Manger bio est-il un atout décisif pour la santé ? Chez Nature & Progrès, le simple bon sens nous pousse très souvent à répondre par un « oui » franc et résolu. Il suffit de penser à la quasi-absence de résidus de pesticides dans les aliments labellisés bio. La réponse mérite toutefois quelques nuances qu’il est bon de connaître pour éviter de sombrer dans la naïveté ou dans le dogme.

Par Philippe Lamotte

Introduction

Manger bio, c’est prendre soin de sa santé. En Belgique comme ailleurs, pas un seul tenancier d’enseigne bio – sans parler du consommateur – ne serait prêt à remettre en question une telle affirmation. Ne parlons même pas des militants associatifs… Le problème est que, face aux sceptiques – il y en a dans tous les domaines… -, il faut parfois se barder de preuves ou, à tout le moins, d’indications scientifiques suffisamment probantes pour appuyer le propos. Et là, ça coince…

Modèle de société, aliment de qualité ?

Pourquoi cela coince ? On peut relever plusieurs raisons, sans qu’elles soient nécessairement exhaustives. D’abord, le secteur bio n’a vraiment décollé qu’assez récemment. Dans ce sens, peut-être n’a-t-il longtemps suscité de l’intérêt – en tout cas sur sa facette « santé » pour l’homme, au-delà de la « santé » de l’environnement – que dans des cénacles assez restreints et déjà convaincus. Deuxième raison possible : le débat sur bio et santé est parfois obscurci par des positionnements politiques ou idéologiques un peu rigides. Avouons-le : lorsqu’on défend la bio comme un modèle de société pertinent pour les relations producteurs/consommateurs, on est plutôt enclin, dans le foisonnement d’informations qui circulent, à accorder davantage d’attention à celles qui confortent ses convictions et, inversement, à minimiser la portée ou l’intérêt de celles qui les contredisent. C’est de bonne guerre, et c’est loin d’être propre au secteur bio. Tout ce qui fait eau à notre moulin est digne d’intérêt, tout ce qui heurte nos sensibilités est… d’une importance toute relative.

Voilà pourquoi, sans doute, certaines informations reçoivent souvent un large écho dans les milieux bio. Par exemple, le fait que les aliments bio contiennent en général plus d’acides gras polyinsaturés – oméga 3/oméga 6 -, de métabolites dotés de propriétés antioxydantes, de vitamines intéressantes – C, E -, de fibres, de minéraux tels que le fer, le magnésium, le zinc, etc. Voilà pourquoi, en revanche, on accorde souvent moins d’importance au fait que, selon les mêmes sources nutritionnistes, il n’est pas scientifiquement prouvé que tous ces éléments sont présents en quantité suffisamment importante pour avoir un effet positif sur la santé du consommateur. De même, s’il est souvent souligné que les contrôles officiels révèlent la quasi-absence de résidus de pesticides de synthèse dans les aliments bio, il est moins souvent fait état de certaines vérités dérangeantes que des organisations de défense des consommateurs peu complaisantes avec le bio, soulignent à intervalles plus ou moins réguliers.

Les banderilles de Test-Achats

Récemment encore, après avoir cherché les résidus de pesticides dans vingt-huit produits bio transformés vendus en grande surface, Test-Achats a mentionné la présence de fosetyl-Al, interdit dans le bio depuis 2013, et de metalaxyl dans des confitures… Que faisaient là ces produits suspects ? Mystère, sauf à admettre que la parcelle à l’origine du produit concerné ait été soumise aux pesticides répandus sur la parcelle voisine, exploitée d’une façon conventionnelle, ou bien qu’elle ait subi l’influence de résidus chimiques particulièrement résistants à la dégradation naturelle, datant d’avant la certification ? Chaque fois, reconnaissait toutefois Test-achats, les concentrations de ces produits étaient nettement inférieures aux limites admises en agriculture conventionnelle. L’association soulignait aussi le fait qu’il n’y a pas que les pesticides de synthèse qui s’avèrent néfastes pour l’homme ; c’est le cas aussi pour certains pesticides dits « naturels ». Exemple soulevé par l’association de défenses des consommateurs : le Spinosad, un produit mis au point à partir de bactéries insecticides et utilisé dans la protection biologique des fruits et légumes. De même que la roténone, une molécule organique produite naturellement à partir de plantes tropicales, mais interdite depuis 2011 en raison de ses liens avec la maladie de Parkinson.

