Réservé pour l’heure à l’élevage, le score C’Durable ? est un indicateur tout neuf, mis en place par la Région Wallonne, afin d’évaluer objectivement les performances agri-environnementales de nos fermes. S’appuyant sur quatre indicateurs scientifiques, il entend apporter de la transparence dans les pratiques et séparer le bon grain environnemental du greenwashing. Mais, comme toujours, c’est en fin de compte toujours au consommateur que reviendra la lourde responsabilité de décider…

Par Julie Van Damme

 

Tout le monde veut aujourd’hui manger local et durable, même si personne ne sait, à vrai dire, exactement ce que cela signifie. Impossible pour le consommateur de savoir d’où vient le blé d’un pain local et qui l’a cultivé. Et, si l’on excepte le bio, qu’est-ce qui peut vraiment offrir des gages de durabilité (1) à celui et à celle qui se soucie de son assiette ? Le désir d’engagement pour une société plus durable est, en effet, constamment au cœur de leurs préoccupations mais rien ne peut malheureusement garantir que les modes d’élevage et de transformation soient vraiment ceux qu’il souhaite. Le « localwashing » est même, par les temps qui courent, une variante très usitée du trop célèbre « greenwashing » : il est permis de raconter un peu tout ce qu’on veut à propos du local, simplement parce qu’aucune règle précise n’existe le concernant, parce qu’aucune clé fiable ne permet au consommateur de départager les produits qu’on lui propose sous la promesse facile et tellement émotionnelle d’être bonne pour son « chez lui« , pour son « chez elle« , pour notre « chez nous« … Fiertés d’amon nos-ôtes vite récupérées au profit d’un marketing venu de nulle part.

 

Seules nos fermes produisent local !

La proximité promise est sans doute souvent réelle mais pour quels bénéfices sociaux et environnementaux ? Ne nous y trompons pas : le maintien de fermes à taille humaine, au cœur de nos villages et pas trop loin de nos villes, doit être aujourd’hui l’enjeu essentiel de notre consommation. Nos mauvais choix alimentaires et les errements de nos responsables politiques font le jeu de systèmes agroindustriels dont le seul but est de vider nos porte-monnaie et de remplir le compte en banque de leurs actionnaires. Mettons donc fin d’urgence à ce désastreux hold-up ! Hold-up sur nos terres et sur nos fermes, hold-up sur nos productions agricoles et sur le contenu de nos estomacs. N’accordons plus aucun crédit à ceux qui laissent agir leurs auteurs en toute impunité, en promouvant leurs OGM, leurs pesticides et leurs engrais. Leur soja d’importation et leurs déforestations irresponsables, leurs monopoles semenciers et leur addiction au pétrole… Cela fait trop, beaucoup trop, pour l’humble mangeur qui ne désire d’autre horizon alimentaire que celui qu’il a sous les yeux.

Si le score C’Durable ? se propose aujourd’hui d’évaluer nos fermes, en toute transparence, c’est donc, avant tout, pour les maintenir en vie. L’urgence, redisons-le, est de les laisser prospérer pour prendre soin de notre environnement et pas pour le détruire. Il s’agit d’un véritable projet politique qui ne pourra se réaliser sans le soutien actif de tous ceux qui approuvent ce qu’elles produisent. Mais encore faut-il, pour ce faire, leur dire toute la vérité sur leurs objectifs et leurs méthodes, le faire dans la plus totale transparence !

Mais la mise au point d’un bilan environnemental global, à l’échelle d’une ferme ou d’une denrée qu’elle produit, est évidemment beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît de prime abord. De nombreux facteurs durent être pris en compte et il fut nécessaire, dans le souci de les objectiver le mieux possible, d’associer à la réflexion sur cet indicateur environnemental global, les acteurs wallons ayant des pièces du puzzle en question…

 

C’Durable ?, un outil crédible avant tout !

