Nature & Progrès, chacun le sait, milite depuis de longues années pour la généralisation de l’agriculture biologique. Dans l’intervalle, nous devons cependant continuer la lutte contre les pesticides qui n’ont de cesse d’empoisonner nos campagnes. Mais, en attendant leur bannissement total, des mesures d’urgence doivent être prises pour protéger les pauvres gens qui habitent dans des zones très exposées. A ce troisième niveau de combat, la France envisage aujourd’hui une initiative intéressante : l’établissement de zones non traitées dans les zones d’habitat. De quoi s’agit-il ?

Par Marc Fichers

Introduction

En France, comme en Wallonie, les pesticides sont agréés avec une attention renforcée pour la santé et pour l’environnement, et les agriculteurs qui utilisent ces produits sont tenus de respecter une règlementation très stricte. Les pesticides, pourtant, se retrouvent massivement dans l’environnement, ainsi que l’a montré l’étude Propulpp (1), coordonnée par l’Institut scientifique de service public (ISSEP). Cette étude a mesuré l’exposition des populations rurales aux pesticides dans les heures et les jours consécutifs aux traitements et, si l’essentiel de la pollution se produit pendant les deux heures qui suivent la pulvérisation, certains produits continuent à se déposer douze heures ou même vingt-quatre heures plus tard. D’autre part, si la pollution diminue au fur et à mesure qu’on s’éloigne du champ, elle est toujours bien présente jusqu’à cinquante mètres de distance. Il n’y a donc plus de doutes que ces produits se retrouvent en bord de champs, dans les jardins des particuliers… Dans des quantités certes minimes, jugent leurs défenseurs qui affichent cependant un refus malsain d’analyser toute forme d’ »effet cocktail » occasionnée par les différentes molécules disséminées et leurs métabolites.

Des riverains légitimement inquiets

Comme dans des cas d’épidémies, inciter les riverains à se protéger est la première mesure sanitaire qu’il faut prendre. Voir là une volonté délibérée d’attiser leurs peurs est une attitude de très mauvaise foi qui n’est plus supportable. Des mesures furent donc prises, au niveau wallon, par le Ministre de l’Environnement (2) mais elles ne pourront rien changer puisqu’elles n’apportent, au fond, rien de plus que les bonnes pratiques déjà en vigueur. Elles ont toutefois le mérite de mettre en avant la prise de conscience que les pesticides épandus sur un champ dérivent. Ce fait ne sera donc plus contesté : les pesticides agricoles mettent en danger la santé des riverains qui sont en droit d’exiger un environnement sain. Les riverains sont donc légitimes à demander aux pouvoirs publics qu’ils les protègent.

Soulignons ici que ces pesticides, dans leur grande majorité, sont utilisés sur des cultures qui ne servent pas à nourrir la population : trente-huit mille hectares de pommes de terre – alors que quatre mille sont suffisants pour la consommation des Wallons et des Bruxellois -, des céréales qui servent majoritairement à nourrir le bétail – et pour un quart d’entre elles à fabriquer… des biocarburants ! La population doit donc subir les effets néfastes de productions qui ne servent pas l’intérêt général et qui n’ont aucun caractère d’urgence. Est-ce vraiment tolérable ? N’est-ce pas à l’utilisateur – et donc à l’agriculteur- qu’il incombe de tout mettre en œuvre pour que les produits qu’il choisit d’utiliser, dans son seul intérêt, restent sur le champ et ne s’échappent pas polluer la vie d’autrui.

Protéger la population en réorientant l’agriculture

Aux yeux de Nature & Progrès, la seule façon de sortir de cette crise « par le haut », dans l’intérêt de tous, est d’opter résolument pour une Wallonie sans pesticides. C’est le conseil que nous donnerons au prochain gouvernement wallon, aussitôt qu’il sera en place. Ceci suppose de soutenir plus encore le développement de l’agriculture biologique B – mais n’est-ce pas ce que demandent explicitement les consommateurs ? – et de transférer l’ensemble des moyens humains et financiers actuellement dévolus à la recherche et à l’encadrement des pesticides vers la recherche et l’encadrement des alternatives aux pesticides. C’est de pure logique, non ! Soulignons ici que la recherche et l’encadrement des pesticides actuellement mis en œuvre visent à optimaliser l’utilisation de ces produits, alors que leur usage est bien connu des agriculteurs et qu’ils n’ont plus grand-chose à apprendre dans ce domaine. Pour ce qui est des alternatives utilisées en bio, par contre, les agricultures ont aujourd’hui grand besoin d’être encadrés ! Ces alternatives existent, comme le montre notre action, et leur généralisation placerait notre région dans une position d’excellence. Qu’est-ce qu’on attend ?