Enfin, troisième explication à évoquer quant à la difficulté de saisir la question « bio et santé » : l’ampleur de la question. La santé est une matière éminemment complexe à étudier qui, en plus des moyens considérables à mobiliser, doit faire l’objet de nombreuses précautions méthodologiques. Ainsi, l’association statistique entre deux phénomènes ne signifie pas nécessairement qu’ils soient liés par une relation de cause à effet. Exemple : si, en tant que scientifique, j’observe qu’une cohorte de personnes s’alimentant régulièrement en bio souffre moins d’obésité ou d’accidents cardio-vasculaires, je ne peux pas en déduire que c’est nécessairement lié à leur alimentation bio. En effet, ces personnes peuvent très bien avoir développé une hygiène de vie générale qui passe notamment par la pratique régulière d’un sport, l’absence de consommation de tabac, une vie physique et mentale très équilibrée… Bref, une série de comportements dans lesquels la consommation d’aliments bio ne joue qu’un rôle mineur, voire négligeable. Allez donc prouver, parmi ces nombreux facteurs de santé, la part respective jouée par chacun – dont celle des aliments ! En voici une illustration : en 2017, en France, l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale) a démontré que le risque d’obésité était inférieur de 62 % chez les hommes grands consommateurs de bio – par rapport aux hommes non-consommateurs de bio – et de 48 % chez les femmes grandes consommatrices d’aliments bio. Mais sans pouvoir affirmer que cette différence, assez impressionnante, était vraiment due aux éléments nutritifs présents, en plus grandes quantités, dans le bio que dans le conventionnel…

Une étude scientifique inhabituelle

L’année suivante, l’Inserm a contourné cet obstacle méthodologique dans une étude sur le lien entre la consommation bio et le développement du cancer. Pour la première fois, une de ses équipes s’est intéressée à une « cohorte » très large de consommateurs – soit soixante-neuf mille personnes s’alimentant en bio !- qu’elle a suivie sur une période assez longue – de 2009 à 2016 ! -, avec la particularité notoire d’avoir neutralisé les biais méthodologiques, liés à la « multi-factorialité » de la santé, évoqués ci-dessus. Les conclusions se sont révélées à l’avantage du bio : entre les consommateurs qui s’alimentaient le plus en produits bio et ceux qui en consommaient le moins, le risque de contracter un cancer différait en moyenne de 25 %. Pour le cancer du sein chez la femme – ménopausée -, la différence était même de 34 % et, pour le lymphome, de 76 %. L’autre résultat de cette étude est d’avoir démontré que les types de cancer observés parmi la population générale concordent avec ceux qui sont observés chez les utilisateurs professionnels de pesticides – agriculteurs, viticulteurs, etc. -, ce qui n’a fait que conforter les chercheurs quant à la validité de leurs résultats.

Ce type de conclusions conforte un constat de bon sens : consommer une alimentation sans pesticides de synthèse revient à réduire le risque de contracter des maladies graves, parmi lesquelles les cancers. Du côté des agences officielles, cette relation n’est pourtant pas aussi claire qu’il y paraît à première vue. Leur position officielle consiste, en effet, à préciser que les résidus de pesticides présents dans l’alimentation conventionnelle sont largement inférieurs aux normes – les LMR, limites maximales de résidus – et, de là, que le risque pour la santé du consommateur avec les aliments non bio est proche de zéro. Sauf que voilà : même divisées par un facteur dix ou cent par rapport aux seuils connus de toxicité – afin d’élargir la protection aux enfants en bas âge et aux adultes en mauvaise santé -, les normes officielles sont parfois davantage le résultat de négociations politiques centrées sur la viabilité économique d’un secteur que le fruit de connaissances scientifiques parfaitement étayées, tournées exclusivement vers la protection du consommateur.

Les nouveaux regards scientifiques

On peut difficilement ignorer, aujourd’hui, que certaines combinaisons de polluants – les « cocktails » – sont suspectées d’être toxiques même si chacun de ces polluants pris isolément s’avère éventuellement inoffensif en très petites quantités. Des toxicologues de plus en plus nombreux estiment carrément que la toxicologie classique n’est plus à même d’évaluer correctement les risques présentés par certains produits, notamment les perturbateurs endocriniens – dont certains pesticides font partie. Rejoints par des acteurs d’autres disciplines de santé – lire l’interview du pédiatre et endocrinologue Pr Jean-Pierre Bourguignon dans Valériane n°126 -, ces toxicologues ont mis en évidence de nouveaux modes de transmission d’effets délétères sur la santé. Pour faire simple : ils ont observé chez la souris de laboratoire que certaines modifications génétiques étaient capables de passer de la grand-mère à ses petites-filles en « sautant » le stade de la mère sous l’action de polluants comme les perturbateurs endocriniens. La suspicion existe qu’il en soit de même chez l’homme. Bref, une voie nouvelle s’est récemment ouverte à la recherche, bousculant l’idée – déjà fragile – de norme telle qu’on l’entendait jusque récemment ou du vieux principe selon lequel « c’est la dose qui fait le poison ».

