Pourquoi ne pas agir pour la nature en milieu urbain ?

La diversité du vivant ne cesse de s’éroder, un peu partout sur la planète… C’est, du moins, ce que concluaient, fin mars, quatre rapports publiés par la Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES). Mais les hameaux campagnards sont-ils seuls aptes à abriter une vie foisonnante et diversifiée ? L’exemple à suivre d’un îlot paradisiaque tapi au cœur de la grande métropole lilloise devrait – nous l’espérons – nous convaincre que la sauvegarde de la biodiversité concerne aussi le milieu urbain…

Par Morgane Peyrot

 

Introduction

Belle étendue fleurie de coquelicots et de bleuets, friches et verger où s’épanouissent librement bardane, consoude, grande berce et plantes sauvages variées. Sans oublier la mare, sous la voûte arborée où barbotent en cœur, grenouilles, libellules, dytiques et autres larves insoupçonnées… On a peine à croire que ce cadre idyllique n’est autre que l’enceinte d’un établissement scolaire ! Au lycée Louis Pasteur, à Lille, la vie est un champ d’expérience quotidien où les membres du corps enseignant et les élèves du « club science » – ou simplement les intéressés – s’activent à la fauche, aux plantations et même aux suivis scientifiques.

Sous l’impulsion du professeur Manuel Pirot, le lycée s’est doté, en 2014, d’un plan de gestion – un document définissant les objectifs et les modes d’intervention dans le cadre de la gestion d’un milieu, ou d’un espace vert – dont les multiples enjeux pédagogiques et environnementaux ne s’annonçaient pas évident à mettre en œuvre et à pérenniser sur la durée. Le bilan après ces premières années ? L’expérience est, en tous points, une réussite !

Une richesse exceptionnelle…

En termes de biodiversité, les suivis faunistiques et floristiques renouvelés chaque année sont sans appels. Ils dénotent une réelle diversification des habitants de ces lieux, avec l’apparition de nouvelles espèces, notamment l’Ophrys abeille (O. apifera), une orchidée sauvage protégée dans le Nord-Pas-de-Calais et peu commune en ville. En tout, pas moins de cent cinquante espèces végétales furent recensées sur les différentes parcelles de l’établissement ! Ont été dénombrées également une trentaine d’espèces d’oiseaux : des petits passereaux nicheurs tels l’accenteur mouchet, le pinson des arbres ou le roitelet huppé, aux grands limicoles, voyageurs de passage, en passant par les oiseaux de proie : le héron cendré, le canard colvert ou le faucon crécerelle. De nombreux insectes sont de la partie également, dont certains avaient déserté les lieux. Dans les espaces ouverts, cohabitent une dizaine d’espèces de coccinelles et de papillons. Les mares, entres autres, abritent au moins six espèces de libellules, divers insectes aquatiques comme le dytique ou de petites punaises d’eau, mais encore des amphibiens, notamment le triton ponctué (Lissotriton vulgaris), assez inattendu en pleine métropole ! Cette diversité a été rendue possible notamment par la mosaïque de milieux créés en vue du plan de gestion : potager et verger, zones de friches ou de prairies et les mares, permanentes ou temporaires, offrent des habitats complémentaires pour l’accueil de la faune et de la flore indigène.

Trouvons là une belle preuve que les espèces végétales et animales ne sont pas allergiques aux milieux urbains et que le moindre espace semble pouvoir leur procurer un cadre de vie adéquat, non négligeable pour prévenir la disparition de certains oiseaux rares.

Et des bénéfices pédagogiques…

Tout au long de l’année scolaire, des animations et des ateliers sont mis en place, chapeautés par M. Pirot ou ses collègues enseignants, afin de dynamiser le projet de gestion et d’y impliquer les élèves, ce qui n’était pas gagné d’avance !

