Nul besoin de connaître parfaitement les rouages de la législation européenne pour comprendre ce qu’est vraiment l’agriculture biologique aujourd’hui. Voici donc un angle d’approche qui concerne les implications et applications concrètes du label européen, qui donnent toute sa légitimité à l’ »Eurofeuille« … Un petit détour par l’expérience locale du Réseau RADiS confirmera ensuite le rôle essentiel de la bio dans la transition vers une alimentation respectueuse et solidaire.

Par Mathilde Roda et Caroline Dehon

 

Les règles techniques de production de l’agriculture biologique découlent du rejet des engrais et pesticides chimiques de synthèse ; elles illustrent la volonté de favoriser la vie du sol, tout en rappelant la nécessité de placer l’animal au centre du cycle de production. Si de telles préoccupations n’apparaissent pas toujours explicitement dans les textes de loi, la bio se base cependant sur une série de pratiques dont la plupart étaient déjà bien présentes, dès les premières années du mouvement agrobiologique.

 

La quête de l’équilibre au sein des fermes

En culture, les alternatives aux pesticides doivent répondre à la nécessité de maîtrise des adventices, de lutte contre les maladies et les ravageurs. Le projet « Vers une Wallonie sans pesticides« , mené depuis 2018 par Nature & Progrès, ambitionne de diffuser les méthodes développées dans les fermes bio afin d’inspirer et d’inciter le monde agricole, dans son ensemble, à se passer de pesticides ! Ne pouvant compter sur la chimie pour « rattraper » une culture, les agriculteurs bio misent avant tout sur des méthodes préventives. Ils visent donc de longues rotations, idéalement de sept ans, et l’alternance des cultures en fonction des besoins et cycles de développement différents – culture d’hiver ou de printemps – afin de casser celui des adventices, des maladies et des ravageurs, et de maintenir ainsi la fertilité et l’activité biologique des sols, mais aussi de sécuriser les activités agricoles par la diversification. Installer une prairie temporaire – une prairie qui restera en place pendant trois ans et qui sera fauchée régulièrement – en tête de rotation est connu pour avoir un effet nettoyant sur la parcelle. L’agriculture biologique favorise donc le développement de prairies et également les associations de cultures, la couverture permanente du sol et les engrais verts en intercultures. Autres points d’attention importants : le choix de variétés adaptées au terroir et la réussite des semis dans les conditions adéquates, ce qui conditionnera grandement la vigueur des plants.

Les élevages bio misent également sur des animaux rustiques, à même d’être au maximum nourris à l’herbe et de se passer de traitements vétérinaires systématiques. Ce n’est pas la course à la production qui motive l’éleveur bio – une Holstein bio produit entre quatre et cinq mille litres de lait par an, contre six à neuf mille litres en conventionnel – mais bien plus l’autonomie et la résilience de la ferme. Si les animaux doivent sortir, c’est bien sûr pour des questions de respect de leurs comportements naturels mais aussi pour développer leur rusticité. Il en va de même concernant la faible densité d’élevage ou l’aménagement des espaces de vie qui, au-delà du bien-être animal, influencent les performances de production en réduisant les risques de maladies et de comportements déviants, tels que la caudophagie ou le picage. Des pratiques, encore investiguées par la recherche agronomique, sont utilisées depuis longtemps par des éleveurs bio, comme la plantation de haies fourragères ou l’incorporation de plantes aux propriétés médicinales dans les mélanges prairiaux…

On comprend donc bien que les pratiques bio, au-delà de remplacer la chimie par du désherbage mécanique – qui ne vient finalement qu’en curatif – ou les médicaments par des huiles essentielles, ont pour objectif de favoriser un équilibre au sein de l’exploitation agricole. Cet équilibre passe par une réflexion globale, de la préparation de la terre à la récolte, du choix du bétail à la gestion des prairies. Une telle réflexion intègre finalement tous les maillons de la chaîne car l’autonomie ne s’arrête évidemment pas à la porte de la ferme…

 

Des filières pas comme les autres

Le concept de filière représente l’ensemble des étapes qui s’échelonnent entre la production primaire et la distribution d’un produit. Il peut se décliner de nombreuses manières, dans le monde agricole, et impliquer bien des dimensions. En bio, une telle idée engage au minimum – ainsi que nous vous l’avons décrit en amont – le fait que chaque étape – production, transformation, distribution – respecte le cahier des charges bio. Mais au-delà de cela, au-delà de la plus-value purement économique du produit qui en résulte, de nombreuses filières biologiques s’attachent à intégrer d’autres dimensions : sociale, environnementale, éthique.

