Les prairies permanentes comptent parmi les milieux les plus riches en biodiversité. Il est donc particulièrement important de ne pas les polluer en les arrosant pesticides. Mais que représentent exactement les prairies à l’échelle de la Wallonie ? Et qu’en est-il de l’utilisation des pesticides sur les prairies wallonnes ? Bref, préserver nos prairies permanentes, le jeu en vaut-il vraiment la chandelle ? Voilà ce que nous nous proposons d’analyser…

Par Catherine Buysens

Introduction

La prairie est un peuplement végétal composé principalement de graminées – Poacées -, de légumineuses – Fabacées – fourragères et d’autres dicotylées. Elle est destinée à l’alimentation du bétail, principalement celle des ruminants. La composition botanique d’une prairie peut être fort différente selon l’âge de la prairie, les techniques d’exploitation – fauche, pâturage -, le sol et le régime hydrique, la localisation – altitude -, etc.

On distingue deux grands types de prairies :

– la prairie permanente qui est une surface enherbée depuis plus de cinq ans et qui n’entre normalement pas dans une rotation ; elle est composée d’espèces pérennes comme le ray-grass anglais – RGA -, la fétuque des prés, la fléole, le dactyle et le trèfle blanc ;

– la prairie temporaire qui entre régulièrement dans la rotation – de un an à quatre ou cinq ans. Les espèces qui la composent sont peu pérennes mais très productives. On retrouve notamment le ray-grass italien, le ray-grass de Westerwold, le ray-grass hybride, le trèfle violet… Une prairie temporaire de longue durée – trois ans et plus – nécessite d’implanter des espèces pérennes moins productives – ray-grass anglais, fléole…

En règle générale, les prairies temporaires sont fauchées alors que les prairies permanentes sont, le plus souvent, pâturées ou exploitées sous régime mixte fauche/pâture. Sous notre climat, nous recherchons à favoriser la famille des graminées qui constitue l’essentiel d’une bonne prairie – 75% – à condition que celles-ci soient classées dans la catégorie des bonnes graminées – ray-grass anglais, fléole, pâturin des prés… La famille des légumineuses sera plus ou moins développée en fonction du mode d’exploitation.

Les autres plantes peuvent représenter un certain pourcentage de la flore – jusqu’à 20% – à condition de tenir compte de la spécificité des adventices. Certaines sont bénéfiques à la qualité du fourrage et donc pour l’animal car elles sont généralement assez riches en minéraux et autres métabolites secondaires. D’autres sont toxiques ou encore totalement inutiles car non appétées, gênantes pour la récolte… Ainsi tolère-t-on la présence de 10% maximum de berces, d’anthrisques, d’achillées millefeuilles mais seulement 5% d’orties, de rumex, de chardons, de renoncules âcres. Le pissenlit, quant à lui, sera toléré jusque 20%.

Les surfaces enherbées représentent 23% de la surface de la Wallonie (figure 1). Les prairies permanentes représentent 304.523 hectares, c’est-à-dire à peu près 42% de la surface agricole utile wallonne (SAU). Les prairies temporaires représentent 35.794 hectares, c’est-à-dire 5% de la SAU. Les autres cultures fourragères représentent 8 % – dont 87% de maïs fourrager -, le reste est occupé par des céréales (25%), des cultures industrielles – 10% dont 60% par des betteraves sucrières -, des pommes de terre (6%) et d’autres cultures (4%) (figure 2).

La répartition des prairies au sein de la Wallonie est très variable en fonction des régions et de leurs spécificités de climat et de sol. Par exemple, en Haute-Ardenne, 95,5 % de la SAU est constituée de prairies. Par contre, dans les zones limoneuses propices aux cultures, seuls 20 % de la SAU sont consacrés aux prairies. Les prairies gérées en respectant le cahier des charges de l’agriculture biologique représentent 15 % de la totalité de la superficie des prairies wallonnes.

