La règlementation européenne sur l’agriculture biologique a fait l’objet de plusieurs révisions, depuis sa première publication, en 1991. La dernière en date est d’application depuis le 1er janvier 2022 et des règlements nationaux sont toujours en cours d’élaboration pour en réguler l’application dans chaque Etat-membre. On entend ainsi souvent dire que « le bio d’ici et le bio de là-bas, ce n’est pas la même chose« . Remettons la ferme au milieu du village européen…

Par Mathilde Roda

 

La législation bio européenne repose sur le Règlement (UE) 2018/848. C’est le document de référence qui définit les grandes lignes et principes de l’agriculture biologique. Il est accompagné d’actes d’exécution, qui précisent certains articles, et d’actes délégués, qui en précisent ou en modifient le contenu non essentiel (1). Ces règlements ont un portée légale identique dans tous les pays de l’Union Européenne. Aucun gouvernement ne peut faire l’impasse sur ce qui y est explicitement noté. Un agriculteur bio d’Espagne doit donc respecter les mêmes règles qu’un agriculteur wallon ou un agriculteur polonais.

Ce qui peut varier est cependant de deux natures. Soit il s’agit de points laissés volontairement, par la Commission Européenne, à l’appréciation des gouvernements nationaux et qui concernent la gestion administrative ou certains champs d’application non encore couverts par la règlementation européenne comme, par exemple, la restauration collective ou l’élevage d’escargots. Soit il s’agit d’une liberté donnée aux Etats membres d’interpréter des termes qui ne sont pas explicitement définis. Par exemple, l’âge en dessous duquel on considère un « jeune bovin », ce qu’il faut entendre par « principalement couvert de végétation », le pourcentage à partir duquel « principalement » est atteint, etc. Il peut donc y avoir des divergences sur ces points précis mais elles resteront toujours limitées par le respect de la règlementation générale.

 

Mais comment ça se passe en Wallonie ?

En Wallonie, un Arrêté du Gouvernement Wallon régit l’application des règlements européens ; il est complété par un Guide de Lecture, plus pragmatique, permettant aux acteurs de terrain de clarifier les règles afin d’homogénéiser l’application de la législation bio sur le territoire wallon. Le secteur agricole wallon a été consulté lors de l’élaboration de ces documents ; Nature & Progrès a participé à ce d’un long processus de négociations.

L’agriculture étant une matière régionalisée, la Flandre possède aussi son propre arrêté et des différences d’interprétation subsistent ainsi entre les deux régions. Si cela peut paraître aberrant, il faut aussi se rendre compte que les réalités agricoles flamandes et wallonnes sont différentes. La communication interrégionale est cependant très active et ces différences sont sans doute vouées à être lissées, en espérant que la volonté d’autonomie et de valorisation du terroir de la Wallonie inspirera au Nord du pays. Cela risque de devenir incontournable, au vu du contexte agricole et de son évolution…

 

Des règles claires, applicables à tous

Socle de base, la législation bio européenne offre un cadre réglementaire cohérent qui marque les différences avec les agricultures conventionnelles. Ce cadre est contrôlé strictement. La législation bio ne se substitue pas aux règlementations agricoles et alimentaires générales mais vient s’inscrire en complément. Ce règlement de base « énonce les règles régissant la production biologique, la certification correspondante et l’utilisation, dans l’étiquetage et la publicité, d’indications faisant référence à la production biologique, ainsi que les règles applicables aux contrôles » (2). L’appellation « bio », concernant l’agriculture et l’alimentation, est réservée à ce qui entre dans le cadre de ce règlement. Les cosmétiques et produits d’entretien ne sont donc pas couverts et les labels faisant référence à l’appellation « bio », dans ces cadres-là, ont par conséquent leurs propres cahiers des charges – par exemple, Cosmebio. L’appellation « bio » peut alors ne pas avoir exactement la même signification.

Plus concrètement, le champ d’application du Règlement (UE) 2018/848 prévoit de couvrir les produits agricoles vivants – cultures, animaux, semences et autres matériels de reproduction des végétaux -, les produits agricoles transformés à destination de l’alimentation humaine, l’alimentation pour les animaux, ainsi que – et c’est une nouveauté – une douzaine de produits considérés comme liés à la production agricole : les huiles essentielles, la laine, le coton, les levures, la cire d’abeille, le sel…

 

La culture en bio

Le label bio européen encadre la production végétale en ce qui concerne le recours à des intrants et à des semences bio, mais il le fait aussi en recourant à des listes restrictives de produits autorisés pour la gestion des maladies et des ravageurs. Le règlement, en vigueur depuis 2022, apporte des éléments nouveaux, en ouvrant la porte à l’utilisation de semences plus « hétérogènes » afin de favoriser la sélection paysanne de semences bio. Il affiche aussi la volonté d’aller vers plus de « 100% bio », en limitant les possibilités de dérogations. En effet, vu le manque d’accès à des matières bio – semences, fumier, paille… – dans certains pays dont le nôtre, la Commission permet de déroger à la règle dans un certain cadre. Ce nouveau règlement cherche donc à limiter de telles exceptions afin de pousser au développement du secteur bio pour qu’il s’autonomise. Enfin, comme un retour aux fondamentaux, le R2018/848 prévoit que la rotation en cultures annuelles inclue obligatoirement des légumineuses et autres engrais verts.