Tant de choses fâchent aujourd’hui et divisent le monde agricole ! Soutenu par la Région wallonne, C’Durable ? (2) se devait donc d’être l’indicateur indiscutable des performances agri-environnementales de nos fermes, de toutes nos fermes, en s’appuyant sur les meilleurs outils scientifiques d’évaluation disponibles à cet effet. Une telle volonté de mise au point d’un indicateur environnemental à l’échelle de nos systèmes productifs – de nos fermes, quoi – était dans l’air depuis longtemps, en Wallonie. Il pouvait s’inspirer de la Haute Valeur Environnementale (HVE) à la française, ou du système Planet-score, mis au point par l’ITAB (Institut de l’Agriculture et de l’Alimentation Biologiques) (3), en France également…

Dans un souci d’impartialité, Canopea – naguère Inter-Environnement Wallonie – voulut se montrer proactif en proposant, à l’actuel gouvernement wallon, d’adopter son propre projet, plutôt que celui, par exemple, d’une marque privée de la grande distribution, comme Colruyt (4). Répondant à l’appel wallon sur la relocalisation de l’alimentation, Saveurs paysannes et Canopea débroussaillèrent donc le terrain, avec l’ambition d’élaborer un « score de durabilité », destiné à être affiché aussi bien sur les emballages des produits qu’en magasins, comptoirs de vente ou même sur les réseaux sociaux respectifs des producteurs. L’objectif initial était bien de mieux informer le consommateur quant à l’impact environnemental de ce qu’il achète, en s’appuyant sur des indicateurs indiscutables. Et, plutôt que d’élucubrer un Xe projet onéreux, ces acteurs s’efforcèrent d’agréger ceux qui existaient déjà ou étaient encore en construction, en Wallonie.

Concrètement, la conception du score ne repose donc pas sur quelque cahier des charges particulièrement complexe et n’est donc aucunement un label de plus. Il se borne à refléter la volonté d’un producteur, d’une productrice d’adopter une démarche permettant à son projet de tendre vers un modèle agricole respectueux et pérenne. D’un point de vue strictement visuel, le score ainsi obtenu pourra ainsi être apposé sur tous les produits de la ferme.

 

Quatre préoccupations majeures

Quatre indicateurs ont donc retenu l’attention des concepteurs :

– l’impact de la ferme en matière de changements climatiques, à travers ses propres dégagements de gaz à effet de serre (GES),

– son rôle, particulièrement important, en termes de sauvegarde de la biodiversité ;

– le bien-être des animaux qui y sont élevés ;

– l’importance socio-économique de son action, en matière de bien-être au travail, d’équité dans les prix, de diversification, de rentabilité et de pérennité de son projet.

Fut choisi, en matière climatique, un outil baptisé DECIDE, mis au point par le Centre wallon de Recherches agronomiques (CRA-W) (5), qui dresse les bilans d’émissions de gaz à effet de serre (GES), la consommation d’énergie et les émissions d’ammoniac des exploitations agricoles. Les émissions de GES sont mesurées par hectare ou par litre de lait produit, la consommation d’énergie et les achats d’aliments sont mesurés par hectare. DECIDE, quoi qu’en perpétuelle amélioration, est un outil parfois critiqué pour ne pas mettre suffisamment en avant les bonnes pratiques agricoles, ni prendre assez en compte la diffusion, en circuit court, des denrées produites. Il est donc a priori plutôt favorable aux exploitations conventionnelles et certainement pas aux producteurs labellisés par Nature & Progrès, par exemple. Au-delà du projet C’Durable ?, DECIDE, presqu’historique en Wallonie, s’est vu imposé par notre exécutif comme outil de référence pour les GES. L’outil est en perpétuelle amélioration et s’arrête aux portes de la ferme. Il ne prend donc pas en compte les circuits de diffusion des denrées produites.

Sur les questions de biodiversité, l’unique indicateur encore en cours d’élaboration par Natagriwal (6), au début du projet, fit l’unanimité. C’est, en effet, peut-être l’indicateur pour lequel les agriculteurs ont des pistes d’améliorations concrètes et incitatives. La FUGEA qui applique le score C’Durable ? sur le terrain – et connaît, par ailleurs, bien le système de MAEC (Mesures Agri-Environnementales et Climatiques), mesures de l’architecture verte de la PAC (Politique Agricole Commune) européenne – est ainsi en mesure de donner aux agriculteurs concernés les conseils utiles qu’ils peuvent mettre aussitôt en pratique, ou de les renvoyer vers les conseillers de Natagriwal. Le critère du bien-être animal s’inspire du concept hollandais Beter Leven (7), en l’adaptant toutefois au contexte de Wallonie. Enfin, le quatrième indicateur, celui de la résilience économique, vient de France et est fourni par la méthode Idea (8) qui analyse les indicateurs de durabilité des exploitations agricoles.

