Le fauchage qui existe aujourd’hui, en Wallonie, est généralement mécanique mais un net regain d’intérêt pour la faux est apparu ces dernières années. Trop d’utilisateurs ignorent pourtant la grande technicité de cet outil, très simple d’apparence, qui permet sa bonne utilisation. Un réel apprentissage est donc indispensable pour que son intérêt réel puisse être comparé à celui des outils à moteur. Pour en savoir plus, écoutons Peter De Schepper, responsable du Pic Vert, à Heyd-Durbuy…

Propos recueillis par Dominique Parizel

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Introduction

Le secret d’un fauchage efficace réside dans le tranchant de la faux ! S’il est optimal, le bon usage de l’outil viendra rapidement avec la pratique, là où la seule puissance d’une machine corrige toujours ses mauvaises utilisations…

« Mais tout ce qui demande un apprentissage invite toujours l’utilisateur à vouloir être plus habile, complète Peter De Schepper. C’est un constat qui, je crois, gagne toujours à être fait. Et à être généralisé, autant que possible, à l’ensemble de nos activités… »

Ne sommes-nous pas tous tributaires de notre idée préconçue d’un jardin ordonné ? N’avons-nous pas tous l’impression que plus vite le travail sera accompli, plus vite le bon ordre sera de retour ?

« La faux, d’une manière générale, ajoute Peter, est au moins aussi rapide que la débroussailleuse mais la vitesse n’est probablement pas la première raison de la choisir. Un retour au manuel offre surtout une meilleure précision, donnant à celui qui travaille davantage de satisfactions car le jardinage tient aussi au plaisir d’accomplir chaque geste avec justesse, bien plus sans doute qu’à un résultat à atteindre le plus rapidement possible. A l’échelle où travaillent la plupart des jardiniers, la faux est, en réalité, bien moins fatigante que la débroussailleuse et permet donc de « tenir le coup » plus longtemps. Le travail effectué avec une débroussailleuse ou avec une tondeuse peut être aisément accompli avec une faux : tondre une pelouse ou même faire du foin, par exemple, afin de nourrir quelques moutons… Il est évidemment possible de faire beaucoup plus, comme jadis, si on s’en donne le temps et si on est en mesure de s’organiser en conséquence. Toutefois, le savoir-faire concernant la bonne utilisation de ce précieux outil fait aujourd’hui particulièrement défaut. Peu de gens savent encore comment utiliser correctement une faux, une perte de connaissances qui s’est progressivement accentuée tout au long du XXe siècle… »

Apprendre à battre est indispensable !

« Je me suis mis à la faux dans les années nonante, poursuit Peter De Schepper, un peu comme je pouvais. Je trouvais cela lent et un peu dur mais j’étais encore jeune et je me disais que nos anciens devaient avoir une robuste constitution. Puis j’ai rencontré un cantonnier à la retraite, sur une « scène des vieux métiers ». Il m’a dit qu’il fallait « battre la faux », alors que je me demandais ce qu’il faisait. Personne ne m’avait jamais dit cela ! Quand il était encore en activité, ce monsieur fauchait manuellement le bord des chemins… J’ai ensuite trouvé, sur une brocante, l’enclumette et le marteau servant au battage et j’ai commencé, tant bien que mal, mais je trouvais que cela allait déjà beaucoup mieux, même si c’était loin d’être parfait. Je suis retourné voir ce monsieur, chez lui un an plus tard, et il m’a appris tout ce que j’ignorais encore…

Les bons gestes s’acquièrent aisément quand l’outil coupe bien mais la plupart des utilisateurs de faux ignorent malheureusement en quoi consiste ce bon entretien du tranchant. Battre consiste à aplatir, à amincir l’acier sur une zone du tranchant d’un à trois millimètres de large. On étire le métal pour en entretenir la géométrie. Ce geste s’effectue traditionnellement à l’aide d’un petit marteau et d’une enclumette portative qu’on fiche dans le sol, certains modèles pouvant même être montés dans un banc, ou sur une bûche… La même opération se fait à l’aide d’une meule pour la plupart des autres outils, comme les haches ou les ciseaux à bois. Quand on aiguise à la pierre fine, la géométrie, petit à petit, devient moins idéale ; on retrouve donc le bon angle grâce au passage sur la meule. Avec la faux, plutôt que de retirer de la matière, on retrouve la bonne géométrie et la bonne forme à l’aide de l’enclumette et du marteau : la lame est étirée, légèrement élargie, et l’acier devient plus dur sur la zone battue. Ce travail est nécessaire toutes les quatre à six heures de fauche en moyenne, en fonction des conditions rencontrées. Il prend entre vingt minutes et une demi-heure, en fonction de la longueur de la lame. L’aiguisage à la pierre, emportée à la ceinture dans un étui appelé coffin – où elle trempe en permanence dans de l’eau et éventuellement un peu de vinaigre -, se fait régulièrement après quelques minutes de fauche et ne doit prendre que quelques secondes. Juste un ou deux passages sur le tranchant afin de l’aviver à nouveau…Ce laps de temps varie évidemment en fonction des conditions de travail : le tranchant tient parfois cinq minutes, parfois dix. Quand j’aiguise, ma lame coupe encore bien ; après l’aiguisage elle coupe très bien…

