S’associer pour reprendre la ferme

Cet article est paru dans la revue Valériane n°174

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Par Caroline Battheu-Noirfalise,

animatrice chez Nature & Progrès

La transmission des fermes constitue un des principaux enjeux pour le maintien de l’agriculture familiale en Wallonie. Comment reprendre une ferme sans subir la pression économique de l’endettement ? Pourquoi et comment s’associer dans cette aventure ? A la Ferme de la Sarthe, Valentine Jacquemart témoigne de son expérience.

Valentine Jacquemart et Thomas Huyberechts devant la fromagerie de la Ferme de la Sarthe.

 

D’après les statistiques wallonnes[i], en 25 ans, la région a perdu la moitié de ses fermes à un rythme moyen de 11 par semaine. Il en reste actuellement quelques 12.500. D’après les pyramides d’âges, 70 % d’entre elles seront à remettre dans les dix ans à venir, ce qui correspond à plus de 50 % de la surface agricole utile. Or, seul un agriculteur de plus de 50 ans sur cinq déclare disposer d’un repreneur.

 

Préserver notre agriculture familiale

Les fermes sans repreneur alimentent le plus souvent l’agrandissement des exploitations voisines. Sur ces mêmes 25 dernières années, les superficies moyennes ont doublé. « Des fermes toujours plus grosses, toujours plus capitalisées, ne pourront, in fine, plus être reprises que par des sociétés », analyse la journaliste Amélie Poinssot dans son livre « Qui va nous nourrir » (Actes Sud, 2024). Cette situation met en péril nos agricultures familiales. « C’est le moment ou jamais de se battre pour un accès populaire à la terre, pour restaurer partout les usages et les égards à même d’en prendre soin. »

Des sociétés ou des agricultures familiales, ce sont les secondes que l’on souhaite continuer à voir prospérer dans nos campagnes. Une opinion partagée tant par les citoyens que par les politiques. « Un enjeu central pour la Wallonie est de sauver ses/ces fermes, de les préserver en tant qu’unités de production fonctionnelles en évitant qu’elles ne disparaissent à la fin de la carrière de l’exploitant. Il s’agit de maintenir un maillage dense de fermes épanouies dans les campagnes wallonnes et d’optimiser le renouvellement des générations en agriculture. », lit-on dans un rapport du Réseau wallon de Développement Rural[ii]. La transmission doit faire face à une série d’entraves économiques, juridiques et administratives, ce qui nécessite un travail sur le long terme.

 

La Ferme de la Sarthe

L’histoire de la Ferme de la Sarthe remonte aux arrière-grands-parents de Valentine, qui cultivaient la terre et élevaient quelques animaux pour subvenir à leurs besoins et ceux d’un marché très local. Le père de Valentine, Damien, reprend la ferme alors qu’elle est en fin d’activité. Avec peu d’expérience pratique et convaincu par les principes de la biodynamie, il se forme auprès de pionniers belges et français et essaie plusieurs productions (élevage caprin, petits fruits, plants à repiquer) pour finalement se concentrer sur les vaches laitières et les céréales. Avec le temps, la ferme se développe : le troupeau grandit et des surfaces supplémentaires sont acquises. Damien et son épouse fidélisent une clientèle via leur présence sur les marchés de Namur et sur les premières éditions du Salon Valériane. Ils sont également dans les premiers producteurs belges à recevoir la mention Nature & Progrès. David, le frère de Damien, s’associe au projet. Avec le temps, la ferme se scinde en deux branches complémentaires. Damien se spécialise dans la production laitière tandis que son frère David se concentre sur les cultures.

 

Reprendre : un cheminement personnel

Après des études d’éco-conseillère, Valentine, la fille de Damien, lance une parcelle de maraîchage en indépendant complémentaire pour fournir la coopérative Paysans-Artisans. Elle a progressivement un déclic : « Pourquoi travailler pour quelqu’un d’autre alors qu’il y a une entreprise chez moi qui porte les valeurs que je défends ? ». En 2020, en pleine pandémie, elle devient officiellement associée avant de reprendre pleinement la ferme début 2025. La transition se fait progressivement, Damien restant actif sur la ferme. Valentine, bien que proche de son père, souligne les difficultés inhérentes à la transmission mais reconnaît néanmoins la valeur de l’expérience et préfère d’abord apprendre avant d’expérimenter : « Il y a des petites choses pour lesquelles je ne suis pas toujours d’accord avec lui, mais il a 40 ans d’expérience et je respecte énormément cela. » La transmission de connaissances et de savoir-faire n’est pas pour autant une chose aisée, même dans un cadre familial. « Le problème, dans une ferme, c’est qu’on ne s’arrête pas pour aller voir ce que fait l’autre et essayer de comprendre car il y a trop de boulot et cela donne l’impression de perdre du temps. »

 

Une association qui prend racine

La présence de Damien est également précieuse pour Thomas Huyberechts, ingénieur agronome de formation sans expérience agricole familiale. Ayant travaillé aux côtés d’éleveurs qui lui ont transmis leur passion, Thomas a rejoint la ferme il y a quatre ans, dans un premier temps comme stagiaire, avant d’envisager sérieusement de devenir fermier. Il voit également cette expérience comme un moyen de gagner en cohérence et en légitimité dans son travail de représentation du monde agricole à la FUGEA. Aujourd’hui, il transfère néanmoins son temps de travail vers la ferme de manière progressive. Thomas souligne l’intérêt de l’association, qui lui évite de porter seul le poids d’une reprise. L’association se fait sous une forme juridique relativement simple entre deux personnes physiques. Thomas a, par ailleurs, racheté 50 % du capital d’exploitation (troupeau, machines et stocks) mais sans reprendre les bâtiments et les terres en propriété. « Cela permet de me sentir un peu chez moi aussi, mais ça m’arrangeait bien de ne pas devoir directement investir dans de l’immobilier ». Valentine et Thomas vont établir un règlement de travail et une convention d’association pour clarifier les prises de décisions et prévenir les conflits.

 

Organiser le travail

Pour l’heure, la transition en douceur du travail de Damien vers Thomas n’induit pas un besoin urgent de réorganisation des tâches à la ferme. À terme, les associés souhaitent cependant structurer davantage les responsabilités tout en laissant à chacun la possibilité de profiter de la diversité des tâches qu’offre le travail agricole. Dans le futur, Valentine et Thomas souhaitent continuer le même modèle. Ils n’arrivent pas avec des idées de révolution, mais pensent tout de même améliorer les procédés internes, notamment en travaillant sur une génétique du troupeau – actuellement en Rouge Pie – qui valorise mieux l’herbe. Les jeunes repreneurs ont investi dans des panneaux solaires. « Le prix de l’énergie a triplé ici à la ferme. Qu’est-ce qu’on va faire si le prix du mazout fait pareil ? »

 

Les jeunes Rouge Pie x Fleckvieh dont quelques mâles sont engraissés en tant que bœufs

 

Un modèle agricole résilient et ancré localement

Avec une trentaine d’hectares de surface agricole utile, dont cinq hectares de céréales et de prairies temporaires, la ferme offre une diversité de produits laitiers transformés sur place et des colis de viande provenant de l’engraissement des veaux laitiers mâles castrés et de cochons élevés au petit-lait de la fromagerie. La ferme privilégie ainsi la diversité mais également la vente en circuit court (magasin à la ferme, via Agricovert et Paysans-Artisans). Cette stratégie limite la dépendance aux fluctuations du marché global, renforce les liens avec la communauté locale et consolide l’ancrage territorial de la ferme.

Conscients des sacrifices qu’exige l’agriculture, Valentine et Thomas apprécient néanmoins la liberté que leur confère leur modèle. En effet, le faible niveau d’endettement confère une flexibilité décisionnelle rassurante pour les jeunes éleveurs. « Dans une reprise classique, il aurait fallu tout redimensionner : de plus grandes étables, plus de terres et agrandir la fromagerie ; cela représente beaucoup d’investissement d’un coup. » Les repreneurs ne perdent pas de vue les chiffres économiques du projet. « Ici, je sais ce que la ferme dépense et je sais ce que la ferme gagne », confie Valentine. Forte de l’expérience familiale et du soutien de Thomas, elle envisage l’avenir avec pragmatisme : poursuivre l’œuvre familiale tout en garantissant une qualité de vie décente, également au niveau du temps de travail.

Dans le contexte wallon où la transmission des fermes devient critique pour notre souveraineté alimentaire, l’aventure de la Ferme de la Sarthe illustre à la fois la complexité et la richesse de la transmission intra-familiale, ainsi que les opportunités offertes par des collaborations extra-familiales, sur des structures dont la relativement petite taille représente une opportunité abordable pour les repreneurs. Ce modèle de reprise en association gagnerait à essaimer. Les cadres administratif et législatif actuels sont-ils bien adaptés à une reprise en association de ce type ? Il conviendrait de s’en assurer, et d’effectuer les adaptations nécessaires pour faciliter ces transmissions « hors cadre ».

 

REFERENCES

[i] Statistiques disponibles sur https://etat-agriculture.wallonie.be/

[ii] Réseau wallon de Développement Rural. 2022. Accompagner la transmission des fermes en Wallonie. Propositions du Collectif Transmission. Rapport, 29 pages. https://reseauwallonpac.be/sites/default/files/transmission_dispositif_daccompagnement_note_du_rwdr.pdf

 

 

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Mauvais bulletin pour la Wallonie

Cette analyse est parue dans la revue Valériane n°174

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Par Virginie Pissoort,

chargée de campagnes
chez Nature & Progrès

La Cour des Comptes de Belgique, chargée de contrôler les finances en vue d’une bonne gestion du trésor public, s’est emparée de la politique en matière d’utilisation durable des pesticides de la Wallonie. Traduit-elle les objectifs européens ? Est-elle mise en œuvre de façon efficace, coordonnée et ciblée ? Peut mieux faire !

 

Nature & Progrès, qui, au nom de la société civile, suit de près les évolutions en matière de pesticides, n’avait aucune connaissance de l’initiative de cette haute institution jusqu’à sa publication. Nous en rêvions pourtant, mais sans possibilité aucune d’influencer le travail de cette institution qui agit d’initiative et reste à l’écart de tout contact avec la société civile. De toute évidence, celle-ci n’était pas sourde aux doléances et sonnettes d’alarme de la société civile sur l’inefficacité et le manque d’ambition de la politique wallonne en matière de réduction des pesticides.

 

Des lacunes qui coûtent à la société

Le rapport de la Cour des Comptes[i] fait état de la conservation de la biodiversité : un bilan préoccupant qui tend à démontrer que le risque pour l’environnement de l’utilisation des pesticides n’a pas décru. Près de 95 % des habitats naturels sont jugés en état défavorable, un tiers des espèces d’abeilles sauvages ont disparu ou sont menacées d’extinction, pareil pour les papillons. Par ailleurs, les quantités annuelles de pesticides utilisés sont globalement stables depuis 2004 avec 6 tonnes de substances actives sur les marchés belges. La Cour des Comptes de Belgique a dès lors entrepris de mettre son nez dans les politiques et plans de la Wallonie en matière de réduction des pesticides qui coûtent au contribuable et à la société.

Le 5 mai 2025, le rapport tombe. La conclusion est sans appel : « L’audit a mis en lumière d’importantes lacunes en matière de disponibilité de données, de statistiques, de planification, d’efficacité et de coordination de la politique mise en place. » Les ministres concernés, soit le ministre de tutelle, Yves Coppieters, en charge de l’environnement, et la ministre Anne-Catherine Dalcq en charge de l’agriculture, tous deux interrogés dans le cadre de l’audit, n’ont pas été surpris. Et c’est sans doute, d’ailleurs, la perspective de la sortie de ce rapport qui aura poussé la ministre Dalcq à annoncer dans les médias un projet « d’états généraux de la protection des cultures », quelques semaines plus tôt[ii]. Une intervention particulièrement chahutée par les acteurs de la santé[iii].

