Cet été, lors des nombreuses rencontres en fermes organisées dans le cadre de notre campagne Vers une Wallonie sans pesticides, une présentation faite par le CIM (Centre Interprofessionnel Maraîcher) a permis de mieux comprendre les difficultés technico-économiques rencontrées par nos maraîchers wallons, ainsi que les solutions à envisager pour y remédier. La Wallonie ne produisant que 17% des légumes qu’elle consomme, on comprend aisément l’urgence qu’il y a aujourd’hui de soutenir activement cette filière.

Par Camille le Polain

 

La période de confinement due à la Covid fut marquée par un grand soutien apporté aux maraîchers wallons par des consommateurs friands de faire leurs courses dans les magasins à la ferme et les petites épiceries du coin. L’heure est toutefois rapidement devenue plus sombre pour nos producteurs et la baisse des ventes fut significative en 2022. La reprise des « mauvaises habitudes » ne s’est malheureusement pas fait attendre bien longtemps et le panier en osier de chez l’épicière a rapidement cédé la place au caddy du supermarché. Le contexte géopolitique et économique n’encourage évidemment pas les ménages à se tourner vers des produits locaux même s’il est pourtant crucial de continuer à soutenir nos producteurs. La Wallonie compte environ trois cent cinquante maraîchers qui occupent quatre mille hectares, ce qui correspond à moins d’un pourcent de sa Surface Agricole Utile (SAU).

 

Quelques chiffres qui interpellent quand à nos habitudes de consommation

Claire Olivier, du CIM (Centre Interprofessionnel Maraîcher) est intervenue, cette année, lors de deux rencontres en ferme afin de faire le point sur l’état actuel du secteur maraîcher. Le CIM asbl, créé en 1985 par des producteurs maraîchers, a pour objectif l’encadrement technico-économique et la représentation du secteur en Wallonie. Nous retraçons dans cet article les principales difficultés décrites été lors de ces différentes présentations.

Selon les chiffres donnés par le CIM, un habitant, en Wallonie, consomme en moyenne quarante kilos de légumes par an. Mai, si on analyse l’origine des produits du « panier de la ménagère » wallonne, seulement 17% de ces légumes sont produits en Wallonie ! A cela, Claire Olivier rajoute : « c’est bien beau de produire des légumes, mais il faut encore pouvoir les vendre ! » Par ailleurs, selon un sondage réalisé par Biowallonie en 2021, seulement 13,5% des dépenses des Wallons en légumes vont aux légumes bio.

Un autre chiffre est particulièrement parlant : 86% des actes d’achats de fruits et légumes seraient réalisés en grandes ou en moyennes surfaces ! Ce à quoi Florent Gailly, maraîcher bio en Province du Luxembourg et accueillant lors d’une rencontre en ferme, rajoute qu’il a observé une perte de 30% de chiffre d’affaires dans son magasin, depuis le début de l’année 2022. Ce qui l’a obligé à développer de nouveaux outils de marketing et de chercher de nouveaux clients…

Au vu de ces chiffres, il nous paraît plus que nécessaire de rappeler l’importance de choisir des produits bio et locaux dans son panier. Acheter des fruits et légumes bio provenant de l’étranger n’est pas un acte suffisant pour la planète car, ce faisant, l’activité économique du secteur de proximité, le secteur maraîcher wallon, n’est pas soutenue comme il le faudrait. Les pratiques respectueuses de nos sols, c’est-à-dire les pratiques bio, ne sont pas non plus encouragées sur notre territoire ! Or le contexte géopolitique et la crise climatique renforcent toujours davantage le besoin de relocaliser l’économie en Wallonie et d’augmenter l’autonomie alimentaire du territoire.

