Coup dur pour tous les fidèles du salon Valériane, organisé par Nature & Progrès… Coup dur pour tous les bio de la première heure – et des suivantes – qui aiment s’y retrouver pour bavarder, manger ensemble, trinquer avec enthousiasme… et modération ! En 2020, Valériane n’aura pas lieu ! Fut-ce une sage décision ? Nature & Progrès s’explique…

Interview de Jean-Pierre Gabriel, président du Conseil d’administration de Nature & Progrès.

Propos recueillis par Dominique Parizel

Valériane
- Jean-Pierre, fallait-il vraiment annuler Valériane ?

Le problème est évidemment que personne n’a de boule de cristal. Le pic mondial de la pandémie n’est toujours pas dépassé à l’heure où nous parlons et bien malin qui peut dire où nous en serons début septembre, même en Wallonie… De toute façon, les événements « de masse » sont interdits jusqu’au 31 août, et les dates de Valériane sont d’ailleurs fort proches de cette limite. Or nous avons vu bien des organisations comparables à notre salon « tomber » les unes après les autres… Nous avons tenté de résister le plus longtemps possible, eu égard à la grande fidélité de notre public et de nos exposants mais nombre d’entre eux, par mesure de prudence, se sont eux-mêmes progressivement désistés et rien n’indique qu’une fois septembre venu, notre public aurait jugé raisonnable de tenir un salon dont le principal atout est justement le contact et la chaleur humaine… Préparer un rassemblement festif de plusieurs milliers de personnes, alors qu’une seconde vague de Covid-19 n’est toujours pas exclue, nous est finalement apparu comme indéfendable.

- Une décision particulièrement douloureuse, on l’imagine aisément ?

La balance entre le rationnel et l’émotionnel l’a fait pencher du côté financier ; c’était sans doute l’attitude la plus raisonnable même si les conséquences peuvent être dommageables. Je n’imaginais pas devoir vivre cela, à la tête d’un conseil d’administration que je préside. Nous sommes là, chaque année, sans interruption depuis 1985, une époque où il fallait vraiment beaucoup de courage pour se réclamer de l’agriculture biologique, une période où l’écologie balbutiait et n’était pas encore vraiment prise au sérieux par le commun des mortels… Avec le public fidèle du salon Valériane, nous avons parcouru ensemble toutes les étapes d’une prise de conscience difficile, tout en nous efforçant de l’accompagner de passages à l’acte, pour notre santé et celle de la terre… Nous avons fait, ensemble, notre crise d’adolescence et nous pensions, à trente-six ans, avoir enfin atteint l’âge de la maturité. Un fait inattendu en a décidé autrement… Nous démontrons depuis 1985, par la tenue du salon Valériane, que l’agriculture biologique, le lien direct entre le producteur et le consommateur, l’autonomie en matière d’agriculture et d’alimentation, ainsi que le circuit court évidemment, sont les pistes les plus sérieuses pour nous garantir une alimentation de qualité. Durant le confinement, ce sont justement ces valeurs que les citoyens ont plébiscitées. Le thème de Valériane 2020, « Dès demain du 100% bio et fait maison » était donc, une fois encore, judicieusement choisi. Gageons que nous en reparlerons en 2021…

- Comment nos exposants ont-ils accueilli cette décision d’annulation ? Pourrons-nous compter sur leur participation pour l’édition 2021 ?

