Cette analyse est parue dans la revue Valériane n°176

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Par Mireille De Graeuwe,

animatrice
chez Nature & Progrès

Inviter citoyens et citoyennes à élaborer ensemble les questions à poser aux ministres wallons de la santé et de l’agriculture, tel était l’objectif de quatre rencontres organisées par l’équipe animation de Nature & Progrès. Pour que les voix des citoyens soient entendues, que leurs questions trouvent réponses et que leurs revendications soient prises en compte.

 

L’usage des pesticides se place au centre des enjeux environnementaux et sanitaires. Pourtant, force est de constater la lenteur et la timidité des prises de décisions politiques pour protéger les citoyens de ces substances chimiques. Dans le cadre de l’« Odyssée pour notre Santé » (lire l’article suivant), une soirée d’échanges a été organisée pour interpeller les ministres wallons de la santé et de l’agriculture sur ce sujet brûlant.

Quand les citoyens prennent la parole

La question des pesticides nous concerne tous. Chaque citoyen et chaque citoyenne devrait pouvoir prendre part au débat. Les différents partenaires de l’Odyssée ont donc choisi de favoriser le débat démocratique en proposant une consultation citoyenne afin de préparer cette grande réunion avec les ministres.

Au fil de quatre rencontres organisées par Nature & Progrès à Gembloux, Bruxelles, Jambes et Ottignies, des citoyens de tous horizons ont exprimé leurs préoccupations, partagé leur vécu et formulé des questions précises pour les décideurs. Ces interpellations directes mettent en lumière l’ampleur de l’attente vis-à-vis du monde politique, mais aussi la volonté de reprendre collectivement le pouvoir d’agir pour notre santé et pour notre environnement.

« Est-il tolérable que nos enfants respirent un air chargé de molécules toxiques, boivent une eau contaminée et mangent chaque jour des aliments imprégnés de résidus chimiques ? »

Derrière cette interrogation se cache une inquiétude profonde sur les conséquences sanitaires et sociales d’un système qui, loin de protéger la population, la met quotidiennement en danger. Ces mots résument bien le sentiment d’urgence.

Pollueur-payeur 

Les participants questionnent d’abord la non-soutenabilité de la situation actuelle. La responsabilité des fabricants de pesticides est pointée du doigt. « Comment tolérer que les coûts de dépollution de l’environnement, de la perte de biodiversité et des soins aux malades qui sont liés à l’utilisation des produits phytosanitaires soient encore assumés par la collectivité plutôt que par ceux qui en tirent profit ? Comment faire participer financièrement les producteurs de pesticides au coût sociétal de l’usage de leurs produits ? » Par ailleurs, les participants mettent en évidence le « profit circulaire » des entreprises impliquées à la fois dans les causes et dans les solutions aux problèmes environnementaux et sanitaires, en tirant profit des deux côtés. Quel organe de régulation pourrait enfin mettre fin à ces pratiques ?

L’accès à une alimentation saine et durable

À cette exigence de justice environnementale et sanitaire s’ajoute une revendication d’équité sociale. « Avec 1.650 euros de revenus et 950 euros de loyer, manger bio est un luxe, même si ma santé en dépend. Un changement venant des politiques est nécessaire car notre portefeuille n’est pas extensible. » Ces paroles traduisent une réalité vécue : l’accès à une alimentation saine et durable et le « bien manger » ne peuvent plus être un privilège réservé à une minorité. Des alternatives existent et doivent être encouragées. « Comment soutenir et encourager des initiatives citoyennes telles que les paniers bio ou les achats groupés, qui permettent de réduire les coûts et les intermédiaires ? »

Les mille premiers jours

Plusieurs participants ont rappelé l’importance cruciale des mille premiers jours de vie, de la conception aux deux ans de l’enfant. C’est une période décisive pour la santé future. L’exposition aux pesticides peut être liée à l’alimentation de la mère, à celle du nourrisson, à l’environnement immédiat… autant de facteurs déterminants. « Comment protéger au mieux les bébés et les jeunes enfants, particulièrement vulnérables, durant cette période fondatrice de la santé ? »

