« Il y aura un avant et un après Covid-19« , a-t-on entendu partout. Sûr ? Au-delà des bonnes intentions, changer de cap ne sera pas une mince affaire. Manger local, utiliser davantage son vélo, cultiver son jardin… Cela suffira-t-il ? « Intuitivement, nous savons que non« , affirme Mario Heukemes, responsable de la coopérative COCITER, le fournisseur d’électricité citoyen wallon. Nous avions déjà rencontré Mario en 2016, quand COCITER n’était encore qu’une société naissante. Aux yeux de Nature & Progrès, le modèle qu’illustre COCITER est absolument inégalable tant il donne tout pouvoir aux gens qui ont besoin d’électricité. Nous y revenons donc, en donnant la parole au représentant d’une de ses coopératives coopératrices…

Par Jean-François Cornet

Introduction

Dans la conjoncture particulière que nous vivons aujourd’hui, le modèle coopératif mis en place par COCITER trouve tout son sens et pourrait être une des clés du changement. Nous retrouvons Mario pour faire le point sur l’évolution de COCITER et l’interroger sur la pertinence de cette initiative dans le contexte de l’après-Covid-19.

« Aucun basculement significatif ne s’opérera sans une modification profonde de certains secteurs stratégiques, affirme Mario Heukemes. Ceux-ci sont majoritairement aux mains de multinationales ou de grandes entreprises privées qui ne voient, bien sûr, aucun avantage à ce que le système change. »

Parmi ces domaines stratégiques à réinventer, on trouve entre autres le secteur bancaire, l’agro-alimentaire, la téléphonie mobile ou l’énergie. Ces domaines, beaucoup les pensaient réservés à une élite industrielle. Pourtant des citoyens, regroupés en coopératives, les ont déjà investis et se sont réappropriés les connaissances et les compétences nécessaires, qu’ils mettent ensuite au service de la population. NewB, Paysans Artisans, Neibo, COCITER… : la preuve est faite qu’il n’y a plus de chasse gardée !

Toutes les électricités ne se valent pas

« Nous avons fait nôtre le slogan « Pour changer le monde, changeons déjà d’électricité ! », poursuit Mario Heukemes. Il faut du changement. Mais ce n’est pas gagné. Le dérèglement climatique cause déjà, et causera encore, bien plus de dommages que le Covid-19, on le sait. Alors, à quoi sommes-nous prêts pour changer le monde ? A explorer des chemins de traverse ? A privilégier le collectif ? A renoncer à une consommation low cost ? Quand je choisis mon fournisseur d’électricité, je n’achète pas seulement l’électricité qu’il me vend. Je choisis aussi le modèle économique et social qu’il défend, je soutiens sa façon d’agir sur l’environnement, j’adhère à sa vision de la société future. Je choisi le monde dans lequel je veux vivre. Or quels sont les critères qui nous guident quand nous choisissons notre électricité ? Pour beaucoup d’entre nous, ce sont les prix. Nous soutenons ainsi le modèle low cost dont on a vu, dans d’autres domaines, à quelles aberrations il nous menait. Nous sommes malheureusement encouragés dans ce choix par certaines organisations de consommateurs et des plateformes d’achat groupé. Et tant pis pour la provenance réelle des kWh et la qualité de la production ; et tant pis pour le greenwashing, les promotions aguichantes – qui ne sont que temporaires – et les conditions en petits caractères ! Tant pis aussi pour le modèle économique dont nous sommes, du coup, le support ! Non, toutes les électricités ne se valent pas ! »

C’est aussi l’avis de Greenpeace. Dans son classement des fournisseurs d’électricité en Belgique, l’ONG donne à COCITER la meilleure note et une mention flatteuse : « cette coopérative couvre 100% de ses livraisons par une production d’électricité durable. L’énergie aux mains de la population, c’est l’avenir ! », peut-on lire sur le site de Greenpeace, www.monelectriciteverte.be.

Une électricité d’origine contrôlée

Pourtant, quelle que soit l’origine de l’électricité que nous consommons – renouvelable, nucléaire et autre fossile -, sa qualité est apparemment la même : les ampoules éclairent nos maisons de la même façon, les radiateurs chauffent pareillement, les appareils électroménagers fonctionnent tout aussi bien – ou tout aussi mal. Qu’est-ce qui est différent, alors, avec l’électricité de COCITER ? « Pour nous, explique Mario, ce qui fait la qualité d’une électricité, c’est son origine : d’où vient-elle, comment a-t-elle été produite, par qui, avec quelle conséquence sur l’environnement, sur la planète et ses habitants ? Qui profite des bénéfices engendrés ? Chez COCITER, c’est simple : l’électricité fournie aux consommateurs est celle produite en Wallonie par les coopératives citoyennes. Les coopérateurs des coopératives associées sont les propriétaires de leurs outils de production et de leur fournisseur d’électricité. C’est le circuit court de l’électricité. C’est un modèle unique en Wallonie ! Nous garantissons ainsi une électricité 100% durable, 100% locale, 100% contrôlée et gérée démocratiquement par les citoyens. C’est une électricité d’origine contrôlée. C’est ça, une électricité de qualité ! Nos prix sont dans la moyenne des autres fournisseurs alors que, contrairement à eux, nous n’avons aucune condition du type « factures par Internet obligatoire » ou « paiement trimestriel à l’avance ». Nous sommes encore une jeune société et nous avons des frais que nous n’aurons plus dans quelques années… COCITER vend l’électricité au prix coûtant, seuls les frais de fonctionnement doivent être couverts. Et évidemment, plus les clients seront nombreux, plus ces frais diminueront. »

L’électricité bio, ça existe !