Nos exposants nous ont généralement témoigné une grande solidarité et je tiens à les en remercier. Le sentiment dominant était bien sûr une certaine tristesse, liée à la grande incertitude des moments que nous traversons. La grande majorité nous adressa ses encouragements à revenir plus résolus et plus forts encore, à l’automne 2021, jugeant finalement que notre décision était sage, même si elle était évidemment regrettable… Précisons que beaucoup d’entre eux hésitaient à s’inscrire vu les incertitudes qui pesaient sur la possibilité de tenir, cette année, notre salon Valériane, car il restait toujours un gros point d’interrogation pour les événements d’automne. Beaucoup n’y croyaient pas et les inscriptions arrivaient au compte-goutte… Certains trouvaient les mesures sanitaires trop strictes pour permettre un événement convivial et ceux qui avaient une ou plusieurs frontières à traverser craignaient d’être placés en quarantaine lors du retour au pays… Beaucoup évoquèrent des questions de trésorerie ; d’autres avaient déjà beaucoup plus de boulot que d’habitude, vu la confiance renouvelée que témoigna le consommateur durant la crise à tout ce qui est vente directe… Plus de la moitié des exposants avaient cependant déjà répondu présent et se montrèrent très compréhensifs lors de l’annonce de l’annulation, nous assurant de leur présence en 2021.

- Les pouvoirs publics, en ce qui concerne les foires et salons, étaient dans l’incapacité de prédire de quoi la rentrée serait faite ?

Le Conseil d’administration de Nature & Progrès dut se rendre à l’évidence, dans le courant du mois de juin : nous ne pouvions pas continuer à engager des frais pour un salon sans « certitude ». Les gros événements publics, comme les Fêtes de Wallonie, étaient déjà annulés depuis bien longtemps. De petits événements furent ensuite progressivement réautorisés, vu le bon déroulement du déconfinement au début de l’été… Malheureusement, Valériane accueille vraiment trop de monde et un monde qui a tellement de bonheur à être là qu’il aime passer de longues heures entre les murs de Namur Expo…

Nul ne pouvait prédire alors ce que serait vraiment la situation sanitaire au mois de septembre, et à quel stade en serait la pandémie, car rappelons-le le virus est toujours bien présent chez nous, même s’il n’a heureusement guère circulé pendant l’été… Qu’un salon Valériane soit éventuellement un cluster de contamination est un scénario cauchemardesque que nous ne pouvions, en aucun cas, envisager. Il n’est d’ailleurs absolument pas sûr que le public aurait répondu à notre invitation si nous avions voulu courir le risque de maintenir ce grand rassemblement. De toute façon, c’est le public qui a toujours raison, et l’organisateur tort s’il est d’un avis contraire…

- C’est un coup dur pour le secteur bio ?

Non, pas du tout. Au contraire, c’est un peu la « rançon de la gloire » ! La crise du Covid-19 a permis, à l’ensemble du secteur, de franchir un palier important, véritablement boosté par des consommateurs en mal d’une confiance que seul le contact direct, humain, semble désormais en mesure de ramener. Si le secteur bio a souffert, par conséquent, c’est surtout d’avoir à faire face à un volume de travail vraiment inattendu. Mais je crois que, globalement, nos producteurs et nos transformateurs sortent de cet épisode grandis et heureux. La bio fait une nouvelle crise de croissance dont le salon Valériane est, hélas, une très malheureuse victime collatérale. Comme le sont d’ailleurs l’ensemble des manifestations du même genre qui ne trouvent guère de solution pour continuer à exister… Valériane c’est surtout un moment chargé d’émotions où les acteurs de la bio aiment se retrouver pour parler d’avenir. Ce n’est que partie remise, espérons-le…

- Un coup dur pour Nature & Progrès, alors ?

Cela, sans aucun doute… On se souviendra de 2020 comme d’une année particulièrement pénible, du point de vue financier, pour notre association. Toutefois, un salon peu fréquenté et pauvre en temps forts aurait peut-être été pire que pas de salon du tout. Nous ne voulions pas non plus d’allées clairsemées, avec peu d’exposants sans enthousiasme, parcourues par un public méfiant n’éprouvant aucun plaisir à être là. Nous avons donc simplement pris acte du fait que les astres n’étaient pas alignés ! Ce qui n’arrange malheureusement pas nos bidons… Le salon est évidemment le noyau de notre année d’activité, c’est l’élément-pivot de la vie de notre association autour duquel énormément de choses sont structurées. De plus, un tel événement annulé, c’est déjà beaucoup de frais engagés ! En fait, la grande majorité des frais l’étaient déjà. En pure perte, par conséquent…

- C’est également un grand rendez-vous du secteur associatif qui n’a pas lieu ?