A la décharge de la région wallonne, la Cour des Comptes pointe d’emblée les difficultés tenant de la lasagne institutionnelle belge et l’imbrication des compétences en matière de pesticides. Pour rappel, le niveau fédéral a la charge de l’autorisation des produits (mise sur le marché) et le niveau régional, celle de l’utilisation « durable » des pesticides et donc des politiques et plans de réduction d’utilisation et du risque, conformément à la directive européenne « SUD »[iv]. Ce partage de compétences représente, sans aucun doute, une difficulté réelle. Nonobstant cette complexité, le rapport pointe des faiblesses au niveau de la politique mise en place par la région elle-même et particulièrement du troisième plan de réduction des pesticides en Wallonie, le PWRP 2023-2027.

 

Naviguer dans le brouillard

La disponibilité de données et d’indicateurs est un préalable au pilotage de toute politique. Or, les seuls chiffres fiables et officiels qui existent sur l’utilisation des pesticides sont ceux de la vente, globalisés au niveau national. Alors qu’une ventilation régionale de ces données ne semble pas irréaliste ou fantasque, cela n’a jamais été mis en place. Dans un pays de surcroit régionalisé, c’est surprenant. En France, les données sont fournies par département, ce qui permet de visualiser l’utilisation des produits par localité et de croiser ces informations avec des données de santé publique ou d’environnement. En Belgique, on dispose uniquement de chiffres par substance active, à l’échelle du pays. Pour le reste, on se contente de modélisations et d’extrapolations au départ d’échantillons d’utilisation obtenus sur base volontaire dans le cadre de programmes spécifiques, pas toujours représentatifs.

Au 1er juin 2026, un registre électronique des pulvérisations devrait voir le jour partout en Europe et permettre de dresser l’état des lieux de l’utilisation des pesticides. Encore faudra-t-il que cette initiative soit concrétisée, sachant que les syndicats agricoles freinent des quatre fers. Surtout, les données devraient être collectées, mutualisées et valorisées. A ce stade, l’obligation concerne uniquement « la tenue des registres ».

Une connaissance affinée de l’utilisation des produits ne suffit cependant pas. Dès lors que les stratégies visent la réduction de l’utilisation (la quantité) des pesticides, mais aussi la réduction des risques (la nocivité) de ces produits pour l’environnement et la santé, des indicateurs permettant de mesurer ces risques sont incontournables. Or, de telles balises qui permettraient de cibler spécifiquement les matières les plus préoccupantes (PFAS, néonicotinoïdes, CMR…) sont, depuis le temps, toujours en cours d’élaboration.

Le niveau de risque actuel des pesticides et son évolution sont de grandes inconnues en région wallonne.

 

Ambitieux mais pas SMART

Aucun point de repère au départ. Et à l’arrivée ? La région nous sert un chiffre ambitieux puisque le dernier plan ambitionne une réduction de la quantité et des risques des pesticides de 50 % à l’horizon 2030, conformément au Green Deal et à la Stratégie de la fourche à la fourchette. Mais cet objectif, conclut la Cour des Comptes, n’est pas SMART (Spécifique, Mesurable, Ambitieux, Réaliste et Temporellement défini). Le PWRP affiche des manquements en termes de cohérence, de lisibilité dans la conception, de trajectoire claire, de jalons intermédiaires, de priorités… C’est, en fait, une addition de 29 actions diverses et variées, regroupées dans 16 mesures classées dans 14 objectifs opérationnels s’inscrivant dans six objectifs spécifiques ; mais qui ne s’affichent dans aucun scénario concret de transition permettant d’atteindre l’objectif fixé. Au demeurant, ce que déplore la Cour, ces actions n’ont pas vocation à s’inscrire dans les résultats des actions de recherches scientifiques qui font pourtant partie du plan, mais qui semblent exister comme des électrons libres et pas comme des boussoles permettant d’atteindre l’objectif.

 

Et les agriculteurs dans tout ça ?

Aussi, le rapport le souligne – et c’est important pour ne pas stigmatiser les agriculteurs et polariser davantage « agriculture » et « environnement » – qu’il se peut que les dommages causés à l’environnement ne résultent pas tant de l’adoption de comportements irréguliers de la part des agriculteurs que d’une prise en compte insuffisante au niveau politique des risques avérés ou potentiels de ces substances dans un contexte généralisé par la prévalence d’un mode de production intensif sur un territoire relativement exigu.

Une autre faiblesse que relève le rapport, et dont une réelle prise en compte permettrait de donner plus de corps aux ambitions de la Wallonie, consiste dans l’absence d’accompagnement des producteurs dans des stratégies de réduction. Les initiatives sur base volontaire ou forcées en matière de diminution d’utilisation de produits de synthèse doivent être soutenues à l’aide de fonds publics pour que les agriculteurs s’en emparent. C’est bien logique car des pratiques agricoles sans intrants de synthèse représentent un bénéfice pour la société tout entière. L’agriculteur mérite un soutien financier pour rentrer et rester dans cette démarche.

Au contraire, rappelle la Cour des Compte, la dégradation de la biodiversité engendre des coûts économiques et sociaux particulièrement élevés, et c’est sans compter les coûts de santé et autres coûts sociaux auxquels notre société doit faire face : pollution de nos eaux, organisation de la mise sur le marché des pesticides et contrôle, etc.

 

Un caillou dans la chaussure

Dans un contexte redevenu favorable aux pesticides de synthèse, nourri par ceux qui brandissent le spectre de l’insécurité alimentaire imminente (changement climatique, guerre en Ukraine, etc.), où les avancées du Green Deal s’éloignent doucement, ce rapport tombe à point nommé pour renforcer notre travail de plaidoyer et pousser la région wallonne à se mobiliser. Alors que l’on nous rétorque souvent « des politiques et des outils comme le PWRP existent », ce rapport vient confirmer que la Wallonie peut et doit faire beaucoup mieux ! Ce n’est pas une option, c’est un devoir. Une série de recommandations clôturent le rapport d’audit de la Cour des Comptes. Nos autorités vont-elles s’en saisir, enfin, à leur juste mesure ?

 

REFERENCES

[i] Disponible sur https://www.ccrek.be/fr/publication/preservation-de-la-biodiversite-en-milieu-agricole-examen

[ii] Delepierre F. Anne-Catherine Dalcq présente son plan anti-pesticides : « J’ai horreur qu’on oppose agriculture et environnement ». Le Soir, 02/04/2025.

[iii] Société scientifique de médecine générale. « Nous ne pouvons accepter que la santé soit sacrifiée sur l’autel de la prospérité de l’industrie agro-alimentaire et chimique. Carte blanche. RTBF, 15/05/2025.

[iv] Directive 2009/128/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 instaurant un cadre d’action communautaire pour parvenir à une utilisation des pesticides compatible avec le développement durable.

 

 

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Un microbiote diversifié pour tous

Cette analyse est parue dans la revue Valériane n°174

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Par Claire Lengrand,

rédactrice pour Nature & Progrès

Malaimés car méconnus, les microbes sont pourtant essentiels à la vie. Dans son dernier documentaire, Marie-Monique Robin met en avant les nombreux services rendus à la santé planétaire par ces organismes vivants. Mais l’accès à une microbiodiversité, qui devrait être un droit fondamental, est entravé par les profondes disparités sociales, fruits de choix politiques allant à l’encontre du bien commun.

A la Bergerie bio de la Grande Fange (Vielsalm), les enfants participent aux soins des animaux.

 

« Depuis cinquante ans, le taux d’incidence de l’asthme et des allergies a explosé dans les pays industrialisés : il était de moins de 5 % dans les années 1970 ; il est aujourd’hui de 35 %. Si rien n’est fait pour endiguer cette tendance, il pourrait atteindre les 50 % avant 2050 d’après l’Organisation mondiale pour la santé. » Dans son dernier documentaire « Vive les microbes ! », accompagné d’un essai du même titre, la journaliste, écrivaine et réalisatrice Marie-Monique Robin explore les raisons expliquant ce phénomène inquiétant. Ce travail de longue haleine fait suite à « La Fabrique des Pandémies ». Une fois toutes les pièces du puzzle réunies, on comprend à quel point la préservation de la biodiversité constitue un véritable outil de santé publique.

 

Les microbes à l’origine de la vie

« Les huit millions d’espèces animales et végétales recensées ne représentent qu’une minuscule goutte face à l’océan de microbes, dont le nombre est estimé à un quintillion, c’est-à-dire « 1 » suivi de 31 zéros. C’est plus que toutes les étoiles dans l’univers », expose, au début du livre, Remco Kort, professeur de microbiologie moléculaire à l’université d’Amsterdam. Associés dans notre culture à une mauvaise hygiène, les microbes sont pourtant à l’origine même de la vie. Ces organismes invisibles, qui regroupent notamment bactéries, procaryotes, champignons microscopiques et virus, ont contribué à façonner le monde grâce au développement de multiples symbioses.

Les microbes participent à l’équilibre des écosystèmes biologiques de la planète, dont nos propres organismes font partie. Dans le documentaire, Marie-Monique Robin rencontre et interroge des scientifiques indépendants (allergologues, biologistes, épidémiologistes, etc.) sur quatre continents. Leurs travaux montrent l’importance d’une exposition précoce à une grande diversité de microbes afin de renforcer notre système immunitaire, dont le rôle est d’éliminer les potentiels pathogènes. Les mille premiers jours de notre vie sont les plus décisifs car c’est à ce moment que se constitue notre microbiote. Les premiers micro-organismes proviennent de la mère quand l’accouchement a lieu par les voies naturelles. Mais lorsque celui-ci se fait par césarienne, « il empêche l’exposition du nourrisson au microbiote vaginal et intestinal de sa mère, ce qui le rend vulnérable à la colonisation par des microorganismes provenant d’autres sources », pointe une étude de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB). Parfois justifiée pour des raisons médicales, cette intervention est « de plus en plus pratiquée pour des questions de convenance et connait une hausse spectaculaire à l’échelle mondiale ». De même, l’allaitement maternel « est un vrai médicament miracle », soutient le spécialiste du microbiote Martin Blaser. Il protège le nouveau-né contre le développement d’allergies, d’asthme et de troubles immunitaires, réduit l’incidence de l’obésité, des infections des voies respiratoires ou encore la dépression post-partum. Or, le manque de soutien social, l’absence de soins adéquats à la naissance et les idées fausses autour de l’allaitement peuvent détourner les mères de cette pratique vertueuse, avance l’étude de la FRB. Celle-ci préconise de donner accès et d’augmenter la durée du congé parental payé pour favoriser l’allaitement maternel et ainsi améliorer la santé des plus jeunes.

 

La biodiversité au service de la santé

La qualité de notre microbiote, liée à sa diversité, dépend aussi de l’environnement qui nous entoure. Une vingtaine de scientifiques à travers le monde ont établi un lien entre l’augmentation de certaines maladies et la détérioration des milieux de vie, en particulier dans les zones urbaines accueillant actuellement 57 % de la population mondiale. Le « surhygiénisme », l’absence de végétalisation et l’artificialisation des sols nous éloignent des micro-organismes avec lesquels nous avons co-évolués durant des milliers d’années, ce qui affaiblit nos systèmes immunitaires. Les personnes vivant dans des quartiers défavorisés sont particulièrement impactées car davantage exposées à certains risques comme la pollution de l’air, notamment due à la proximité des industries lourdes.

L’urbanisation galopante, tout comme la déforestation, participent au déclin de la biodiversité qui, selon des études, entraînent l’explosion des maladies inflammatoires. En revanche, « les adolescents qui vivent dans un environnement présentant une grande diversité végétale, avec beaucoup d’arbres et de plantes à fleurs, ont un microbiote cutané beaucoup plus riche et ne souffrent pas d’asthme ou d’allergie, contrairement aux citadins ». L’effet bénéfique de la biodiversité et d’un environnement plus rural a été mis en lumière par d’autres études dont l’une d’entre elles, baptisée PASTURE, a suivi, pendant vingt ans, mille bébés issus de familles « fermières » et « non fermières ».

