Nous sommes nombreux et nombreuses à avoir déjà lu ou entendu dire que « l’écologie, c’est un truc de riches » ou que « consommer bio coute plus cher« . L’association entre pratiques écologiques et personnes aisées issues d’un milieu, généralement urbain – les bobos ! -, est régulièrement utilisée, dans certains médias, et s’est diluée parmi l’opinion publique. Mais alors, faut-il vraiment avoir un revenu conséquent pour être écolo ?

Par Maylis Arnould

 

Tendre vers des pratiques plus écologiques et/ou consommer des produits biologiques requiert parfois de modifier certaines habitudes et de bouleverser un peu son quotidien. Aller au marché, faire plusieurs magasins, s’inscrire à un principe de paniers de fruits et légumes, se déplacer plus loin que le supermarché pour faire ses courses, fabriquer ses produits soi-même etc., tout peut nécessiter un budget et un temps plus conséquent qu’avec des produits conventionnels. Même si, évidemment, chaque individu et chaque foyer comporte ses problèmes internes et s’il n’est pas toujours évident d’adapter son mode vie avec un petit salaire, un travail énergivore, des enfants… Pourtant, associer l’écologie aux classes moyennes voir élevées est un raccourci un peu trop simpliste. Voire carrément une idée reçue !

 

Les pratiques économiques sont des pratiques écologiques !

Bien avant que l’on parle de « sobriété heureuse » (1), que les mouvements écologiques mettent en évidence la nécessité de diminuer notre impact environnemental via des gestes du quotidien ou que les gouvernements appellent à la baisse de nos consommations d’eau ou d’énergie, beaucoup de foyers pratiquaient déjà des gestes écologiques plus ou moins inconsciemment. Nombreux et nombreuses d’entre nous ont grandi dans des foyers modestes au sien desquels on leur a enseigné, par soucis économiques, des pratiques décroissantes (2). Nous avons donc appris à fermer le robinet d’eau lorsqu’on se brosse les dents, à réutiliser l’eau froide du début de douche pour la vider dans les toilettes – et gagner ainsi une ou deux chasses d’eau -, nous avons tous entendu les fameux « on n’est pas actionnaires chez EDF » (3) ou « c’est pas Versailles ici » (4), rappelant d’éteindre les lumières en sortant d’une pièce…

Cependant, comme nous le rappelle Myriam Bahaffou dans son livre intitulé « Des paillettes sur le compost » (5), ces pratiques étaient principalement restrictives par souci de dépenses financières et pouvaient générer, chez l’enfant, une forme de honte. Celle-ci pourrait être une des raisons qui expliqueraient, chez cet enfant devenu adulte, quelque réticence à perdre un certain confort en ayant des gestes définis comme « écologiques ». Mais ces pratiques, plutôt que d’être source de honte, pourraient être aujourd’hui directement associées à un effort écologique, et donc valorisées en tant que telles. Pour Jean-Baptiste Comby et Hadrien Malier, ces pratiques « ne reçoivent pas non plus de reconnaissance de la part des programmes de responsabilisation environnementale, de même qu’elles correspondent rarement aux catégories administratives et savantes de « gestion des comptes » (Perrin-Heredia, 2014) ou de « maîtrise des consommations d’énergie » (Cacciari, 2017), elles sont rarement qualifiées d’écologiques et peuvent même entrer en concurrence, voire en contradiction, avec la rationalité « écoresponsable » promue (6) ».

Il y aurait donc un jugement de valeurs des pratiques qui seraient, d’un côté, mises en avant car volontairement écologiques et, de l’autre, dépréciées car porteuses d’une volonté de réduction des dépenses.

De plus, plusieurs études montrent qu’associer obligatoirement l’écologie aux riches est peu fondé lorsqu’on s’intéresse à la réalité des pratiques sociales. Bien que, selon l’étude de l’INRAE de 2018, ce sont les populations des classes moyennes à supérieures qui ont le plus de connaissances en matière de produits biologiques – et donc représentent la plus grande partie des consommateurs -, les classes populaires représentent tout de même 14% des consommateurs de ces mêmes produits (7). Aussi, la chaine de télévision franco-allemande Arte a-t-elle participé à l’élaboration d’une enquête nommée « Il est temps« , autour de l’écologie et des classes populaires. Ses résultats, analysés par plusieurs sociologues et journalistes, montrent que, parmi les personnes interrogées, 75% des ouvriers déclarent manger régulièrement des produits biologiques et 81% des classes populaires répondent non, à la question « l’écologie est-elle un truc de riches ?« .

 

Le vrai prix des choses

Que les classes populaires soient sensibles à la question environnementale paraît relativement logique, du moment ou l’on prend en compte le fait que les populations les plus pauvres sont généralement les premières à subir les conséquences des désastres écologiques. Elles habitent plus près des endroits pollués ou des zones industrielles, elles sont plus exposées à la consommation de produits nocifs pour la santé, elles ont des métiers dans lesquels les risques pour la santé sont extrêmement présents (8).

Si l’on regarde du côté de l’alimentation, les sociétés occidentales dans lesquelles nous évoluons ont fait face à un bouleversement du mode de consommation, dans l’après-guerre, avec l’introduction de produits phytosanitaires dans nos sols et avec la démocratisation des biens matériels technologiques, du robot de cuisine au téléphone dernier cri… Ces deux grands changements ont généré deux explications possibles au fait que l’alimentation transformée, non biologique et comportant des additifs ou des conservateurs, soit devenue peu coûteuse.

