Cet article est paru dans la revue Valériane n°173

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Par Jeanne Buffet,

rédactrice pour Nature & Progrès

Dans l’imaginaire collectif, le castor est souvent vu comme travailleur, dirigé vers le seul but de construire son barrage. Si cette image peut paraître flatteuse, les humains ont pourtant des relations ambivalentes avec ce rongeur. Son obstination à obstruer le cours d’une rivière ne plaît pas à tout le monde. Mais au fond, les barrages sont-ils bénéfiques ou néfastes pour nos paysages ?

 

Le castor d’Europe, rongeur emblématique des milieux aquatiques et bâtisseur hors pair, réapparaît peu à peu dans nos rivières. Autrefois chassé intensivement, il a vu sa population drastiquement réduite au XIXe siècle. En Belgique, où il avait disparu, des programmes de réintroduction et son statut d’espèce protégée ont permis son retour. Cette nouvelle fait des heureux, mais fait également grincer les dents. En effet, avec ses barrages, le castor est une des seules espèces capables de modifier l’hydrologie d’un cours d’eau, en dehors de l’être humain. Cette capacité commune peut mener à des conflits. Si les barrages sont parfaitement adaptés au mode de vie du castor, ils ont également des impacts sur le paysage et les activités humaines. Pour le meilleur ou pour le pire ?

 

Moins de ruissèlement

La construction des barrages de castors et les modifications des cours d’eau qu’ils engendrent apportent des bénéfices non négligeables. Par exemple, ils ralentissent et régulent le flux des rivières. « En cas de grosse pluie, l’inondation en aval sera moins forte et moins rapide » montre un article scientifique de l’Université de Gand (1). L’étude menée dans l’Ourthe a démontré que les barrages régulent le flux d’eau, minimisant les crues en aval. En période de sécheresse, le système libère de l’eau vers la partie inférieure de la rivière, tamponnant également la variation de débit.

Un autre avantage, qui ravit d’autant plus les naturalistes : le castor favorise la biodiversité. En coupant les arbres autour des cours d’eau, il réduit l’enfrichement des berges et des zones humides.

« Ce que nous devons souvent entreprendre lors de chantiers de gestion en zones humides, lutter contre le reboisement naturel par les saules, le castor va l’effectuer gratuitement et avec bon cœur » se réjouit Natagora (2).

Et comme ce fut démontré par plusieurs études scientifiques, la modification d’un cours d’eau par les barrages de castor permet également la création de nouvelles zones humides grâce au ralentissement de l’écoulement de l’eau. Ces milieux accueillent diverses plantes aquatiques, des insectes comme les libellules, différentes espèces d’amphibiens, des poissons ainsi que des chauves-souris et des oiseaux (cigognes noires, busards, milans…).

 

Désagréments et conflits d’usage

Malgré les bénéfices avérés de la présence de castors, leurs barrages peuvent causer quelques désagréments. « Lorsque le castor construit des barrages, il vise à augmenter la hauteur et la surface de retenue d’eau » expliquent des spécialistes du Service Public de Wallonie dans une brochure consacrée au castor (3). La montée d’eau dans les zones adjacentes à la rivière peut causer des dégâts aux routes, aux habitations, mais aussi aux prairies, impactant les agriculteurs. Il y a quelques années, un éleveur belge avait perdu quatre de ses vaches, mortes d’une infection. L’eau stagnante inondant leur pré aurait favorisé la contamination. Début 2025, un agriculteur français a été poursuivi en justice pour avoir détruit un barrage de castors qui inondait l’un de ses champs, faisant du tort à ses cultures. S’il n’a finalement reçu qu’un avertissement, le statut de protection de l’espèce aurait pu lui valoir une peine plus lourde.

Dans d’autres cas, ce sont les coupes d’arbres qui sont à l’origine de désagréments. En effet, dans une exploitation forestière, elles peuvent causer des pertes économiques. La plupart du temps, une zone tampon de quelques dizaines de mètres autour du cours d’eau permet d’éviter la plupart des dommages, mais cela implique de céder un peu de terrain d’exploitation.

 

Vivre en harmonie avec le castor

« Les hommes supportent difficilement d’être contrariés dans leurs plans de maîtrise de la nature », pointe Natagora.

Mais pour bénéficier de la présence du castor et vivre en harmonie avec lui, il est possible de composer avec sa présence. Bien qu’il soit protégé, il est possible, dans certains cas et pour une raison valable, de demander une dérogation pour détruire un barrage. Cette procédure avait été lancée par la Province de Luxembourg dans le cas de l’éleveur belge voyant sa prairie inondée. La dérogation avait été acceptée, mais l’intervention auprès du barrage en question avait mis trop de temps à être entamée : trop tard pour les pauvres vaches.

Sur une note plus positive, il arrive que dans certaines situations, les intérêts des castors et des humains s’alignent parfaitement. En République tchèque par exemple, une colonie de castors a récemment construit en deux jours une série de barrages que les autorités prévoyaient de mettre en chantier. Cette coïncidence a permis au pays d’économiser 30 millions de couronnes tchèques (environ 1,2 millions d’euros) et a réglé les problèmes administratifs liés à l’obtention des permis de construire qui stagnaient depuis sept ans. Point positif supplémentaire, ces barrages sont entièrement naturels, inclus dans le paysage, et seront entretenus par les animaux eux-mêmes.

Et chez nous en Belgique, comme montré par l’article de l’Université de Gand, le retour du castor pourrait bien être bénéfique pour les paysages et les humains, en réduisant les dégâts causés par les précipitations intenses et en humidifiant les terres pendant les périodes de sécheresse. Même si ce voisin obstiné peut sembler parfois un peu envahissant, il sera sans doute un allié important pour faire face aux impacts du réchauffement climatique.

 

REFERENCES

  • Nyssen J., Billi A., Pointzeele J., De Visscher M. et Krankl A. 2012. L’effet des barrages de castors sur les événements de crues des petits cours d’eau. Service Public de Wallonie
  • Position de Natagora sur le castor en Wallonie (23/04/2012) 
  • Barvaux C., Manet B. et Liégeois S. 2015. Cohabiter avec le castor en Wallonie. Guides méthodologiques, SPW Editions.

 

 

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