Comment les techniques horticoles influencent-elles la vie du sol ?

La vie du sol est un des aspects centraux de la culture biologique. Nous abordions déjà ce sujet essentiel, il y a un peu plus de deux ans, dans les pages de Valériane n°130. Voici donc une nouvelle approche de cette question fondamentale, abordée via le regard d’un des jardiniers les plus chevronnés de notre association…

Un dossier réalisé par Philippe Delwiche

Bien connaître son sol

« Nous entendons par écologie la science globale des relations des organismes avec le monde extérieur environnant dans lequel nous incluons, au sens large, toutes les conditions d’existence. » Ernst Haeckel, 1866.

Parler de « biota » des sols est plus précis que parler de biodiversité des sols car ce mot fait référence à la communauté complète vivant à l’intérieur d’un « système sol » donné. Ceci permet, par exemple, de préciser que le « biota » du sol d’une prairie est généralement plus diversifié que celui d’une terre cultivée. Nous verrons aussi que le « biota » des potagers peut varier à l’infini selon le terroir – type de sol, pH… -, le climat, la météo, l’aménagement du jardin – haie, pelouse… -, les pratiques de gestion du sol ainsi que l’approche du jardinier quant à la manière d’apporter les matières organiques au sol.

Le sol et la vie qui y est présente constitue la part prépondérante de l’écosystème du jardin. Ce monde grouillant et complexe que nous foulons chaque jour est majoritairement inaccessible à l’œil et, même lorsque nous nous penchons sur lui alors que nous le travaillons, il ne nous révèle que peu d’ »informations ». Cette invisibilité et cette complexité expliquent-t-elles le désintérêt du monde agronomique pour ce sujet ? Mais aussi la frustration des rares scientifiques qui s’y intéressent ? Dans le cadre de ses recherches sur les mycorhizes, le chercheur J.-N. Klironomos considère que « le sol est vraiment comme une grande boîte noire ; c’est vraiment difficile de comprendre ce qui s’y passe » (J.-N. Klironomos, cité dans ‘Harmless-looking’ trees really predators, partner with fungi to eat insects alive, new research shows, 2001).

Un long processus biologique à préserver

La « science globale » nécessiterait que le sol et la vie qui s’y déroule soient étudiés par des équipes interdisciplinaires. Des scientifiques comme Claude et Lydia Bourguignon, ou comme Marcel Bouché, ont cependant consacré toute leur vie de recherches à ce sujet ou à un de ses domaines. Et, pour le bonheur des jardiniers et des agriculteurs, ils ont publié des ouvrages de vulgarisation très digestes et nous permettent de nous rendre compte que les techniques préconisées, dès le début, par les pères de l’agriculture et du jardinage biologiques étaient les bonnes. Peu à peu cependant, une part de l’empirisme du départ est ainsi balayée par de nouvelles découvertes qui nous permettent de mieux comprendre et d’améliorer nos techniques culturales, favorables à des productions légumières et fruitières saines et, par conséquent, à une alimentation équilibrée.

La transformation de la matière organique brute en éléments assimilables par les plantes est un long processus qui doit être absolument préservé car il est le garant d’un bon sol de jardin. Il permet, tout d’abord, la fragmentation et une lente transformation des déchets organiques en humus, avant que celui-ci ne soit, lui-même, transformé en substances rendues assimilables par les plantes. Le jardinier joue donc un rôle important – et, tout à la fois, mineur – dans la grande usine fertilisante du sol du potager car celui-ci s’autorégule naturellement s’il adopte des techniques culturales appropriées et, outre le compost, apporte très régulièrement des matières organiques fraîches au sol. Ainsi, avec un sol vivant, le cycle annuel d’activité et de repos des plantes est en parfaite adéquation avec le cycle de transformation des matières organiques en éléments nutritifs assimilables par les plantes.

Joseph Poucet propose ainsi la métaphore de l’usine pour illustrer le travail intense de l’écosystème du sol, alors qu’il utilise celle de l’entrepôt pour évoquer l’approche conventionnelle avec utilisation d’engrais chimiques.

Les flux d’énergie du monde végétal vers le sol

Le sol est le support de la biodiversité terrestre, qu’elle soit visible à nos yeux ou, au contraire, cachée sous nos pieds. Mais ce sont les végétaux qui en sont les orchestrateurs car ils fixent l’énergie solaire qu’ils transforment en énergie biochimique assurant leur croissance. Si nous réfléchissons sommairement à l’utilité de cette énergie, nous pensons à l’alimentation du monde animal domestique et sauvage, avec le broutage par les herbivores tels que la vache, le lapin, le mulot, la chenille ou l’ensemble des omnivores … Mais aussi à l’alimentation de l’humanité ! Toutefois, la « part du gâteau » promise aux herbivores et aux omnivores est très faible si elle est comparée à celle qui est destinée à la biodiversité du sol. Faut-il s’en étonner lorsqu’on sait que le sol héberge 80 % de la biomasse terrestre ?

Trois phénomènes participent aux transferts de l’énergie des plantes vers le sol :

– la faune et la flore épigées dont le milieu de vie est la litière de surface où s’accumulent les parties aériennes des végétaux tombées par terre. Dans le jardin, un milieu artificiel mais assez proche de cette litière peut être recréé avec des apports variés de « mulch » qui ne laissent jamais la terre nue ;

– les endogés sont une faune beaucoup plus discrète mais tout aussi importante qui se nourrit essentiellement de racines mortes, dans les profondeurs du sol, mais aussi de microorganismes morts et vivants. Il est donc essentiel de laisser les racines dans le sol, lors des récoltes, afin d’y maintenir cette précieuse forme de vie ;

– la rhizodéposition, indécelable et trop peu connue, consiste en la libération, par l’extrémité des racines et des radicelles des plantes vivantes, d’exsudats de sève élaborée et de cellules détachées directement dans la rhizosphère. Ce processus permet de nourrir et donc d’accumuler dans la mince couche de terre agglutinée aux racines les micro-organismes utiles à la plante – bactéries, protozoaires, nématodes, champignons – ; ce phénomène est très important car il fournit jusqu’à 40 % des sucres fixés par la plante. Il est dû à la présence de plantes cultivées ou spontanées ; l’occupation des parcelles par des cultures intermédiaires d’engrais verts est donc un facteur permettant de le favoriser et de l’intensifier.