Bien sûr ! Nous savons tous que le salon Valériane est beaucoup plus qu’un simple marché – même si c’est toujours le plus grand marché bio de Belgique ! – où l’on vient juste faire ses courses, avec cette originalité chère à Nature & Progrès pourtant qu’on peut y rencontrer ceux et celles qui fabriquent ce que nous mangeons. L’aliment est beaucoup plus, à nos yeux, qu’un vulgaire objet de commerce dont on tire profit… Le secteur associatif, bien sûr, y est très présent et est également particulièrement touché par cette crise sanitaire ; il ne pourra pas non plus, malheureusement, rencontrer son public, en ce début septembre. Toutes les associations sont mises à mal cette année. Or le salon Valériane est, depuis trente-cinq ans, un véritable lieu d’échange et de confrontation d’idées où se retrouvent les associations et où elles peuvent dialoguer en toute tranquillité avec le simple citoyen. Pour beaucoup, le salon Valériane est le véritable point d’orgue qui marque la rentrée. Ne pas retrouver cela, en 2020, accuse encore un peu plus le fait que nous vivons une véritable année charnière… Qui nous mènera vers quoi ? Il faudra encore vivre quelques autres éditions du salon Valériane pour le savoir…

- Un an de perdu pour les grandes revendications de Nature & Progrès ?

Ce serait vraiment exagéré de dire une chose pareille. Néanmoins, c’est évidemment de notre plus belle tribune dont nous sommes privés cette année… Le thème choisi pour l’édition 2020, « Dès demain du 100% bio et fait maison » semble à ce point s’imposer à présent comme une évidence que nous allons lancer, dès ce mois de septembre, un vaste mouvement pour que notre alimentation soit totalement, inconditionnellement et indiscutablement bio. Riche en contacts et en respect humains… Et, plus encore, qu’elle soit faite maison, sans hésitation et exactement comme nous le voulons ! « Faite maison », cela signifie pour nous que le producteur va le plus loin possible dans la transformation de ses productions, en s’affranchissant des intrants et en produisant lui-même les aliments de son bétail et en transformant lui-même ses céréales en farine… Cela signifie aussi, pour le consommateur, jardiner autant que possible pour produire les légumes et cuisiner les bons ingrédients bio achetés chez les producteurs. Et tout cela, bien entendu, dans un esprit d’échange de pratique et de savoirs… Notre association est riche de producteurs et de transformateurs qui ne demandent qu’à proposer les fruits de leur travail, elle est riche de bénévoles férus de jardinage et passionnés de cuisine qui ne demandent qu’à partager leurs connaissances afin d’améliorer l’alimentation quotidienne de tout un chacun… Nous avons des auto-constructeurs qui développent des techniques de construction originales et qui mettent en avant des matériaux issus des sous-produits de l’agriculture de notre région… Pour rattraper le salon perdu, l’année qui vient sera donc parsemée d’ateliers et de conférences, de moments privilégiés sur nos réseaux sociaux et ailleurs qui mettront en relation toutes les personnes qui désirent produire et consommer dans le respect de l’humain et de l’environnement… Nous pouvons donc déjà annoncer qu’au vu de la demande croissante qui se ressent chez nos concitoyens, le thème « Dès demain du 100% bio et fait maison » sera, bien entendu, maintenu pour l’édition 2021. Nous avons toute une année pour le travailler en profondeur… Stimulons dès maintenant les changements qui sont dans l’air et dont le salon Valériane 2021 verra le plein épanouissement !

- Quel effet l’annulation aura-t-elle sur nos activités d’éducation permanente ?

