Les moustiques nous exaspèrent, les mouches nous agacent et leurs mal-aimés rejetons nous répugnent plus encore. Pucerons, chenilles et chrysomèles sont les pestes de nos cultures, etc. Mais passées ces petites détestations, nous n’oserions même pas imaginer à quoi ressemblerait notre monde sans les insectes !

Par Morgane Peyrot

Introduction

C’est pourtant une triste nouvelle qu’a révélée le journal Le Monde, du 11 février dernier. D’après une étude tirée de la revue scientifique Biological conservation, les chercheurs sont unanimes : la quasi-totalité des insectes pourrait avoir disparue de la surface du globe en cent ans ! Plus de 40% des espèces seraient aujourd’hui menacées d’extinction, avec une hausse d’environ 1% chaque année. Ce chiffre, évoluant à une vitesse fulgurante, dénote un déclin colossal et exponentiel que les spécialistes n’hésitent pas à qualifier du « plus massif épisode d’extinction depuis la disparition des dinosaures ». Voilà qui a de quoi faire frémir, d’autant plus qu’il ne s’agit pas de la première sonnette d’alarme. Malgré les cris d’alerte lancés par les entomologistes depuis des dizaines d’années et les pamphlets qui se multiplient dans la presse, la situation ne semble guère évoluer, alors que nous devrions tous nous en inquiéter. Car s’il semble plaisant de ne plus avoir à nettoyer son pare-brise après chaque trajet en voiture, il faut noter que c’est au prix d’une crise écologique mondiale. Certes, ils sont minuscules et paraissent insignifiants, la plupart d’entre eux suscitant même la peur et le rejet. Souvent on ne leur prête guère attention et on ne se demande même pas qui ils sont, ni ce qu’ils font, avant de brandir tapettes à mouches et produits en tous genres pour se débarrasser de ces indésirables. Or, sans ces petits êtres indispensables, tout l’équilibre des écosystèmes planétaires s’effondrerait, et dans sa suite l’humanité tout entière…

Un lien puissant avec les plantes

Plantes et insectes sont l’exemple même de la complémentarité. De leur duo découle l’engrenage du cycle de la vie. Car les végétaux constituent la ressource primaire essentielle à tous les êtres vivants pour se nourrir, se loger ou se soigner. A titre d’exemple, le service de pollinisation offre près de 70% de la diversité de nos ressources alimentaires. Sous nos latitudes, 80% des plantes à fleurs sont « entomogames », ce qui signifie qu’elles dépendent des insectes pollinisateurs pour se reproduire. Et ils sont nombreux ! Outre l’abeille domestique hyper-médiatisée, il y a près de vingt-cinq mille espèces d’abeilles sauvages dans le monde, dont deux mille en Europe et trois cent cinquante en Wallonie. Sans oublier tout le cortège de papillons, de coléoptères et de syrphes, petites mouches à l’allure de guêpes ou de bourdons que l’on élimine souvent par confusion. Ces pollinisateurs sont bien plus efficaces que les habitantes de nos ruches et sont indispensables à de nombreuses plantes. Mais l’histoire ne s’arrête pas là car les insectes interviennent dans tout le cycle de développement du végétal. Y compris les insupportables phytophages dévoreurs de salades ! Dans la réalité d’un écosystème, ils empêchent la prolifération des espèces à tendance « envahissante », ils régulent la croissance des végétaux et les rendent plus résistants par la pression de sélection qu’ils exercent. Il y a aussi les décomposeurs, dont de nombreuses larves de coléoptères, ou encore certains asticots. Ces insectes ont une activité cruciale pour l’environnement : sans eux le paysage n’aurait pas fière allure : il serait jonché de détritus, de cadavres et de matière fécale. De plus, ils entretiennent la fertilité du sol en rendant la matière organique bio-disponible – sous forme de minéraux – pour les plantes qui peuvent ainsi les absorber. Les plantes ne sauraient être sans cette multitude de services rendus. Réciproquement, tous ces insectes, qui se nourrissent de pollen, nectar, d’organes végétaux morts ou vivants, et les utilisent pour faire leur nid ou nourrir leur couvain, ne peuvent survivre sans ces dernières…

Pour preuve de l’importance des décomposeurs, voici la drôle d’histoire des plaines de l’Australie qui, après l’introduction de bovins par les colons à la fin du XVIIIe siècle, finirent littéralement noyées sous les excréments. Les bousiers locaux, habitués aux déjections de marsupiaux n’ayant pas trouvé celles des vaches à leur goût, aucun travail de décomposition ne fût entamé. Plus d’un million d’hectares finirent alors ensevelis, avec des conséquences désastreuses pour l’environnement et l’économie. Sous ces montagnes de déchets amoncelés, plus aucune plante ne pouvait pousser, privant ainsi la faune autochtone de ressources et les vaches de leur pâture. Pour remédier au problème, l’importation de bousiers depuis Pretoria et Montpellier a été nécessaire… durant près de quinze ans !

