Cette analyse est parue dans la revue Valériane n°173

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Par Guillaume Lohest,

rédacteur pour Nature & Progrès

« L’arbre ne retire pas son ombre, même au bûcheron » affirme un proverbe indien. En ville, cette générosité végétale prend tout son sens. Le dérèglement climatique confrontera de plus en plus souvent un nombre de plus en plus important de citadins à des épisodes de fortes chaleurs. Y planter des arbres aujourd’hui, c’est s’adapter aux conditions extrêmes de demain.

 

D’après les dernières estimations des Nations Unies, 57 % des humains habitent dans une ville. On attendrait même 70 % de citadins en 2050. En Europe, nous y sommes déjà. Le taux d’urbanisation actuel est de 75 %. Or l’une des conséquences du dérèglement climatique est l’augmentation de la fréquence et de l’intensité des canicules. Il y a déjà eu quatre fois plus d’épisodes caniculaires en France cette dernière décennie que durant les années 80. Et cela va empirer. D’ici à 2050, le nombre de vagues de chaleur pourrait encore doubler.

 

Jusqu’à six degrés de moins

Mais derrière cette perspective globale se cachent des réalités très distinctes. Un même épisode caniculaire est vécu très différemment selon que l’on vit dans une propriété arborée à la campagne ou dans une barre d’immeubles au cœur d’une métropole. Si l’on s’en tient aux seules disparités de thermomètre, les différences observées entre ville et campagne sont connues depuis longtemps. Ainsi, par exemple,

« Les températures de l’air sont plus élevées de 3°C en moyenne au centre de la Région de Bruxelles-Capitale qu’à ses alentours ruraux en été (sur la période 1987-2016). »

« Les températures les plus élevées s’observent dans de grandes zones au centre-ville urbanisé. Les températures sont légèrement plus basses au-dessus des eaux et dans les grands parcs » (1). La nuit, cet écart de température est même de 4 à 6°C.

Ce phénomène porte un nom : l’îlot de chaleur urbain (ICU). Il s’explique par deux facteurs principaux : l’inertie thermique – plus un matériau est lourd et épais, plus il accumulera de la chaleur – et l’effet d’albédo liée à la réflexion de l’énergie solaire. « Si l’on prend l’exemple du béton brut, on voit qu’il a une inertie thermique assez élevée et un albédo faible, il absorbe donc près de 80 % de l’énergie qu’il reçoit. Ainsi, le béton soumis aux rayonnements solaires, mais aussi aux rayonnements de réflexion, va se réchauffer lentement mais sa capacité thermique et son albédo lui permettent d’emmagasiner beaucoup de chaleur » (2).

 

Des villes canopées

Avant d’envisager un exode urbain utopique et peu raisonnable, une autre piste a déjà fait ses preuves : augmenter la quantité d’arbres en ville. À Liège, c’est l’objectif du Plan Canopée, qui ambitionne la plantation de 24.000 arbres d’ici à 2030. Parallèlement aux efforts pour réduire les émissions, la ville veut donc aussi anticiper l’adaptation au dérèglement climatique. Car « sans agir, le climat liégeois pourrait correspondre, à l’horizon 2100, à celui que nous connaissons aujourd’hui à… Madrid ou Porto ! Nous connaîtrons entre 15 et 27 jours de vagues de chaleurs (température de plus de 25°C pendant au moins 5 jours de suite ou 30°C pendant 3 jours ou plus), contre une moyenne de 2 à 6 jours par an aujourd’hui (3) ». Construit avec l’aide de scientifiques et d’académiques, ce plan en appelle aussi à une implication des citoyens puisque deux tiers des arbres à planter le seront sur des terrains privés.

De nombreuses villes dans le monde entier initient des programmes similaires. Bruxelles a également son Plan Canopée 2020-2030. Car il semble que, parmi les méthodes envisageables pour lutter contre les îlots de chaleur urbains, la plantation d’arbres soit, de loin, la plus efficace. Rendre les villes plus blanches pour augmenter l’effet d’albédo aurait un impact assez limité. Autre possibilité, la multiplication des écoulements d’eau en surface, plus complexe à mettre en œuvre. C’est donc naturellement vers la végétalisation que les villes se tournent en priorité. Barcelone, Lyon, Marseille, Montréal, Nantes, Rennes, Rome, Stuttgart, Toulouse et Vienne, parmi d’autres, se sont lancées et ont été étudiées dans le cadre d’un ouvrage de référence sur le sujet (4).