 

L’agriculture paysanne protège des maladies

« Les enfants non fermiers ont deux fois plus d’allergies, telles que l’asthme et la rhinite, que les enfants fermiers », relève Amandine Divaret-Chauveau, l’une des 500 scientifiques derrière cette étude. La poussière des fermes, le contact précoce avec les animaux, en particulier avec les vaches, ainsi que la consommation de lait cru confèrent aux plus jeunes une meilleure protection face à ces maladies. C’est « l’effet ferme », un concept élaboré par Erika Von Mutuis selon lequel le modèle de vie des familles paysannes traditionnelles, proches de la nature et des animaux, offre aux enfants une meilleure immunité. En Amérique du Nord, la communauté des Amish, qui pratique une agriculture biologique non mécanisée, est un parfait exemple en la matière. Ce gain d’immunité n’a cependant pas été observé chez les Huttérites, dont le mode de vie est similaire à celui des Amish mais qui se différencie par son modèle agricole industriel caractérisé par les monocultures OGM et les élevages intensifs où « les troupeaux sont confinés et nourris avec du soja et du maïs, loin des habitations. »

La nutrition est un autre élément déterminant pour notre santé. Une mauvaise alimentation, surtout si elle est pauvre en fibres, peut conduire à une faible diversité microbienne et favoriser certaines maladies comme l’obésité, qui touche aujourd’hui plus d’un milliard de personnes. Cette explosion s’explique également par d’autres facteurs environnementaux et sociaux tels que la pollution, les pesticides, les perturbateurs endocriniens ou encore l’excès d’antibiotiques. « En fournissant un accès universel à des aliments sains qui favorisent la diversité microbienne, l’alimentation peut constituer un moyen efficace de prévenir les problèmes de santé associés à une diversité microbienne inadéquate et rétablir plus d’équité sociale. »

 

Plus de microbes pour plus d’équité sociale !

Nature & Progrès défend cette idée depuis sa naissance, dans les années quatre-vingt : prendre soin de notre santé implique de prendre soin de notre planète. Pour cela, les pouvoirs publics doivent impérativement repenser nos systèmes pour que nous fassions à nouveau corps avec la nature, notre précieuse alliée face aux maladies. Il ne s’agit pas d’une lubie écologiste mais d’un véritable enjeu politique indissociable des principes de justice sociale et environnementale. « Si les gouvernements ont l’obligation légale de donner accès à un environnement naturel sain et si les communautés microbiennes font partie intégrante du maintien de la santé publique, il devrait également exister une obligation légale à fournir des infrastructures permettant l’accès aux microorganismes », défend la FRB. De plus, le développement de l’habitat léger, plus abordable que les briques, pourrait permettre à des personnes disposant de peu de revenus de sortir des villes pour habiter des espaces plus verts, au contact de la nature et de sa biodiversité microbienne. Un combat mené par Nature & Progrès depuis de nombreuses années, et qui progresse peu à peu. Il est grand temps que chacun et chacune puisse accéder à un environnement sain et vert, à une alimentation de qualité, éléments garants de bien-être et participant à la santé de tous.

 

Marie-Monique Robin sera notre invitée d’honneur à Festi’Valériane. Venez visionner son documentaire et rencontrer l’auteure le samedi 6 septembre à Namur Expo. Dédicaces du livre « Vive les microbes ». Informations complètes sur www.valeriane.be

 

En savoir plus

A la librairie écologique Nature & Progrès, le livre « Vive les microbes » de Marie-Monique Robin (La Découverte, 2024), 261 pages. 20,5 € (- 10 % pour les membres de Nature & Progrès).

 

 

 

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Des leviers pour une agriculture sans pesticides

Cette analyse est parue dans la revue Valériane n°174

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Par Camille Le Polain
et Catherine Buysens,

animatrices
chez Nature & Progrès

Depuis huit ans, Nature & Progrès sillonne la Wallonie pour mettre en lumière les alternatives aux pesticides chimiques de synthèse. Prairies, grandes cultures, maraichage et verger, tous les types de cultures ont été couverts par notre projet « Vers une Wallonie sans pesticides ». Le 18 février dernier, un colloque faisait le point des différents leviers à actionner pour généraliser ces pratiques dans nos campagnes.

 

Oui, un environnement sain, exempt de pesticides chimiques de synthèse, c’est possible. Nous, citoyens, pouvons le revendiquer. Les rencontres en ferme et sondages organisés par Nature & Progrès mettent en lumière que les alternatives existent, sont durables et économiquement viables. Les cinquante producteurs rencontrés aux quatre coins de la Wallonie présentent différentes manières de travailler, en système polyculture-élevage ou en grandes cultures, en labour ou non-labour, etc. Malgré leurs différences, ils sont unanimes sur le fait que produire sans pesticides chimiques de synthèse est possible, moyennant une réflexion poussée autour des pratiques à mettre en œuvre à cette fin.

 

Au plus proche de la terre

La clé du succès, pour toute culture, réside dans la combinaison de différentes méthodes préventives réfléchies en amont de l’implantation de la culture. Les techniques curatives sont des méthodes de rattrapage, mises en place lorsque la prévention a échoué. Certaines pratiques sont réfléchies à l’échelle de la rotation (choix des cultures et intercultures, longueur et diversification de la succession, etc.), d’autres, à l’échelle du parcellaire (morcellement, implantation de haies, etc.) ou à l’échelle de la culture (choix de la variété et de la période de semis, association de cultures, etc.).

Afin de faire les bons choix, l’agriculteur se doit d’être au plus proche de sa terre et retrouver le « bon sens paysan » de ses ancêtres. Connaître les conditions microclimatiques et le comportement du sol de ses parcelles (humidité, composition et granulométrie, sensibilité à la battance, etc.) est crucial pour choisir la bonne opération de désherbage mécanique et le bon moment de passage, d’autant plus que les fenêtres météorologiques favorables sont souvent très courtes. Savoir identifier les adventices, ravageurs et maladies et connaitre leur cycle de vie est essentiel pour les réguler efficacement et sans pesticides. Les systèmes d’avertissement proposés par les centres pilotes peuvent être d’une grande aide dans la réflexion du producteur.

Même si les méthodes sont globalement communes, chaque producteur procède à sa manière. Ainsi, concernant les itinéraires de désherbage mécanique, chacun choisit les opérations les plus adaptées en fonction de différents facteurs : les conditions microclimatiques de ses parcelles, les caractéristiques de son sol, le degré de salissement des cultures, les adventices dominantes, la disponibilité des machines, etc. Aucune opération n’est meilleure qu’une autre : il est question de s’adapter à sa terre et à ce qui y pousse.

 

Investir sur l’avenir

Être au plus proche de sa terre, c’est également intégrer au maximum la biodiversité aérienne et souterraine dans sa ferme. Pour ce faire, il est essentiel de s’abstenir du labour si les conditions le permettent, d’éviter de compacter les sols, de fertiliser avec du fumier composté, de semer des engrais verts mellifères, d’implanter des éléments naturels qui accueillent les auxiliaires, etc. La biodiversité est considérée comme un allié pour l’ensemble des agriculteurs.

La plupart des producteurs rencontrés clament : « Les investissements et le travail fournis aujourd’hui, notre terre nous le rendra plus tard ». L’enrichissement du taux d’humus du sol, l’implantation d’engrais verts et de prairies temporaires, l’accueil de la biodiversité doivent être vus comme des apports sur le long terme. Les pratiques biologiques, respectueuses du sol et de la biodiversité, représentent un gage de durabilité.

 

Accéder aux semences, aux variétés et au matériel

Les acteurs rencontrés identifient des freins à ces bonnes pratiques. L’un d’eux est la faible accessibilité des semences bio adaptées aux conditions pédoclimatiques locales. Ces graines sont plus chères que leurs analogues conventionnels, que ce soit pour les cultures principales ou pour les engrais verts. Par ailleurs, il y a de moins en moins de semences et plants bio produits en Belgique. Il est dès lors nécessaire de stimuler ce secteur indispensable à nos filières alimentaires durables.

De nombreuses variétés résistantes aux ravageurs et maladies sont disponibles, mais n’intéressent pas l’industrie qui, en sa qualité d’acheteur, guide le choix des producteurs. Pour voir leur développement en Wallonie, des incitants doivent être mis en place pour encourager les industries à opter pour ces variétés. Si le transformateur a des besoins propres à ses processus (qualité boulangère de la farine, tenue à la cuisson, etc.) qu’il est indispensable de prendre en compte dans les processus de sélection, il faut aussi que cet acteur s’adapte aux besoins et réalités de la production agricole.

L’association de cultures est un levier efficace dans la lutte contre les maladies et les ravageurs. Il est cependant nécessaire de trier les semences à la récolte pour pouvoir les valoriser de manière optimale. Les machines de tri sont malheureusement encore chères pour les producteurs. Par ailleurs, certaines cultures (principalement les légumes) exigent le passage de machines de désherbage très spécifiques à des stades précis de croissance. Soutenir la mise en place de coopératives d’utilisation de matériel agricole, structures largement développées en France, peut renforcer l’accessibilité des outils pour les producteurs.

 

Adapter les pratiques et la formation

En bio, l’accès à l’azote est un des premiers facteurs limitants selon les producteurs en grandes cultures rencontrés. Alors que le système polyculture-élevage était la norme il y a quelques décennies, de nombreux cultivateurs ont abandonné le bétail. Les fumiers deviennent introuvables. Même si les produits de l’élevage restent la meilleure ressource, un levier mis en évidence est l’utilisation de la luzerne, une légumineuse fourragère, pour fertiliser les terres et gérer les adventices. Une technique à faire connaître auprès des producteurs. Quid de la diffusion de ces pratiques via les formations aujourd’hui ?

Par ailleurs, nous l’avons vu plus haut, la bio repose sur l’adaptation perpétuelle des pratiques aux particularités du sol des parcelles, aux conditions météorologiques et à l’évolution de la présence des organismes auxiliaires ou pathogènes. Un pilotage de précision repose sur une connaissance fine de l’agronomie, contrastant avec les pratiques conventionnelles. Les produits phytosanitaires et engrais de synthèse permettent en effet de s’affranchir des processus naturels, de lisser les nuances, de suivre des itinéraires culturaux standardisés et homogénéisés, quelles que soient les conditions propres de la ferme. Après leur conversion bio, de nombreux producteurs témoignent avec fierté : « Je fais enfin de l’agronomie. »

Les formations bio, déjà peu nombreuses, ont tendance à disparaître. Les étudiants étant les agriculteurs de demain, il est indispensable d’intégrer l’enseignement des principes bio dans le cursus agricole. C’est l’objectif d’un consortium né en 2023 à l’initiative de Biowallonie, du Crabe et de FormaForm, qui développe des outils pédagogiques ainsi que des formations. La fermeture, en septembre 2024, de la spécialisation en agriculture biologique dispensée par la Haute école de la province de Namur à Ciney témoigne d’un manque de soutien politique et financier de ces initiatives en Wallonie. Contre vents et marées, le BRIOAA a décidé de relancer un cycle bio en faisant appel à divers financements publics et privés.

 

Développer les débouchés

On observe aujourd’hui une stagnation de la demande en produits bio ; l’équilibre entre l’offre et la demande est fragile. Or, les producteurs bio ont besoin du soutien des consommateurs. Pour y arriver, le levier de l’accessibilité (financière et commerciale) des produits bio et locaux doit être activé. Plusieurs structures se penchent actuellement sur la mise en place d’une sécurité sociale alimentaire. L’introduction de produits bio et locaux dans les collectivités constitue également une opportunité, comme l’a démontré notre étude « Rendre la bio accessible pour tous via l’alimentation collective » (2024).

La sensibilisation du consommateur à la nature et à l’origine de ses aliments (différences entre bio et non bio, local et importé…) et à l’importance d’acheter dans les magasins à la ferme et dans les coopératives locales plutôt que dans les grandes surfaces peut également aider à inverser la tendance. La transparence des différents labels est également cruciale : il est important de remettre la bio à sa juste place. Par ailleurs, le développement de l’agriculture bio en Wallonie reste limité par le manque de structuration de certaines filières. Il est important de pouvoir valoriser des cultures innovantes permettant d’allonger la rotation des cultures, une méthode préventive efficace.