Je conserve un article sur le battage de la faux en Wallonie, qui date des années septante. On disait déjà, à l’époque, qu’il n’était pas facile de trouver des « témoins » en mesure de battre la faux correctement. L’outil était encore là mais on ne savait déjà plus s’en servir adéquatement s’il ne restait pas un vieux paysan pour battre les faux des autres… Se borner à aiguiser avec une pierre artificielle, en carbure de silicium – carborundum en anglais -, rendra le tranchant plus épais et le travail sera alors nettement moins efficace. Une lame bien battue, puis aiguisée à l’aide d’une pierre plus fine – une pierre naturelle qui enlève beaucoup moins de matière – donne de bien meilleurs résultats. »

Un geste qui devient alors naturel…

« Un tranchant bien entretenu, insiste Peter De Schepper, permet d’adopter un geste qui sera nettement moins fatigant, et même pas fatigant du tout dans la plupart des situations. Bien sûr, l’exercice sera beaucoup plus sportif si on fauche pendant toute une journée, mais il ne requiert pourtant aucune aptitude physique particulière. Si l’outil coupe mal, au contraire, on se met alors à hacher et on s’épuise inutilement alors que le geste optimal du faucheur est un geste complet où tout le corps travaille, en évitant de mobiliser trop de force et de solliciter inutilement les épaules et les bras. Il faut donc apprendre, avant tout, à bien se tenir et, quand on fauche large, on peut même compléter par un mouvement de balancement qui fait travailler les jambes, dans un geste très ample qui évoque le tai chi. Il rajoute un peu d’inertie et réduit l’effort des bras et des épaules. Celui qui n’apprend pas cela d’emblée finira inévitablement par abandonner sa faux et par reprendre les machines…

J’ai personnellement travaillé, pendant une dizaine d’années, à l’entretien d’espaces verts et j’ai presque toujours tout fait à la faux. Ce travail a toujours été réalisé dans les mêmes délais qu’avec le fauchage mécanique. Mon employeur ne s’est jamais plaint car celui qui maîtrise bien la technique va aussi vite manuellement que mécaniquement. La fréquence des fauchages dépend évidemment de ce qu’on veut obtenir ; il est même possible de garder une pelouse très courte simplement à l’aide d’une faux ! Cela ne pose aucun problème de la maintenir au ras du sol, en passant chaque semaine… A condition que la faux soit parfaitement affûtée. Les pelouses sont une invention de riches qu’on ne trouvait pratiquement qu’autour des châteaux ; elles étaient entretenues, avant la mécanisation, par des jardiniers qui utilisaient des faux. Les gazons anglais n’ont évidemment pas attendu les tondeuses pour exister… Tout cela ne pose donc pas de difficultés, une fois qu’on a compris la nécessité de bien battre le tranchant. La faux passe alors sur l’herbe comme un rasoir et un tel travail permet sans doute d’être plus attentif à ce qu’on fait, de mieux repérer pour l’éviter la belle orchidée qui pousse dans un coin. La faux permet sans doute aussi d’épargner plus de grenouilles et d’orvets que le travail à la débroussailleuse. Mais si de tels drames sont plus rares, cela tient peut-être surtout à l’état d’esprit de celui qui manie l’outil… Ne reproche-t-on pas aux « robots » qui vont et viennent en continu de causer de gros dégâts à la faune des pelouses, même s’il n’y a sans doute plus grand monde qui habite encore ces vastes étendues ultra-raccourcies ? Mais est-il vraiment nécessaire d’avoir une pelouse qui ressemble à de la moquette, même si on désire conserver un endroit pour permettre aux enfants de jouer, ou pour s’asseoir au soleil ? Une telle réflexion bien sûr, d’ordre plus culturel, n’est évidemment pas directement liée à l’outil et on doit l’avoir aussi si on opte pour l’entretien mécanique. Mais que le jardin idéal soit celui où rien ne vit est évidemment une conception des plus critiquables. N’est-il pas préférable de multiplier les lieux de vie et les habitats au jardin, surtout dès le moment où on choisit d’y implanter également un potager ? »