Premièrement, le budget alloué à la consommation alimentaire a radicalement baissé, en quelques années. En France, par exemple, le coefficient budgétaire alimentaire est passé de 29% en 1960 à 19% en 2019 – selon l’Institut National de la Statistiques et des Etudes Economiques, 2021 – et, en Belgique, nous sommes passés de 27,5%, en 1960, à moins de 12,5%, en 2018 – selon l’Institut pour un Développement Durable, 2020. Cette baisse peut être expliquée par l’augmentation des dépenses pour l’habitat ou la multiplication des biens de consommation technologiques devenus presque indispensables (9). Deuxièmement, des politiques et des décisions agricoles ont entraîné la baisse des prix de biens considérés comme luxueux, comme la viande ou les produits laitiers…

Les lois, les aides agricoles, industrielles et l’émergence des supermarchés ont complètement bouleversé le rapport économique aux produits alimentaires. Nous ne nous en rendons pas compte, lorsque nous faisons nos courses, mais parfois le prix indiqué sur l’étiquette ne représente finalement pas le prix réel de l’aliment. Le kilo de carottes issu d’une grosse entreprise de maraîchage est pris dans une boucle de différents partenaires économiques qui influence fortement son prix et qui ne représente pas le gain généré par la personne qui l’a produit (10). Par conséquent, le prix du kilo de carotte paraît élevé, lorsqu’il est issu d’une petite ferme maraichère, alors qu’il reflète réellement le prix vrai d’un kilo de carottes éthiquement produit et justement rémunéré. Notre rapport au coût des produits alimentaires est donc, en grande partie faussé, par la boucle industrielle dans laquelle ils sont pris.

 

Consommer respectueusement avec un budget limité

Acheter aux prix justes pour les personnes qui produisent et transforment, d’une part, et pour l’environnement, d’autre part, peut donc paraître plus coûteux, ou s’avérer un véritable un casse-tête. Nous sommes nombreux, par exemple, à connaître ce fameux dilemme entre bio et local… Il existe cependant de nombreuses astuces – et beaucoup d’efforts ! – faits dans le chef d’associations et d’espaces de production afin de rendre plus accessibles les produits écologiques et biologiques. Nature & Progrès est un acteur évident d’une telle volonté (11), nous ne détaillerons donc pas ici toutes les alternatives possibles. Pour se donner une idée, en voici cependant quelques exemples…

En ce qui concerne le préjugé qui veut qu’ »être écolo c’est se restreindre« , l’achat de vêtements d’occasion démontre qu’il est possible de s’habiller avec des vêtements de meilleure qualité – de la laine plutôt que du polyester, par exemple – à des prix défiants toute concurrence. Les produits ménagers d’entretien qu’on fabrique soit même sont également une des meilleures alternatives à la fois écologiques et économiques : c’est moins cher, il faut utiliser moins de composants et leur fabrication, à la maison, prend souvent moins de temps que d’utiliser un moyen de transport pour aller en acheter… Enfin, l’alimentation biologique et locale offre aussi son lot de possibilités nouvelles, véhiculant notamment une meilleure information – on apprend à cuisiner simplement avec des produits locaux et donc moins chers que des produits importés -, ainsi qu’un apport nutritionnel généralement plus élevé pour de plus petites quantités (12).

Vivre de manière plus écologique sera donc généralement plus économique, pourvu qu’on échappe aux supercheries du marketing qui empêchent le consommateur de comparer ce qui est véritablement comparable…

 

Notes :

(1) Terme utilisé par Pierre Rabhi et très apprécié dans les espaces écologiques, militants et résilients.

(2) La décroissance désigne ici une diminution économique des richesses, ayant comme principal objectif de baisser la consommation de biens ou de services dont la production est dangereuse pour l’environnement.

(3) EDF (Electricité de France) est le principal fournisseur d’énergie en France ; ayant grandi en France, j’ai cette référence en souvenir mais j’imagine qu’en Belgique cette expression existe également avec Engie, ou Electrabel.

(4) Expression française également qui fait référence au fait que le château de Versailles comporte une galerie composée d’une vingtaine d’énormes lustres…

(5) Myriam Bahaffou, Des paillettes sur le compost : écoféminisme au quotidien, Le passager clandestin, 2022.

(6) Jean-Baptiste Comby et Hadrien Malier. « Les classes populaires et l’enjeu écologique. Un rapport réaliste travaillé par des dynamiques statutaires diverses », Sociétés contemporaines, vol. 124, no. 4, 2021, pp. 37-66.

(7) Article de Bons plans écolos, « Quelles sont les catégories sociales qui consomment le plus de bio ? », 2019.

(8) Pour davantage de renseignements sur cette question, voir les études autour de la justice environnementale ou l’inégalité environnementale, particulièrement les travaux de Valérie Deldrève et, par exemple, l’article coécrit avec Jacqueline Candau : « Produire des inégalités environnementales justes ? », Sociologie, vol. 5, no. 3, 2014, pp. 255-269.

(9) Posséder un ordinateur, par exemple, pour faire ses déclarations officielles, pour consulter sa boîte mail ou encore pour les besoins d’enseignement des enfants est devenu un besoin presque essentiel.

(10) Que ce soit la rémunération, souvent injuste des producteurs et productrices, la répartition des gains via d’autres produits, les énormes quantités de production qui imposent parfois de brader ou encore les aides gouvernementales… Cette manière de vendre impacte et modifie énormément le prix des produits.

(11) Voir, par exemple, l’initiative du « réseau RADiS », en Belgique, ou le site des références des personnes labélisées – https://www.natureetprogres.org/lannuaire-des-professionnels/ -, en France.

(12) Par exemple, une tranche de pain de farine locale au levain, bien que plus chère lors de l’achat initial, sera nettement plus rassasiante. Le produit durera finalement plus longtemps dans le garde-manger…