 

Soutenir les alternatives bio 

Le colloque fut l’occasion pour Nature & Progrès de rappeler aux acteurs politiques l’importance de soutenir la progression de l’agriculture bio, en leur proposant des solutions concrètes. Les leviers qui pourront favoriser cette transition sont dans les mains de tous : décideurs politiques, mais aussi agriculteurs, transformateurs, distributeurs, semenciers, chercheurs, experts, encadrants et même nous, simples citoyens. Si les solutions techniques existent, où se situe encore aujourd’hui le blocage ? Est-il le même, ici en Wallonie, que celui mis en évidence par le journaliste Nicolas Legendre dans son enquête « Silence dans les champs » (Arthaud, 2023) lorsqu’il évoque l’ « ordre social breton », la réticence multi-acteurs au changement associé à la violence dans cette région dominée par l’industrie ?

 

En savoir plus sur le projet « Vers une Wallonie sans pesticides »

 

 

 

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Faire revivre des forêts primaires

Cette analyse est parue dans la revue Valériane n°174

***

 

Par Guillaume Lohest,

rédacteur pour Nature & Progrès

Le rêve paraît fou : recréer une forêt primaire en Europe de l’Ouest. Un trésor de biodiversité, offrant de multiples avantages. Presque un sanctuaire… Mais dans les Ardennes, qui pourraient se prêter à un tel projet, l’opposition est vive. Entre les arbres séculaires et les humains empressés, un dialogue de sourds ? 

 

« Je vous confirme, Monsieur le maire, qu’il n’existe pas de projet porté ou soutenu par l’État de création d’une forêt primaire sur le territoire des Ardennes[i]. » C’est en ces termes que le ministre français de la Transition écologique – c’était alors Christophe Béchu – a tenu à rassurer le maire de Charleville-Mézières, Boris Ravignon, le 29 février 2024.

 

Une forêt vraiment naturelle

Le rassurer, avez-vous dit ? En effet. Car une utopie menaçante a germé dans l’esprit du botaniste Francis Hallé, une idée portée à présent par une association : faire revivre une forêt primaire en Europe de l’Ouest. « Concrètement, il s’agit de permettre la protection d’un vaste espace de dimension européenne et de grande superficie – environ 70.000 hectares – dans lequel une forêt existante évoluera de façon autonome, renouvelant et développant sa faune et sa flore sans intervention humaine prédatrice, et cela sur une période de plusieurs siècles[ii]. » Huit cents ans, environ. Car on a tendance à l’ignorer, mais toutes nos forêts – oui, toutes ! – sont aujourd’hui des forêts « secondaires », c’est-à-dire entretenues par les êtres humains. Au contraire, une forêt primaire est « une forêt qui n’a été ni défrichée, ni exploitée, ni modifiée de façon quelconque par l’homme. C’est un écosystème qui a mené à son terme les différents cycles de sa genèse. C’est un joyau de la nature, un véritable sommet de biodiversité et d’esthétisme. » La dernière portion de forêt primaire en Europe est située à Białowieża, en Pologne. C’est là que vivent notamment les dernières populations de bisons de notre continent.

Dans le monde, les plus grandes forêts primaires se situent surtout en zone tropicale (Amazonie, Indonésie, Congo) ou dans les grandes étendues du Canada et de la Russie. Toutes menacées d’exploitation ou de déforestation, elles constituent pourtant ce que la vie fait de mieux sur cette planète…

« En matière d’écologie, une forêt primaire, c’est une forêt qui est à son maximum à tous les niveaux. »

« On ne peut pas imaginer mieux. C’est le maximum de captation et de stockage du CO2 atmosphérique dans des troncs devenus énormes, le maximum de fertilité des sols, le maximum d’alimentation des nappes phréatiques par de l’eau pure, le maximum de résilience de la forêt… Et le plus important : le maximum de biodiversité. »

 

Une menace pour l’économie

L’association Francis Hallé tente donc de sensibiliser l’opinion publique à l’importance vitale de telles forêts et à l’urgence de créer les conditions permettant leur redéploiement. Or, l’une des régions s’y prêtant le mieux est située entre le massif ardennais français et la partie belge autour de Givet. Plusieurs articles et reportages dans les médias ont diffusé cette idée. Il n’en fallait pas plus pour susciter l’inquiétude des autorités locales de plusieurs municipalités françaises, au point même qu’une pétition a été lancée par le député LR Pierre Cordier. D’après les opposants au projet, 92 % des communes françaises situées sur le territoire envisagé se sont prononcées contre la création d’une forêt primaire. En novembre 2023, le Conseil départemental des Ardennes a déclaré « qu’une forêt primaire anéantirait le développement économique du Nord-Ardennes. Qu’elle menacerait la gestion durable des forêts et priverait les citoyens d’un accès à la forêt pour leurs loisirs. Les Ardennais seraient privés de l’accès à la forêt pour les activités sportives et touristiques (randonnée, cueillette, chasse, pêche, VTT, affouage, exploitation…).[iii] »

L’association ne cesse pourtant de rappeler qu’il n’est pas question d’interdire totalement l’accès à la forêt pour les pratiques douces et que tout l’enjeu est évidemment d’associer les populations locales dans une dynamique de recherche-action, inscrite dans la durée. « Contrairement à ce qu’on a pu lire ici et là dans des propos souvent caricaturaux, nous ne voulons pas réaliser une « mise sous cloche ». Même s’il y aura des zones en protection stricte, il y a des équilibres à trouver et c’est précisément l’objet du programme de recherche que nous voulons mener avec l’ensemble des acteurs concernés sur le terrain. Le projet formule des axes de réflexion quant à un ensemble de sites, de dispositifs, d’activités liées aux secteurs du bois, de l’agriculture, du tourisme de nature, prenant en compte l’existant et la présence humaine sur le territoire, les pratiques sociales. »

Côté belge, c’est le député PS couvinois Eddy Fontaine qui est monté au créneau pour s’opposer vigoureusement au projet. Au JT de la RTBF, début avril 2024, il s’irrite contre ce qu’il qualifie d’écologie dogmatique. Sur son site Internet, il détaille son argumentaire : « Les communes frontalières se reposent sur deux facteurs économiques importants. Le premier, c’est la chasse, et le second, c’est l’exploitation forestière. Sans ces rentrées financières, les communes, qui sont déjà en grande difficulté, vont l’être encore plus et ne vont pas pouvoir fonctionner.[iv] »

 

Changer d’échelle de temps

On peut comprendre ces inquiétudes. Mais on s’étonne que ces mêmes élus, pragmatiques, qui s’érigent en défenseurs des populations, ne voient pas venir pour leurs électeurs la menace encore bien plus dramatique des catastrophes écologiques et sociales en cours. Ils semblent encore « sous cloche », pétris des illusions du développement économique, d’un Business as usual. Il est vrai que l’association Francis Hallé se situe dans un autre rapport temps, pas celui du calendrier électoral, pas même celui d’une vie humaine… « C’est du temps long pour les humains, mais ce ne sont que quelques générations d’arbres qui se succèdent, se remplacent et s’équilibrent. Le rythme actuel de nos existences est souvent frénétique, mais planifier un projet sur un temps si long n’est pas hors de portée de l’être humain : les cathédrales qui essaiment l’Europe en offrent un exemple bien concret, exigeant pour beaucoup d’entre elles l’intervention de pas moins de quinze générations d’artisans. » Le rythme des arbres nous donne l’occasion de nous mettre à l’échelle des fameuses « générations futures ». Mais quand il s’agit d’aller au-delà de l’expression toute faite, un sinistre pragmatisme piétine toute projection un peu sérieuse dans le long terme.

La ministre Dalcq a donc fait preuve d’une parfaite « langue de bois » (sic), réaliste et neutre, pour répondre à une nouvelle interpellation inquiète du député couvinois le 13 janvier 2025 : « Au-delà de l’intérêt que pourrait présenter un projet de ce type pour la biodiversité, un tel projet n’est pas envisageable sans l’implication de toutes les parties prenantes, et particulièrement les communes. Un tel projet semble donc difficilement crédible, notamment en lien avec l’adhésion qu’il devrait rencontrer auprès des communes et des citoyens.[v] » On ne peut, certes, pas lui donner tort, mais face à ce pragmatisme, à cette résignation devant les habitudes et l’activité économique, quelque chose en nous s’attriste, quelque chose d’assez profond, d’assez sacré.

Au-delà des intérêts économiques, qui ont cette tendance éternelle à diriger les décisions, ne serait-il pas important de consulter les citoyens sur leur envie, ou non, de mettre en œuvre une forêt primaire sur leur territoire ? D’éclaircir les avantages et inconvénients, les compromis possibles, pour construire ensemble un projet qui allie à la fois protection de l’environnement et de la biodiversité et activités quotidiennes, économiques mais aussi de loisirs ? Pour Nature & Progrès, ce processus démocratique est indispensable avant de clore définitivement le dossier. Face à ses maux, notre société a besoin d’alternatives robustes et innovantes, inclusives et participatives.

 

REFERENCES

[i] Corinne Lange, « Il n’y aura pas de forêt primaire dans les Ardennes », L’Ardennais, 29 février 2024.

[ii] Association Francis Hallé pour la forêt primaire.

[iii] « Les élus départementaux s’opposent au projet de création d’une forêt primaire dans les Ardennes », 17 novembre 2023.

[iv] https://eddyfontaine.be/

[v] Parlement wallon, session 2024-2025, compte rendu intégral. Séance publique de la Commission de l’agriculture, de la nature et de la ruralité, lundi 13 janvier 2025.

 

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A Pincemaille, expérimenter l’habitat léger

Cette analyse est parue dans la revue Valériane n°174

***

 

Par Sylvie La Spina
et Hamadou Kandé,

rédactrice en chef et animateur
chez Nature & Progrès

Près de Binche, un ancien domaine de vacances se mue en écovillage rassemblant des habitats légers. Les résidents nous partagent leurs valeurs, leurs actions, leurs projets mais aussi les déboires qu’ils rencontrent dans cette expérience collective.

Les habitants qui ont partagé leur témoignage

 

« Tournez à droite. » Le GPS me fait quitter la route provinciale pour m’engager sur un chemin de terre plongeant dans les bois. Encore 200 mètres dans un réseau de drèves portant de jolis noms d’oiseaux. A gauche, à droite, entre les grands arbres, un petit chalet, une roulotte, une yourte, une ruine… Un piéton me fait un signe amical de la main. « Vous êtes arrivé. » Une dizaine de personnes sont réunies devant une construction, prenant place autour de tables en bois. Lundi matin, 10 heures : rassemblement des habitants volontaires pour la réunion hebdomadaire. Nous sommes à Pincemaille, écovillage situé dans la commune d’Estinnes, près de Binche.

 

Ecovillage en devenir

Alexia raconte l’histoire des lieux. Un village de vacances établi sur 55 hectares, datant des années 1960, accueillant alors 300 chalets. Le temps passant, des personnes se sont installées durablement sur le site. Dépôts d’immondices, squats, chalets incendiés, violence, les faits divers relayés par la presse en ont fait une zone de non-droit mal famée. Il était nécessaire de trouver un nouveau projet. Pincemaille deviendra un écovillage rassemblant des habitats à faible emprise sur le sol, dans une dynamique collective. Il n’y a plus qu’à…

Petit à petit, des personnes désireuses de vivre en yourte, en tiny house ou en roulotte s’intéressent au lieu, mais l’enjeu est de taille. Il faut monter le projet sur un terreau de personnes habitant déjà sur place, loin de la philosophie souhaitée pour le lieu, et d’immondices semées par vingt années de laisser-aller. Le climat ambiant et la réputation des lieux n’aident pas à faire venir de nouvelles forces vives. Peu à peu, les choses s’organisent. Une plaquette explicative est réalisée par un groupe porteur, définissant la vision, les missions et ambitions du projet.