 

Tant de bienfaits… et quelques limites

Au fond, comment les arbres rafraichissent-ils l’espace autour d’eux ? Plusieurs phénomènes s’additionnent. D’abord, « ses feuilles absorbent une grande partie du rayonnement solaire lors de la photosynthèse, et le reste est reflété. » Ensuite, « il créé une ombre portée qui protège les personnes, les animaux, les végétaux et les pelouses situées en-dessous, rafraîchit le sol et fait bouclier pour les façades. » Enfin, grâce à ses racines« il puise l’eau dans le sol et la rejette dans l’air par ses stomates. Cette évapotranspiration préserve l’humidité locale et rafraîchit l’air ambiant » (5). On parle ici des avantages de « climatisation » des arbres, mais ils ont évidemment d’autres bienfaits : drainage des eaux de surface, purification de l’air, accueil de la biodiversité, bien-être et beauté de la ville…

Toutefois, ce miracle n’est pas sans l’une ou l’autre difficulté. Il a été observé que « les arbres sont efficaces mais sur une distance limitée : des thermographies montrent que l’effet s’estompe au-delà de 100 m. » Autre problème : le temps qu’il faut pour que ça pousse… et la vulnérabilité au changement climatique lui-même :

« Un arbre de grande envergure va mettre entre 25 et 50 ans pour atteindre sa taille adulte… avec le risque qu’entre temps, le climat ait tellement changé que l’arbre ne résiste plus. »

« Ainsi, à Montréal, 10 % des arbres (les frênes) ont été attaqués par un parasite dont l’apparition est liée à la hausse des températures » (6). Le choix des essences doit donc être savamment pensé en amont et, surtout, diversifié, entre espèces indigènes et anticipation de conditions climatiques futures.

 

Repenser nos villes et notre mobilité

Enfin, et c’est sans doute le point le plus épineux, la place qu’occuperont les plantations d’arbres doit forcément être rognée sur autre chose… Ce qui peut se résumer ainsi : « comment concilier la mise en place d’un réseau assez dense de végétation avec des arbres de grande taille, avec la volonté de densifier la ville et donc les bâtiments ? Cela passe principalement par la reconquête des espaces occupés par l’automobile en espaces verts : suppression de places de stationnement, diminution de la largeur des chaussées, piétonisation de rues… Il n’est guère envisageable de toucher au bâti. » (6). Or, on sait que toute atteinte à l’espace automobile peut créer des remous explosifs dans le monde politique et chez les citoyens, tant la voiture a été sacralisée depuis des décennies.

Pour Nature & Progrès, la nécessité de planter des arbres en ville ne laisse aucun doute. Dans la perspective d’une société mieux adaptée aux défis climatiques à venir, il est indispensable de repenser nos villes et notre mobilité en misant sur un transport collectif public efficace et sur un réseau de voies lentes favorisant le déplacement à pied ou à vélo. Les espaces verts doivent rentrer dans les priorités d’aménagement des territoires. Pour notre bien-être, pour notre santé et celle du climat.

 

REFERENCES

  • Cartographie de l’îlot de chaleur à Bruxelles, Site Internet de Bruxelles Environnement.
  • Institut d’aménagement et d’urbanisme d’Île-de-France. 2010. Les îlots de chaleur urbains.
  • https://canopee.liege.be/
  • Collectif. 2015. Villes et changement climatique. Îlots de chaleur urbains. Editions Parenthèses.
  • 2023. D’où vient le pouvoir rafraîchissant des arbres (et tous leurs autres bénéfices) ? Nantes Métropole et Ville n°329.
  • Michel Bernard. 2016. Face à la canicule, en ville, les arbres sont la meilleure parade. Reporterre et revue Silence.

 

 

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