Mille jours, c’est bien. Plus longtemps, ce serait encore mieux. « Pourquoi ne pas imposer un quota minimum de produits bio dans les crèches, les écoles et les restaurants, afin de garantir une alimentation saine dès le plus jeune âge ? » Nous avons étudié cette option dans notre étude « Rendre le bio accessible pour tous via l’alimentation collective »[i]. En France, la loi Egalim votée en 2018 visait une évolution de l’offre des collectivités vers une part d’au moins 50 % de produits de qualité durable, dont 20 % de produits bio pour 2022. Si l’ambition n’a pas été totalement remplie, la part du bio a triplé, et le nombre de cantines proposant des produits bio est passé de 4 % en 2007 à 65 % en 2019. Imposer des pourcentages de produits bio locaux dans toutes les collectivités semble donc porter ses fruits.

La nécessité d’une transition politique

L’orientation prise au niveau européen par la Politique agricole commune occupe une place importante dans le débat. « Comment justifier que l’on continue à arroser de subsides un modèle productiviste qui non seulement nous empoisonne, mais tue l’économie agricole de pays tiers du fait de ses exportations massives, au lieu de garantir notre propre souveraineté alimentaire et soutenir la transition écologique qui fait urgence ? » Les citoyens dénoncent ce paradoxe et demandent que les aides publiques soient réorientées vers des pratiques respectueuses de l’environnement, des producteurs et des consommateurs.

Des études[ii] démontrent que si la Wallonie produisait intégralement en bio et à destination des citoyens, elle pourrait largement nourrir ses populations bruxelloise et wallonne. Cet argument déconstruit l’idée reçue selon laquelle le bio ne serait pas viable à grande échelle et replace la question agricole dans une perspective de sécurité alimentaire, plutôt que d’exportation massive, souvent destructrice pour les producteurs du Sud. Une réflexion à long terme est jugée indispensable. « Quelle vision portent nos ministres pour l’agriculture wallonne dans 25 ans et à l’horizon 2050, sans pesticides de synthèse, et dans le respect de la planète et des générations futures ? »

Favoriser la transition

« Quel plan d’action pour mieux soutenir le bio en Wallonie ? » Les citoyens partagent de nombreuses idées : soutien aux producteurs face aux chutes de prix et pour mettre fin aux ventes à perte, aide aux projets agricoles durables, par exemple via Terre-en-Vue (lire page 27), etc. Un mécanisme de solidarité peut-il être pensé pour une agriculture sans pesticides ? Le risque lié à une conversion bio ne doit pas reposer uniquement sur l’agriculteur : il faut un soutien des acteurs publics. Enfin, des citoyens s’interrogent sur les moyens à mettre en œuvre pour lever l’omerta et les blocages psychosociaux vécus pas les agriculteurs au sujet des impacts des pesticides.

Informer et sensibiliser

Les citoyens souhaitent interpeller les autorités sur l’urgence de mettre en place une grande campagne publique d’information et de prévention sur les pesticides, qui devrait toucher toutes les couches de la population, y compris les enfants dans les écoles, afin de construire une conscience collective éclairée et responsable. « Comment sensibiliser et éduquer à la santé environnementale localement en éveillant les consciences à l’impact de nos systèmes globalement ? » Une plus grande clarté sur les produits est également nécessaire. « Comment mieux différencier les labels afin d’éviter le greenwashing ? ».

A travers ces consultations citoyennes, Nature & Progrès a moissonné une foule de questions concrètes s’imposant face à des constats réels. Dans la prochaine revue Valériane, nous vous ferons écho de la réponse des deux Ministres à ces interpellations.

 

REFERENCES

[i] La Spina S. 2024. Rendre la bio accessible pour tous via l’alimentation collective. 44 pages. https://www.natpro.be/analyses/rendre-la-bio-accessible-pour-tous-via-lalimentation-collective/

[ii] Znaor D., Baret P., de Herde V et Antier C. 2017. Les conséquences environnementales et économiques d’une conversion de l’agriculture wallonne vers un modèle à faible apport d’intrants. Rapport.

 

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