 

Un laboratoire social

Comme un village, Pincemaille rassemble des personnes d’horizons très différents. Il y a les habitants historiques de la propriété, mais aussi des gens du voyage, des pensionnés et des « alternatifs » qui souhaitent vivre en habitat léger au plus proche de la nature. Pour ces derniers, la question s’est vite posée d’apprivoiser leurs voisins et d’organiser la bonne entente. Le liant, ce sont les ateliers avec les enfants, la fête des voisins… « Pincemaille n’est pas une communauté : certains s’investissent, d’autres pas… ». L’idée est de viser l’inclusion, ne pas arriver à des ghettos où les habitants légers vivent entre eux.

Actuellement, le site compte 90 parcelles occupées et l’objectif est de monter à 150 pour atteindre l’équilibre économique. Mais hors de question de précipiter les choses. Pour assurer l’adéquation entre les personnes intéressées et le lieu, un processus d’intégration a été mis en place. Les porteurs de projet déposent une candidature, participent à des réunions et à des chantiers participatifs, s’immergent le temps d’un week-end avant de soumettre leur décision, ce qui prend entre six mois et deux ans. « Du lien avant les briques »… même si des briques, il n’y en a pas.

 

Décider ensemble

Le propriétaire a confié à une personne du milieu de l’immobilier la gestion du site. Une asbl créée, il y a cinq ans, pour la gestion foncière, sert d’interface entre le propriétaire et les résidents. Elle permet d’instaurer le dialogue et finance des projets proposés par les habitants. Le propriétaire rembourse les frais de l’asbl qui compte un ouvrier et deux employés. Les décisions sont prises par le gestionnaire à l’issue d’un processus participatif. Des groupes de travail rassemblent des volontaires sur des thématiques précises : la gestion des déchets, les conditions d’acceptation d’animaux domestiques, l’école du dehors, la ferme pédagogique… Les réunions du lundi permettent d’échanger sur le quotidien et sont un lieu de convivialité. Pour Christophe, qui construit sa tiny house sur le site, ce double mécanisme est important car, pour certaines interventions, il est nécessaire d’avoir un statut d’autorité, une légitimité que détient le gestionnaire.

Les résidents rencontrent des problèmes liés au statut du domaine. En effet, si chacun dispose d’une adresse et d’une boite aux lettres, la poste n’apporte pas le courrier, considérant que le camping constitue une propriété et non un quartier d’habitants. Même souci avec le ramassage des immondices. Au début, chacun apportait ses ordures en un lieu central, mais les rats déchiraient les sacs et la société de ramassage refusait la prise en charge. Maintenant, les ouvriers de l’asbl s’occupent de rassembler les sacs et de les apporter au bon moment au lieu de ramassage. Une solution décidée en commun et qui fonctionne. La dépollution du site s’organise pour évacuer des décennies de déchets laissés sur place. Un crowdfunding a permis de rassembler 30.000 euros dans ce but.

 

Dans l’écovillage, vivre en yourte au milieu des bois

 

Vivre dans l’illégalité

Pincemaille est un « domaine de vacances résidentiel » (habitat permanent) comme il en existe beaucoup en Wallonie. Comme pour toute habitation, la loi Tobback[i] oblige les communes à domicilier les personnes là où elles déclarent vivre, y compris en habitation légère. Cependant, la situation en zone de loisirs constitue une infraction urbanistique. Leur présence est tolérée par les autorités communales, qui ne soutiennent pas l’écovillage à la grande déception des porteurs de projet.

En 2021, un procès-verbal a été dressé pour une yourte construite sur les lieux. Le procureur du roi a décidé de classer le dossier sans suites. Le fonctionnaire délégué a cependant demandé une mise en ordre urbanistique. Les résidents risquent non seulement une expulsion, mais aussi une amende administrative. C’est une épée de Damoclès permanente. « On accepte de vivre avec et on fait des démarches, mais c’est compliqué. »

 

Légaliser l’habitat léger

« Nous souhaitons créer un cadre légal pour faire avancer les choses au niveau régional. Cependant, nous craignons les règles, les éventuels frais de transmission de nos biens, l’obligation de faire un PEB. Nous n’avons pas envie de nous encombrer d’un permis et de démarches administratives, mais nous sommes prêts à agir pour faire bouger les choses. Il y aurait 10.000 personnes vivant dans l’illégalité en habitat permanent en Wallonie[ii]. »

Le collectif s’entoure du soutien d’une avocate spécialisée dans la problématique de l’habitat léger ainsi que d’associations telles que Habitat et participation et le Rassemblement wallon pour le droit à l’habitat. Il souhaite avoir recours au droit de pétition[iii], qui nécessite de rassembler les signatures de mille personnes et oblige les autorités à considérer la demande de changement ou d’innovation proposée.

La région wallonne a créé un nouveau statut qui peut légaliser la situation : des zones d’habitat vert[iv]. Mais il y en a peu car cette zone implique que la voirie et l’égouttage soient pris en charge par les communes[v], ce qui représente un coût important. Xavier, qui habite sur le site depuis deux ans, explique qu’il faudrait faire tomber cet obstacle. « Ici, ça ne coûte rien à la commune puisque les voiries sont prises en charge par le collectif et l’égouttage est individuel. » Les résidents trouvent qu’il y a à Pincemaille une formidable opportunité pour la commune d’expérimenter un site d’installation d’habitats légers.

 

Lien au terrain

« On voit des projets d’accueil d’habitat léger qui se mettent en place à partir des pouvoirs publics, mais ils ne correspondent pas aux besoins des porteurs de projets. » Il faudrait que la solution réponde aux problèmes concrets d’une population qui existe déjà, changer la vision des communes, les rapprocher du terrain. Laurent témoigne : « Il faut construire des zones d’habitat vert à partir des connaissances des gens qui y habitent déjà. » Et c’est ici que l’écovillage de Pincemaille représente une opportunité intéressante. « On a besoin de vulgarisation, de montrer que quelque chose d’autre existe. Pincemaille se transforme mais conserve encore une vision négative par les habitants des environs. » Un documentaire tourné par Télévision du Monde démarre sa diffusion et permettra d’essaimer les idées portées par le collectif, et peut-être, in fine, de convaincre les autorités publiques de s’ouvrir à ce genre d’initiative.

 

Venez rencontrer les habitants de l’écovillage de Pincemaille à Festi’Valériane ! Informations pratiques sur www.valeriane.be.

 

REFERENCES

[i] Loi Tobback du 19 juillet 1991 relative aux registres de la population

[ii] http://cohesionsociale.wallonie.be/actions/PHP

[iii] Le droit de pétition est inscrit dans l’article 28 de la Constitution. Il permet à un ou plusieurs citoyens (quel que soit leur âge) de faire entendre leur voix en attirant l’attention des autorités publiques sur leurs préoccupations. Il peut s’agir d’un avis, d’une demande, d’une plainte ou de toute autre proposition. Le contenu d’une pétition peut servir aux parlementaires pour établir ou améliorer une législation, pour renforcer leur contrôle de l’action du Gouvernement ou pour faire prendre une position par le Parlement.

Les articles 127 et 128 du Règlement organisent le droit de pétition auprès du Parlement de Wallonie.

[iv] La zone d’habitat vert est définie dans l’Art. D II 25/1 du Code wallon de Développement territorial. La zone d’habitat vert est principalement destinée à la résidence répondant aux conditions fixées dans le présent article :

1° chaque parcelle destinée à recevoir une résidence doit présenter une superficie minimale de 200 mètres carrés nets ;

2° le nombre de parcelles à l’hectare calculé sur l’ensemble de la zone ne peut être inférieur à quinze et ne peut excéder trente-cinq ;

3° les résidences sont des constructions de 60 mètres carrés maximum de superficie brute de plancher, sans étage, à l’exception des zones bénéficiant d’un permis de lotir ou d’un permis d’urbanisation existant et permettant une superficie d’habitation plus grande.

4° à titre exceptionnel et pour autant que le nombre de parcelles qui leur est réservé ne dépasse pas 2 % du nombre de parcelles de la zone, peuvent y être admises des constructions ou installations favorisant le tourisme alternatif répondant aux conditions visées au 3° en ce compris les yourtes et les cabanes dans les arbres.

La mise en oeuvre de la zone d’habitat vert est subordonnée à l’adoption d’un schéma d’orientation local approuvé par le Gouvernement couvrant la totalité de la zone et à la délivrance d’un permis d’urbanisation ou d’un permis de construction groupée couvrant tout ou partie de la zone mise en oeuvre.

La zone d’habitat vert peut comporter de la résidence touristique, ainsi que des activités d’artisanat, d’équipements socioculturels, des aménagements de services publics et d’équipements communautaires, pour autant que cette résidence touristique et ces activités soient complémentaires et accessoires à la destination principale de la zone visée à l’alinéa 1er.

La zone d’habitat vert doit accueillir des espaces verts publics couvrant au moins 15 % de la superficie de la zone.

[v] Art. D II 64 du Code wallon de Développement territorial.

 

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Vaccination animale : quels risques ?

Cet article est paru dans la revue Valériane n°174

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Par Sylvie La Spina,

rédactrice en chef chez Nature & Progrès

Grippe aviaire, maladie de la langue bleue, les zoonoses se multiplient et donnent lieu à des campagnes de vaccination des animaux en vue de freiner les maladies et de protéger les éleveurs des risques financiers. Citoyens et agriculteurs s’interrogent cependant des risques associés aux vaccins administrés aux animaux.

Les vaccins utilisés sur les vaches et moutons en Belgique ne contiennent pas d’ARNm. Jusque quand ?

 

Mars 2025. Hervé Perrotin, membre de la locale Brabant-Ouest, nous questionne sur les risques d’une consommation de viande d’animaux vaccinés à l’aide d’ARNm. Une semaine plus tard, Michel Paque, de la Ferme à l’Arbre de Liège, nous interpelle également à la suite de questions posées par les clients de son magasin. Nos « citoyens sentinelles » nous invitent à mener l’enquête.

 

Comment fonctionne un vaccin à ARNm ?

« Médicaments vétérinaires destinés à être administrés à un animal en vue de provoquer une immunité active ou passive ou de diagnostiquer son état d’immunité »[i], les vaccins sont issus de trois technologies[ii] : (1) vivants atténués, ils contiennent une version affaiblie de l’agent pathogène qui se multiplie au sein de l’organisme receveur mais a perdu sa nocivité, (2) inactivés, où l’agent pathogène est inactif et ne se reproduit plus, et (3) « issus de plateformes technologiques », qui utilisent un fragment de matériel génétique ou une protéine spécifique de l’agent pathogène. Les vaccins à ARN messager (ARNm) font partie de cette catégorie.

Ce type de vaccin pénètre à l’intérieur des cellules, mais pas dans le noyau contenant l’ADN, ce qui, en principe, l’empêche d’interagir avec le génome de l’individu vacciné. « Pour pénétrer dans cette partie de la cellule, les molécules présentes dans le cytoplasme doivent être porteuses d’un étiquetage spécifique. En outre, des molécules de transport devraient intervenir pour les y emmener. Ce dont ne disposent pas les ARNm des vaccins », explique François Meurens, professeur en immuno-virologie et chercheur à l’INRAE[iii]. Cet ARN est traduit par la machinerie enzymatique de la cellule en une protéine qui va jouer le rôle d’antigène pour un agent pathogène ciblé. Etant donné que l’ARNm, fragile, se dégrade rapidement, des vaccins « auto-réplicants » ont été développés afin que la cellule réplique ce fragment d’ARNm et produise l’antigène plus longtemps.

