Sans discontinuer, Nature & Progrès cherche à s’associer les compétences lui permettant de lever les barrières psychologiques et idéologiques qui pourraient entraver son cheminement dans la transition écologique. Le conseil d’administration de notre association s’étoffe donc en permanence, avec la volonté d’éviter l’entre-soi et de s’enrichir dans la diversité. Nous donnons, dans cette optique, la parole à Dominique Clerbois, nouvelle administratrice dont le parcours peut-être en surprendra – ou en ravira – plus d’un-e…

Propos recueillis par Dominique Parizel

nouveaux ogm non à la déréglementation
Introduction

« Je suis ingénieure commerciale, annonce d’emblée Dominique Clerbois, formée à l’UCL. Je suis également analyste financier à l’ULB et j’ai passé une année d’étude aux Etats-Unis. J’ai aussi une formation de l’INSEAD, l’Institut européen d’administration des affaireswww.insead.edu -, qui offre un complément très utile dans le cadre d’une carrière orientée vers le management, très intéressante pour former des administrateurs indépendants… Mon expérience professionnelle, je l’ai acquise essentiellement, pendant trente-cinq ans au sein du groupe Solvay, en travaillant surtout « à l’international », à partir de la Belgique pour des activités localisées à travers le monde mais aussi, durant quatre ans, en Thaïlande. Il s’agissait là d’une joint-venture avec des partenaires locaux qui m’a ouverte à l’expérience de conseils d’administrations très diversifiés, où Solvay n’était d’ailleurs pas toujours majoritaire. Collaborer à des partenariats de ce type, je l’ai fait pendant plus de quinze ans, dans des groupes différents et pour des activités extrêmement diverses, un peu partout en Europe et dans le monde… Ce contact avec des partenaires de cultures diversifiées m’a toujours beaucoup plu. »

BoardCompanion'Speed dating à la Fondation Roi Baudouin

« Je suis membre de différentes associations, poursuit Dominique Clerbois. La plus intéressante, vu les matières qui nous intéressent, est sans doute BoardCompanionswww.boardcompanions.org – dont les membres ont suivi, comme moi, une formation d’administrateur indépendant. Tous cherchent – dans l’esprit du compagnonnage qui forme les artisans – à valoriser expérience et compétences, en proposant leurs services à des associations belges en quête d’administrateurs, tout cela dans une optique où chacun pourra apprendre de l’autre. La Fondation Roi Baudouin, riche de tous ses contacts associatifs, a permis les rencontres et c’est ainsi que j’ai découvert Nature & Progrès. Je suis également membre de Gubernawww.guberna.be -, de Women on boardhttps://womenonboard.be -, une association qui s’efforce de promouvoir la parité au sein des conseils d’administration, et de Chapter Zero Brussels qui est liée à la gestion du changement climatique…

Mes premiers contacts avec Nature & Progrès eurent lieu lors d’une journée de rencontres de style speed dating, organisée par BoardCompanions à la Fondation Roi Baudouin, entre des responsables associatifs et des candidats administrateurs. Nature & Progrès souhaitait trouver une personne à même de l’aider dans la révision de son plan stratégique et financier. Cette mission m’intéressait énormément ! J’ai d’abord été invitée, à titre d’observatrice, par le conseil d’administration de Nature & Progrès, à partir de septembre 2019. J’ai ensuite, comme membre effectif, présenté ma candidature pour en faire partie et me voilà officiellement nommée depuis août dernier ! J’apprécie particulièrement l’engagement sociétal de l’association, sa capacité à s’appuyer sur des faits étayés scientifiquement, son engagement sans concession en faveur du bio et de la diversité. Les valeurs d’éthique et d’honnêteté que je retrouve dans l’association sont très importantes à mes yeux. J’aime également beaucoup sa capacité à affronter de nouveaux défis, environnementaux et autres, sa résilience et sa volonté de faire circuler, parmi ses membres, de nouvelles connaissances agricoles, sur la base de son Système Participatif de Garantie, par exemple… Les compétences qui existent, au sein de Nature & Progrès, me paraissent extrêmement diverses. La complexité du métier de producteur agricole n’arrête pas de me surprendre. Et la difficulté de transiter vers le bio me préoccupe également beaucoup…

Je suis convaincue par la vision et les objectifs de Nature & Progrès et considère que les entreprises doivent intégrer elles aussi, dans leurs stratégies, toute cette responsabilité sociétale et environnementale. J’aimerais personnellement leur apporter quelque chose de cet ordre-là, indépendamment même de mon action chez Nature & Progrès, car je pense qu’elles doivent mieux se préparer à affronter le futur, notamment en matière de changement climatique. Celui-ci ne se résumera d’ailleurs pas à une menace qu’il est nécessaire d’anticiper, des opportunités se présenteront également qui seront liées aux capacités d’innovation, aux relations avec les clients, etc. Chez Nature & Progrès, je souhaite apporter ma contribution en matière de transformation du financement et d’amélioration de la gouvernance mais aussi, si c’est possible, en établissant des contacts avec des entreprises convaincues par l’approche dite ESG, c’est-à-dire basée sur des critères Environnementaux, Sociétaux et de Gouvernance. J’ai rencontré beaucoup de gens dans ma carrière, le plus souvent dans des business locaux. La qualité des gens et des projets, c’est toujours localement qu’on l’aperçoit le mieux. C’est sur le terrain, au contact des personnes concernées, qu’il est vraiment possible de construire quelque chose… »

Une collaboration accrue entre associations et entreprises ?