 

Le jardinier peut également se montrer moins sévère avec les plantes adventices annuelles plus faciles à gérer – comme la mercuriale, le mouron des oiseaux, le séneçon ou la petite véronique – car cette végétation variée assure également la fertilité des sols. Il doit donc veiller à supprimer les « temps morts » par des successions rapides de cultures de légumes et d’engrais verts, et par des « mulchs » qui nourriront la biodiversité du sol par les trois phénomènes décrits ci-dessus.

Il est également nécessaire de compenser les exportations de récoltes, qui épuisent les sols, par des apports de matières organiques, issues du jardin d’agrément ou de l’environnement extérieur : fumiers, feuilles mortes, broyat… Quand c’est possible, il faut toujours privilégier, pour ces apports, la technique du « mulch » à la celle du compostage et toujours veiller à couvrir les parcelles inoccupées.

Les travailleurs de l’ombre de l’usine du sol

La macrofaune du sol désigne grosso modo tous les invertébrés visibles à l’œil nu. Ce sont les architectes du sol : la densité des macropores qu’ils creusent dans le sol déterminera notamment sa capacité d’absorption des eaux de pluie. Nous nous intéresserons ici aux trois faunes et aux deux types de « microbes » du sol dont la vie intense se partage en différents territoires et en différentes tâches. Les populations épigées, endogées et anéciques se définissent principalement par leur localisation dans le sol et par leur régime alimentaire.

Faune épigée et faune endogée
  1. La faune épigée vit dans la litière de surface, composée des déchets organiques tombés au sol, qu’elle déchiquette, broie et réduit finalement en boulettes fécales et en humus. On y trouve les saprophages, les nécrophages et les coprophages.

Les saprophages mangent les déchets végétaux. Ce sont les cloportes et les iules aux puissantes mandibules qui s’attaquent aux bois tendres des jeunes rameaux, les limaces et les collemboles s’attaquent qui aux parties tendres des feuilles entre les nervures – alors que les acariens attaquent les nervures -, les nématodes et les petits vers épigés – comme le ver du fumier – qui terminent le travail et s’alimentent de déchets très fins ainsi que des excréments des autres espèces.

Les nécrophages, comme les mouches se nourrissent des cadavres de petits vertébrés. Certains insectes du genre Nicrophorus enterrent même les cadavres afin de les soustraire à leur appétit des mouches. Les nécrophores transportent souvent de nombreux acariens lors de leurs déplacements.

Les coprophages éliminent les déjections des autres animaux ; les plus actifs sont les bousiers, les mouches et les cafards mais il n’est pas rare de voir des insectes plus inattendus comme des papillons tels que l’Argus bleu (Polyommatus icarus) ou le Bel argus (Polyommatus bellargus) se nourrir de déjections.

De minuscules acariens s’attaquent aux fibres les plus dures ; c’est, par exemple, le cas des Oribate sp., un groupe d’acariens dont la taille est inférieure au millimètre, caractérisé par une carapace, un exosquelette qui recouvre leur corps. De grandes densités de populations vivent dans la litière et les tapis de mousses et de lichens ; ils se nourrissent de matières en décomposition et sont capables de s’attaquer aux fibres les plus dures. Ils jouent un rôle primordial dans le recyclage de la matière organique en la fragmentant en très petites particules, et se rencontrent donc dans les « mulchs », le compost et les fumiers.

Parmi la faune épigée, de nombreuses espèces craignent les rayons du soleil. Le jardinier, en labourant, les prive de nourriture trop profondément enfouie. Cette faune est donc plus difficile à maintenir dans nos potagers. Outre son rôle de bio-décomposeur, son importance est pourtant primordiale car elle crée une infinité de zones poreuses qui génèrent jusqu’à 80 % de vide dans cette « peau » qu’est le sol, ce qui lui procure une incroyable perméabilité pouvant contenir jusqu’à cent cinquante millimètres d’eau par heure, dans nos forêts tempérées de feuillus, alors qu’un limon labouré qui devient battant voit sa perméabilité tomber à un millimètre d’eau par heure ! Les techniques du « mulch », de la dépose de compost jeune et mi-vieux et des cultures intercalaires d’engrais verts sont donc essentielles si le jardinier veut favoriser la présence de la faune épigée dans son potager.

 

  1. La faune endogée vit dans les profondeurs du sol et se nourrit essentiellement de racines mortes. Sa présence est indicatrice de la bonne santé du sol. Elle comprend les mêmes groupes que la faune épigée : vers, myriapodes, thysanoures, collemboles, acariens et protoures. Les espèces sont, par contre, plus petites, de couleur blanche ou très pâle et très allongées afin de se faufiler jusqu’au bout des racines les plus fines. Cette faune assure une porosité qui peut atteindre 60 % du volume du sol profond ; elle permet une bonne répartition de l’irrigation et la respiration des racines. La meilleure manière de favoriser sa présence au potager consiste à mettre en place des cultures intermédiaires car des successions rapides entre cultures de légumes et cultures d’engrais verts laissent, en continu, des déchets de racines dans le sol.
La faune anécique

Cette faune désigne toutes les espèces de lombrics. Nous avons évoqué les trois grands phénomènes participant aux transferts d’énergie des plantes vers le sol pour l’enrichir en humus. Parlons, à présent, de ceux que les pédologues considèrent comme les grands architectes du sol : les lombrics qui, par d’incessants déplacements entre la litière et la roche-mère, réunissent le minéral et le végétal pour en faire une terre fertile !