Dans les régions où, à cause du climat et du type de sol, les prairies sont les seules « cultures » possibles, les ruminants – bovins, ovins et caprins – sont les seuls capables de transformer l’herbe en lait et en viandes de qualité. On ne peut pas parler de concurrence entre l’alimentation humaine et celles des ruminants puisque, sans eux, ces terres ne pourraient pas être valorisées.

L’utilisation de pesticides dans les prairies wallonnes

Le contrôle des adventices, les plantes indésirables, en prairie est une des préoccupations majeures des éleveurs car leur prolifération peut devenir problématique lorsqu’il s’agit de plantes toxiques ou invasives, qui entraînent une perte au niveau de la productivité du couvert. La gestion des prairies est une affaire d’équilibres délicats – typiquement liés aux conditions de station – qu’il convient de connaître et de préserver. Dans les prairies bio, il n’est bien sûr pas question d’utiliser de pesticides. Dans les prairies conventionnelles, le recours aux pesticides au niveau des prairies permanentes demeure assez occasionnel et correspond généralement à l’emploi d’herbicides contre les rumex, chardons, orties et autres renoncules, notamment présentes en raison d’une gestion du sol non adaptée. Le désherbage chimique est donc une opération de rattrapage d’une situation qui a dégénéré suite à l’apparition trop importante d’une ou plusieurs adventices. Une prairie trop envahie de plantes indésirables sera soit complètement détruite avec un herbicide total pour la rénover complètement, soit uniquement nettoyée en utilisant un herbicide sélectif. Cette pratique est souvent appliquée, étant donné que c’est une solution facile, rapide et peu coûteuse pour se débarrasser momentanément de symptômes d’un mode de gestion inadapté, tels que l’apparition ou prolifération de plantes indésirables mais ne fournit pas de réelle solution et ne fait que masquer les causes. La grande majorité des traitements utilisés concernent la problématique du rumex. Le rumex a une influence négative sur les paramètres alimentaires du fourrage, diminution de la digestibilité, des valeurs énergétiques et protéiques. Cependant, les herbicides sélectifs efficaces contre le rumex impactent également certaines légumineuses. Un traitement herbicide est donc souvent suivi d’un sur-semis de mélange fourrager pour combler les vides.

L’apport de pesticides en prairie conventionnelles est faible par rapports aux autres cultures comme les vergers et la pomme de terre (figure 4). La dose d’application de substances actives représente la quantité moyenne de substances actives appliquées par hectare de culture. Elle est exprimée en kilos par hectare. Cependant, en prairie conventionnelle l’application de pesticides concerne, en général, uniquement les herbicides. La catégorie de produits pour laquelle les quantités vendues ont été les plus élevées en Belgique pour la période comprise entre 1992 et 2010 – à l’exception de l’année 2009 – concerne la catégorie « herbicides » (figure 5). De 2005 à 2010, on assiste à une véritable chute des données de vente nationales des quantités totales d’herbicides (-74,5%) expliquée par le retrait du chlorate de soude sur le marché belge ainsi que par la diminution drastique des ventes de sulfate de fer (-88%) et de glyphosate (-56%).