Nature & Progrès soutient le développement de ce type de filières bio, comme l’indique ci-après notre encart consacré au Réseau RADiS. Toutes impliquent un panel beaucoup plus large d’acteurs dans la distribution d’un produit local jusqu’au consommateur final. Ces acteurs sont davantage consultés et impliqués dans ces filières qu’ils coconstruisent aux côtés des représentants des différents maillons : producteurs, transformateurs, distributeurs, etc. Ce qui fait ainsi la richesse et contribue à la réussite de ces filières, c’est la proximité à la fois humaine et territoriale des acteurs. Les consommateurs apprennent à mieux connaître les producteurs et leurs réalités – par des visites en fermes, par exemple -, les producteurs ne se contentent plus de livrer simplement leurs productions mais s’impliquent davantage dans la vie locale et se soucient de savoir où, comment et par qui les denrées qu’ils ont travaillées seront transformées et valorisées. Ces filières, bio et locales, permettent ainsi de fédérer une communauté d’acteurs où chaque enjeu prend tout son sens puisque chacun sait parfaitement ce qu’il y a derrière ce qu’il mange et qu’il y a contribué à sa manière. Trouver des visages sur l’alimentation, refuser l’anonymat de l’assiette, est une chose qui nous tient à cœur chez Nature & Progrès. Certes, de telles initiatives prennent du temps, beaucoup plus de temps que les filières dites « classiques » ; elles impliquent la mise en place de processus participatifs et d’une meilleure gouvernance qui, eux-mêmes, sont chronophages. C’est néanmoins ce qui les rend plus « impactantes », plus durables, puisqu’elles sont à l’image de chacun des acteurs et de son territoire. À ce titre, elles ne changent pas seulement l’alimentation, elles changent la vie !

 

Le Réseau RADiS : des filières bio, locales et solidaires !

Voici deux années et demie que le Réseau RADiS – Réseau Alimentaire Dinant Solidaire, www.reseau-radis.be – a été lancé par la Fondation Cyrys et Nature & Progrès. Son objectif ? « Soutenir et développer la transition de la région dinantaise vers une alimentation bio et locale, respectueuse des Hommes et de la Terre, en favorisant la solidarité et l’implication de tous. » Pour accomplir cet objectif, le Réseau défend et représente quatre valeurs piliers : le bio, le local mais aussi les côtés solidaire et participatif. Les animatrices de Nature & Progrès travaillent sur le territoire dinantais :

– à la mise en place filières biologiques, en soutenant notamment la production primaire et la transformation,

– à rendre accessible au plus grand nombre les produits issus de ces filières,

– à sensibiliser les habitants du territoire à l’importance d’une alimentation de qualité : bio, locale, de saison.

Afin qu’il soit en cohérence avec les besoins du territoire et réellement porteur de sens, ce travail s’effectue quotidiennement en étroite collaboration avec l’ensemble de ses acteurs : citoyens-consommateurs, producteurs, transformateurs, commerçants, institutions territoriales… Et c’est ainsi que :

– les élèves des écoles primaires communales d’Onhaye dégustent chaque mardi un potage collation réalisé par les membres du Réseau avec les légumes des maraîchers bio du territoire,

– Laurie, jeune boulangère hastièroise, a animé auprès de citoyens un atelier de panification à partir des farines bio produites par Alessandro et Frédéric, producteurs cultivant leurs céréales à Dinant,

– Philippe a installé son activité de maraîchage bio sur les terres de Tanguy, simple citoyen, à Lisogne,

– boulangers, citoyens et producteurs du territoire se sont rencontrés autour du four à pain mobile d’Y Voir Transition,

– Fara, Béatrice, Claire et Samir, bénévoles-citoyens, se retrouvent toutes les deux semaines chez Jean pour éplucher ses légumes et ceux de Philippe…

Au fil de ces rencontres, chacun en apprend un peu plus sur l’autre, ses réalités, ses contraintes, ses besoins, ses envies… Au-delà de la création de simples filières, il y a la création de liens à travers des moments de partage, de sensibilisation, de réflexions. Cette démarche participative et inclusive permet de rendre plus pérenne l’initiative, en instaurant des collaborations qui n’auraient sans doute pas pu voir le jour autrement.