Les lombrics brassent sans arrêt le sol dont ils assurent un bon drainage sur de grandes profondeurs. Leur va-et-vient incessant, dans de longs terriers verticaux parfois longs de plus d’un mètre, leur permet de remonter des profondeurs les éléments minéraux en voie de lessivage ; ils les agglomèrent ensuite avec la matière organique récoltée dans la litière, lors du passage dans leur intestin. Ce « collage » entre argile et humus est rendu possible par une glande riche en calcium qui en assure l’attache. Les lombrics vident ensuite partiellement leur intestin, en surface, sous forme de petits tas appelés « turricules », avant de redescendre inlassablement vers les profondeurs…

Le lombrimixage

 

kilos par mètre carré

kilos par are

tonnes par hectare

un jour

0,018

1,8

0,18

un an

6,57

657

65,7

cinquante ans

328,5

32.850

3.285

Ces chiffres correspondent à un taux de 3% d’humus stable, soit un taux souvent largement dépassé dans les bons jardins bio. Notons qu’après cinquante ans, l’entièreté de la couche arable est passée par le tube digestif des lombrics !

Ce tableau permet donc de mesurer l’incroyable action bénéfique des lombrics sur le sol. En perpétuel déplacement, ils ingèrent, digèrent et remodèlent des quantités inimaginables de terre. Ils assurent :

– l’aération du sol ;

– un brassage intime des minéraux et de la matière organique ;

– la formation de micro-agrégats indispensables à la percolation des eaux de pluies qui limitent les effets d’érosion ;

– la stabilisation du carbone dans le sol ;

– la dissémination d’importantes communautés microbiennes, présentes dans leur tube digestif, qui interviennent dans la dégradation des protéines et agissent sur le cycle de l’azote ;

– la formation de composés organiques aux propriétés hormonales, favorables à la croissance des plantes, qui se trouvent dans les fèces ;

– la formation de substances rhizogènes similaires à l’acide indole acétique, une phytohormone qui stimule la rhizogénèse ;

– enfin le lombric (Lumbricus terrestris) possède un pouvoir neutralisant qui agit sur le pH acide de la terre grâce à des excrétions cutanées qui augmentent d’autant plus que le pH du sol est bas.

Les lombrics ont également un effet bénéfique pour les plantes car ils développent une relation étroite avec leur système racinaire. Ils creusent jusqu’à cinquante mètres de galeries dans un seul mètre cube de terre cultivée, dont cinq à sept mètres débouchent en surface. La surface des parois de ces galeries peut atteindre cinq mètres carrés. Le nombre de microorganismes situés sur ces parois correspond à la moitié de la masse totale présente dans les sols. Il n’est donc pas étonnant de retrouver racines et radicelles dans ces galeries riches en oxygène et en éléments rendus assimilables par les microorganismes. Les lombrics, dans les galeries qu’ils creusent, se retrouvent ainsi souvent entourés d’une gangue de radicelles.

L’observation des traces laissées en surface par les lombrics est internationalement reconnue comme un bon indicateur de l’état des terres de culture et des conséquences des pratiques culturales. L’altération de la biodiversité lombricienne peut donc être mise en parallèle avec l’altération de la biocénose du sol.

Evaluation de l’activité lombricienne par le diamètre des galeries

diamètre

origine – galerie formée par

signification

10 à 13 mm

de très gros lombrics

très bonne activité du sol

5 à 10 mm

de gros lombrics

bonne activité du sol

3 à 5 mm

des lombrics moyens

activité moyenne du sol, à améliorer

1 à 3 mm

des vers endogés

activité insuffisante du sol

0,5 à 1 mm

des vers endogés ou des racines

absence de lombrics, sol quasi mort

 

Evaluation de l’activité lombricienne par la densité des galeries

densité –

grosses galeries tous les

activité des lombrics

signification

3 à 5 cm

excellente

maintenir

5 à 10 cm

très bonne

améliorer encore cette bonne activité

20 à 40 cm

moyenne

améliorer

50 à 100 cm

faible

intensifier (BRF)

pas de grosses galeries

absente

sol à restaurer (BRF)

Le travail des lombrics dans un très bon sol peut atteindre cinq cents mètres de galeries par mètre carré, soit le tour d’un terrain de football. Le sol est transformé en gruyère et nous n’en sommes pas conscients !

Evaluation de l’activité lombricienne par la présence de turricules

nombre de turricules

signification agronomique

50 à 100 % de la surface recouverte

très bonne activité lombricienne

dix par mètre carré

bonne activité biologique

un par mètre carré

activité moyenne

un pour dix mètres carrés

activité faible

aucun turricule observé

activité très faible ou nulle

 

Comparatif sol / fèces pour quelques éléments nutritifs

Eléments comparés

Sol de surface

en o/oo

Fèces de lombric

(en o/oo)

Taux d’enrichissement

(en %)

Calcium

1,990

2,790

140 %

Magnésium

0,162

0,492

300 %

Azote

0,004

0,022

550 %

Phosphore disponible

0,009

0,067

740 %

Potassium

0,032

0,358

1100 %

pH

6,4

7

D’autres vers de terre que les lombrics participent également à un bon équilibre du sol. On en rencontre parmi la faune épigée – vers de fumiers – et la faune endogée où, contrairement aux lombrics, ils creusent des galeries horizontales. Ces vers sont beaucoup plus petits et sont de couleurs plus ternes ou plus pâles.

Trois groupes écologiques de vers de terre

 

Anéciques

Endogés

Epigés

habitat

toutes les couches du sol jusqu’à quatre mètres de profondeur

couche arable entre cinq et quarante centimètres

en surface dans la litière, au potager sous les « mulchs » mais surtout en prairie et en forêt.

taille

quinze à quarante-cinq centimètres

jusque quinze centimètres

deux à six centimètres

aliments

tirent de longs débris frais ou en décomposition dans les galeries

débris organiques en mélange avec la terre

débris organiques présents dans la litière de surface.

reproduction

limitée

limitée

importante

durée de vie

quatre à huit ans

trois à cinq ans

un à deux ans

espèces

lombric

Octolasium lacteum, Allolobophora caliginosa

ver du fumier, ver du marécage

 

Champignons et microorganismes

Ces populations se divisent en deux groupes selon le résultat de leur action sur la transformation de la matière organique :

– les humificateurs fabriquent le meilleur et le plus stable des humus, en s’alimentant de matière organique riche en carbone ; ce sont principalement les champignons basidiomycètes ;

– les minéralisateurs transforment l’humus et la roche-mère en éléments nutritifs assimilables par les plantes ; ce sont des bactéries, des champignons actinomycètes et des champignons inférieurs inféodés aux différents types de nutriments.