 

Autorisation d’utilisation

Le Règlement (UE) 2019/6 définit les modalités d’autorisation des médicaments vétérinaires en Europe. Une batterie de tests sont prévus pour prouver l’innocuité du produit pour l’espèce animale, pour l’humain et pour l’environnement en étudiant principes actifs et adjuvants. Pour les vaccins à ARNm, il est nécessaire de démontrer (1) que l’ARNm est seulement un fragment de matériel génétique et ne peut redevenir un virus complet, (2) la nature instable et la dégradation rapide de l’ARNm, (3) l’absence de propagation de cet ARNm au noyau de la cellule et (4) que l’ARNm résiduel est détruit dans l’estomac en cas d’ingestion de produits issus d’animaux vaccinés.

Toutefois, des exceptions à cette procédure existent : des Etats membres peuvent autoriser des produits non homologués au cas où aucun autre vaccin n’est disponible (rupture de stock ou vaccin inexistant)[iv]. C’est en utilisant ces dérogations que les vaccins Bluevac-3, Bultavo-3 et Syzabul BTV3 sont autorisés depuis 2024 pour la campagne de vaccination contre la maladie de la langue bleue, et Hepizovac et Syvac EH Marker pour la maladie hémorragique épizootique (MHE).

 

Des vaccins à ARNm en Belgique ?

Nous avons questionné le Centre Belge d’Information Pharmacothérapeutique et l’Agence fédérale des médicaments et des produits de santé sur l’existence de vaccins à ARNm autorisés en Belgique. Il n’y a pas encore d’autorisation dans notre pays. Les notices des vaccins utilisés pour la langue bleue et la MHE le confirment. Cependant, ces types de vaccins sont proches de chez nous. Depuis l’automne 2024, un vaccin à ARNm figure parmi les deux produits utilisés pour vacciner les canards contre la grippe aviaire en France[v]. Ceva Respons A1H5[vi] comprend un « ARN auto-amplifiant codant l’hémagglutinine virale du virus de l’influenza aviaire ». Des vaccins à ARNm sont aussi utilisés sur les porcs au Canada (Merck)[vii].

De la viande d’animaux vaccinés avec des ARNm auto-réplicants est donc présente sur les étals de nos supermarchés.

 

Les vaccins à ARNm critiqués

Jean-Marc Sabatier, directeur de recherches au CNRS, fait énormément parler de lui en raison de sa critique des vaccins à ARNm auto-réplicant. Selon le scientifique, certains ARN peuvent résister à une cuisson à 100°C pendant 10 minutes ainsi qu’à l’acidité de l’estomac grâce à l’effet protecteur des adjuvants. Une contamination pourrait également se faire en amont, via les muqueuses buccales et l’œsophage. De son côté, François Meurens présente les vaccins à ARNm comme plus sûrs, car étant donné qu’ils sont synthétisés chimiquement, ils ne nécessitent pas de cultures des virus pathogènes. « En outre, contrairement aux vaccins vivants atténués, le risque de retour à la virulence est nul, puisqu’ils ne contiennent pas d’agent infectieux mais uniquement l’information nécessaire à la production d’une protéine virale. ». Scientifiques contre scientifiques : qui croire ?

Par ailleurs, il est important de considérer les risques directs pour les professionnels. Il arrive en effet que les vétérinaires procédant aux vaccinations se piquent. En France, 80 cas d’accidents sont signalés chaque année au réseau des Centres antipoison et de toxicovigilance. Les incidents arrivent le plus souvent en élevage avicole (34 %), porcin (28 %), bovin (14 %), ovin (8,5 %) ou caprin (2 %) par rapport aux animaux de compagnie, et pour 90 % des cas dans un cadre professionnel[viii].

 

Faire confiance aux firmes ?

Au sein d’Inf’OGM[ix], on s’inquiète de la nocivité potentielle du vaccin ainsi que de ses adjuvants. L’association soulève un manque de transparence. « Où peut-on trouver le déroulé de tous ces travaux minutieux de vérification ? Et, en particulier, où trouver les preuves scientifiques que « lorsqu’un produit issu d’un animal vacciné est consommé [par l’espèce humaine], l’ARNm résiduel éventuel est détruit dans l’estomac par les enzymes digestives et les conditions acides » ? ». Les études étant réalisées par les firmes elles-mêmes – ce que Nature & Progrès dénonce également dans le secteur des pesticides -, le doute est permis.

Jonathan Jarry, communicateur scientifique à l’Organisation pour la science et la société de l’Université McGill au Canada, déplore ce manque de confiance des consommateurs[x]. Il met ces craintes sur le dos d’un manque de connaissance et de compréhension de la science. « Les nouvelles technologies sont plus difficiles à appréhender. Elles peuvent être perçues comme moins naturelles, et la crainte de manipulations génétiques incontrôlées peut apparaître et être alimentée par des influenceurs antivaccins. ». Le canadien incrimine un manque de confiance dans l’industrie et dans le gouvernement. « Les vaccins sont produits par l’industrie et règlementés par le gouvernement, mais qu’en est-il si l’on se méfie des deux ? Il est donc très facile pour le consommateur anxieux de tomber dans le sophisme du nirvana. »

Pouvons-nous vraiment faire confiance dans une industrie capitaliste reposant sur le profit, poussée dans le dos par des actionnaires réclamant leur retour sur investissement ? Dans le documentaire « The Corporation » (2003), les sociétés anonymes sont comparées à des psychopathes : égoïstes, menteurs, indifférents au bien-être et au respect d’autrui comme à ses malheurs. La vente de vaccins représentait, en 2023, 32 % des produits à usage vétérinaire en Europe, toutes espèces animales confondues. Le marché mondial des vaccins vétérinaires est estimé à 18 milliards USD en 2024 et devrait atteindre 27 milliards USD d’ici 2029[xi]. « Le fardeau croissant des maladies zoonotiques devrait stimuler la demande de vaccins pour animaux, stimulant ainsi la croissance du marché au cours de la période de prévision. Le marché des vaccins vétérinaires est assez compétitif et se compose de plusieurs acteurs majeurs qui jouissent d’une présence mondiale et sont confrontés à une concurrence intense dans les économies émergentes. » Citons Zoetis, Merck, Virbac, GmbH, etc.

 

Pour Nature & Progrès, les questions soulevées par les citoyens sont légitimes étant donné le manque de transparence des études d’innocuité des vaccins et les enjeux financiers que représente ce marché pour les multinationales.

La multiplication des obligations de vaccination des animaux d’élevage face au développement des maladies épidémiques et l’explosion du développement des vaccins à ARNm, moins coûteux à produire et réputés plus efficaces, ne laissera peut-être bientôt plus le choix, ni aux éleveurs, ni aux citoyens, d’éviter ces nouvelles technologies.

Le principe de précaution ne devrait-il pas être appliqué en attendant une procédure d’autorisation plus fiable, garantissant la sécurité alimentaire et environnementale des vaccins à ARNm auto-réplicant ?

 

REFERENCES

[i] Définition du Règlement (UE) 2019/6 relative aux médicaments vétérinaires, Art. 4.

[ii] https://www.anses.fr/fr/content/vaccins-veterinaires-le-point-sur-leur-evaluation-et-leur-autorisation

[iii] https://theconversation.com/points-forts-limites-risques-decryptage-de-la-technologie-des-vaccins-a-arn-152333

[iv] Articles 110 et 116 du Règlement (UE) 2019/6 relative aux médicaments vétérinaires

[v] https://agriculture.gouv.fr/la-vaccination-en-pratique-foire-aux-questions-destination-des-eleveurs-et-des-acteurs-de-terrain

[vi] www.anses.fr/fr/system/files/90053_ATU_R_2025_ANNEXE.pdf

[vii] https://inspection.canada.ca/fr/sante-animaux/produits-biologiques-veterinaires/evaluations-environnementales/produits-ordonnance-contenant-particules

[viii] https://www.anses.fr/fr/system/files/Toxicovigilance2021AUTO0072Ra.pdf

[ix] https://infogm.org/vaccin-a-arn-messager-auto-amplificateur-apres-lhomme-le-canard/

[x] https://cooperateur.coop/fr/porc/capsule/vaccins-arn-octobre-2023

[xi] https://www.mordorintelligence.com/fr/industry-reports/veterinary-vaccines-market

 

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Faut-il arrêter de produire sa nourriture ?

Cette analyse est parue dans la revue Valériane n°174

***

 

Par Sylvie La Spina,

rédactrice en chef pour Nature & Progrès

« Vivre bio » ne peut plus se limiter à vivre nos idéaux en marge, en produisant notre nourriture et en soutenant les producteurs et artisans suivant nos valeurs. La révélation de la présence de polluants éternels dans l’eau que nous buvons et, maintenant, dans les œufs de nos propres poules, est une piqure de rappel : ce sont les priorités de la société qu’il faut transformer, pour notre santé et celle de la Terre. 

(c) Anita Austvika (Unsplash)

 

« Arrêtez de manger des œufs de votre jardin », a-t-on pu lire comme titre dans La Libre[i] à la veille de la fête pascale. L’information, essaimée par d’autres médias, interpelle. Est-il terminé, ce bon temps où l’on ramenait, petit panier en osier au bras, les œufs des trois cocottes familiales pour l’omelette du dîner ?

 

Contaminations constatées

L’alerte a été lancée par l’Agence néerlandaise de santé : une étude a révélé des teneurs inquiétantes en PFAS – les fameux « polluants éternels » – dans les œufs de poules élevées chez les particuliers. Sur 60 sites étudiés, 31 présentaient des doses telles que la consommation d’un seul œuf par semaine dépasse déjà les quantités recommandées en matière de santé. Cette observation conduit l’agence à déconseiller la consommation d’œufs produits à la maison. La suspicion de la présence de polluants dans les œufs de particuliers n’est pas nouvelle. Le même type d’alerte avait été lancé, il y a vingt ans, pour la présence de polluants organochlorés (PCB, dioxine, etc.). Par ailleurs, en 2023, une étude réalisée par l’Agence régionale de santé Île-de-France[ii] en région parisienne révélait une présence excessive de PFAS dans 23 échantillons sur 25. L’agence recommande d’éviter la consommation des œufs d’élevage domestique dans 410 communes de la ville de Paris et alentours.

La Belgique a réagi de manière rapide à l’annonce de nos voisins. En Flandre, le Département de l’environnement[iii] recommande de se limiter à maximum deux œufs « maison » par semaine, voire un œuf pour les publics fragiles (enfants, femmes enceintes…). En Wallonie, le Conseil scientifique indépendant conseille aux éleveurs amateurs de nourrir les volailles en hauteur ou dans des mangeoires pour éviter qu’elles picorent le sol contaminé. Pol Gosselin, responsable de la cellule Environnement-Santé de la Région wallonne, explique : « Si les sols ont été arrosés avec l’eau de distribution – dont la contamination par des PFAS a été démontrée et médiatisée [ndlr] -, ils sont alors peut-être couverts de PFAS. Les poules qui y picorent peuvent donc éventuellement concentrer ces PFAS dans leurs œufs. » [iv]

 

Les œufs « professionnels », meilleurs ?

Du côté des éleveurs professionnels, la Fédération wallonne de l’agriculture, syndicat majoritaire, rassure : « En Wallonie, grâce à une alimentation strictement surveillée, des parcours extérieurs préservés et contrôlés et des analyses de risques régulières, nos producteurs garantissent des œufs sains, sûrs et bons pour toute la famille. » [v]  Le syndicat agricole s’appuie sur une série d’analyses réalisées par l’AFSCA en 2023 : un seul dosage sur 45 a dépassé la norme européenne. « Cet œuf provenait d’une zone particulièrement à risque dû à sa proximité avec une zone industrielle en Flandre. » [vi]

Au Danemark, des contaminations aux PFAS d’œufs issus d’élevages professionnels ont été révélées début 2023. Fait étonnant : seuls les œufs biologiques étaient concernés, tandis que de faibles teneurs étaient observées dans les œufs conventionnels plein air et au sol. C’est la farine de poisson utilisée dans l’alimentation qui serait à l’origine de la pollution. « Les PFAS sont des substances pouvant migrer et s’accumuler tout au long de la chaîne alimentaire : du poisson à la farine de poisson contenue dans l’alimentation des poules, puis de la poule à l’œuf, où elles se lient aux protéines du jaune et sont consommées par l’homme. » [vii]

 

Les éleveurs amateurs désœuvrés

Interviewé dans le cadre de l’émission « C’est vous qui le dites »[viii] sur Vivacité, Adrien, père de famille qui était justement en train d’installer un poulailler dans son jardin, partage ses inquiétudes. « On voulait une alimentation meilleure que tout ce qui est agro-alimentaire. Les poules aujourd’hui, hier, l’eau de consommation… »

« On a l’impression qu’on laisse à nos enfants une terre qui est polluée, et on n’a vraiment plus de solutions. »

Participant à cette même émission, Adrien de Marneffe, journaliste de La Libre, interroge notre mode de vie dans lequel même le jardin est pollué. « J’envisageais, à terme, d’avoir des poules dans le jardin, de ramasser les œufs avec les enfants… Mais après ça, je ne vais pas le faire. En tout cas, pas tout de suite, pas tant que je ne serai pas rassuré sur la question. » Le risque de contamination des œufs « maison » par les PFAS va donc freiner les initiatives d’autoproduction alimentaire au sein des familles.