Un point d’attention tout particulier doit être porté, dans l’évolution de la règlementation, à la multiplication des tentatives d’introduction de nouvelles substances ou de nouveaux produits dans la liste des intrants utilisables en agriculture biologique. Le secteur se montre généralement défavorable aux demandes concernant des produits issus de la chimie de synthèse ou des co-produits de l’industrie, se montrant par contre ouvert aux substances naturelles qui offrent des alternatives à certains produits autorisés qui sont controversés, comme le cuivre en pommes de terre, par exemple, ou les insecticides pyréthrinoïde en maraîchage. Un tel cap doit absolument être conservé !

 

L’élevage en bio

En bio, on ne pense seulement à la mise à mort « correcte » de l’animal mais aussi à sa « mise en vie » ! La règlementation européenne – qui revendique l’agriculture biologique comme « l’application de normes élevées en matière de bien-être animal » – définit la taille et l’aménagement des bâtiments d’élevage ainsi que du parcours extérieur, l’alimentation des animaux – bio, sans OGM – et les méthodes de gestion des maladies. Le bio base le soin aux animaux sur des pratiques préventives naturelles, les traitements médicamenteux faisant parfois l’objet d’une dérogation sur prescription vétérinaire. La règlementation européenne rappelle également que les animaux doivent être en lien avec le sol et qu’il faut absolument les traiter conformément à leur nature : une vache ou un mouton doivent brouter, un porc doit pouvoir fouiller le sol avec son groin et une volaille gratter la terre… Certains de ces principes, hélas, ne sont pas traduits dans le texte de loi en articles contraignants et ne sont donc pas toujours strictement appliqués sur le terrain. Parmi les nouveautés, on notera la volonté de favoriser l’autonomie alimentaire des éleveurs, en augmentant la proportion d’aliments pour animaux provenant de l’exploitation elle-même ou, si cela n’est pas possible, produits en coopération régionale. Encore faut-il voir comment chaque état définit la notion de « régional ». Wallonie et Flandre n’ont déjà pas la même approche, la première considérant la Belgique et les régions limitrophes alors que la deuxième pense à l’Europe, dans son entièreté…

La Commission a aussi réaffirmé le besoin qu’ont tous les animaux d’accéder à un espace de prairie, et pas seulement une cour extérieure, même si la formulation n’est à nouveau pas contraignante, en ce qui concerne les porcs. En volailles, les densités restent très faibles par rapports aux élevages conventionnels – elles sont deux fois moins élevées qu’en élevage standard intensif – et des règles sont ajoutées en ce qui concerne les bâtiments : plus de perchoirs, meilleur accès aux trappes menant à l’extérieur qui doivent aussi être plus grandes. Une évolution particulièrement décevante concerne la possibilité d’élevages de taille industrielle, puisque la limitation à trois mille poules pondeuses – ou quatre mille huit cents poulets de chair – se fait maintenant par « compartiment » et non plus par « bâtiment ». Heureusement, il est demandé d’aménager les espaces extérieurs avec une grande variété de végétaux, des arbres et des arbustes étant répartis sur toute la superficie pour permettre une utilisation équilibrée de tout l’espace mis à disposition pour les volailles. Notons enfin que des règles sont maintenant définies pour les élevages de lapins et de cervidés, ce qui n’était pas le cas jusqu’à présent.

 

La transformation en bio

Les principes spécifiques à la transformation biologique ne peuvent être mieux résumés que par le règlement lui-même ! Il stipule que la production de denrées alimentaires biologiques transformées repose sur les principes suivants : produire à partir d’ingrédients agricoles biologiques, restreindre l’utilisation des additifs alimentaires et d’auxiliaires technologiques, exclure les substances et méthodes de transformation susceptibles d’induire le consommateur en erreur quant à la véritable nature du produit, recourir à des méthodes de transformation biologiques, mécaniques et physiques, exclure les nanomatériaux manufacturés.

Un produit transformé pourra être étiqueté comme « biologique », à condition qu’au moins 95%, en poids, des ingrédients agricoles du produit soient biologiques. Les 5% d’ingrédients agricoles restants concernent une liste de cinq cas particuliers non disponibles en bio : algues, poisson sauvage, boyaux, gélatine… Seuls cinquante-six additifs alimentaires et quarante-deux auxiliaires technologiques sont actuellement autorisés car ils ont été jugés nécessaires à la production, à la conservation ou à la qualité organoleptique des produits transformés. Les colorants ne sont pas autorisés, sauf en estampillage ou en décoration des œufs de Pâques.

 

Un socle déjà bien solide

Si, aux yeux de certains, la législation bio européenne ne va pas assez loin dans ses exigences, et si elle va déjà trop loin pour d’autres, on peut au moins lui reconnaître le mérite de poser les bases d’une réflexion solide au sujet des méthodes de production de notre alimentation. Au-delà du simple respect de ces règles, les producteurs et les transformateurs bio – les vrais ! – sont poussés à mettre en place une batterie de pratiques toujours plus adéquates et plus ambitieuses afin qu’elles correspondent toujours mieux à la philosophie qu’ils défendent, garantissant ainsi au consommateur une alimentation toujours plus proche de ses exigences nutritionnelles et sociétales.

 

Notes :

(1) Certisys, nouvelle règlementation bio 2022. En ligne : www.certisys.eu/nouvelle-reglementation-bio-2022/

(2) Le Règlement (UE) 2018/848 est consultable en ligne, via une recherche sur https://eur-lex.europa.eu. Nous vous invitons fortement à lire les articles 4 et 5 qui rappellent les objectifs et principes généraux de l’agriculture biologique.