 

Les grands enjeux actuels du secteur maraîcher

Plusieurs leviers doivent absolument être enclenchés afin d’encourager l’autonomie maraîchère du territoire wallon. D’une part, il est indispensable d’accroître le soutien des consommateurs par leurs actes d’achats et d’augmenter, d’autre part, le nombre de maraîchers actifs en Wallonie pour garantir une offre suffisante en légumes. Claire Olivier se montre totalement convaincue que les opportunités à l’installation en tant que maraîcher sont multiples : les parts de marché à prendre pour les produits locaux sont nombreuses et il est bon de rappeler que la consommation en fruits et légumes wallons avait augmenté de 11% en 2020 ! Outre les aspects commerciaux, elle souligne également que le maraîchage est une bonne porte d’entrée pour les personnes non issues du secteur agricole car l’activité peut débuter sur de petites surfaces, réduisant ainsi les risques, d’un point de vue économique surtout. De plus, la mécanisation sur petite surface est moins importante qu’à grande échelle et les investissements sont donc moins grands.

Selon Claire Olivier, les différents enjeux sociaux et technico-économiques qui peuvent représenter un frein au lancement dans la profession de maraîcher sont les suivants :

– en premier lieu, la stimulation du consommateur à se nourrir de produits locaux,

– l’accès à la main d’œuvre saisonnière,

– la maîtrise de la volatilité des prix,

– l’organisation commerciale du secteur grâce aux coopératives et autres structures facilitant la commercialisation des produits maraîchers,

– la nécessité de professionnaliser le métier de maraîcher car il doit porter plusieurs casquettes à la fois pour joindre les deux bouts : de producteur à vendeur – et donc démarcheur, communicateur… – mais également stockeur, transporteur… Cumuler ces différentes casquettes exige un sens aigu de l’organisation,

– l’adaptation aux changements climatiques et à des années extrêmement contrastées d’un point de vue climatique.

Les alternances de conditions extrêmes – sécheresse et humidité -, ces dernières années, ont entraîné l’émergence de problèmes physiologiques dans les légumes, à côté de la propagation exceptionnelle de certaines maladies qui ont un impact non négligeable sur le rendement. Qui dit problème physiologique, dit réduction de la qualité visuelle ; les légumes touchés par ces altérations ne sont finalement pas vendables aux grossistes. Le problème risque malheureusement d’être récurrent dans le futur avec un climat changeant.

Les nouveaux aléas climatiques entraînent également l’apparition de nouveaux ravageurs qu’il faut pouvoir maîtriser, ainsi que des défauts de structure du sol qui perturbent le développement racinaire des légumes, entravant gravement leur croissance. Un des enjeux majeurs selon plusieurs scientifiques spécialisés en culture maraîchère sera la gestion de l’eau dans les trente premiers centimètres du sol.

Les normes de qualité visuelle les plus strictes, autour de la coloration et du calibre des légumes, sont devenues la référence standard en Belgique. Cet excès d’exigence entraîne énormément de pertes pour les producteurs qui se voient souvent contraints de jeter – ou donner – une partie de leur récolte car « les courgettes sont trop petites ou trop grandes pour rentrer dans les caisses standard », car « la pomme du chou-fleur est devenue jaune suite à une saison trop sèche ».

Claire Olivier conclut qu’ »on en arrive à des situations où cela coûte plus cher au producteur de récolter les légumes hors-standards, de les transporter et de les vendre à un prix dérisoire plutôt que de les laisser en place sans les valoriser ! »

 

L’importance de mettre nos productions en valeur

Les enjeux auxquels sont aujourd’hui confrontés les maraîchers wallons montre à quel point la nécessité de les soutenir est devenue évidente. Un des leviers mis en place par le CIM pour aller dans ce sens consiste, entre autres, à initier des groupements de producteurs. A titre d’exemple, la coopérative Asperges de Wallonie a été créée, cet été, grâce à l’implication de seize producteurs wallons. Les objectifs du projet sont multiples : offrir une visibilité commune au produit, établir un cahier des charges commun afin d’assurer une qualité identique, promouvoir un prix juste pour le producteur et le consommateur, stimuler la promotion du produit auprès des consommateurs. Un projet similaire a également été lancé, au printemps cette année, pour promouvoir les fraises de Wallonie.

Il est donc indispensable de rappeler, une fois de plus, le rôle crucial et prioritaire que jouent les consommateurs dans l’avenir des producteurs maraîchers wallons. Remplissons nos paniers de produits bio et locaux ! Pour notre santé et celle de notre terre !