Nous n’insistons sans doute jamais assez sur l’importance que revêt ce grand rendez-vous en matière d’éducation permanente, tant pour Nature & Progrès que pour d’autres associations qui y sont présentes… Nous serons donc contraints de faire l’impasse sur d’importantes conférences ainsi que sur les débats politiques qui sont habituellement programmés à cette occasion. Les activités de clôture de nos projets d’éducation permanente sont également compromises mais ce n’est évidemment que reculer pour mieux sauter car ces activités reprendront, dès cet automne, principalement par le biais de nos groupes locaux…

- Le Covid-19 semble avoir globalement donné un nouveau coup de pouce à la prise de conscience écologique ?

Le scénario linéaire, le business as usual, ne semble plus envisageable pour personne, y compris pour nous. Nous martelons à nos concitoyens qu’ils doivent apprendre à être résilients ; eh bien, soyons-le nous aussi et sachons rebondir pour imaginer un salon encore plus adapté à l’époque que nous traversons… Mais qu’est-ce qu’un salon résilient face à un virus et à une pandémie mondiale, je dois avouer que je n’en ai pas la moindre idée. Des plus jeunes que moi pourront peut-être m’aider à y réfléchir…

- Nature & Progrès pourra-t-il redémarrer de plus belle en 2021 et offrir à son public fidèle une version post-Covid-19 de son salon Valériane ?

Le défi est énorme ! Mais si notre public et nos fidèles exposants le veulent, nous sommes évidemment prêts à le relever. Diverses questions, pas forcément nouvelles, se reposeront cependant avec plus de gravité encore : celle des infrastructures, par exemple, Namur Expo étant toujours plus cher et plus mal adapté à nos besoins… Sans doute aurons-nous un important effort de créativité à produire pour cheminer vers un quarantième salon Valériane. Un salon qui reflète vraiment les enjeux du XXIe siècle…

- Cela traduira, quoi qu’il en soit, un engagement ferme et réaffirmé de la part de Nature & Progrès en faveur d’un monde plus écologique ?

Rien ne sera plus pareil avec le Covid-19, et même après lui… Le monde change et la cause de l’écologie est de mieux en mieux comprise. Elle suscite, auprès des générations montantes, une réelle adhésion positive. C’est donc le moment d’en finir, par exemple, avec ceux qui parlent encore d’ »écologie punitive ». C’est un non-sens ! Les écologistes n’ont pas inventé les crises environnementales et climatiques juste pour embêter les capitalistes et pour empêcher le peuple de s’épanouir en consommant… Au contraire, l’écologie est la solution, sans doute la seule, qu’on puisse apporter à l’épuisement des ressources et au dérèglement du climat. Les faits mettent aujourd’hui le peuple des consommateurs face à ses responsabilités ! L’écologie impose toutefois un changement radical de mentalité : plutôt que d’être celui, ou celle, qui sait tout et qui court partout, il faut d’abord faire la paix avec soi-même et avec le monde alentour. La crise de la biodiversité, la crise climatique nous montrent que l’homme n’est pas au-dessus de la nature : il y en fait intrinsèquement partie ! Toute l’alimentation du monde n’est disponible que parce qu’une mince couche de quelques centimètres de terre produit tout ce que nous mangeons. L’homme, quelle que soit son intelligence et sa richesse, n’est donc rien sans la nature qui l’entoure. Il est inutile de cueillir toutes les pommes pour le seul plaisir illusoire et dangereux de posséder beaucoup de pommes ; il en faut aussi pour les oiseaux, pour les insectes et pour les vaches… Il en faut qui pourrissent par terre pour libérer la semence et donner vie à de nouveaux jeunes pommiers…

En fait, ce n’est même pas vraiment notre problème. Prélevons juste le minimum et regardons la nature faire le reste. Elle fait tout cela beaucoup mieux que nous ne pourrions jamais le faire nous-mêmes – ou qu’une prétendue « intelligence artificielle » pourrait le faire à notre place – et nous serons plus heureux de la voir faire pleinement ce qu’elle fait si bien dans l’intérêt de tous…