Rêverie anonyme d’un promeneur solitaire

Aussi anonyme que l’oiseau de passage, il atteint le pied d’une des « machines à vent ». La Hesbaye alentour ne montre que des cultures sans haies, regorgeant de néonicotinoïdes. Etourdi par le vent qui assèche la surface qu’a depuis longtemps désertée le bétail, les pieds prisonniers d’une gadoue sans vers, il songe et peu à peu suspend au vol l’oiseau de passage…

Illumination collective d’écologistes atterrés

 

Et pourtant elle tourne, la « machine à vent » ! Mais lui, le promeneur solitaire, qu’est-il donc venu faire là, ahanant dans le cache-nez, la tête emballée dans la capuche de l’anorak ? Il a trop chaud ! L’oiseau de passage, la grand éolienne… Il avait voulu voir. Un oiseau, plus tôt dans la journée, avait percuté la vitre du living, le verre étincelant dans la lumière d’hiver l’avait stoppé net. Son instinct d’animal aux abois avait alors jeté dehors notre promeneur. Il avait pris la route, la tête en désordre, le chemin de remembrement, puis un plus petit sentier encore…

 

Le petit carnet au fond de la poche…

Chemin faisant, sa raison de scientifique reprit progressivement le dessus sur l’émotion trop brute. « Voyons. Un hachoir électrique ? 3.800 tours/minute. Le sèche-linge ? Autour de 1.000. Mon ventilateur ? 200 tours/minute. L’éolienne dans la campagne ? 14 tours/minute… » Oui. Mais si l’oiseau de passage vient à heurter le bord de la pale ? Sans doute, un grand aventurier alors, le volatile, extrêmement intrépide. Et particulièrement distrait ! Il avait saisi le calepin qu’il gardait toujours en poche et s’était mis à griffonner. Il était ensuite revenu plusieurs fois pour griffonner encore…

« J’habite une région de Hesbaye riche en éoliennes, à la frontière des provinces de Namur et de Brabant wallon, je suis un peu ornithologue et, depuis quelques années, je suis étonné par ce que je lis et entends sur la mortalité des oiseaux liée aux « moulins à vent »… Alors j’ai décidé d’en avoir le cœur net par moi-même. J’ai prospecté neuf des dix-sept éoliennes de mon environnement le plus proche, entre le 1er août et le 1er novembre 2022…

Si j’ai choisi cette période, c’est parce qu’elle concentre traditionnellement l’essentiel des migrations automnales d’oiseaux, surtout nocturnes. C’est aussi parce que le sol est nu, débarrassé de ses cultures, ce qui facilite la découverte de cadavres ou de fragments d’oiseaux. J’aurais voulu faire les dix-sept éoliennes mais cela n’a pas été possible car certaines cultures – maïs et betteraves – étaient encore présentes et rendaient toute prospection peu fiable. Les cultures de pommes de terre étaient encore là mais complètement brunies par l’usage des défoliants habituels, pulvérisés quelques jours avant mon passage, ce qui a rendu parfaitement fiable la prospection de ces zones… L’avantage de cette série d’éoliennes est qu’elles sont situées, grosso modo, dans un axe est/ouest, soit un axe plus ou moins perpendiculaire à l’axe principal de migration nord/sud et qu’elles pourraient être considérées, en quelque sorte, comme un « barrage » aux vols d’oiseaux… »

 

La raison, hors le vent…

« Ma méthode fut la suivante : j’ai prospecté chaque éolienne dès que la culture a été récoltée et avant qu’un nouveau labour, ou un nouveau semis, soit pratiqué. Sur un tel sol de terre nue, la visibilité est grande – pas ou plus la moindre végétation -, ce qui augmente les chances de trouver un oiseau mort. J’ai parcouru à pied, systématiquement, le double de la surface occupée par les pales, soit environ un kilomètre et demi, en moyenne, par éolienne – distance attestée par mon fidèle podomètre ! Pour être sûr de ne laisser passer aucun cadavre d’oiseau, ou reste d’oiseau heurté par les pales, j’ai systématiquement doublé ma prospection radiale par une prospection quadrilatérale, ce qui explique cette distance moyenne d’un kilomètre et demi. Chaque fois que ce fut possible, je suis monté, en plus, sur les escaliers extérieurs qui se trouvent au pied de l’éolienne afin de chercher avec ma paire de jumelles des cadavres d’oiseaux, à partir d’un point situé en hauteur, en (re-) balayant les lieux très lentement. Je crois que rien n’a pu m’échapper. Le résultat fut le suivant : sur les neuf éoliennes, j’ai trouvé deux cadavres de rapaces de type buse, un cadavre de faucon crécerelle et deux cadavres de pigeon, domestique ou sauvage. Notons que quatre de ces cinq oiseaux provenaient probablement de l’éolienne située le plus près d’un bosquet.