Actuellement, afin de protéger l’environnement, comme par exemple l’eau, les pesticides ne peuvent pas être utilisés sur certaines zones. Nous pouvons cependant constater que des pulvérisations localisés y sont quand même autorisées. Prenons, par exemple, les zones tampons qui sont des bandes de terrain non traitées, établies entre une surface traitée et les eaux de surface ou entre une surface traitée et les surfaces pour lesquelles le risque de ruissellement vers les eaux de surface est élevé. L’objectif d’une zone tampon est de protéger les organismes aquatiques et, de manière plus générale, les eaux de surface, des pesticides entraînés par les brumes de pulvérisation. Cependant, le traitement localisé – au moyen d’un pulvérisateur à dos ou à lance ou par injection – contre certains chardons – Carduus crispus, Cirsium lanceolatum, Cirsium arvense -, rumex – Rumex crispus, Rumex obtusifolius – et contre les plantes exotiques envahissantes – berce du Caucase, balsamine de l’Himalaya – y est autorisé. Dans les prairies des zones Natura 2000 et dans le cahier de charge des prairies gérée par des méthodes agro-environnementales et climatiques (MAEC), l’utilisation des herbicides n’est également pas autorisée, à l’exception d’un traitement localisé contre les chardons et le rumex avec un herbicide sélectif. Pourquoi ne pas interdire complètement l’utilisation d’herbicides dans ces zones ? Des alternatives efficaces existent pourtant. Le traitement des prairies avec des pesticides est surtout une catastrophe pour l’entofaune par la disparition des plantes fleuries, sources de nourriture pour les insectes.

Importance de préserver nos prairies permanentes wallonnes

En plus de son utilisation pour l’alimentation du bétail, la prairie a aujourd’hui d’autres rôles à jouer sur l’environnement, sur la conservation de la nature et des paysages. Grâce au processus naturel de la photosynthèse, l’herbe des prairies utilise le dioxyde de carbone de l’air – le CO2 -, l’énergie solaire et l’eau pour pousser. Le carbone s’accumule ainsi dans les tissus végétaux, puis dans le sol sous forme de matière organique quand les plantes meurent. C’est pourquoi on dit que le sol des prairies permanentes stocke du carbone : sous nos climats, en moyenne 760 kilos par hectare et par an dans l’état actuel des connaissances. En revanche, si elles sont labourées, le carbone stocké est réémis, sous forme de CO2, lorsque la matière organique du sol entre en contact avec l’oxygène de l’air. Il est donc important de maintenir les surfaces de prairies permanentes et leur stock de carbone.

La prairie a également un rôle important dans le cycle de l’azote car elle permet de limiter le lessivage des nitrates et donc la pollution des eaux. Certaines plantes qui composent la prairie sont capables de pousser à des températures proches de 0 °C, ce qui signifie que la nitrification de fin d’hiver est immédiatement valorisée. De plus, certaines plantes prairiales – des légumineuses telles que les trèfles – sont capables de fixer l’azote atmosphérique.

Une prairie est couverte en permanence, ce qui limite efficacement les phénomènes d’érosion du sol. De plus, certaines prairies renferment une diversité biologique extrêmement importante : il existe peu de prairies mono-spécifiques. Il s’agit principalement d’associations de différentes espèces. Enfin, elles constituent des zones d’habitat pour la faune. Les prairies ont donc un rôle important dans la préservation de la biodiversité de la faune et de la flore.

Même s’il s’agit d’un critère subjectif, la prairie participe aussi à la qualité du paysage. Qui n’a pas en tête les paysages du plateau de Herve ou des prairies ardennaises ? Ce caractère paysager est un atout touristique indéniable. La prairie donne également une image de marque au produit qui s’y rapporte. Certains labels concernant la viande ou les fromages sont liés à l’utilisation importante de l’herbe. La prairie peut également avoir une influence sur les qualités organoleptiques d’un produit.

Une conclusion, une évidence…

Que dire de ceux qui scient, non sans une apparente jouissance, la branche sur laquelle ils sont assis ? Comment qualifier le mal qui les afflige ? On peut en discuter longuement… Dans l’intervalle et par mesure de précaution, on interdira complètement et dans l’urgence toute utilisation de pesticides !

Cela, d’autant plus, que nos visites dans les fermes bio montrent que les alternatives aux pesticides existent bel et bien, et sont régulièrement mises en œuvre. Nous espérons qu’elles inspireront les agriculteurs conventionnels et qu’elles leur permettront peut-être de soigner le grave déni dont ils souffrent plus que jamais… Mais c’est sans doute une toute autre histoire, et cette histoire-là ne concerne sans doute pas l’agronome…