« En matière de gestion des associations, précise Dominique Clerbois, je voudrais mentionner une enquête réalisée, en Belgique en 2019 par l’INSEAD dont j’ai déjà fait mention, et qui compare le fonctionnement des sociétés à but lucratif à ce qui, au contraire, est sans but lucratif. Il en ressort que les associations excellent à défendre leurs missions et leurs valeurs, alors que les entreprises n’en poussent pas assez loin la définition. Cependant, les sociétés à but lucratif se concentrent davantage sur l’exécution de leurs stratégies et sur l’évaluation de leurs performances. Il me semble donc qu’on pourrait aider les associations à évoluer vers une traduction plus concrète de leurs missions et de leurs valeurs en stratégies. Il devrait être également possible de veiller ensuite à la mise en place du monitoring des résultats de leur action. Nous pouvons certainement travailler sur ces aspects qui étaient spécifiquement ceux qu’évoquaient les responsables de Nature & Progrès que j’ai rencontrés en 2019… La crise de la Covid-19 a évidemment imposé des révisions de nos priorités stratégiques et nos modes de financement…

Le bénévolat est également un des aspects qui distinguent les associations des entreprises à but lucratif. L’apport bénévole de personnes soucieuses des valeurs qu’elles défendent renforce évidemment la pérennité et la légitimité des associations. La grande liberté d’investissement qui est le propre de ces personnes bénévoles peut cependant rendre plus complexe la capacité des associations à concrétiser exactement leurs stratégies et à mesurer les résultats de leurs actions. Des étalons, des critères spécifiques doivent être clairement définis à cet effet : nombre de signataires de pétitions, nombre de donateurs, nombre de projets, etc. De tels indicateurs ne sont pas nécessairement liés au résultat financier. Les entreprises – la plupart de celles qui mettent en place une approche ESG – utilisent énormément, et de plus en plus, d’indicateurs non-financiers.

Les entreprises qui affichent, de manière volontariste, leur engagement en matière d’ESG – une exigence pour beaucoup d’entre elles qui sont soucieuses de leur avenir – sont certainement des partenaires privilégiés pour Nature & Progrès. L’ESG permet notamment de motiver un personnel de qualité, principalement parmi les plus jeunes ; quant aux investisseurs et aux bailleurs de fonds, ils sont également de plus en plus attentifs à choisir des sociétés qui s’orientent vers ce type d’engagements. Ceux-ci sont de plus en plus réglementés, ce qui doit permettre d’éviter le greenwashing. Beaucoup d’entreprises se réfèrent aujourd’hui aux objectifs de développement durable des Nations-Unies, en indiquant de quelle manière elles pensent être en mesure de contribuer aux différents objectifs poursuivis et en précisant ce qu’elles mettent en place à cet effet. Cette nécessité de transparence est encore renforcée depuis que les entreprises belges cotées en bourse – les plus grandes en taille – sont tenues à un code de bonne gouvernance qui recommande de définir des priorités à long terme, mais aussi des objectifs de durabilité clairs, et d’auditer tout cela sur base de critères précis, comme les émissions de CO2, la production de déchets, l’impact sur les écosystèmes, la gestion de l’eau, etc. Un rapport transparent des performances non-financières devient ainsi une nécessité pour elles. Leur conseil d’administration doit partager et soutenir pleinement cette approche qui ne peut donc se limiter à être le fait d’une initiative marginale. Le mouvement doit être global au sein de l’entreprise ! Or les indicateurs montrent que cette dynamique ne fut pas freinée par la crise de la Covid-19. Elle ne pourra être que renforcée par la mise en place du Green Deal européen qui prévoit la mise en place d’indicateurs mesurant si les entreprises sont réellement engagées dans la voie du développement durable, évaluant quelles sont leurs contributions positives ou leurs éventuels impacts négatifs…

Nos premiers partenaires potentiels sont donc à trouver parmi le nombre croissant d’entreprises qui souscrivent à de tels engagements. Elles ont besoin de conseils afin de mieux les guider et de leur permettre d’apprécier quels types d’efforts elles sont en mesure d’accomplir sur le terrain. Nature & Progrès a donc certainement un rôle important à jouer : que faire de plus, par exemple, en matière de biodiversité ? Dans le cadre de ses objectifs de développement durable, Solvay par exemple espère montrer la voie aux entreprises industrielles en fixant des objectifs pour réduire les pressions sur la biodiversité. Le personnel d’un nombre croissant d’entreprises est également sollicité pour participer, chaque année, à des projets environnementaux ; du temps de travail est ainsi libéré pour lui permettre de participer à ces projets. Différents types de collaborations avec Nature & Progrès me semblent donc envisageables : services, échanges, formations, conseils… Les possibilités ne se limitent pas, bien au contraire, au mécénat ou au sponsoring… »

Le capitalisme est en train de changer !