Le souci de l'écologie

« Au début de ma vie professionnelle, avoue Peter, je travaillais alternativement à la faux et à la débroussailleuse car j’estimais que celle-ci convenait mieux à certains endroits, par exemple, qui n’avaient plus été entretenus depuis plusieurs années. On y trouvait parfois des ronces aussi grosses que mon pouce… Petit à petit, j’en suis venu à ne plus la démarrer que très rarement. Je travaille maintenant à un rythme tout-à-fait acceptable, au fauchon pour le débroussaillage des tiges dures, des ronces, etc. En s’approchant progressivement du sol, la plupart des obstacles sont faciles à repérer. Et le fauchon étant assez épais, même un petit coup accidentel sur un obstacle n’est pas trop grave pour l’outil… La pratique développe la sensibilité de celui qui le manie, ce qui réduit les dégâts à peu de choses. Beaucoup de force et d’enthousiasme, mais trop peu de technique, augmentent au contraire le risque d’abimer le matériel… Pour les zones herbeuses, il faut choisir la faux car l’approche est différente pour le fauchage de l’herbe. La lame se pose alors directement sur le sol et reste en contact avec lui pendant tout le mouvement.

Le jardinier est ainsi incité à un entretien beaucoup plus différencié en fonction des endroits : il en fauchera une partie et laissera une herbe haute ailleurs, il évitera de tout raser au même moment afin qu’il reste toujours des fleurs sauvages quelque part, etc. Et s’il souhaite laisser pousser l’herbe pour faire du foin, il ne fauchera pas avant juin, ou juste un peu après… Il peut aussi combiner le fauchage et le passage d’animaux, ou encore veiller à raccourcir l’herbe avant l’hiver pour que le travail soit moins dur au printemps, quand arrivera la nouvelle pousse… Il peut aussi privilégier certains endroits en fonction de choix environnementaux et du respect de la biodiversité, créer des coins protégés pour la faune et la flore. Une telle gestion peut bien sûr se faire également à la machine mais le simple fait, pour un jardinier, de s’intéresser à la faux témoigne souvent de son souci de l’écologie et de son intérêt pour une autre façon de gérer le terrain. La faux est d’ailleurs l’outil par excellence pour la gestion des réserves naturelles ; en Flandre, elle est de plus en plus utilisée dans ce contexte. Certaines communes l’utilisent aussi pour la gestion des espaces verts. »

Trouver des outils de qualité

« De nombreuses personnes m’ont sollicité, il y a une bonne quinzaine d’années, afin de savoir où il était possible d’acquérir du bon matériel, explique Peter De Schepper. Mon propre outil avait lui-même quelques dizaines d’années déjà, et je me suis alors rendu compte qu’une telle qualité se trouvait difficilement dans le commerce courant. Je me suis alors livré à quelques recherches – à une époque où l’on ne trouvait pas aussi facilement les informations utiles sur Internet – et la nécessité d’importer des faux s’est rapidement imposée à moi. Il ne reste plus que trois fabricants en Europe occidentale ; ce sont les derniers dépositaires d’un savoir-faire vieux de plusieurs siècles. L’un d’eux se trouve dans le nord de l’Italie, les deux autres en Autriche, un pays où il y en existait encore une vingtaine dans les années cinquante. Au milieu du XIXe siècle, ils étaient environ… cent septante ! Nous n’avons jamais eu de grande industrie de la faux en Belgique et le dernier fabricant français a stoppé son activité, il y a une vingtaine d’années. Les Forges de Ciney, fondées en 1920, ont bien fabriqué des faux mais la plupart de celles que j’ai vues, estampillées avec la marque Ciney, étaient fabriquées par le fabriquant autrichien Krenhof qui a arrêté sa production vers 1975 : il avait simplement repris le style et le nom de Ciney pour les lames exportées vers la Belgique. Notons aussi qu’on trouve encore une usine de faux en Russie, et une autre en Turquie… Avec la crise de la Covid-19, l’importation depuis l’Italie pose quelques problèmes et il y a eu des ruptures de stocks car beaucoup de gens qui songeaient déjà à faucher leurs parcelles se sont peut-être dit que le moment était enfin venu de le faire.

