’outre-consommation, le consommateur moderne n’en veut plus. Il désire juste un peu de la confiance perdue. En parlant tranquillement avec le fermier et l’artisan de son coin…

Nos emplettes quotidiennes sont devenues incroyablement fastidieuses. Les paradis de la consommation, naguère si riants, se sont mués en traquenards pour notre portefeuille car, si les coûts restent modiques, les sollicitations y sont sans limites. Notre intégrité mentale y est à tout instant menacée par une ingénierie commerciale dont nous ne tolérons plus d’être les dupes. Nous éprouvons un irrépressible besoin de vérité et les insupportables tours de passe-passe d’un marketing abuseur nous sautent aux yeux et nous harcèlent. Bien sûr, tous les produits n’y ont pas les mêmes budgets promotionnels pharaoniques que la boisson noire ci-devant évoquée. Mais tous cultivent la même et invraisemblable ambition de n’être qu’une référence standardisée, dûment formattée, individualisée puis exposée au regard d’un maximum d’acheteurs potentiels. Il faut être vu, être connu, être vendu ; il faut qu’à ce lot succède un autre lot, que gonfle inlassablement le chiffre d’affaires et qu’on produise ainsi à l’infini pour que ruissèlent des cascades d’or fin sur le consommateur grisé par ce tourbillon de boîtes, de canettes et de bidons… On l’aura compris : ce modèle consumériste ne nous correspond plus. Face à la succession des crises et aux limites physiques de notre monde, le vertige et l’ivresse ont vécu ! Nous voulons passer à autre chose. Revenir dans la réalité…

La qualité, et rien d'autre

Nous sommes ce que nous mangeons ! Nous exigeons donc logiquement de pouvoir disposer de la certitude que ce que nous mangeons est bon, selon des critères qui nous appartiennent et qui ne peuvent nous être imposés contre notre gré. Rien de plus, rien de moins. Il s’agit, à nos yeux, d’un droit inaliénable de la personne et nul ne doit disposer du pouvoir de nous ôter ce droit ou de le rendre inapplicable. Mais un besoin, un désir si puissant est également contraignant car il impose à chacun d’entre nous, pour continuer de le revendiquer, de se comporter en citoyen responsable plutôt qu’en consommateur passif qui accepte sans ciller les pratiques contestables de ses fournisseurs industriels. Mais sans doute nombre d’entre nous le font-ils parce qu’ils sont objectivement forcés de se fournir, près de chez eux, à très bas prix, les inégalités croissantes constituant un levier toujours plus important dont joue habilement une partie en développement constant de la grande distribution ? Les « épiceries sociales » elles-mêmes – dont chacun s’accorde évidemment à louer l’action généreuse – ne peuvent d’ailleurs exister que par les surplus abondants de denrées industrielles. Mais peut-on s’accommoder aussi aisément d’un système alimentaire générant la charité pour les dépossédés, en même temps que l’iniquité qui les dépossède ? Sans qu’il s’agisse d’une question foncièrement différente de celle que nous traitons ici, ce grave problème est trop vaste pour être développé plus avant. Précisons toutefois que Nature & Progrès s’efforce – notamment grâce à la mise en place du Réseau RADiS – d’ébaucher des réponses à cette terrible question, en tablant davantage sur une redynamisation locale du « capital social »…

La capacité du citoyen à revendiquer une alimentation de qualité passe immanquablement par un « retour aux sources », une redécouverte du monde de la production et de la transformation, une considération nouvelle à l’égard du monde agricole qui dépasse de très loin l’agro-tourisme ou la ferme didactique… Il ne s’agit pas seulement, non plus, d’une simple « revalorisation » de pratiques professionnelles mais, bien plus, qu’une compréhension profonde et partagée, entre producteurs et consommateurs, des réalités incontournables qui permettent l’obtention et la transformation adéquate de produits agricoles optimaux : respect de la terre et des animaux, conditions de fonctionnement des fermes, transparence des méthodes, etc. Mais cette compréhension touche surtout au respect humain que se doivent les uns et les autres, rien n’étant jamais envisageable sans ouverture et sans confiance, sans acceptation surtout d’un « juste prix » qui ne leurre pas le consommateur mais qui rémunère aussi le producteur de manière équitable, à l’égal de n’importe quel travailleur au sein de notre société. Ce cadre général de reconnaissance est le sens même de la « charte éthique », mise en place par Nature & Progrès, qui intervient en complément de la certification bio classique. Elle s’appuie sur un Système Participatif de Garantie (SPG) – qui associe producteurs, consommateurs et professionnels de l’association – dont le but est d’offrir, aux producteurs, un encadrement dans les domaines où une marge de progression est identifiée d’un commun accord…

Enfin, le couplage, au sein même de l’association, de cette charte éthique avec une démarche globale de « Citoyenneté active » – on dit plus usuellement d' »Education permanente » – est de nature à renforcer la prise de conscience – et de confiance ! – des différents publics concernés avec le contenu de leurs assiettes. Si certaines formes de « citoyenneté passive » peuvent sans doute être déplorées dans d’autres matières qu’investit l' »Education permanente », gageons que la rupture, dans le cadre du système alimentaire qui est le nôtre, avec l’agriculture industrielle productiviste et la grande distribution classique est déjà, à l’heure qu’il est, un gage important d’activité citoyenne. Le cadre global d’approvisionnement que Nature & Progrès s’efforce de définir et de mettre en place rencontre ainsi pleinement la demande croissante de ceux que nous éviterons désormais de qualifier de simples « consommateurs » d’une nouvelle forme de citoyenneté alimentaire.

Citoyenneté alimentaire ?

La pleine conscience de ce que nous ingérons quotidiennement fait de nous des gens meilleurs, moins inquiets et certainement, par conséquent, moins malades et plus heureux. Cette pleine conscience ne peut cependant s’envisager que par le plein exercice de nos droits et devoirs de citoyens à l’égard des processus complexes qui nous nourrissent et des gens qui, dans ce cadre, travaillent à nous satisfaire. Rien à voir avec l’accumulation de « produits » dans un caddie, toujours suivie d’un passage à la caisse…

Au système traditionnel « produits standardisés + marketing », nous cherchons aujourd’hui à substituer un système « producteurs (et transformateurs) responsables + citoyenneté active ». La connaissance approfondie de la réalité agricole et du travail de ses produits, couplée à une démarche citoyenne sur les dérives du système alimentaire actuel, permettra l’émergence de la citoyenneté alimentaire que nous appelons de nos vœux. Ce ne sera pas une révolution sanglante mais seulement la reprise en main du contenu des assiettes par celles et ceux qui finalement les mangent ! Quoi de plus simple et quoi de plus normal ? Quoi de plus élémentaire que d’exercer le droit de manger ce qui nous épanouit, plutôt que ce qui torture les corps et les inféodent à la grande finance transnationale ? Ce qui nous avilit, au fond, faute de nous convenir vraiment et qui nous empêche finalement d’être vraiment heureux… Evidemment, il y aurait, à cela, quelques menues conséquences « collatérales » car la citoyenneté alimentaire n’a aucun besoin de publicité, aucun besoin de marketing, aucun besoin des vaines promesses d’un monde meilleur… Car la citoyenneté alimentaire serait un monde meilleur !