Grande victoire pour les abeilles ! La bataille contre les insecticides néonicotinoïdes est gagnée ! Une bataille de très longue haleine que Nature & Progrès aura menée pendant près de vingt ans, sans jamais rien lâcher, jusqu’à ce jeudi 19 janvier 2023, où la justice européenne a tranché en faveur des abeilles et contre les autorisations abusives octroyées, par onze états – dont la Belgique ! -, à ces insecticides tueurs d’abeilles.

Par Isabelle Klopstein

 

Au-delà du cas emblématique des néonicotinoïdes et des semences de betteraves traitées, cette décision judiciaire confirme l’illégalité, en Belgique et dans chacun des vingt-six autres Etats membres de l’Union européenne, de toutes les dérogations d’urgence permettant l’utilisation temporaire d’un pesticide interdit au niveau européen, pour sa toxicité environnementale ou ses effets nocifs sur la santé humaine et animale.

 

Un grand jour pour la biodiversité !

Nous nous réjouissons que la portée de cet arrêt dépasse le cadre des recours que nous avons déposés, avec PAN Europe, devant le Conseil d’Etat, visant à faire prononcer l’illégalité des autorisations de néonicotinoïdes pour le traitement des semences, la vente des semences traitées et le semis des semences traitées. C’est donc un très grand jour pour la biodiversité, notre santé et celle des abeilles et de tous les polinisateurs dont la contribution à notre agriculture est inestimable. Les juges européens ont clairement fait primer l’objectif de protection de l’environnement sur celui du rendement agricole et du profit. Le thiaméthoxame, l’imidaclopride et la clothianidine, ainsi que tous les pesticides hautement toxiques et interdits sont définitivement bannis ! La Belgique est dorénavant contrainte de respecter une interprétation stricte de la législation européenne sur les pesticides, la seule à même de garantir un niveau élevé de protection.

Ces longues années de lutte contre les néonicotinoïdes furent menées sur tous les fronts possibles. Nature & Progrès n’a eu de cesse de réclamer l’application du principe de précaution et la suspension de ces insecticides dangereux. Au début des années 2000, les premières preuves scientifiques de la toxicité de l’imidaclopride puis les multiples alertes des apiculteurs ne suffirent pourtant pas à faire réagir les pouvoirs publics belges. En 2006, l’association prit alors les choses en main, en organisant un grand colloque à Namur, mais il faudra attendre 2012, et de nombreuses interpellations et actions de sensibilisation, pour que la non-toxicité des néonicotinoïdes soit remise en question au niveau européen et débouche sur une restriction de leur utilisation. Face à l’ampleur du péril, ces mesures furent cependant jugées largement insuffisantes, par Nature & Progrès, qui demanda leur interdiction pure et simple.

 

Devant la justice, contraints et forcés

Alors que toutes les autres associations avaient baissé les bras, Nature & Progrès fut rejointe par PAN Europe, en 2013. Mais ce fut en 2018 – alors que l’Europe venait de bannir enfin l’usage des néonicotinoïdes en plein champs mais que la Belgique avait recours aux premières dérogations abusives et scandaleuses des mêmes néonicotinoïdes – que les deux associations, rejointes par l’apiculteur indépendant Benoît Dupret, organisèrent leur riposte, cette fois dans l’arène judicaire. Si les juges européens n’ont pas jugé pertinent de préciser les circonstances permettant d’activer légalement le régime des dérogations d’urgence, la décision du 19 janvier ne laisse aucune marge d’interprétation possible : le Conseil d’Etat belge n’aura d’autre alternative que de prononcer l’illégalité des autorisations belges de néonicotinoïdes. Mais le combat n’est pas terminé pour autant…

Cette bataille judiciaire contre les insecticides tueurs d’abeilles a mis à jour de sérieuses défaillances dans la procédure d’octroi des dérogations d’urgence par l’administration fédérale. Dans bien des cas, la Belgique utilise le régime dérogatoire – prévu pour apporter des réponses rapides à de nouvelles menaces – pour « résoudre » les problèmes récurrents rencontrés en agriculture. C’est ainsi que des pesticides autorisés pour lutter contre les ravageurs de certaines cultures sont étendues à d’autres cultures non couvertes par l’autorisation initiale. Une telle « solution » n’est évidemment pas acceptable, a fortiori lorsque les pesticides autorisés en urgence sont toxiques pour la santé humaine ou l’environnement. La nouvelle bataille contre les dérogations de pesticides est donc, d’ores et déjà, en marche. Et, bien sûr, nous comptons sur votre soutien !

 

L’essentiel de l’arrêt du 19 janvier 2023

PAN Europe, Nature & Progrès c/ l’État belge

En Belgique :

– les dérogations belges du thiaméthoxame, de l’imidaclopride et de la clothianidine sont illégales,

– la Belgique ne peut plus contourner l’interdiction européenne des néonicotinoïdes.

Dorénavant, la Belgique ne pourra plus autoriser :

– le semis (en plein air) de semences traitées avec ces insecticides néonicotinoïdes,

– le traitement de semences avec ces insecticides néonicotinoïdes,

– la vente de ces insecticides néonicotinoïdes destinés au traitement des semences,

– la vente de semences traitée avec ces insecticides néonicotinoïdes.