Pour favoriser les microorganismes dans le sol, il faut ;

– des apports de matières organiques réguliers ;

– un travail du sol le plus superficiel possible, en cherchant à obtenir une structure meuble et aérée en surface et stable dans les couches profondes ;

– des conditions stables de température – avec des variations atténuées par des rotations suivies de cultures et la pose de « mulchs » – et d’humidité grâce à une bonne percolation et à la protection du sol par les « mulchs » ;

– un pH le plus proche de la neutralité grâce aux apports d’intrants – chaux, soufre… -, et d’humus, ainsi que par une régulation par les lombrics.

Poids des microorganismes à l’are

Sol équilibré

Sol dégradé

bactéries

20 kg

200 g

champignons

15 kg

500 g

algues

2 kg

50 g

nématodes

100 kg

10 g

 L’origine des symbioses entre plantes, champignons et bactéries est très ancienne. Au Dévonien, il y a quatre cents millions d’années, les premières plantes pionnières, des algues vertes, quittèrent l’océan pour conquérir les continents. Dépourvues de racines pour se nourrir, elles s’associèrent avec des bactéries et des champignons, mieux armés pour minéraliser les éléments nutritifs.

Un monde de communications et d’équilibres

Le sol, appareil digestif des plantes

Les scientifiques remarquent combien les approches respectives de la racine et de l’intestin possèdent des points communs, du point de vue du microbiote. Dans l’intestin d’un animal, les bactéries, indispensables à l’assimilation des nutriments, avant leur passage dans le sang, se situent contre les parois intestinales. Elles sont « coincées » entre les villosités. Pour la racine, c’est à l’extérieur, entre les poils absorbants de la zone apicale que la masse microbienne est localisée et forme un « manchon » autour de la racine. Le principe de fonctionnement est cependant identique : racine et intestin fournissent les ressources énergétiques produites par l’hôte et nécessaires aux microorganismes, principalement bactéries et cryptogames, qui se chargent en retour d’aider l’hôte à se nourrir – minéralisation -, à croître – hormones de croissance – et à se défendre des bioagresseurs – antibiotiques. Les plantes veulent profiter pleinement de ces bienfaits et ont développé un mécanisme qui, pour un esprit cartésien, pourrait sembler peu profitable. Elles participent, en effet, activement à la chaîne trophique en nourrissant les mycorhizes et les bactéries. Pour cela, les racines exsudent du carbone : jusqu’à 40 % des sucres présents dans la sève élaborée sont diffusés dans la rhizosphère afin d’attirer et de nourrir le microbiote racinaire avide de carbone. En fonction de la demande en éléments nutritifs, hormones ou antibiotiques, les exsudats émis par les plantes sont modifiés afin de favoriser la vie bactérienne nécessaire à leurs besoins.

La vie bactérienne

Une cuillère à café de sol contient cinq milliards de bactéries qui sont à l’origine de nombreux processus :

– transformation et solubilisation des éléments utiles à la plante à partir de la matière organique et des minéraux du sol : carbone, azote, soufre et phosphore mais aussi oligo-éléments sont étroitement liées à l’activité bactérienne, Bacillus mucilaginosus, B. megaterium, B. amyloliquefaciens ;

– fixation de l’azote atmosphérique et du sol et échange avec la plante contre du sucre (symbiose), Rhizobium sp (Fabacées), Azospirulum (Graminées), Nitrobacter ; dans un bon sol ces bactéries peuvent produire jusqu’à deux kilos et demi d’azote à l’are ; l’azote atmosphérique peut également être fixé dans le sol par des bactéries aérobies non symbiotiques, comme Azotobacter chroococcum, cyanobactérie Nostoc ;

– minéralisation de l’azote, avec conversion de l’ammonium en nitrites – Nitrosomonas, Nitrosospira, Nirosococcus, Nitrosolobus… – et conversion des nitrites en nitrates – Nitrobacter, Nitrospina, Nitrococcus ;

– production d’hormones de croissance, de type auxine, qui favorisent le développement des racines – B. subtilis ;

– compétition pour les nutriments, avec les micro-organismes pathogènes et limitation des risques de maladie – B. mucilaginosus, B. megaterium, B. amyloliquefaciens, B. subtilis, Pseudomonas chlororaphis, Pseudomonas fluorescens ; cette lutte s’effectue de plusieurs manières : compétition pour les nutriments et pour la colonisation des zones racinaires, compétition par le nombre, compétition par action enzymatique…

– rôle protecteur contre les attaques de ravageurs – Bacillus thuringiensis ;

– formation d’agrégats améliorants pour la structure du sol et maintien des éléments fertilisants près des racines ; elles fabriquent une gomme destinée à les maintenir contre les racines ;

– effet protecteur contre la sécheresse et les stress hydriques ;

– détoxification du sol – Pseudomonas sp (fioul, pétrole brut), Micrococcus sp (pyridines, herbicides, biphényles chlorés, pétrole).

Echanges complémentaires avec les symbioses mycorhiziennes

A l’instar du lichen résultant d’une symbiose d’un champignon avec une algue, il existe des collaborations entre les champignons et les racines des plantes, d’où leur nom, qui s’inspire du grecs, mykes pour champignon et rhiza pour racine. Le terme mycorhize définit ainsi les différentes formes d’associations symbiotiques entre les plantes et certains champignons du sol, qui colonisent les tissus racinaires des plantes pendant la période végétative. Lors de ce « partenariat », les champignons mycorhiziens jouent un rôle important pour la nutrition minérale des plantes et bénéficient, en retour, de l’apport de sucres dérivés de la photosynthèse des plantes colonisées. Au moins 80% des plantes peuvent s’associer à des champignons et bénéficier de cette symbiose. On connaît aujourd’hui au moins sept types d’associations mycorhiziennes et l’une des deux principales, dite à arbuscule, est formée par des champignons primitifs et concerne plus de 90 % des végétaux, avec quelques exceptions comme les Brassicacées (choux, moutardes…).