Alors maintenant, discutons car ce résultat empirique peut, bien sûr, être discuté. Dans une étude vraiment scientifique, il aurait fallu le corréler à la vitesse et à l’orientation du vent, au relief des lieux, aux températures du nord de l’Europe – qui enclenchent les migrations, faute de nourriture pour les oiseaux insectivores, etc. Il aurait également fallu, idéalement, le compléter par des observations réalisées ailleurs dans le pays, par exemple sur les reliefs ou à la côte, ou sur des éoliennes disposées autrement…

Mais quand même… Je crois que ces observations peuvent apporter leur petite contribution à des débats passionnels à l’excès. Je m’attendais à trouver bien plus de cadavres sous les éoliennes. Cette mortalité est très, très faible, à mes yeux, si on la compare à d’autres formes de mortalité causées par nos infrastructures ou à notre modèle agricole : perte d’habitats favorables à l’avifaune, heurts par des voitures, pesticides, etc. Aucune espèce typiquement migratrice n’a été trouvée au pied des éoliennes, même si les cinq individus trouvés peuvent être considérés comme des migrateurs potentiels. »

 

Bon, eh bien, alors, quoi ?

Dans le carnet de notes du promeneur anonyme et solitaire, on lit encore ce qui suit…

« Accessoirement, j’ai été frappé par deux choses. Primo, la quantité énorme de déchets plastiques – petits et grands – présents dans nos champs qui, tôt ou tard, seront absorbés par les labours et aboutiront – probablement – dans nos assiettes ! Secundo, la forte densité de trous de micromammifères dans les petites parcelles de pelouse situées au pied immédiat des mâts d’éoliennes, indique que ces îlots verts – si réduits soient-ils – constituent les ultimes refuges pour cette microfaune, dans un environnement fortement industrialisé : passage de véhicules lourds et usage régulier de composés chimiques…

Si la méthode utilisée ici peut être critiquée à l’envi, je demande alors à tous ceux qui dénoncent la « mortalité dramatique » (sic) d’oiseaux causée par les éoliennes de me montrer des sources scientifiques crédibles afin de contribuer, peut-être, à un éclairage raisonné et raisonnable de cette question. D’où viennent les chiffres régulièrement cités dans les études d’incidence brandies par les opposants au parcs éoliens ? Comment furent réalisées les prospections ? Dans quel type de milieu, de région ? A quelle époque ? Les données viennent-elles uniquement de modèles ? En toute chose, les généralisations ne polluent-elles pas les débats ? »

Le petit carnet du solitaire anonyme fut ensuite abandonné au vent mauvais. Sans doute le promeneur s’était-il envoyé promener ailleurs. Au dos de la couverture, on pouvait lire ces quelques mots : « bien sûr, ce petit texte peut être utilisé mais, vu la tonalité habituelle des commentaires diffusés sur les réseaux sociaux et ailleurs, n’y mettez surtout pas mon nom… Merci. »

 

La morale de cette histoire ?

Quelques écologistes atterrés, par le plus grand des hasards, mirent la main sur le petit texte du citoyen promeneur et décidèrent qu’il ne pouvait pas rester lettre morte sur la terre morte. Face à l’impossibilité d’un débat serein et devant le mépris croissant de l’intérêt général et du bien commun dans les méthodes dont usent et abusent certains intérêts particuliers, ils le conservent impavidement au fond de la poche anonyme d’un vieil anorak et s’en vont rêver, de temps à autre, à l’oiseau de passage, du côté de la « machine à vent »… Après avoir compris la nécessité d’une cartographie précise de l’implantation éolienne qui tienne compte des zones d’exclusion proposées par Natagora, ils répondent à ceux qui affirment toujours que les éoliennes hachent menu les oiseaux dans le ciel, : « oui, oui, tellement fin qu’on ne les retrouve même plus… »

Cela plaît beaucoup aux complotistes de tous bords qui ignorent sans doute que les chats sont les premiers responsables des « disparitions inexpliquées » d’oiseaux. Mais nous ne leur en voulons pas – aux chats ! -, c’est la nature… Les autres gens, ceux à qui il demeure un peu de raison dans la tête, auront médité les études qui comptent, comme celle-ci, par exemple, qui estime la mortalité avicole à 0,4 individu par GWh éolien, contre 5,2 individus par GWh fossile (1)… Bon, on peut bien sûr toujours se tromper, encore faut-il pouvoir en discuter. Mais il faut toujours être deux pour faire un beau match, et que l’adversaire ait quelque chose à opposer d’un peu sérieux. Sinon ça devient vite lassant…

 

Note :

(1) https://ideas.repec.org/a/eee/enepol/v37y2009i6p2241-2248.html