Le Veggie Challenge est un de ces nouveaux défis alimentaires qui s’est déroulé pendant tout le mois de mars. Il visait à « améliorer le monde » en « faisant la différence pour l’environnement et en sauvant des vies animales« , en mangeant « de la nourriture plus saine, plus savoureuse et plus écologique« . Quelques mises au point manifestement s’imposent…

Par Sylvie La Spina 

D’après les chiffres avancés par les organisateurs, chaque personne se passant de viande permet d’économiser mille litres d’eau et six cent trente-trois grammes d’émission de CO2 par jour. Plus de vingt mille personnes auraient participé au Challenge en Belgique…

nouveaux ogm non à la déréglementation
Un Veggie Challenge… totalement hors-sol !

Une première observation qui mettra d’emblée de mauvaise humeur les éleveurs, les agronomes et bon nombre de citoyens éclairés : les chiffres sur la consommation d’eau ! Les mouvements végans ne peuvent s’empêcher de compter, dans l’eau d’abreuvement des animaux, les pluies qui tombent sur les prairies et les cultures servant à alimenter le bétail, ce qui a pour avantage d’attirer l’attention, tant le chiffre est exorbitant. Mais personne ne réfléchira à sa cohérence, le citoyen ayant l’habitude – et c’est bien malheureux ! – de prendre pour argent comptant les propos de ces mouvements. Même les pouvoir publics ou politiques subsidiant ou soutenant le Veggie Challenge semblent n’y voir que du feu.

Parcourons le site Internet de l’organisation et découvrons les nombreuses idées de recettes inspirantes qui permettent de se passer de viande, de produits laitiers et d’œufs. Pour donner à tous l’envie de changer son alimentation – et pour ne pas entendre râler les enfants -, il s’agit d’être innovant, en jonglant avec la gamme de produits végétaux disponibles. Mais nous voici en plein mois de mars : le potager est quasiment vide, comme les réserves de nos maraîchers et arboriculteurs… Ce n’est pas un souci pour les organisateurs qui proposent des menus à base de tomates cerises, de courgettes, de concombres, de fruits rouges et d’autres délices typiquement d’été. Eh bien quoi ? Rien d’anormal : ils sont disponibles chez Colruyt, sponsor du Veggie Challenge ! Venant de loin, cultivés dans des serres à ambiance tropicale, tandis que tombent les derniers flocons de l’hiver… Vous avez dit écologique ?

Une bonne moitié des recettes comporte l’utilisation de substituts : faux fromage, faux poulet, faux haché… Un exemple parlant : les Sensational Saucisses Garden Gourmet. Selon le site du fournisseur : « une saucisse à base de plantes qui a le même aspect, le même parfum, la même saveur et qui se cuit de la même manière qu’une saucisse à base de viande« . Et pour cause, les chimistes de Nestlé sont sur le coup ! Les ingrédients ? De l’eau, des protéines de soja, des huiles végétales, des épices, du méthylcellulose mais aussi du boyau végan composé d’alginate de sodium – utilisé comme substitut de sperme dans les films pornos – miam, miam… -, du chloride de calcium, de l’amidon de tapioca… Un cocktail industriel mûrement réfléchi, ce qui explique sans doute son coût – vingt-deux euros le kilo – à côté des saucisses bio pure viande – quinze euros le kilo chez le même fournisseur… Bref, si l’objectif de cette action était sans doute louable, elle manque cruellement de cohérence. Et si nous pensions notre assiette autrement ?

Moins mais mieux

Il est vrai que nous avons eu tendance, ces dernières décennies, à consommer beaucoup – sans doute beaucoup trop – de produits animaux. Et si nous en consommions moins mais mieux ?

  1. Un élevage écologique et respectueux du bien-être animal

Quelle est votre vision de l’élevage idéal ? Pour moi, les animaux doivent être élevés à l’extérieur et non confinés dans des bâtiments. Le coronavirus nous montre, en pratique, l’impact du confinement sur le bien-être, la santé et la psychologie. C’est pareil pour les animaux ! Une vache ou un mouton doivent manger de l’herbe en prairie, un cochon doit avoir l’occasion de fouir, et une poule de gratter la terre. L’alimentation doit être bio, régionale et bien entendu sans OGM. C’est justement ce que proposent les producteurs bio et notamment ceux qui sont labellisés Nature & Progrès.