Une salade bio, c’est meilleur pour la santé. Mais c’est aussi meilleur pour la terre, pour la biodiversité, pour la planète. La manière dont le maraîcher l’a cultivée, les soins qu’il lui a apportés, le respect de la nature dont il a fait preuve dans son travail, le circuit court qu’il privilégie, voilà ce qui fait la qualité de sa salade. Il en va de même pour l’électricité, explique Mario Heukemes.

« Notre électricité, c’est comme une salade bio. Nous la produisons localement avec grand soin, avec un maximum de respect pour l’environnement et nous la livrons en circuit court. Et comme le maraîcher, nous travaillons selon les principes de l’économie sociale et durable. En résumé, c’est vraiment de l’électricité bio ! »

COCITER veille également à la diversification de ses sources. Si la production des coopératives partenaires de COCITER reste principalement d’origine éolienne, elle s’est cependant diversifiée ces dernières années. Elle provient maintenant aussi d’une unité de biométhanisation, de panneaux photovoltaïques et de turbines hydrauliques. Cette diversification renforce les capacités et la solidité de l’offre de COCITER. Par ailleurs, de nouvelles coopératives se sont jointes aux coopératives de départ.

« Actuellement, treize coopératives sont partenaires dans COCITER, précise Mario Heukemes. Nous fournissons aujourd’hui cinq mille deux cents ménages et nous produisons suffisamment pour seize mille ménages. De nouvelles unités de production sont en préparation qui nous permettront, dans les années à venir, de fournir encore davantage de ménages. Il n’y a donc aucun risque que nous manquions d’électricité. »

Un fournisseur à taille humaine

Autre nouveauté, chez COCITER, le capital s’est ouvert à d’autres actionnaires qui partagent les mêmes valeurs que les coopératives citoyennes. W.Alter – anciennement, la SOWECSOM, c’est-à-dire la Société wallonne d’économie sociale de la Région wallonne -, la Fondation pour les Générations futures et les Cercles des Naturalistes de Belgiques se sont engagés aux côtés de COCITER.

« C’est un geste fort de leur part, se réjouit Mario. Nos objectifs et nos valeurs sont les mêmes : réappropriation des biens communs, lutte contre les dérèglements climatiques et protection de la biodiversité, gouvernance démocratique, consommation responsable. Leur adhésion, au-delà du soutien financier apporté, représente surtout, pour nous, un bel encouragement. C’est aussi une reconnaissance du travail effectué jour après jour, avec enthousiasme, par les équipes de terrain. »

Les équipes de terrains, parlons-en. La plupart des coopératives citoyennes fonctionnent grâce à des équipes de bénévoles. Mais elles se professionnalisent au fur et à mesure de leur développement et, dès qu’elles le peuvent, elles engagent du personnel salarié. Quant à COCITER, il emploie actuellement six personnes, soit trois « équivalents temps plein » (ETP) et demi. Une structure encore modeste donc, mais qui s’étoffe d’année en année.

« Notre taille nous permet d’être proches et à l’écoute des clients, aime à souligner Mario Heukemes. Quand un client téléphone, ce n’est pas un robot qui l’accueille en lui demandant de taper 1 ou 2… C’est Fabienne ou Guido qui répondent et le dialogue est toujours chaleureux. Nous tenons à cette spécificité de fournisseur à taille humaine. Nos clients ne sont pas juste des « clients », ils participent avec nous au circuit court de l’électricité, nous sommes co-responsables de COCITER. Ça, c’est le cœur de notre projet coopératif : remettre le citoyen au centre de l’activité économique, lui redonner du pouvoir et de la responsabilité. »

Une gouvernance partagée et solidaire

COCITER est une coopérative rassemblant treize coopératives citoyennes wallonnes qui produisent de l’électricité verte. Ce sont donc les coopérateurs de ces coopératives qui sont propriétaires de leur fournisseur. Ce modèle économique permet de garantir un prix juste pour les clients. Quant à la gouvernance interne de COCITER, elle se veut participative.

« Chaque coopérative associée, explique Mario, participe aux décisions et aux orientations stratégiques de la société. Quelle que soit sa taille et l’avancement de ses projets de production, quel que soit son apport financier à la structure commune, chacune a la possibilité de participer aux discussions au sein des instances de décisions. Le principe d’organisation en cercles permet à celles et ceux qui le souhaitent de s’investir dans un ou plusieurs aspects de la gestion qui lui tiennent à cœur. C’est un modèle exigeant mais qui permet à tous les associés de trouver leur place dans le fonctionnement de la société. »

La crise du Covid-19 nous l’a rappelé, parfois douloureusement : notre modèle économique et social a trop longtemps négligé l’humain et le collectif. Deux valeurs qui fondent COCITER, fournisseur atypique, bien en phase donc avec la société résiliente dont nous avons besoin.

COCITER – le Comptoir Citoyen des Energies renouvelables
www.cociter.be – 080/68.57.38