Citoyens et professionnels se mobilisent !

Nature & Progrès rassemble, depuis deux ans, consommateurs, agriculteurs, meuniers, malteurs, boulangers, brasseurs, chercheurs et autres professionnels du milieu agricole autour de la filière céréalière. Mais peu de céréales locales se retrouvent encore actuellement dans les farines, pains et bières, même confectionnés en Belgique. A peine quelques pourcents… Comment améliorer cet état de fait ?

Par Sylvie La Spina

Introduction

Comment augmenter la part de céréales locales et bio dans nos assiettes et dans nos verres ? Un foisonnement de pistes a été rassemblé lors des rencontres du projet et présenté à l’occasion d’un colloque, organisé par Nature & Progrès, le 15 novembre 2019, à Namur. Une journée qui a rassemblé plus de cent trente personnes, c’est dire si le sujet est important et d’actualité.

Un intérêt multi-acteurs

Le colloque a rassemblé citoyens, agriculteurs, meuniers, boulangers, malteurs, brasseurs et autres transformateurs mais aussi des politiques, des chercheurs, des structures du monde agricole et des porteurs de projets. Tous nous ont fait part de leur intérêt pour le travail réalisé sur les céréales, par Nature & Progrès à travers son projet Echangeons sur notre agriculture, durant ces deux dernières années.

Charles-Edouard Jolly, agriculteur à la ferme bio du Val Notre Dame, à Antheit, développe des cultures de céréales panifiables et d’orge brassicole et recrée peu à peu des filières locales. Il témoigne : « C’est très amusant à faire, et ça revalorise encore plus notre travail. Le problème, c’est la mise en réseau. Cela demande beaucoup de temps de rencontrer les différents transformateurs et distributeurs pour arriver à une filière courte. Mais je pense que cela a beaucoup d’avenir…« 

C’est lors d’une activité, organisée en 2018 par Nature & Progrès, que Cécile Schalenbourg, agricultrice à Donceel, rencontra Georges Sinnaeve, chercheur du CRAw venu parler de la qualité des céréales panifiables. Elle réalisa alors le potentiel de valorisation de son blé en farines alimentaires. Le GAL « Je suis Hesbignon » aida alors Cécile et d’autres agriculteurs à mettre en place leur projet : recherche d’un moulin, informations et formations, outils de communication… Selon Cécile, « le projet Echangeons sur notre agriculture de Nature & Progrès fait un très bon lien entre la théorie et la pratique. Les porteurs d’initiatives qui viennent témoigner au colloque sont des gens qui ont déjà éprouvé leur projet et peuvent, en toute transparence, livrer leurs connaissances…« 

Gil Leclercq, porteur du projet de la micro-malterie du Hoyoux, insiste : « ce colloque est une source d’inspiration pour d’autres porteurs de projets, tant pour le secteur panifiable que pour le secteur brassicole ; c’est aussi l’occasion de rencontrer les agriculteurs et les brasseurs qui sont intéressés par une filière locale.« 

Catherine Marlier, porteuse d’un projet de hall-relais Cultivae, témoigne : « c’est intéressant de pouvoir se rencontrer car on ne prend pas le temps de le faire ; nous sommes tous isolés sur nos projets, avec nos problèmes, et le fait d’échanger et de pouvoir en parler, cela nous renforce. En plus, on sent une volonté citoyenne qui nous conforte dans ce dans quoi on croit. Quand on veut créer quelque chose qui va dans un sens différent, cela demande beaucoup d’énergie.« 

Enfin, un membre de Nature & Progrès travaillant activement sur le projet de la ceinture alimentaire namuroise, Michel Berhin, explique : « ce colloque est un temps fort parce qu’il aide à identifier les acteurs présents au niveau local. La conclusion des rencontres de Nature & Progrès ne s’appuie pas sur un regard théorique mais bien sur les acteurs de terrain.« 

Des pistes intéressantes

Tout au long de ces deux années de travail sur les céréales alimentaires, de nombreuses pistes sont ressorties au fil des rencontres entre les différents acteurs pour aider au développement de filières locales, du grain à la table.