« De telles ouvertures, insiste Dominique Clerbois, doivent permettre de dépasser l’opposition, trop souvent frontale, entre le monde environnemental et certains grands groupes industriels ou agroalimentaires, par exemple… Le capitalisme est en train de changer, ainsi que le cadre au sein duquel les entreprises sont désormais appelées à évoluer. L’objectif financier n’est plus le seul qui leur soit demandé. Elles sont également évaluées sur un ensemble de facteurs – c’est l’approche ESG dont j’ai parlé – qui incluent environnement, engagement sociétal et bonne gouvernance. Les préoccupations financières, bien sûr, sont inévitables car toute entreprise se doit d’assurer avant tout sa propre survie. Mais les actionnaires, quant à eux, ne souhaitent plus investir leur argent dans n’importe quel type d’entreprise…

L’INSEAD a également publié, en septembre dernier, une enquête relative à la place de l’ESG dans les entreprises. Cette enquête montre que le besoin de collaboration – avec des associations, par exemple – est important afin d’aboutir à des réalisations concrètes. L’ESG est une vague qui monte de plus en plus, en Belgique, et bon nombre de PME, par exemple, pourraient être mieux épaulées sur le terrain environnemental. A l’heure où une inquiétude croissante émerge chez bon nombre de nos concitoyens, peut-être les outils et réflexions mis en place par Nature & Progrès dans le champ de l’éducation permanente pourraient-ils constituer une base utile en la matière ? Il me semble en tout cas que c’est sur des projets concrets qu’il est possible de dépassionner les débats… Dans le domaine alimentaire cher à Nature & Progrès, il est certainement possible de travailler à une amélioration qualitative et de ramener un peu de sérénité. Dans les assiettes, en tout cas… Il serait cependant intéressant d’analyser comment les sociétés agro-industrielles et agroalimentaires – qui sont sous le feu des critiques de Nature & Progrès – se positionnent vis-à-vis de leur personnel, de leurs bailleurs de fonds, de leurs actionnaires… Une transparence en matière de stratégie environnementale discutable et de qualité, surtout en matière alimentaire, sera de plus en plus requise par les parties prenantes des entreprises. Et si un dialogue peut s’ouvrir, ce sera certainement bénéfique pour tout le monde ! Je suis personnellement d’une nature plutôt optimiste… Mais peut-être vaut-il mieux commencer à travailler avec ceux qui ne sont pas en complète opposition avec les valeurs que nous défendons ? »

Différents niveaux d'engagement

« J’ai cru percevoir, risque alors Dominique Clerbois, qu’il n’y avait peut-être pas, chez Nature & Progrès, une grande sensibilité à l’évolution de ces courants au sein des entreprises. Certaines d’entre elles persistent évidemment encore dans le greenwashing. Mais c’est de moins en moins possible avec toutes les mesures de contrôle qui se sont progressivement mises en place. Les preuves de transparence sont régulièrement « auditées » et doivent absolument être fournies ! Le monde de l’entreprise reste, je l’ai dit, un milieu très concurrentiel, avec des objectifs financiers qui doivent absolument être assurés, juste pour rester dans le business l’année suivante… Différents niveaux d’engagement existent cependant qui vont de la philanthropie pure – pour ceux qui acceptent de consacrer des moyens à une œuvre sans rendement financier – jusqu’à la combinaison étroite, avec les objectifs économiques, d’actions en quête d’un réel impact environnemental et sociétal positif. Une profonde cohérence avec la stratégie business doit alors être trouvée car il serait évidemment trop aléatoire de greffer artificiellement des visées sans rapport suffisant. Certaines entreprises sont déjà très avancées dans des démarches qui marient harmonieusement business et impact positif pour la société et l’environnement. Les possibilités d’action sont nombreuses. Je pense, par exemple, à cette entreprise américaine de vêtements qui encourage ses clients à ne plus lui acheter de vêtements neufs mais plutôt des vêtements recyclés. Ce qui est renvoyé par les clients est simplement réparé, recyclé et revendu par l’entreprise… Je citerai également un fabricant de lunettes qui, chaque fois qu’il vend une paire, en envoie une seconde en Malaisie où les travailleurs, dans les plantations de thé, lorsque l’âge leur faire prendre leur acuité visuelle, ne parviennent plus à travailler et perdent prématurément leur emploi. L’adhésion du public à ce genre de démarche est importante ; ce « buy one give one » est un exemple de modèle, pas tout-à-fait nouveau, pour des entreprises soucieuses de créer un impact positif.

Chaque producteur ou transformateur soutenu par Nature & Progrès est une entreprise ! J’ai déjà eu l’occasion d’en visiter plusieurs qui sont en quête notamment de compétences commerciales accrues afin de pouvoir mieux négocier, par exemple, avec leurs distributeurs. Sans doute les étudiants en commerce ne voient-ils toujours pas suffisamment, dans les entreprises agricoles, un terrain où ils pourraient contribuer efficacement ? »