Les bénéfices biologiques rendus par les symbioses mycorhiziennes présentent un réel intérêt en production biologique, à faibles quantités d’intrants :

– le mycélium des champignons mycorhiziens constitue, pour les plantes, une extension de leurs systèmes racinaires et permet un accroissement significatif du volume de terre exploré :

– une solubilisation des formes organiques du phosphore se produit par le biais des acides organiques sécrétés par les champignons, or la carence en phosphore (P) constitue un des facteurs limitants dans les sols uniquement fertilisés de compost et d’engrais verts ;

– une mobilisation, par les champignons mycorhiziens à arbuscules qui colonisent les racines de la plupart des plantes, de potassium (K), calcium (Ca), magnésium (Mg), cuivre (Cu), zinc (Zn), fer (Fe), soufre (S) et même d’azote (N) : ces champignons sont parmi les plus efficaces pour le prélèvement des macronutriments et tout particulièrement en ce qui concerne le phosphore (P) ;

– une hydrolyse de l’azote organique ;

– un rôle protecteur contre les attaques d’agents phytopathogènes – Trichoderma harzianum contre certains Fusarium, Sclerotinia

– le renforcement de la résistance des plantes aux stress thermique, hydrique et salin ;

– l’amélioration de la qualité des terres, en renforçant la diversité de la microflore ;

– la réduction de l’érosion hydrique, grâce à la production d’une substance collante qui cimente les particules du sol en petits agrégats stables ;

– la détoxification du sol – Coniochaeta ligniaria.

D’autres champignons contribuent à la lutte biologique contre des maladies et des ravageurs ; ils jouent un rôle protecteur contre les attaques d’insectes ravageurs – Beauvaria bassiana, Arthrobotrys anchonia – et les nématodes – Arthrobotrys anchonia.

Différents facteurs les favorisent :

– les sols riches en humus ;

– la réduction du travail mécanique ;

– les associations et les rotations de cultures ;

– la plupart des adventices qui favorisent la croissance des mycorhizes et servent de plantes relais entre deux cultures de légumes ;

– les cultures intermédiaires d’engrais verts mycorhigènes : les légumineuses et les graminées (photo) sont particulièrement enclines aux associations mycorhiziennes, la phacélie est très mycorhigène, avec vingt-six spores par décigramme de sol.

D’autres facteurs nuisent à leur présence :

– les labours et les monocultures ;

– la richesse d’un sol en phosphore est un facteur limitant (engrais chimique) ;

– les légumes et les engrais verts des familles des alliacées, des brassicacées et des chénopodiacées (épinard, bette, betterave) ne sont pas mycorhigènes et ne doivent pas se succéder.

Après la mort des racines, la rhizosphère se différencie toujours du sol environnant, d’abord par une transformation en matière organique et, suite à leur dégradation, par la formation de macropores qui, comme les galeries de lombrics, possèdent un fort impact sur les propriétés de transport du sol. La rhizodéposition et le turnover racinaire peuvent représenter jusqu’à 40% de l’apport total de carbone dans le sol.

A l’heure actuelle, les chercheurs estiment qu’environ 80% des plantes et cent septante espèces de champignons peuvent être impliqués dans des associations mycorhiziennes.

Phénomènes d’allélopathie et bio-fumigation

En 1833, Maquaire écrit déjà dans son Mémoire pour servir à l’histoire des assolements qu’ »on sait que le chardon nuit à l’avoine, l’euphorbe et la scabieuse au lin, l’ivraie au froment ; peut-être les racines de ces plantes suintent-elles des matières nuisibles à la végétation des autres ? […] La plupart des végétaux exsudent par leurs racines des substances impropres à leur végétation ; la nature de ces substances varie selon les familles de végétaux qui les produisent […]« 

Outre la compétition pour l’eau, les nutriments et la lumière, il est aujourd’hui établi que les plantes interagissent aussi par la production de molécules chimiques capables d’influencer la germination ou la croissance de leurs voisines mais aussi d’agir contre la présence de maladies et de ravageurs. Parmi ces plantes, on trouve des légumes, de nombreux engrais verts mais aussi des espèces aromatiques. Voici quelques exemples :

composés toxiques de l’ail – on découvre ici un phénomène plus complexe de compétition et de coopération ;

– les pailles de l’avoine cultivée, Avena sativa, utilisées en « mulch » jouent un rôle d’herbicide et réduisent considérablement la présence des adventices ;

– toutes les Brassicacées, à des degrés divers, sont riches en glucosinolates toxiques pour de nombreux organismes du sol, comme les champignons Verticillium dahliae, Sclerotinia et Pythium ;

– l’épervière piloselle, Pilosella officinarum, contient les acides phénols caféique et chlorogénique qui possèdent des pouvoirs antibactérien et herbicide ; elle peut contribuer à résoudre le problème des adventices dans les lignes, en arboriculture et en viticulture ; malgré sa petite taille, la piloselle progresse en colonies, en cercles concentriques vers l’extérieur, alors que les cercles intérieurs se dénudent. Elle passe ainsi de la télétoxie à l’autotoxicité : à la suite du lessivage du sol par les fortes pluies, les graines de piloselle y germent, millepertuis et millefeuilles disparaissent mais de rares espèces comme le thym et le serpolet parviennent à lui résister. Le lin et le blé dépérissent également mais le radis résiste ;

– l’oignon secrète, par ses racines, une substance qui gêne la croissance de ses congénères ; il faut donc le semer et le repiquer clair. D’autres espèces possèdent le même comportement : ne dit-on pas que « le pire ennemi du blé est le blé » ;

– des expérimentations, menées à l’université de Lublin en Pologne, ont montré que le poireau et le céleri-rave, cultivés en rangs alternés, réduisent la prolifération des adventices et des insectes ravageurs avec, pour chacun d’eux, des rendements augmentés par rapport à des monocultures ;

– les semences de pois libèrent, dans le sol, des excrétions qui vont réveiller un Fusarium, un de ses ennemis ;

– les grains de seigle, en cours de germination, émettent de la benzolone, une toxine fatale à un petit champignon du genre Fusarium, agent de la « pourriture de neige » ;

– les semences de violette, déposées sur un papier humide en présence de grains de blé, en inhibent totalement la germination…

Interactions entre la flore, la faune et la roche-mère

Les interactions entre les flores, les faunes et les minéraux sont innombrables mais très peu connues. En voici quelques exemples :