Je propose différents types de faux et recommande un manche ajustable, fabriqué en Autriche. Je travaille également le bois et je réalise ainsi moi-même le simple manche droit, de type ardennais, mais en petites séries, que je taille sur place et sur mesure en présence du client. Mes lames sont toutes importées et il existe des longueurs différentes, selon les usages qu’on veut en faire. Les fauchons, pour débroussailler, ont des lames plus courtes et plus épaisses. Rares sont encore les faucheurs de céréales mais les lames qu’ils utilisent sont traditionnellement assez longues, soit septante-cinq à nonante centimètres. Pour le foin, quand la prairie est bien entretenue, on peut également travailler avec une longue lame. Pour le jardin et pour les vergers, où l’on peut trouver davantage d’obstacles, on fauche généralement l’herbe avec des lames de soixante à septante centimètres. La lame de soixante-cinq centimètres et le fauchon de quarante-cinq ou de cinquante centimètres étaient d’ailleurs les dernières qu’on trouvait en jardineries. Ce sont sans doute aussi les longueurs qui restent les plus utilisées pour l’entretien autour de la maison, pour couper l’herbe ou pour maîtriser les ronces…

Pour battre le tranchant enfin, il existe un petit gabarit – que j’appelle « outil à battre » – qui autorise moins de précision afin d’arriver à un battage correct. Il s’utilise également avec un marteau mais on tape sur une douille qui se glisse sur l’axe central au lieu de marteler directement sur le tranchant de la lame, le profil du dessous de la douille définissant la zone à aplatir. C’est une facilité que peuvent s’autoriser les débutants ou ceux qui, n’ayant pas de grandes superficies à faucher, ne doivent battre leur lame qu’une fois par an, par exemple… »

Gagner en convivialité !

Afin de permettre aux candidats faucheurs de réapprendre les bonnes pratiques, le Pic Vert s’est également lancé dans l’organisation de stages.

« Nous sommes déjà dans notre douzième année, constate Peter De Schepper ! La saison des stages commence en mai, si la météo s’y prête, mais le gros de l’activité trouve surtout place en été, puis en septembre et parfois même en octobre, pour accueillir ceux qui étaient partis en vacances. Mais c’est alors plus aléatoire, en fonction du temps qu’il fait…

La plupart des stages se déroulent en une seule journée : j’apporte tout le matériel utile et toutes les lames sont battues à l’avance. Il est d’abord nécessaire d’apprendre à régler les poignées à la bonne hauteur ; on se munit ensuite d’une pierre et on profite de la matinée – et de la rosée – car la lame glisse mieux quand l’herbe est plus tendre et encore humide. Nous restons à l’ombre, s’il fait chaud après la pause, afin de travailler le battage. Une heure ou deux sont nécessaires pour bien expliquer en quoi l’apprentissage des gestes corrects est absolument indispensable. Nous fauchons encore un peu pour terminer la journée et les participants peuvent ainsi prendre conscience de la différence entre la fauche du matin et celle de la fin d’après-midi, l’idéal étant évidemment de se mettre au travail dès qu’il fait clair ! Lorsqu’il fait aussi beaucoup moins chaud…

Utiliser la faux, même occasionnellement, est un travail très agréable qui évite le gros inconvénient du bruit et des gaz d’échappement. Si on le souhaite, il est même possible de travailler le dimanche matin, dès l’aube. Les voisins n’en sauront jamais rien ! Sans compter les économies d’entretien et de carburant… Et les gains importants de convivialité ! »

On mesure, une fois de plus, le dommage qu’il y a à expulser, au nom de la modernité, les savoirs anciens de la gamme des solutions qui doivent rester à notre disposition. Les solutions low-tech et peu consommatrices d’énergie seront, à n’en pas douter, de plus en plus sollicitées. Encore faut-il poutant que le bagage technique dont leur usage rend l’acquisition nécessaire soit parvenu jusqu’à nous. Or la génération qui a totalement abandonné ces pratiques « d’un autre temps » a également cru bon d’expurger la culture populaire des connaissances qui leur sont liées. Nous devons aujourd’hui absolument nous en convaincre : les savoirs traditionnels et ancestraux – même si parfois ils nous paraissent encore totalement dépassés – sont au cœur même de nos capacités de résilience. Sachons donc en conserver entièrement la mémoire…