« Les élèves, citadins pour la plupart, ne connaissaient pas grand-chose à la nature ou au jardin. Il a donc fallu les motiver, puis les accompagner pour qu’ils comprennent l’intérêt des actions menées« , livre M. Pirot. De plus, de gros moyens de communication ont été mis en œuvre pour annoncer les ateliers : affichage sur les écrans du hall, mail diffusé sur l’ENT – le site Internet du lycée -, à tous les inscrits du « club science », etc. Tous ces efforts se sont finalement révélés salutaires. A chaque évènement, dix à trente jeunes se sont mobilisés pour participer aux semis et plantations du potager ou du verger, partir à la chasse aux papillons, et même faucher les espaces laissés en friche. Ces ateliers, qui ont lieu hors temps scolaire, sont aussi destinés à sensibiliser les familles. Les parents sont invités à participer, frères et sœurs sont parfois amenés par les élèves. Il n’y a pas d’adhésion, ni d’obligation de venir à tous les chantiers. La participation régulière à ces activités basées sur le volontariat est définitivement synonyme de la bonne volonté des jeunes. Même d’anciens élèves ont répondu présent à l’appel : une implication citoyenne et écologique se fait sentir sur le long terme ! Sans compter les connaissances techniques et scientifiques que le projet a apporté aux lycéens – rédaction d’articles dans le journal du lycée, connaissance naturalistes et utilisation de matériel et de logiciels dédiés… -, et la découverte de nouveaux métiers grâce à la rencontre de professionnels qui sont intervenus sur de nombreux chantiers.

Grâce aux efforts de chacun

Le processus fût long, et le projet s’est construit progressivement. Avec le temps, de nouvelles idées ont émergées. La première année fût inaugurée avec la plantation de haies, la fauche manuelle d’espaces laissés en friche – depuis, elle est effectuée, chaque année, par les professeurs et les lycéens ! – et la formation des élèves à l’identification des oiseaux. Puis s’ajoutèrent le potager, le verger désormais établi en agroforesterie grâce à l’association Les ajoncs ou encore la gestion des mares – sans oublier la sensibilisation du jardinier ! Les appels à projet lancés par la région Hauts-de-France ont été suivis et étudiés pour faire financer une partie des chantiers, notamment via le programme « Biodiver’lycée« , un projet pédagogique destiné à améliorer, chez les lycéens, la conscience des enjeux de la biodiversité et des impacts de l’Homme sur l’environnement et le climat. Révisé en 2018 par le Conseil Régional des Hauts-de-France, il devient « Génération + Biodiv’« . Cette nouvelle version du programme vise à amener et développer la biodiversité sur les sites mêmes des établissements scolaires dotés d’espaces verts ou les lieux publics de proximité, en développant l’écocitoyenneté chez les lycéens et les membres de la communauté éducative. Une aubaine qui fût saisie pour la mise en œuvre du plan de gestion, d’une part, mais il y eu également, d’autre part, beaucoup de soutiens de la part de la municipalité, des parents d’élèves et de diverses associations locales. Citons Les Blongios, ou encore Nord Nature Chico Mendès, partenaire très impliqué dans la gestion et le suivi du projet.

Voilà un bel exemple de mobilisation citoyenne qui a permis le succès de cette entreprise, plus que louable, non seulement pour l’environnement et la biodiversité, mais aussi pour tous les bienfaits apportés aux élèves ainsi qu’à leurs familles. Grâce aux ateliers du « club science » de Louis Pasteur, les jeunes viennent avec plaisir se retrouver en dehors des heures de cours et s’approprient un peu mieux l’environnement de leur lycée, sentant qu’ils font ensemble quelque chose d’utile pour eux-mêmes, pour les autres et pour la planète. Conscients du pouvoir qui est réellement le leur, ils deviennent – pour paraphraser le titre d’un film qui fut très populaire – de véritables « Indiens dans la ville » !

Moralité : rien n’est impossible !

Si la gestion des espaces du lycée profite à la faune et à la flore, elle en fait également un milieu nourricier. Trois ruches ont été implantées, aux abords de l’établissement, afin de donner une dimension supplémentaire au projet, et favoriser une découverte inédite pour les élèves. Cette année, plus de vingt kilos de miel ont été extraits par les élèves en septembre et en juillet ! Sans oublier la récolte au potager qui s’est révélée particulièrement bonne à l’automne dernier. Autant dire que les activités ne manquent pas, de même que l’abondance qui profite à chacun et donne aux lycéens le vrai « goût de la nature, et des bonnes choses ».

Grâce à la ténacité et aux efforts indéfectibles de chacun, des actions similaires sont possibles dans de nombreux établissements scolaires de France et de Navarre. Et de Belgique aussi… Elles resserrent les liens, enseignent le respect. Encore faut-il avoir vraiment pris conscience de la gravité de la situation…