– Fabacées et bactéries spécifiques du genre Rhizobia installées sur les racines (nodosités) forment une relation symbiotique permettant de capturer l’azote atmosphérique et de le transformer en substances azotées utilisables par les plantes ;

– les mycorhizes agissent comme pont entre deux plantes et permettent le transfert du phosphore d’une plante « donneuse » à une plante « réceptrice » ; ces champignons permettent également le transfert d’informations : c’est, dit un chercheur, « comme l’Internet de la nature, c’est le plus grand réseau d’échange du monde… » ;

– les plantes défendent leur territoire : les non-mycorhigènes en produisant des substances aux pouvoirs allélopathiques herbicides, les mycorhigènes grâce aux mycorhizes  qui empêchent la prolifération des allélopathiques ;

– les vers inoculent la terre, grâce aux fèces, d’une multitude de microorganismes produits lors du transit intestinal ;

– l’humus est fabriqué, en surface, grâce au travail des champignons et de la faune épigée ; les argiles sont fabriquées, en profondeur, par l’attaque des racines des arbres au contact du monde minéral. Les lombrics assurent un brassage intime des minéraux et de la matière organique…

Des techniques respectueuses de la vie du sol

Faut-il opter pour le jardinage sans labours ? Nous avons vu l’importance de ménager la vie du sol en maintenant sa structure la plus intacte possible. Le passage d’un travail du sol en profondeur – même s’il n’est pas retourné – à un travail superficiel doit s’effectuer en plusieurs étapes et après :

– une amélioration éventuelle de la structure par des apports conséquents, variés et réguliers de matières organiques – plusieurs années peuvent être nécessaires ;

– la vérification d’une activité biologique intense avec la présence des lombrics ;

– des essais de culture sur sol superficiellement travaillé avec des cultures particulièrement volontaires : pommes de terre, choux, haricots…

Et, pour les légumes racines :

– un travail avec la grelinette, le croc, le cultivateur, le râteau des maraîchers ;

– un travail sur buttes, comme le font les agriculteurs pour les carottes, fonctionne particulièrement bien mais correspond assez bien de l’image que nous avons lorsque nous parlons de l’éléphant dans un magasin de porcelaine ;

– une approche intéressante se situe dans le choix de variétés à racine courte comme la carotte ‘Bellot’ très hâtive ; pour la mise en silo, il existe quelques variétés intéressantes : la ‘Guérande’ qui deviendra ‘Oxheart’ aux Etats-Unis, et des sélections récentes de cette dernière, avec l’‘Oxhella’ et l’‘Ochsenherz’ ; la ‘Demi-longue de Chantenay’ est bien adaptée aux sols lourds et peu profonds.

Le rôle capital de l’humus dans la préservation des sols

Sur sol sableux, l’humus augmente sa capacité à retenir l’eau et les éléments fertilisants. Il accroît également leur résistance à l’érosion par les vents et les pluies. Son action est tout aussi améliorante pour les sols lourds et argileux qu’il rend plus souples et plus aptes à la percolation des eaux. Pour une production maximale, la plupart des légumes cultivés ne tolèrent qu’une mince marge, en ce qui concerne le pH du sol : entre 6,5 et 6,9. En tamponnant le pH du sol, les apports d’humus rendent possible la culture d’espèces dans des sols qui, à l’origine, seraient trop acides ou trop alcalins.

Rôles de l’humus dans le sol

 

action

bénéfices

rôle physique

structure et porosité

pénétration de l’air ;

limitation de l’hydromorphie ;

limitation de l’érosion ;

limitation du tassement ;

accélération du réchauffement

rétention en eau

meilleure pénétration et stockage de l’eau et meilleure alimentation hydrique

rôle biologique

stimulation de l’activité biologique : lombrics, biomasse microbienne

dégradation, minéralisation ;

réorganisation, humification ;

aération

rôle chimique

dégradation, minéralisation

fourniture d’éléments minéraux selon les saisons : N, P, K, oligo-éléments

capacité de rétention des éléments minéraux

stockage et mise à disposition des éléments minéraux

éléments traces métalliques

limitation des toxicités dues aux métaux lourds : Cu entre autres

rétention des micropolluants organiques et des pesticides

amélioration de la qualité des eaux

 

Les engrais verts

En optant pour les engrais verts, le jardinier poursuit différents objectifs.

* L’amélioration du sol par :

– la préservation des symbioses mycorhiziennes grâce à une rotation culturale aussi continue que possible : les Fabacées, en général, et la phacélie sont des engrais verts mycorhigènes ; par contre, les brassicacées et les chénopodiacées, comme l’épinard et la betterave, ne bénéficient pas de la mycorhization ;

– la restitution et l’enrichissement en humus : moutarde, phacélie, radis fourrager, seigle, vesce d’hiver ;

– l’enrichissement en azote : Fabacées ;

– le piégeage de l’azote et du phosphore en voie de lessivage, en automne et en hiver : lin, moutarde, phacélie, seigle ;

– la remobilisation des éléments phosphore et potasse ;

– une protection contre les excès de chaleur et de froid qui permet de diminuer les périodes d’inactivité : tous les engrais verts ;

– une action améliorante sur la structure du sol en :

O le drainant : lin, phacélie, radis fourrager ;

O perçant les terres compactes, les semelles de labour : luzerne, radis fourrager ;

O fissurant les terres compactées : phacélie, vesce d’hiver ;

O limitant la battance causée par les pluies, grâce à la protection physique des sols par le feuillage : tous les engrais verts ;

O limitant l’érosion par la présence du couvert végétal qui favorise l’infiltration de l’eau et limite donc le ruissellement qui entraîne les particules de terre : tous les engrais verts ;

* la lutte contre les adventices par :

– leur pouvoir concurrentiel pour la lumière, l’eau et les éléments nutritifs : sarrasin, seigle ;

– l’incorporation de résidus d’engrais verts arrivés à maturité, coupés tardivement et en voie de lignification, avec un rapport carbone – azote élevé qui provoque une immobilisation temporaire de l’azote et limite la croissance des adventices :  lin, phacélie, sarrasin ;