En Belgique et dans toute l’Union européenne :

– l’objectif de protection de la santé humaine et animale ainsi que de l’environnement prime sur l’objectif d’amélioration du rendement agricole,

– les dérogations d’urgence prévues par la législation européenne sur les pesticides ne s’appliquent pas aux pesticides expressément interdits par l’Europe pour protéger la santé et l’environnement,

– les pesticides expressément interdits au niveau européen pour protéger la santé ou l’environnement ne peut être autorisés au niveau national, même en situations d’urgence,

– les restrictions imposées à certains pesticides au niveau européen doivent être respectées par les Etats membres, même en situations d’urgence.

En outre, les juges européens rappellent que :

– la législation européenne sur les pesticides (règlement (EC) n° 1107/2009) garantit un niveau élevé de protection de la santé humaine et animale et de l’environnement,

– les Etats membres ont l’obligation de privilégier les méthodes non chimiques (Directive 2009/128/CE).

 

Quelques réactions de grande satisfaction

Marc Fichers, Secrétaire Général de Nature & Progrès Belgique déclare : « ce succès aura un effet à l’échelle de l’Union européenne tout entière, pour protéger les abeilles et les insectes partout dans l’Union, ainsi que la santé des citoyens. Les dérogations pour les semences traitées aux néonicotinoïdes sont désormais définitivement interdites. Ce jugement est un soulagement et montre que l’environnement compte plus que les profits de certaines entreprises de sucre et de pesticides ! »

Martin Dermine, directeur exécutif de PAN Europe, ajoute : « au cours de la procédure, il a été très choquant de constater que la Commission européenne a continué à protéger les abus du système par les États membres. La Commission a soutenu l’octroi de dérogations pour des pesticides prétendument interdits par l’Union européenne et hautement toxiques pour la santé humaine et l’environnement. Il était évident que la Commission était du côté de l’agrobusiness, plutôt que de la santé des citoyens et de l’environnement ! Les avocats de la Commission européenne ont même affirmé devant les juges européens que les États membres n’accordent une dérogation que lorsqu’il n’existe aucune alternative, ce qui est contraire à la réalité ! »

PAN Europe a récemment publié un rapport sur les dérogations accordées par les États membres aux substances pesticides interdites par l’Union européenne : deux cent trente-six dérogations de ce type ont été accordées au cours des quatre dernières années ! Les néonicotinoïdes représentent près de la moitié de ces dérogations (47,5%). Le rapport souligne que les États membres n’évaluent pas la nécessité de ces dérogations et leur conformité avec le droit européen, favorisant ainsi l’agrobusiness au détriment de la protection de la santé des citoyens et de l’environnement.

Me Antoine Bailleux, notre avocat, conclut ainsi : « cet arrêt constitue un énorme pas en avant pour la préservation de la biodiversité en Europe. La Cour de Justice a clairement indiqué que les pesticides interdits au niveau de l’Union européenne, pour des raisons sanitaires ou environnementales, ne peuvent être réintroduits par des moyens détournés au niveau des États membres, ce qui était devenu une pratique courante. »

 

Annuler, à présent, les autorisations illégales pour la cyperméthrine

Nature & Progrès et PAN Europe interpellent, à nouveau le Conseil d’Etat, à propos d’autres substances extrêmement dangereuses pour les abeilles… Suite à cette demande de suspension immédiate, déposée en extrême urgence fin 2022, Nature & Progrès et PAN Europe, rejoints par Bond Beter Leefmilieu (BBL), ont déposé, le 15 janvier 2023, un recours en annulation au Conseil d’Etat contre les autorisations récentes de deux insecticides pyréthrinoïdes à base de cyperméthrine, une substance létale pour les abeilles et très toxique pour les espèces aquatiques.

La cyperméthrine est aussi un perturbateur endocrinien pour l’être humain qui réduit les niveaux d’hormones stéroïdiennes et cause des dommages à la reproduction. Identifiée, en 2021, comme particulièrement toxique par l’Union européenne, la cyperméthrine – et les produits à base de cyperméthrine – ne peut dorénavant plus être autorisée si des alternatives plus sûres pour la santé humaine et l’environnement sont disponibles. Or, contrairement à ce qu’exige la législation européenne sur les pesticides, les autorités belges n’ont ni recherché les alternatives à ce pesticide, ni démontré qu’il n’existe pas d’alternatives pour les utilisations concernées.

En Belgique, la cyperméthrine est notamment autorisée en pommes de terre contre le doryphore et contre le criocère des céréales. Pour Nature & Progrès, PAN Europe et Bond Beter Leefmilieu (BBL), ces autorisations sont illégales et doivent donc être retirées. La Belgique doit respecter ses obligations et limiter, dès que possible, l’exposition de la population à des substances identifiées comme très toxiques par l’Union européenne, et soutenir des pratiques de protection des cultures plus durables. Et lorsqu’une alternative est disponible, le pesticide ne peut tout simplement pas être autorisé.