Voilà qui explique, peut-être, pourquoi tout qui voudrait se faire une opinion sur la relation entre bio et santé, en consultant les sources dites « autorisées » – entendez : officielles – pourrait rester bien sur sa faim. A ce sujet, le contraste qui suit est autant amusant qu’interpellant. Alors qu’en France, en février 2017, le Haut Conseil de la Santé publique déclarait qu’il fallait « privilégier des fruits et légumes cultivés selon des modes de production diminuant l’exposition aux pesticides » – précisant plus loin que « le bio est un mode de production limitant les intrants et constitue à ce titre un moyen de limiter l’exposition aux pesticides » -, en Belgique, le Conseil supérieur de la santé ne faisait, lui, pas la moindre référence explicite, dans ses cinq recommandations alimentaires de base pour la population adulte de juin 2019, aux avantages du bio, se contentant d’un conseil aussi général que « laver toujours et peler si nécessaire les fruits de saison ». Très loin, donc, d’une incitation franche et massive au bio.

Trois questions fréquemment posées

– Y a-t-il beaucoup de pesticides dans les fruits et légumes conventionnels ?

En juin 2019, l’ONG française Générations futures a publié un rapport basé sur six années de données issues de l’administration française chargée de la consommation et de la répression des fraudes quant aux résidus de pesticides retrouvés sur les fruits et légumes consommés dans l’Hexagone. Outre quelques considérations générales, on y trouve une fiche synthétique par fruit ou par légume, remarquablement claire, reprenant à la fois le nombre de cas où des résidus ont été trouvés dans les produits analysés mais aussi le pourcentage de cas où les normes ont été dépassées. A défaut de pouvoir trouver en Belgique une source aussi didactique et disponible pour le grand public, on peut au moins se référer à ces informations françaises pour avoir une idée des végétaux posant le plus de problèmes sur ce plan strictement quantitatif. Ainsi, parmi les fruits les plus contaminés, on trouve les cerises, les ananas, les clémentines, les pamplemousses – à l’inverse des bananes, avocats, prunes, poires…, tous beaucoup moins riches en résidus. Pour les légumes, le signal d’alarme est surtout à tirer à propos des céleris et des haricots, non-écossés, le meilleur bulletin étant accordé aux asperges, brocolis, betteraves, oignons, ail, etc. Avec, bien sûr, toute une série de produits classés entre ces deux extrêmes…

– Les œufs bio sont-ils sûrs ?

En 2008, diverses universités belges jettent un pavé dans la mare. Les œufs bio issus de poules élevées au domicile de particuliers contiennent davantage de dioxines et de PCB – des substances chimiques cancérigènes – que les œufs conventionnels pondus en batterie. Improbable ? Impossible ? L’explication est pourtant simple. Se déplaçant à l’air libre et sur terre battue à l’inverse des poules de batterie, les gallinacés des particuliers courent le risque de consommer divers polluants particulièrement persistants dans certains sols, où ils peuvent être présents de longue date. On sait en effet que, même si la situation générale tend à s’améliorer dans nos régions, la plupart des sols belges contiennent des dioxines issues de l’ensemble des activités de combustion, qu’il s’agisse de simples feux de bois, d’incinérations de déchets ménagers ou de process industriels à vaste échelle. C’est précisément la raison pour laquelle il est recommandé, encore aujourd’hui et particulièrement dans les régions à longue tradition industrielle, de ne pas laisser les poules de jardin manger directement au sol mais bien dans un contenant stable et solide, débarrassé de toute terre. Et, évidemment, de ne pas les laisser s’ébattre sur une parcelle ayant abrité autrefois des remblais d’origine et de qualité douteuses. En 2008, ce genre de cri d’alarme a pu inquiéter un bref moment. Il est vrai que la crise de la dioxine qui, neuf ans plus tôt, avait abouti au massacre de centaines de porcs et de poulets, à la suite d’une contamination massive survenue dans les élevages industriels, s’était déjà un peu effacée des esprits…

Et les mycotoxines ?