* la lutte contre les maladies, en rompant le cycle de certains pathogènes ; l’aération du sol par les racines de la culture intermédiaire travaille à une décomposition rapide des résidus du précédent cultural et nuit à la prolifération des pathogènes inféodés – tous les engrais verts, sauf si légumes et engrais verts de la même famille se suivent ;

* la lutte contre les ravageurs, en rompant le cycle de reproduction : tous les engrais verts mais on évitera que légumes et engrais verts de la même famille se suivent ;

* une bio fumigation contre :

– les adventices – graines de rumex, de chiendent… – grâce à leurs pouvoirs inhibiteurs sur la germination, avec l’émission de composés chimiques au niveau des racines – la moutarde brune est riche en polyphénols – et des parties aériennes, ou leur libération lors de la décomposition des résidus lors de la mise en « mulch » : moutarde brune, radis fourrager ;

– les œufs d’insectes : hanneton, taupin, tipule… : moutarde brune, radis fourrager ;

– les nématodes : phacélie, moutarde ;

– les spores de champignons pathogènes – sclérotinia, rhizoctone noir, Rhizoctonia solani – grâce aux crucifères riches en glucosinolates : toutes les crucifères à des degrés divers ;

* favoriser, grâce à la ronde des familles, la digestion des putrescines issues des cultures légumières en évitant ainsi aux racines d’une culture de croître dans les « déchets » de son espèces : tous les engrais verts mais on évitera que légumes et engrais verts de la même famille se suivent ;

* augmenter la biodiversité végétale domestique et renforcer l’écosystème du jardin, en fournissant refuge et nourriture par la présence d’un couvert végétal qui favorise certaines espèces, comme les insectes auxiliaires et pollinisateurs, les oiseaux, la macro et microfaune du sol… : lotier corniculé, luzerne, mélilot, phacélie.

Deux périodes de semis possibles des engrais vert seront valorisées : à la fin de l’hiver et en fin d’été début d’automne. En automne, toutes les parcelles qui ne sont plus utilisées pour la culture de légumes seront idéalement ensemencées d’engrais vert. En fin d’hiver et au printemps, il faudra être vigilant quant à la période de destruction de l’engrais vert afin de ne pas nuire à la culture suivante en ce qui concerne :

– l’eau et les éléments nutritifs : en fin d’hiver, l’engrais vert repart en végétation, consomme de l’eau et désengorge la terre qui sera plus rapidement « amoureuse » et facile à travailler. Une destruction trop tardive peut provoquer, par un manque de disponibilité en eau et en éléments nutritifs, des effets dépressifs sur la culture suivante ; il faut donc être particulièrement attentif à cette compétition pour l’eau lors des hivers secs ;

– l’effet allélopathique qui peut nuire à la culture suivante ; il est nécessaire de prévoir huit à dix jours d’intervalle entre l’enfouissement et les semis.

Il faut également éviter de favoriser les bio-agresseurs. Les engrais verts mal choisis encouragent leur présence lorsqu’ils participent à leur cycle plutôt que de le rompre. Il faut donc organiser la « ronde des familles », avec la succession d’engrais verts et de légumes de familles différentes. Il est également nécessaire d’organiser une tournante des engrais verts sur les parcelles. Si des problèmes de bio-agresseurs récurrents se présentent dans le jardin, il faut opter pour les engrais verts qui ne font partie d’aucune famille de légumes : lin, phacélie, sarrasin et seigle.

On évitera un précédent de Fabacées pour les légumes qui n’apprécient pas l’azote, comme les Liliacées : oignon, ail, échalote ou chou de Bruxelles. On sèmera aussi les engrais verts en mélanges car les vers de terre et les mycorhizes apprécient peu les monocultures et peuvent y dépérir avec certaines espèces.

Concernant la destruction et la valorisation de l’engrais vert, il est préférable de le faucher alors qu’il est en pleine floraison et le plus riche en éléments fertiles et en fibres. Toutefois, la réussite de la culture suivante oblige souvent le jardinier à plus de souplesse. L’étape suivante est souvent associée à l’incorporation immédiate de la masse végétale en pleine sève dans les premiers centimètres du sol. Or cela amène souvent des soucis de parasitisme avec la réapparition du champignon Sclerotinia, du ver taupin ou d’adventices vivaces.

Après fauchage, l’engrais vert doit sécher entre huit et dix jours en surface, avant d’être incorporé dans les premiers centimètres du sol. Ce délai permet la transformation de la chlorophylle et de la sève en aliments pour des organismes du sol : enzymes, bactéries, cryptogames non pathogènes. Le fauchage est préférable au broyage qui laisse une bouillie favorable à l’activité des limaces, alors que le fauchage laisse des pailles et des tiges que les vers de terre anéciques préfèrent car ils sont plus faciles pour eux à incorporer au sol.

Cependant, pour une bio-fumigation efficace des sols, la pratique est différente. Il faut :

– broyer ou écraser le plus finement possible l’engrais vert avant de l’incorporer – passage d’une tondeuse ;

– incorporer les plantes broyées sur toute la profondeur du sol, immédiatement après le broyage ;

– prévoir la bio-fumigation juste avant des précipitations car le sol doit être humide afin de permettre une action rapide des principes actifs ;

– effectuer la bio-fumigation pendant la période chaude de l’année d’avril à septembre ;

– attendre une semaine avant une remise en culture afin d’être assuré que les principes actifs sont épuisés.

L’apport de matières organiques

Quelles sont les techniques adéquates d’apport des matières organiques pour obtenir une terre potagère vivante et fertile ?

– « Mulchs » et composts

Nous venons de voir l’importance de maintenir au mieux toute la chaîne trophique des organismes vivants dans, mais aussi hors, du sol de nos potagers. Avec les cultures intercalaires d’engrais vert, les « mulchs » sont les plus aptes à répondre à cet objectif, en offrant des déchets organiques frais qui nécessiteront l’intervention de tous les êtres vivants de cette chaîne pour, in fine, apporter les éléments nutritifs aux plantes. Ces « mulchs » pourront être composés d’adventices, de tontes de pelouse, de déchets de légumes, mais il sera aussi important de ne pas oublier des tontes de haie plus riches en lignine nécessaire à la présence des champignons basidiomycètes.