Cependant, vous pouvez aussi décider d’élever, par vous-mêmes, quelques animaux pour votre propre consommation. C’est une activité enrichissante qui permet de mieux comprendre les réalités rencontrées par les éleveurs professionnels, un peu comme le jardinier qui appréhende mieux la valeur des légumes et le travail d’un maraîcher qu’un citoyen lambda qui va les acheter en grande surface… Quelques poules pour les œufs, deux chèvres pour le lait ou encore quelques poulets, moutons et cochons pour la fourniture occasionnelle en viande. Avec une consommation raisonnable, pour un ménage, une dizaine de poulets par an sont largement suffisants ; un mouton et un cochon tous les deux ans, par exemple, le sont également.

Si l’élevage pour la consommation personnelle présente peu de difficultés en soi, c’est au niveau de l’abattage que tout se complique. Il faut d’abord avoir franchi le cap psychologique de décider d’ôter la vie à son animal afin de s’en nourrir. C’est tellement plus facile de déléguer cette étape aux abattoirs lorsqu’on achète de la viande déjà découpée… Se réapproprier ce geste demande un cheminement mais aussi un savoir-faire qui s’est presque perdu. L’abattage d’animaux pour sa propre consommation est autorisé pourvu que la mise à mort respecte certaines règles relatives au bien-être animal, comme l’obligation d’un étourdissement. Les gestes à appliquer sont précis. Comment remettre en avant ce savoir-faire ? N’y a-t-il pas là matière à études et à actions ?

  1. Substituer, mais avec des produits artisanaux et de saison

Réduire sa consommation de produits animaux est sain. Mais sachons rester cohérents, en évitant les substituts industriels ou les produits issus de l’autre bout de la planète. Car c’est bien là que se situe l’incohérence de la grande majorité des mouvements à idéologie végane ! Enormément de fruits et légumes poussent sous nos climats – même des pêches et des kiwis, en serre non chauffée, près de la Baraque Fraiture ! – et de nouvelles cultures de quinoa, lentilles et autres petites graines viennent aujourd’hui compléter les menus locaux. Comme dit plus haut, la fin de l’hiver est la période la plus difficile pour se procurer des fruits et légumes frais. Cependant, en plus d’innover dans les recettes à base de légumes d’hiver, il n’y a pas de plus grand de plaisir que celui d’ouvrir un bocal de bons légumes d’été. Nos ancêtres le savaient davantage que notre société moderne : c’est en été que l’on prépare l’hiver !

Avec Nature & Progrès, allons plus loin !

Pour Nature & Progrès, une sensibilisation à la réduction de la consommation de produits animaux doit comporter, en premier lieu, une réflexion sur le choix de l’élevage qui nous nourrit, sur l’éleveur et sa philosophie, sur sa manière de conduire son troupeau et d’alimenter ses animaux, sur son degré d’autonomie en production et en transformation.

Redécouvrons aussi le métier de la boucherie : bien plus que la découpe de la viande et sa préparation avec des additifs, nos bouchers artisanaux utilisent un réel savoir-faire qui permet de mieux comprendre ce qui fait une viande de qualité. N’œuvrons pas contre la viande mais œuvrons pour la bonne viande ! Visitons des cultivateurs bio qui se lancent dans des productions innovantes, petites graines, légumineuses et compagnie ! Initions les citoyens à la réappropriation de leur alimentation par le jardinage, l’élevage et la conservation des fruits et légumes pour préparer l’hiver. Ensemble, relevons le défi d’une assiette bio, locale, écologique et cohérente !

D’une manière générale, nous nous permettrons de renvoyer le lecteur à notre étude, publiée en 2019, intitulée : La juste place de l’animal dans notre monde – Réinventer le contrat domestique. Nous y montrons que, si le refus de l’industrialisation de la nourriture semble légitime et cohérent, une trop grande radicalité dans notre bienveillance vis-à-vis du monde animal est de nature à produire des effets indésirables. « Notre tentative de dialogue avec le monde végan, concluions-nous alors, au lieu de rechercher une juste place pour l’animal dans le monde, ne gagnerait-elle pas à trouver plutôt celle de l’homme, ce pâle démiurge toujours trop prompt à se poser, oscillant sans arrêt entre l’ornière de droite et celle de gauche, tantôt en prédateur effroyable et tantôt en sauveur magnanime ?«