Une ressource alimentaire privilégiée

Les insectes sont aussi une source de nourriture nécessaire à de nombreuses communautés animales. Notamment les oiseaux, dont la plupart des spécimens, même granivores à l’âge adulte, utilisent les insectes pour fournir à leurs petits un apport de protéines. Privés drastiquement de ces denrées, leur population commence à en pâtir – en plus d’être affectés par l’usage des pesticides, et la destruction de leurs habitats. En témoignent nos campagnes silencieuses… D’après des études du CNRS et du Muséum National d’Histoire Naturelle, rapportées en 2018, plus d’un tiers de l’avifaune a disparu du paysage agricole, ces vingt dernières années, dont certains représentants de façon drastique telle la perdrix grise dont les effectifs ont chuté de 80 à 90% depuis les années 1990 ! Avec eux les crapauds, les chauves-souris et même d’autres insectes carnivores commencent à subir le même sort… Ce cercle vicieux est un véritable calvaire pour la faune sauvage, et il pourrait l’être également pour certains peuples entomophages qui consomment traditionnellement les insectes depuis des générations. C’est le cas dans de nombreux pays d’Asie, d’Afrique, d’Amérique latine et chez les Aborigènes d’Australie. Loin d’être un cliché, les fameux « criquets grillés » sont toujours monnaie courante sur les étals des marchés, en Thaïlande, au Nigéria, au Guatemala, etc. A ceux-ci se mêlent de nombreux autres insectes, en particulier les coléoptères, les chenilles, et beaucoup d’autres larves. Selon les estimations de la FAO, les insectes seraient le pain quotidien d’environ deux milliards d’individus dans le monde, ce qui n’est pas rien ! Ils représentent un réel moyen de survie dans les régions où les conditions climatiques sont rudes comme le désert du Sahara. Si tous viennent à disparaître, comment les populations autochtones remplaceront-elles ces précieux apports de protéine et de nutriments dans leur alimentation ?

Aider les insectes ?

Cela n’était qu’un petit tour d’horizon des services rendus à l’environnement et à l’humanité par les insectes, sans évoquer leur utilisation dans la médecine, l’industrie textile, etc. Il est probant qu’ils sont partie intégrante de notre quotidien et que la situation actuelle nous prépare à un avenir catastrophique si nous ne changeons pas notre regard et nos habitudes à leur égard. S’il est clair que de réelles mesures doivent être appliquées à l’échelle gouvernementale, nous pouvons tous agir en leur faveur, chacun à notre échelle, pour les soutenir, notamment au jardin ! Vous pouvez commencer par aménager un espace accueillant pour tous ces insectes, à condition bien sûr de respecter le principe de la réduction des interventions, ce dont nous n’avons pas l’habitude, toujours occupés que nous sommes à « entretenir » et à « gérer » notre environnement. Ne cherchez pas à obtenir un endroit trop propre car feuilles mortes et brindilles abriteront coccinelles et chrysopes, friandes de pucerons. Préservez des zones de friche, laissez pousser l’herbe et les fleurs autochtones, cela favorisera les pollinisateurs et les prédateurs comme les guêpes parasites, dévoreuses de chenilles. Enfin, variez les essences et les offres d’habitats. Si vous leur proposez nourriture et logis, les « auxiliaires » trouveront leur place et se chargeront naturellement des « nuisibles » et même des champignons, telle la coccinelle à vingt-deux points (Psyllobora vigintiduopunctata) qui se nourrit d’oïdium ! Cela vous donnera également le plaisir de faire la rencontre de nouveaux amis qui ne manqueront pas de vous étonner et de vous émerveiller : vous pourrez observer autour de vous la minutie des abeilles sauvages, l’agilité des syrphes, ou encore la grâce des chrysopes. Vous pourriez bien finir par les trouver beaux, les accepter, et pourquoi pas, les aimer ?

Les bénéfices du "jardin sauvage"

Le manque d’insectes prédateurs et pollinisateurs dans les cultures rend le monde agricole dépendant de l’agrochimie, avec les graves conséquences que nous connaissons… Aujourd’hui, les bienfaits d’une agriculture plus « naturelle » ou plus « sauvage » ne sont plus à démontrer. Dans la revue Science, du 22 janvier 2016, une étude d’ampleur internationale menée par l’INRA, prouvait que l’abondance des pollinisateurs sauvages expliquait, à elle seule, une différence de rendement de l’ordre de 20 à 31% pour les petites parcelles ! D’autres études ont montré une corrélation entre la présence de carabes et la réduction du nombre d’adventices, etc. La proximité des haies, des massifs fleuris mais également des friches se révélait favorable tant à la biodiversité qu’à la productivité. Alors, n’ayez plus peur du « désordre », faites confiance à la nature en osant la spontanéité ! Vous ne le regretterez pas en récoltant les fruits de votre petit havre d’abondance et d’équilibre.