Les techniques du « mulch » – BRF inclus – et des cultures intercalaires – engrais verts – sont-elles préférables, pour la vie du sol, à des apports de compost ?

Il est erroné de comparer les résultats obtenus par le travail de la faune et de la flore d’un sol à une variante des mécanismes de compostage. Le compostage accélère la libération d’éléments minéraux mais n’initie pas une chaîne trophique complexe, capable de s’autoréguler et de se régénérer, comme cela s’observe en forêt. Le seul réflexe d’apport de matière organique via le compostage interdit aux terres cultivées la survie de la chaîne trophique complète qui régénère les sols et maintien leur fertilité alors que les successions de cultures les épuise. Par conséquent, s’il veut maintenir vivants tous les maillons de la chaîne trophique, le jardinier doit offrir, à chacun d’eux, de bonnes conditions d’existence et, en ce qui concerne la matière organique brute, faire :

– des apports en surface de matériaux diversifiés, non compostés, pour la faune et la flore épigées ainsi que pour les anéciques ;

– des apports dans le sol, avec les cultures intercalaires d’engrais verts et la mise à disposition de racines vivantes – mycorhizes – et mortes pour les faune et flore endogées.

Ces apports doivent être renouvelés en continu et, idéalement, couvrir le sol tout au long de l’année, dès que les cultures le permettent.

– Un compost jeune amende le sol alors qu’un compost mûr le fertilise

On parlera d’amendement lorsque le but premier est l’amélioration biologique et physique du sol, et de fertilisation lorsque l’apport est destiné à une assimilation plus rapide par les plantes. Le compost jeune – de trois à six mois maximum – est épandu en paillage au pied des arbres, en « mulch » entre les lignes de légumes à grand développement – pommes de terre, tomates, choux… – et en couverture des sols, à l’automne. Les déchets ligneux non décomposés qu’il contient encore permettent le maintien d’une activité biologique complète du sol. La distribution de compost jeune constitue une fertilisation à long terme plus spécifiquement destinée à la culture suivante.

Le compost mûr incorporé dans les premiers centimètres de la terre permet une minéralisation très rapide. Distribué en fin de saison, il joue un rôle d’éponge et améliore significativement les terres arides.

– Les limites du BRF

Le BRF doit être utilisé comme un restaurateur de l’activité biologique et de la flore mycologique des sols abîmés avec un maximum de deux apports importants sur deux ans. Il doit être apporté sur un sol dont le jardinier est certain qu’il ne sera pas travaillé pendant un à trois ans, selon l’épaisseur apportée, car le BRF ne peut être enterré à plus de quatre à cinq centimètres.

Il faut être conscient de la « faim d’azote » que le BRF va provoquer pour les légumes. Des apports azotés doivent être prévus sous forme de légumineuses – engrais verts ou légumes -, de purins d’orties ou de fumier. Pour une terre très abîmée, il est possible d’étaler une couche de sept centimètres de BRF que l’on associe à un semis de luzerne : la luzerne est vivace et produit énormément d’azote au point de polluer les nappes phréatiques dès la troisième année si elle est cultivée en monoculture… On n’oubliera pas d’ensemencer la parcelle avec les champignons basidiomycètes, en parsemant sur le BRF un peu de litière forestière. Le maintien des champignons basidiomycètes sur le sol peut s’effectuer avec des « saupoudrages » de BRF, apportés tous les quatre ou cinq ans. Si ces règles de base ne sont pas respectées, il y a un risque réel de créer plus de problèmes que de bénéfices…

Le BRF ne peut pas être apporté comme paillage. Utilisé régulièrement, il intoxique les sols car plusieurs années sont nécessaires pour qu’il soit digéré. Les champignons basidiomycètes sont les seuls à pouvoir digérer la lignine des BRF et ont impérativement besoin d’un milieu aérobie pour se développer. Si le BRF est enterré, ils ne peuvent plus assurer la décomposition de la lignine, faute d’une teneur en oxygène suffisante. Le BRF va alors intoxiquer le sol et épuiser rapidement les réserves d’azote et d’eau.

Conclusion : santé des plantes, santé des hommes…

Le sol constitue une ressource vitale, non renouvelable, qu’il est absolument vital de préserver. La gestion de sa fertilité doit être au centre des préoccupations du jardinier mais aussi de tous ceux qui profitent de son travail… L’humus y joue un rôle prépondérant et il faut donc le renouveler ou, beaucoup mieux, en augmenter le taux. Dans les année quatre-vingt, lorsque je m’initiais au jardinage biologique, j’ai toujours été frappé par l’acharnement des « précurseurs » à apporter de l’humus à leur terre.

Chez le regretté Luigi Pelucchi, à Seraing, on marchait sur du terreau à certains endroits ; chez Gilbert Cardon, à Mouscron : 12 % d’humus à l’analyse ! M. Delwiche, à Saint-Marc, compostait des tas de plusieurs dizaines de mètres de feuilles mortes. Il en recevait, à cet effet, des camions entiers de la Ville de Namur… Pour trente tonnes de terre à l’are – sur trente centimètres d’épaisseur -, un taux d’humus de 4% représente 1,2 tonnes par are, ou douze kilos d’humus pour trois cents kilos de terre au mètre carré.

En jardinage biologique, les organismes vivants du sol et la chaîne trophique qu’ils forment sont indissociables d’une nutrition équilibrée des plantes. Ils permettent une diminution notable – totale ? – des intrants. Par exemple, la solubilisation des formes organiques du phosphore par le biais des acides organiques sécrétés par les champignons mycorhiziens, alors que l’épuisement total des réserves mondiales de phosphate est annoncé pour les prochaines décades. Ils assurent également un rôle de protection sanitaire et renforcent l’immunité des plantes cultivées.

Par des techniques appropriées, le jardinier doit leur permettre de participer à la croissance et à la santé des plantes.  Changer son approche du jardinage peut être difficile : renoncer à un jardin « propre », au travail de la terre en profondeur, au binage… Admettre volontairement des adventices dans les parcelles… Mais santé du sol, santé des plantes et santé de l’homme ne sont-elles pas liées ?