Bruno Schiffers, écotoxicologue et administrateur de Nature & Progrès, analyse : « Les PFAS se retrouvent partout : dans les eaux (de distribution, en bouteille et de pluie), dans les sols (adsorbés sur la matière organique et dans les organismes du sol), dans l’air (vapeur d’eau et poussières), dans les végétaux (absorbés par les racines et déposés sur les feuilles). Les voies d’exposition des poules sont donc multiples mais il semble que les expositions principales viennent du sol picoré et de l’eau de boisson. Les poules plein air picorent un sol contaminé. Les poules de particuliers vivant plus longtemps que celles de batterie, elles vont accumuler plus de polluants (PFAS, organochlorés) dans leurs graisses. Les œufs de ces poules seraient donc davantage contaminés ! »

 

Sortons de nos chaumières !

Les évolutions néfastes du système agricole dominant du point de vue écologique, économique et social ont suscité la naissance de Nature & Progrès et motive ses actions depuis presque 50 ans.

Au commencement, nos membres se sont regroupés autour d’un idéal de production biologique, tant chez les professionnels que chez les particuliers. Ce développement « en marge », répondant à nos convictions, ne suffit plus.

La crise de la dioxine a été un premier déclencheur qui a poussé Nature & Progrès à militer pour faire évoluer le système alimentaire de manière globale (lire l’interview de Marc Fichers dans Valériane n°172). Cette mise en évidence des PFAS dans l’environnement, jusque dans l’eau que nous buvons tous et les œufs des poules dans nos jardins est une piqure de rappel : vivre comme la famille Ingalls dans notre « Petite maison (bio) dans la prairie »[ix], en cultivant nos légumes et nos fruitiers et en élevant nos animaux ne suffit pas. Il faut agir pour faire interdire au plus vite ces pollutions, aujourd’hui et pour les générations futures. Pour Nature & Progrès, il est important d’investiguer la présence de PFAS dans les œufs. L’Institut scientifique de service public a défini son plan d’analyse en trois phases : l’eau, le sol, puis les légumes et les œufs. Les échantillonnages sont en cours. Le niveau de contamination défini, nous en saurons davantage sur les risques actuels. Mais plus que tout, il faut convaincre nos politiques de prendre des mesures fortes pour arrêter l’émission des polluants éternels qui ne cessent de s’accumuler dans notre environnement. En complément de l’action continue de notre association, qui lance l’alerte, milite, informe et plaide, nous tous, citoyens et citoyennes, pouvons écrire aux ministres pour exprimer nos inquiétudes et interpeller.

 

REFERENCES

[i] Schmidt V. 16 avril 2025. « Arrêtez de manger des œufs de votre propre jardin » : la Wallonie et la Flandre appellent à la prudence.

[ii] ARS Île-de-France. 30 septembre 2024. Contamination des œufs de poules par des polluants organiques persistants : étude dans 25 poulaillers en Île-de-France.

[iii] Departement Omgeving. SD. Eet maximaal 2 eieren per week.

[iv] Rondelez N. 17 avril 2025. Faut-il craindre la présence de PFAS dans les œufs de nos poules ?

[v] Post facebook du 18 avril 2025.

[vi] AFSCA. 21 janvier 2024. Les résultats 2023 des analyses menées par l’AFSCA sur les PFAS sont rassurants : seuls 4 échantillons sur un total de 370 sont non conformes.

[vii] Institut national de l’alimentation. 23 janvier 2023. PFAS found in organic eggs in Denmark.

[viii] Emission du 17 avril 2025.

[ix] Série télévisée américaine qui raconte les aventures de la famille Ingalls, menant une vie d’autonomie et de sobriété à la campagne.

 

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NTG : la Belgique dit oui, « si et seulement si »

Cette analyse est parue dans la revue Valériane n°173

***

 

Par Virginie Pissoort,

chargée de campagnes
chez Nature & Progrès

Ce 14 mars, en Comité des représentants permanents, la Belgique s’est positionnée pour le texte proposé par la présidence polonaise de l’UE en vue de déréguler les nouvelles techniques génomiques (nouveaux OGM). « Oui mais » ou « Si et seulement si », elle conditionne son vote au respect de quatre balises répondant aux préoccupations de la société civile. Place maintenant au trilogue. Passera, ou passera pas ?

 

Si les OGM sont aujourd’hui fortement réglementés, grâce notamment à une opposition farouche de la société civile dans laquelle Nature & Progrès a été fortement active, de nouvelles techniques génomiques (NTG, ou « nouveaux OGM ») se fraient un chemin pour sortir des obligations contraignantes de la législation. Nous vous tenons régulièrement au courant des nouvelles concernant ce processus, et des actions que nous menons en vue de nous protéger de ces nouvelles technologies dont l’absence d’impacts sur notre santé et celle des écosystèmes n’a jamais pu être démontrée.

 

La Pologne sur la brèche

Dans notre analyse 2025/10, nous vous informions de l’ambition de la présidence polonaise de l’Union européenne (UE) d’avancer sur le dossier de la dérégulation des NTG. Sans rien apporter de rassurant par rapport aux points de vigilance soulevés par les Etats membres (EM) réticents sur ce projet – notamment au sujet des brevets (1) sur les semences génétiquement modifiées -, elle a obtenu une majorité qualifiée, entre autres grâce à la Belgique. Notre petit pays, familier de « l’abstention faute de consensus » a, pour une fois, pesé lourd dans la balance, donnant ainsi le feu vert pour la suite du processus législatif de libéralisation des NTG. Cependant, la Belgique nuançait ce « oui » en remettant une déclaration au Conseil avec les éléments qu’elle entendait voir dans le texte final.

 

La position adoptée par le Conseil

Le projet de dérégulation des NTG est une proposition de la Commission européenne (CE). Il doit, de ce fait, obtenir une majorité au parlement européen (PE), avec 50 % des voix +1, et une majorité qualifiée au Conseil de l’Union européenne. Celle-ci est atteinte si le texte recueille un vote favorable d’au moins 55 % des EM, soit 15 États sur 27, lesquels doivent représenter au moins 65 % de la population de l’UE.

Jusqu’ici, la Pologne était plutôt mitigée sur le projet de dérégulation, particulièrement à cause des risques que les brevets sur les NGT pourraient faire peser sur les petites entreprises semencières et sur les agriculteurs. Mais alors que la présidence précédente, hongroise, réticente sur l’ensemble du texte, avait tenté de reprendre les discussions, la Pologne entendait bien se limiter à la question épineuse des brevets, pourvu que le texte passe. Et, c’est ainsi qu’après plusieurs reformulations coup sur coup, Varsovie a réussi, le 14 mars dernier, à faire adopter par les EM en Comité des représentants permanents un texte qui se satisfait d’obligations d’information et de communication sur les brevets par leurs détenteurs, sans restriction aucune (2). Quant au reste du texte, le Conseil confirme ainsi la distinction proposée par la CE entre les NTG1 et les NTG2, les premiers étant, en gros, exempts de tout cadre régulatoire du fait qu’ils seraient équivalents à des organismes que l’on pourrait retrouver dans la nature (sauf étiquetage des semences), alors que les NTG 2 restent soumis à un corps de règles plus strictes (évaluation des risques, étiquetage … ), proches de ce qui existe dans la directive de 2001 sur les OGM. Autre initiative du texte adopté par les EM par rapport à celui de la CE : ceux-ci peuvent décider d’interdire la culture des végétaux NTG 2 sur leur territoire (clause de « opt-out ») et prendre des mesures visant à éviter la présence accidentelle de végétaux NTG 2 sur leur territoire (clause de coexistence) ainsi que pour éviter la présence accidentelle de végétaux NTG1 dans l’agriculture biologique.

 

Majorité qualifiée au Conseil

Les pays comptabilisés comme étant en faveur de ce texte finalement adopté sont la Belgique, Chypre, la République Tchèque, le Danemark, l’Estonie, la Finlande, la France, la Grèce, l’Irlande, l’Italie, la Lettonie, la Lituanie, Luxembourg, Malte, les Pays Bas et la Pologne. Cette dernière est historiquement contre la dérégulation mais désireuse d’afficher une victoire comme présidente de l’UE. Elle compte lourd avec ses quasi 39 millions d’habitants. L’Autriche, la Croatie, l’Allemagne, la Hongrie, la Roumanie, la Slovaquie, la Slovénie et la Bulgarie n’ont pas soutenu le texte ; en votant « contre » ou en « s’abstenant » (Allemagne et Bulgarie) ce qui est équivalent dans le calcul des votes. La Hongrie et la Slovénie, qui ont explicitement voté contre le texte, ont, quant à elles, remis une déclaration à l’occasion de ce vote du 14 mars. Nous n’avons pas pu en prendre connaissance, mais on peut imaginer qu’elle souligne les failles d’un texte auquel elles ne peuvent souscrire.

 

La Belgique dit oui, mais tempère

La Belgique a également remis une déclaration au Conseil, mais elle a, en revanche, approuvé le texte, donnant ainsi – avec le concours de la Grèce historiquement contre mais devenue favorable – le feu vert au Conseil jusqu’ici bloqué.

La Belgique dit « oui, mais… ». Pas exactement, d’après Les Engagés, concernés et impliqués dans la décision belge. Selon le parti, la Belgique a approuvé « si et seulement si… ».

La déclaration de la Belgique au Conseil, dans sa version officielle, n’a pas été rendue publique.  Quatre balises y figureraient : (1) l’interdiction totale de la brevetabilité des NTG ; (2) l’obligation de traçabilité et d’étiquetage sur toute la chaîne de valeur (jusqu’au consommateur) ; (3) l’interdiction des NTG en agriculture biologique et dans les produits biologiques et (4) l’analyse de risques pour l’environnement et la santé au cas par cas pour tous les NTG mis sur le marché et la prise en compte de la résistance aux insectes pour la catégorisation des produits NTG.

Ces balises sont fortes et on peut se réjouir que la Belgique, de plus en plus à droite et libérale, les intègre dans un document de positionnement. Elles reflètent sans aucun doute les convictions du parti des Engagés, dont le prédécesseur, le CdH, avait activement œuvré à faire de la Wallonie une terre sans OGM et sans risque d’OGM. Mais ces balises sont à une distance abyssale du texte adopté par le Conseil. Et, selon nous, la probabilité que le Conseil les fasse siennes est maigre dès lors qu’il peut se targuer d’avoir obtenu sa « majorité qualifiée » sur un texte qui ne reflète pas ces mesures. Encore un compromis à la belge qui en a surpris plus d’un parmi nos collègues européens !

 

Quel tour de force pour la suite ?

Il existe aujourd’hui trois textes : le texte original proposé par la Commission, le texte amendé par le Parlement et voté en 2024 qui met certaines balises au projet de dérégulation à tout va de la Commission, et le texte du Conseil évoqué ci-dessus. Ces trois institutions vont maintenant se mettre à table et négocier pour aboutir à un texte commun. C’est ce qu’on appelle la phase de « trilogue », négociation purement politique, de rapports de force et de calculs. Qui va l’emporter ? Difficile à dire. 