Le cas des mycotoxines, notamment des aflatoxines, se situe un peu à part. Il s’agit de métabolites secondaires secrétés par des moisissures qui, pour certaines – il en existe des milliers ! -, peuvent présenter un gros danger pour la santé du consommateur. Certaines sont cancérogènes et mutagènes, d’autres sont dommageables pour le foie, les reins et le système nerveux. On les trouve dans certains fruits mais surtout dans les fruits secs et les céréales. Leur développement est le plus souvent combattu avec des produits fongicides, interdits en agriculture biologique. Certaines études ont suggéré que les mycotoxines étaient plus présentes dans les céréales bio que dans les produits conventionnels en raison de méthodes ou de procédés de récolte et de conservation différents. Toutefois, la rotation des cultures pratiquée dans le bio pourrait réduire ce risque mais cette question reste à trancher. En tout cas, en 2003, l’AFSSA, en France, avait mis en évidence des niveaux de contamination assez variables de produits bio avec les mycotoxines, avec quelques cas de fortes contaminations sans que l’on puisse toutefois dégager de grandes différences avec les produits conventionnels. Selon Denis Lairon, directeur de recherches émérite à l’Inserm, on trouve dorénavant moins de mycotoxines dans les produits bio que dans les produits conventionnels. En France, en tout cas.

Bon sens, prudence et pondération

Que retenir de tout cela ? D’abord un constat général. Même si l’ingestion d’aliments n’est qu’une voie parmi d’autres d’absorption des substances toxiques – pensons à l’inhalation et au contact par la peau, souvent sous-estimés -, le fait que les aliments bio contiennent nettement moins de pesticides que les aliments conventionnels est un élément positif et rassurant. La richesse en éléments nutritifs positifs est un autre atout du bio mais ne constitue pas, à ce stade, une preuve absolue de bienfaits pour la santé. Il faut toutefois éviter de gâcher de tels atouts par d’autres comportements liés à une mauvaise hygiène de vie : manger trop gras ou trop salé, négliger l’exercice physique, voire manger des produits trop transformés – même bio ! Même dans les supérettes bio, on peut trouver des produits très éloignés de l’idée habituelle de produits « naturels », à tel point que leur aspect bio s’en trouve gommé par des désavantages nutritionnels évidents. La diététique est donc une affaire complexe, même débarrassée de toute notion éthique, sociale ou environnementale : pensons à l’huile de palme ou de coco bio…

Quant au caractère prétendument inoffensif de certains traitements bio, il est bon de rappeler que tout est affaire de mesure. Même si le sulfate de cuivre et la bouillie bordelaise sont admis dans l’agriculture biologique, certains maraîchers refusent de les utiliser depuis longtemps ou, alors, en appellent à la prudence et, en tout cas, à des critères très stricts d’arrosage ou de pulvérisation : rythme, époque, dosage… Sous peine d’adopter une posture purement dogmatique, mieux vaut garder un œil vigilant sur tout ce qui pourrait, demain ou après-demain, remettre tous ces éléments en question dans un sens ou dans un autre. Ainsi que le résumait un des auteurs de l’étude sur l’obésité de l’Inserm évoquée plus haut, « la science demande du temps et de la patience. Les objections des sceptiques ne peuvent justifier l’attentisme. Dans un climat morose, prouver que changer son alimentation peut positiver sa santé, c’est intéressant »…

Nous rappellerons aussi que Nature & Progrès met en place différents outils qualitatifs qui permettent aux agriculteurs signataires de sa charte éthique d’aller très au-delà de la bio strictement réglementaire. Le consommateur, quant à lui, doit savoir que la bio n’a jamais eu le projet de satisfaire son ego dans le cadre d’une action qui se limiterait à un simple marketing. L’agriculture biologique a vu le jour pour sauvegarder l’environnement et pour permettre à l’agriculteur de prendre soin du sol qui nous nourrit.

Sources

Qualités et consommation des aliments bio : un grand pas vers l’alimentation durable ? – Denis Lairon, Directeur de recherche émérite Inserm

– Etude NutriNet-Santé (volet Bionutrinet), Inserm 2018

– Jama International Medicine, octobre 2018

– Biowallonie n°21, État de lieux des résidus de pesticides dans les fruits et légumes, Générations futures