Grande absente : l’eau ! Il y avait bien eu, en Wallonie, l’initiative de l’UNAB (Union Nationale des Agrobiologistes Belges), avec « Je protège l’eau en Wallonie » – voir aussi en page 38. PROTECT’eau (9), en collaboration avec CRA-W, serait en train de travailler sur INDIC’eau, un nouvel outil pour une meilleurs qualité de l’eau (10). Peut-être de quoi intégrer un cinquième critère ?

 

Et que tout cela nous apprend-il ?

Collaborateur-clé de la création de C’Durable ?, la FUGEA mobilisa très largement les membres de son réseau ; plusieurs d’entre eux choisirent ainsi de passer l’épreuve du score C’Durable ?, qu’il s’agisse de producteurs laitiers dont les troupeaux justifient la traite robotisée ou de signataires de la charte de Nature & Progrès… Les scores obtenus permettent, en tout cas, de réintroduire un peu de transparence quant aux diverses pratiques. La promotion actuelle autour du local fit beaucoup d’ombre aux éleveurs qui pratiquent l’agriculture biologique et il était devenu indispensable de remettre l’église au milieu du village, en comparant ce qui pouvait l’être. Ceci rappelait que la bio avait permis de démontrer qu’une ferme est un organisme global reposant, avant tout, sur l’équilibre de quelques fondamentaux, qu’il est illusoire, par conséquent, de tendre vers l’excellence sur certains paramètres en négligeant malheureusement tous les autres… L’idée d’amener de la qualité à tous les niveaux sous-tendait donc l’ambition du score C’Durable ?. Il fallut admettre également, dans le même ordre d’idées, que toutes les vertus ne peuvent pas surgir comme par enchantement et qu’il est d’abord indispensable de retrouver de l’emprise sur les questions qui font problème afin d’évoluer vers un équilibre global de la ferme.

Certes, les agriculteurs dont le score sera négatif se garderont probablement de l’afficher à tous les vents… Gageons néanmoins qu’un tel constat éveillera, chez eux, une réflexion utile plutôt que du déni, qu’il les inscrira – plutôt que de les en exclure – dans un véritable projet d’amélioration localement profitable pour tous. Gageons surtout les vrais convaincus de la bio devraient se trouver confirmés dans leur démarche, par le biais de scores positifs.

Vouloir manger local, insistons là-dessus, c’est avant tout vouloir sauver nos fermes ! Mais voulons-nous vraiment d’une production locale qui ne soit pas environnementalement irréprochable ?

 

Notes :

(1) Traduction très imparfaite, rappelons-le, de l’anglais sustainability, qui concerne la pérennité des ressources, des capacités de production.

(2) Voir : www.c-durable.be

(3) Voir : http://itab.asso.fr/activites/planet-score.php.

(4) Pour l’Éco-score de Colruyt, voir : www.colruyt.be/fr/a-propos-de-colruyt/durabilite/eco-score/eco-score-explication.

(5) Voir : www.cra.wallonie.be/fr/decide-bilans-ges-energie-et-ammoniac-de-votre-exploitation?sso_verify=3yj8no2plbggw0kw0w88wkokgswo40s48ok8oc88owwcg4wko0

(6) Voir : www.natagriwal.be/fr/biodiversite-agriculture-forets/quelles-solutions

(7) Voir : https://beterleven.dierenbescherming.nl/

(8) Voir : https://methode-idea.org/

(9) Voir : www.protecteau.be/

(10) Voir : www.cra.wallonie.be/fr/indiceau?sso_verify=yaz5mhkb168o04scoc4o044cgw4wscos04080ok4g44gwwso