Dans l’attente d’un territoire débarrassé – aussi rapidement que possible ! – des pesticides, il demeure urgent de protéger les populations de première ligne. Mais comment faire ? Tout mettre en œuvre, bien sûr, pour que les pesticides soient uniquement appliqués sur les cultures. Pourrons-nous encore admettre longtemps d’un agriculteur ne se sente en rien responsable du fait qu’on retrouve – dans l’eau, dans l’air et dans les cours d’écoles – les pesticides qu’il épand ? Interdire les pesticides les plus dangereux – et les plus polluants – serait donc un minimum, dans l’intérêt des riverains, protéger les zones d’habitations en interdisant l’application de pesticides dans les zones d’habitat constituerait un pas supplémentaire. Les aides de la PAC (Politique Agricole Commune) pourraient être orientées dans ce sens ; c’était le cas jadis quand les villages étaient encore entourés de prairies…

Les politiques ne peuvent rester sourds plus longtemps à la demande des consommateurs qui réclament avec force un environnement sain, acceptant pour ce faire d’acheter plus chers des produits biologiques… Les agriculteurs, quant à eux, doivent saisir l’opportunité de produire de quoi nourrir la population locale sans polluer son environnement. Tournons, pour cela, résolument le dos à une production destinée au marché mondial. Nous n’avons vraiment plus rien à y gagner !

Une initiative venue de France : des "zones non traitées"

Eviter que des riverains de parcelles agricoles ne soient exposés, bien malgré eux, à des traitements phytosanitaires est un sujet qui fâche, en France également, depuis de très longues années, tant du côté des agriculteurs que de celui des associations de protection de l’environnement et des citoyens.

Lors des débats sur la loi EGALIM – loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous -, le gouvernement français a refusé de mettre en place des mesures trop restrictives concernant l’encadrement des pratiques phytosanitaires, préférant se fier – nous en avons parlé – aux « bonnes pratiques » des agriculteurs. Celles-ci devraient être formalisées, à partir du début de l’année prochaine, dans des chartes d’engagements rédigées à l’échelle départementale, en concertation avec les citoyens ou leurs représentants. Un groupe de travail a été mis en place pour définir les modalités de mise en œuvre de ces chartes. Lors d’une réunion de ce groupe de travail, le 27 juin dernier, le gouvernement a toutefois présenté des projets de décret et d’arrêté bien plus ambitieux, envisageant la mise en place des « zones non traitées » (ZNT), de cinq à dix mètres de large, et leur combinaison avec d’autres mesures de réduction des dérives. Cette mesure avait déjà été envisagée en 2016 mais avait été enterrée devant la levée de bouclier d’une partie du monde agricole… Ceci fait partie d’un ensemble de mesures réglementaires comprenant notamment la meilleure information des riverains : les utilisateurs de produits phytosanitaires devront les avertir, au plus tard douze heures avant, de l’application d’un traitement phytosanitaire. Les ZNT seront de cinq mètres pour les cultures basses et de dix mètres pour les cultures hautes, comme la vigne… En cas d’utilisation de dispositifs anti-dérives, les ZNT pourront être réduites respectivement à trois et cinq mètres….

La position du gouvernement français a significativement évolué car deux rapports d’expertise commandés à l’Agence de sécurité sanitaire (Anses) et aux inspections des Ministères de l’Agriculture, de l’Ecologie et de la Santé ont préconisé la mise en place de telles distances minimales pour protéger les populations à proximité des zones de traitement. De plus, le Conseil d’Etat a partiellement annulé l’arrêté du 4 mai 2017 réglementant l’utilisation des pesticides « au motif que ces dispositions ne protégeaient pas suffisamment la santé publique et l’environnement » ; la haute juridiction enjoint le gouvernement à prendre les mesures réglementaires nécessaires dans un délai de six mois.

Que dit exactement l’Anses ?

L’Agence fait tout d’abord le constat que les expositions aux produits phytopharmaceutiques, lors des applications et a posteriori, sont de deux ordres : par voie cutanée et par inhalation. De nombreuses études sont en cours pour évaluer ces expositions mais l’Anses recommande néanmoins la mise en place de mesures de précaution combinées : distances d’éloignement minimales entre la zone traitée et les zones à protéger, réduction de la dérive avec le recours à des buses antidérive et à des matériels ou techniques d’application appropriés…

L’Anses constate que les mesures mises en place n’ont pas permis d’assurer une protection suffisante. Depuis 2016 et la publication d’une instruction de la direction générale de l’alimentation (DGAL), des mesures de protection doivent, en effet, être mises en place à proximité d’établissements accueillant des personnes vulnérables : écoles, établissements de santé… L’Agence recommande cependant d’aller plus loin en intégrant des distances minimales de non traitement, « dont une ZNT systématique d’au moins cinq mètres sans dérogation, la combinaison des mesures de protection, un élargissement de la liste des établissements sensibles et des obligations d’information du public« . Elle préconise également un délai minimal de six heures entre la fin du traitement et la présence éventuelle des personnes vulnérables. Elle recommande, par ailleurs, la mise en place de critères de validation des chartes départementales de protection des riverains : mesures allant au-delà de la réglementation, présence de dispositifs de pilotage et de suivi, d’information et de règlement des différends… Le contrôle et les sanctions devraient par ailleurs être renforcés : utilisation obligatoire du GPS lors des traitements jouxtant les zones sensibles pour permettre un contrôle a posteriori, suspension des Certiphyto « pour une durée significative« , renforcement des inspections… Un dispositif de signalement devrait également être mis en place.

Des recommandations particulièrement drastiques, on le voit, qui pourraient bien inspirer les autorités sanitaires en Belgique…