Le monde est en train de basculer. Pour ceux qui partagent cette évidence, il est indispensable d’échanger des vécus, des horizons, des pratiques, des idées, des récits et même des émotions. Les regards portés sur les grandes ruptures en cours peuvent être variés, voire contradictoires, car l’avenir est plus que jamais incertain. Cette rubrique explore comment les choses sont en train de changer.
Deuxième volet : « Les océans s’élèvent, nous aussi« , indique une pancarte aperçue lors des manifestations d’élèves pour le climat. Les générations futures prennent les choses en main !
C’était presque devenu une expression vide. Tous l’utilisaient : les vrais écologistes mais aussi les faux, les entreprises, les politiciens, les professeurs ; on l’entendait partout : à la radio, à la TV, en conférence ; tout le monde était d’accord : il fallait penser aux générations futures. C’était pratique. Personne ne savait à quoi elles allaient ressembler. Elles n’étaient pas nées. C’était plus ou moins proche ou, mieux, vaguement lointain. Mais un jour, à force de laisser passer le temps, tandis qu’on inventait des éco-gestes et des petites solutions techniques individuelles à l’ombre de nos revenus assurés et de nos standards de vie légèrement verdis, tandis que le CO2 continuait d’être émis chaque année un peu davantage, tandis que les espèces disparaissaient de plus en plus vite, un jour donc, alors qu’on n’arrêtait pas de parler à leur place sans agir à la mesure des menaces, les générations futures sont arrivées. Elles parlaient déjà ! Elles se sont mises à brosser l’école pour manifester. Elles nous ont regardés avec ahurissement. C’est qu’elles avaient démasqué nos petits efforts ridicules. Nous la génération « développement durable », nous les installés qui avions pu réfléchir sereinement à la qualité de notre isolation thermique en dégustant des bières bio dans une ambiance hyper-sympa, nous étions grillés. Nous avions l’air de quoi, en 2018, quand le dernier rapport du GIEC prévenait que pour maintenir le réchauffement climatique sous le seuil des 1,5°C, « il faudrait modifier rapidement, radicalement et de manière inédite tous les aspects de la société » ? Nous avions l’air de quoi avec nos écopacks, nos tomates-cerises du potager et nos moteurs hybrides ? Les générations futures, quant à elles, avaient eu le temps de comprendre l’ampleur des bouleversements et combien dérisoires étaient nos verdissements. Oui, nous avions l’air con.