– la production

Un enjeu de taille, pour les producteurs, est d’atteindre la qualité de céréales nécessaire pour la transformation. Pour les céréales panifiables, les normes de qualité sont strictes car définies pour une transformation industrielle des farines. Elles impliquent une standardisation des procédés de fabrication – la pâte ne doit pas coller à la machine ! – et une optimisation économique, notamment un temps de pétrissage et de repos les plus courts possibles qui se font au détriment de la digestibilité et de la qualité nutritive du pain. Quand les céréales sont récoltées, séchées et triées, elles sont analysées puis réparties en fonction des normes en céréales panifiables et en céréales « tout-venant », purement et simplement écartées de la consommation alimentaire !

Ces normes pourraient donc être revues et, surtout, être distinctes en fonction de la finalité de la filière : industrielle ou artisanale. En effet, un boulanger travaillant de manière artisanale pourra plus facilement s’adapter à des farines « hors-normes », sans même avoir recours à des additifs technologiques. Cela ne veut pas dire qu’il utilisera n’importe quels grains car il faut évidemment veiller à ce qu’ils soient, tout de même, de bonne qualité : absence de mycotoxines, bon stade de maturation… Mais cela permettrait d’éviter le déclassement de nombreux lots en céréales « tout venant ».

Par ailleurs, on oublie trop souvent les autres modes de transformation des céréales : le « floconnage », la fabrication de biscuits ou de gaufres, celle de pâtes alimentaires… Ces filières mériteraient à être développées en Wallonie. Il est donc important de définir les critères de qualité des grains pour ces transformateurs afin de récupérer encore un peu plus de céréales « tout venant » pour alimenter localement nos concitoyens.

La qualité des céréales peut être améliorée en poursuivant les recherches sur l’itinéraire cultural, notamment la fertilisation qui conditionne le taux de protéines du grain. Si des études ont déjà été menées sur la fertilisation – type, quantité, période d’apport – ou le précédent cultural, il reste encore de nombreuses pistes à explorer : notamment les associations de cultures de céréales et de légumineuses. Ces cultures conjointes permettent de fournir de l’azote à la céréale mais nécessitent un tri des graines à la récolte. Les recherches sur les variétés de froments, d’épeautres et d’orges doivent être poursuivies notamment avec une finalité alimentaire et une adaptation au mode de culture biologique.

Enfin, un dernier frein à la valorisation des céréales est la taille des lots. Le parcellaire wallon est très morcelé et il est nécessaire de rassembler les productions de plusieurs agriculteurs pour atteindre les volumes demandés par certains transformateurs. Mais, pour être rassemblés, ces lots doivent être de qualité relativement homogène ! En Wallonie, on compte une septantaine de variétés de froments en champs, qui ont toutes leurs spécificités. Pourquoi des groupes de producteurs ne se concerteraient-ils pas pour cultiver la même variété, dans des conditions relativement similaires, afin de se donner plus de chances de valorisation ?

Le prix du marché pour les céréales alimentaires est aujourd’hui très défavorable aux filières : il est plus rentable pour un agriculteur de semer des céréales destinées à l’alimentation animale ou à l’énergie, plus faciles à cultiver et présentant un meilleur rendement en grains. Voilà ce qui explique le déclin de nos céréales alimentaires ! Et pourtant, la valeur de la céréale ne compte que pour quelques pourcents dans le prix du pain – 5 à 8 % – ou de la bière – moins d’1 %… Qu’est-ce qu’on attend ?

– le conditionnement

Après la récolte, les céréales doivent être triées, parfois séchées, et stockées jusqu’à leur transformation par le meunier ou le malteur. Or il y a, aujourd’hui, un manque flagrant de structures de tri des céréales biologiques, lesquelles doivent évidemment être conditionnées à part des céréales conventionnelles. Il manque aussi des outils pour le décorticage des céréales comme l’épeautre. Il est donc important de développer ces outils, que ce soit pour un producteur individuellement – le conditionnement à la ferme – ou pour un groupement d’agriculteurs – un hall-relais agricole. La formation des agriculteurs est également nécessaire pour bien maîtriser ces étapes critiques pour la bonne conservation des grains.

– la transformation

Les moulins connaissent un renouveau en Wallonie. Il était grand temps car c’est l’acteur incontournable pour le développement de filières panifiables locales. La vingtaine de moulins wallons sont cependant encore loin de suffire, par rapport aux besoins des producteurs et des boulangers. Il est donc important de soutenir la mise en place de nouveaux moulins, notamment d’outils travaillant à façon pour d’autres acteurs et permettant ainsi le développement de nouvelles filières. Comme pour les autres outils de première transformation – les abattoirs dans la filière viande, par exemple -, la rentabilité de ces outils est difficile à atteindre. Il faut, par conséquent, envisager soit un soutien public – comme les abattoirs communaux vus comme un service offert par la commune aux éleveurs -, soit l’intégration avec le reste de la filière, amont et aval, permettant notamment de bénéficier de la plus-value de la seconde transformation. Dans ce dernier cas, c’est la forme de coopérative qui est la plus appropriée comme le montrent plusieurs initiatives : Flietermolen ou Agribio, par exemple.

Pour la malterie, il reste deux opérateurs travaillant à façon en Belgique, ce qui permet des filières du grain à la bière. Cependant, les volumes traités par ces malteries sont importants par rapport à la taille des lots d’orges produites en Wallonie et par rapport aux besoins en malt des microbrasseries. Des micro-malteries, traitant de petits volumes d’orges, permettraient donc une meilleure valorisation des céréales locales mais aussi une meilleure stimulation, l’innovation et la diversification de nos microbrasseries et le développement de bières de terroir. Une micro-malterie est d’ailleurs en projet dans la région de Havelange.

La boulangerie artisanale a du plomb dans l’aile ! De plus en plus de consommateurs achètent leur pain en grande surface, ne distinguant plus de différence de qualité, ou refont leur pain à la maison car ils recherchent le bon goût et la digestibilité du « pain d’antan ». Il faut dire que les pratiques des boulangers ont fort évolué ces dernières décennies : pétrissage mécanique, abandon du levain, utilisation des mêmes farines et procédés, finalement, que la boulangerie industrielle. Il reste quelques irréductibles « vrais » boulangers qui travaillent en direct avec les producteurs des farines, sans le moindre additif et avec un savoir-faire immense qui inspire aujourd’hui de nouvelles vocations. Revenons donc vers ces méthodes artisanales pour offrir localement aux consommateurs, dans des boulangeries de quartier, du vrai bon pain ! Redonnons-leur confiance dans ce produit noble, base de notre alimentation, en offrant plus de transparence sur le mode de fabrication, la qualité des farines et, bien entendu, leur origine…

– les filières

Les rencontres animées par Nature & Progrès l’ont démontré, tout au long de ces deux années d’étude des filières céréalières : les différents acteurs ne se connaissent pas ! Chacun nourrit son projet et ses idéaux dans un coin de sa ferme, de sa brasserie ou de sa boulangerie. Mais il n’existe aucun lieu pour échanger, partager et… décider de travailler ensemble. Une plateforme et des inventaires des acteurs sont donc nécessaires afin que le boulanger, qui cherche un producteur de céréales, rencontre les agriculteurs de sa région, qu’il puisse aussi identifier un moulin qui serait prêt à moudre le grain et lui fournir la farine. Ces plateformes et inventaires stimuleraient alors le développement de filières locales !

Encourageons également la diversification au sein des fermes wallonnes. Pour un producteur de céréales, il peut être intéressant d’investir dans un moulin et dans un atelier de fabrication de pâtes – comme à la Ferme Harnois, près de Virton -, un atelier de boulangerie – comme à la Ferme Dôrloû, à Wodecq – ou une brasserie – comme à la Ferme à l’Arbre de Liège, à Lantin ! Cette diversification ne signifie pas que le producteur doit ajouter une casquette sur sa tête. Elle peut lui permettre d’accueillir une personne sur la ferme, employée ou indépendante, pour prendre en charge cet atelier.

En résumé…

Que de pistes prometteuses proposés par Nature & Progrès et par ses membres, que d’idées judicieuses et, surtout, quelle émulation pour le développement de filières céréales alimentaires 100% locales ! Le consommateur est demandeur de produits bio et locaux, les producteurs ont envie de franchir le pas, des transformateurs veulent mettre en avant le terroir wallon, la recherche et l’encadrement des acteurs sont bien présents… Le terreau est là pour davantage d’autonomie de nos fermes et la valorisation de notre artisanat ! Qu’est-ce qu’on attend ? Qu’est-ce qui nous freine encore ?