Le texte adopté par le PE contient des amendements principalement proposés et votés par la gauche autrefois plus présente dans l’hémicycle, dans le souci de protéger la santé, l’environnement, les consommateurs et les producteurs. Ceux-ci avaient aussi fait l’adhésion de quelques parlementaires de centre droite, dont les membres wallons du Parti Parlementaire Européen. Le texte prévoit une obligation d’étiquetage des NTG1 et NTG2 tout au long de la chaine, l’interdiction des NTG dans le bio, des mesures de coexistence, une possibilité de « opt out » pour les EM et une interdiction de brevets pour les NTG1 et les NTG2. En revanche, la distinction malheureuse et sans aucun fondement scientifique entre les NTG1 et NTG2 avait été maintenue, ainsi que l’absence d’obligation d’évaluation des risques, ce que Nature & Progrès déplore fortement.  

On est donc face à un texte initial de la Commission insoutenable, un texte adopté au Conseil, quasiment aussi mauvais, et un texte amélioré adopté par le PE. Mais, un PE qui s’est, depuis, fortement droitisé. Au milieu de tout cela, une déclaration ambitieuse des revendications de la Belgique qui épouse à peu de choses près les revendications de la société civile et qui confirme la pertinence des amendements au texte adoptés par le PE. C’est peut-être là, concrètement, en renforçant les amendements du PE, que se jouera la pertinence de ce texte.

Selon le ministre fédéral de l’agriculture, David Clarinval, qui n’a jamais caché son enthousiasme pour le projet de dérégulation des NTG, « … en marge de notre soutien, nous avons exprimé l’importance de continuer à travailler, dans le cadre du trilogue avec le Parlement européen, sur les thématiques des brevets, la traçabilité, l’information des utilisateurs et l’agriculture biologique, ainsi que sur les variétés résistantes aux insectes ravageurs » (3). Le Communiqué de presse des Engagés se veut plus engageant « Pour Les Engagés, les NGT, c’est non, sauf à respecter scrupuleusement des impératifs sanitaires, environnementaux et de protection du consommateur. Nous posons quatre conditions non négociables » (4).

A lire ces communiqués, nous serions donc face à une Belgique qui a précipité la phase de trilogue, mais pousserait dans le dos le Parlement et le Conseil pour définir des balises fortes, et qui, in fine, n’approuverait pas le texte final si ces balises ne sont pas respectées. Nature & Progrès continue à suivre de près ce dossier et à appuyer le meilleur cadrage des NTG repris dans la déclaration belge. A suivre…

 

REFERENCES ET NOTES

  • Un brevet est un titre de propriété industrielle qui confère à son titulaire une exclusivité d’exploitation de l’invention brevetée à compter, en principe, de la date de dépôt et pour une durée maximale de 20 ans. Le brevet ne donne pas le droit d’exploiter l’invention brevetée, lequel peut être soumis à une autorisation de mise sur le marché, c’est le cas des NGT sur les végétaux, dont plus de 500 auraient fait l’objet d’une demande de brevets à l’Office européen des brevets.
  • Le texte des Polonais prévoit ceci : lorsque les entreprises ou les obtenteurs demandent l’enregistrement d’un végétal ou d’un produit NTG1, ils doivent fournir des informations sur tous les brevets existants ou en demande. Celles-ci sont consignées dans une base de données accessible au public mise en place par la CE, qui énumère tous les végétaux NTG ayant obtenu le statut de NTG1. La base de données mise à jour vise à garantir la transparence en ce qui concerne les végétaux NTG 1. En outre, sur une base purement volontaire, les entreprises ou les obtenteurs peuvent également fournir des informations sur l’intention du titulaire du brevet de concéder une licence pour l’utilisation d’un végétal ou d’un produit NTG1 dans des conditions équitables. Pour les NTG2, rien n’est prévu. Ils peuvent donc faire l’objet d’un brevet dans le cadre de la Convention européenne sur les brevets.
  • Communiqué de presse – 14/03/2025 – David Clarinval : Nouvelles techniques génomiques : sous impulsion du ministre fédéral de l’Agriculture David Clarinval, la Belgique a soutenu, ce vendredi, la proposition européenne. https://clarinval.belgium.be/fr/actualites/nouvelles-techniques-genomiques-sous-impulsion-du-ministre-federal-de-lagriculture-david
  • Communiqué de presse – 14/03/2025 – Les Engagés : Les Engagés exigent l’absolue transparence pour les consommateurs. https://www.lesengages.be/actualite/ngt-les-engages-exigent-labsolue-transparence-pour-les-consommateurs-et-lapplication-du-principe-de-precaution/

 

 

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Rafraîchir les villes, le miracle des arbres

Cette analyse est parue dans la revue Valériane n°173

***

 

Par Guillaume Lohest,

rédacteur pour Nature & Progrès

« L’arbre ne retire pas son ombre, même au bûcheron » affirme un proverbe indien. En ville, cette générosité végétale prend tout son sens. Le dérèglement climatique confrontera de plus en plus souvent un nombre de plus en plus important de citadins à des épisodes de fortes chaleurs. Y planter des arbres aujourd’hui, c’est s’adapter aux conditions extrêmes de demain.

 

D’après les dernières estimations des Nations Unies, 57 % des humains habitent dans une ville. On attendrait même 70 % de citadins en 2050. En Europe, nous y sommes déjà. Le taux d’urbanisation actuel est de 75 %. Or l’une des conséquences du dérèglement climatique est l’augmentation de la fréquence et de l’intensité des canicules. Il y a déjà eu quatre fois plus d’épisodes caniculaires en France cette dernière décennie que durant les années 80. Et cela va empirer. D’ici à 2050, le nombre de vagues de chaleur pourrait encore doubler.

 

Jusqu’à six degrés de moins

Mais derrière cette perspective globale se cachent des réalités très distinctes. Un même épisode caniculaire est vécu très différemment selon que l’on vit dans une propriété arborée à la campagne ou dans une barre d’immeubles au cœur d’une métropole. Si l’on s’en tient aux seules disparités de thermomètre, les différences observées entre ville et campagne sont connues depuis longtemps. Ainsi, par exemple,

« Les températures de l’air sont plus élevées de 3°C en moyenne au centre de la Région de Bruxelles-Capitale qu’à ses alentours ruraux en été (sur la période 1987-2016). »

« Les températures les plus élevées s’observent dans de grandes zones au centre-ville urbanisé. Les températures sont légèrement plus basses au-dessus des eaux et dans les grands parcs » (1). La nuit, cet écart de température est même de 4 à 6°C.

Ce phénomène porte un nom : l’îlot de chaleur urbain (ICU). Il s’explique par deux facteurs principaux : l’inertie thermique – plus un matériau est lourd et épais, plus il accumulera de la chaleur – et l’effet d’albédo liée à la réflexion de l’énergie solaire. « Si l’on prend l’exemple du béton brut, on voit qu’il a une inertie thermique assez élevée et un albédo faible, il absorbe donc près de 80 % de l’énergie qu’il reçoit. Ainsi, le béton soumis aux rayonnements solaires, mais aussi aux rayonnements de réflexion, va se réchauffer lentement mais sa capacité thermique et son albédo lui permettent d’emmagasiner beaucoup de chaleur » (2).

 

Des villes canopées

Avant d’envisager un exode urbain utopique et peu raisonnable, une autre piste a déjà fait ses preuves : augmenter la quantité d’arbres en ville. À Liège, c’est l’objectif du Plan Canopée, qui ambitionne la plantation de 24.000 arbres d’ici à 2030. Parallèlement aux efforts pour réduire les émissions, la ville veut donc aussi anticiper l’adaptation au dérèglement climatique. Car « sans agir, le climat liégeois pourrait correspondre, à l’horizon 2100, à celui que nous connaissons aujourd’hui à… Madrid ou Porto ! Nous connaîtrons entre 15 et 27 jours de vagues de chaleurs (température de plus de 25°C pendant au moins 5 jours de suite ou 30°C pendant 3 jours ou plus), contre une moyenne de 2 à 6 jours par an aujourd’hui (3) ». Construit avec l’aide de scientifiques et d’académiques, ce plan en appelle aussi à une implication des citoyens puisque deux tiers des arbres à planter le seront sur des terrains privés.

De nombreuses villes dans le monde entier initient des programmes similaires. Bruxelles a également son Plan Canopée 2020-2030. Car il semble que, parmi les méthodes envisageables pour lutter contre les îlots de chaleur urbains, la plantation d’arbres soit, de loin, la plus efficace. Rendre les villes plus blanches pour augmenter l’effet d’albédo aurait un impact assez limité. Autre possibilité, la multiplication des écoulements d’eau en surface, plus complexe à mettre en œuvre. C’est donc naturellement vers la végétalisation que les villes se tournent en priorité. Barcelone, Lyon, Marseille, Montréal, Nantes, Rennes, Rome, Stuttgart, Toulouse et Vienne, parmi d’autres, se sont lancées et ont été étudiées dans le cadre d’un ouvrage de référence sur le sujet (4).

 

Tant de bienfaits… et quelques limites

Au fond, comment les arbres rafraichissent-ils l’espace autour d’eux ? Plusieurs phénomènes s’additionnent. D’abord, « ses feuilles absorbent une grande partie du rayonnement solaire lors de la photosynthèse, et le reste est reflété. » Ensuite, « il créé une ombre portée qui protège les personnes, les animaux, les végétaux et les pelouses situées en-dessous, rafraîchit le sol et fait bouclier pour les façades. » Enfin, grâce à ses racines« il puise l’eau dans le sol et la rejette dans l’air par ses stomates. Cette évapotranspiration préserve l’humidité locale et rafraîchit l’air ambiant » (5). On parle ici des avantages de « climatisation » des arbres, mais ils ont évidemment d’autres bienfaits : drainage des eaux de surface, purification de l’air, accueil de la biodiversité, bien-être et beauté de la ville…

Toutefois, ce miracle n’est pas sans l’une ou l’autre difficulté. Il a été observé que « les arbres sont efficaces mais sur une distance limitée : des thermographies montrent que l’effet s’estompe au-delà de 100 m. » Autre problème : le temps qu’il faut pour que ça pousse… et la vulnérabilité au changement climatique lui-même :

« Un arbre de grande envergure va mettre entre 25 et 50 ans pour atteindre sa taille adulte… avec le risque qu’entre temps, le climat ait tellement changé que l’arbre ne résiste plus. »

« Ainsi, à Montréal, 10 % des arbres (les frênes) ont été attaqués par un parasite dont l’apparition est liée à la hausse des températures » (6). Le choix des essences doit donc être savamment pensé en amont et, surtout, diversifié, entre espèces indigènes et anticipation de conditions climatiques futures.

 

Repenser nos villes et notre mobilité

Enfin, et c’est sans doute le point le plus épineux, la place qu’occuperont les plantations d’arbres doit forcément être rognée sur autre chose… Ce qui peut se résumer ainsi : « comment concilier la mise en place d’un réseau assez dense de végétation avec des arbres de grande taille, avec la volonté de densifier la ville et donc les bâtiments ? Cela passe principalement par la reconquête des espaces occupés par l’automobile en espaces verts : suppression de places de stationnement, diminution de la largeur des chaussées, piétonisation de rues… Il n’est guère envisageable de toucher au bâti. » (6). Or, on sait que toute atteinte à l’espace automobile peut créer des remous explosifs dans le monde politique et chez les citoyens, tant la voiture a été sacralisée depuis des décennies.

Pour Nature & Progrès, la nécessité de planter des arbres en ville ne laisse aucun doute. Dans la perspective d’une société mieux adaptée aux défis climatiques à venir, il est indispensable de repenser nos villes et notre mobilité en misant sur un transport collectif public efficace et sur un réseau de voies lentes favorisant le déplacement à pied ou à vélo. Les espaces verts doivent rentrer dans les priorités d’aménagement des territoires. Pour notre bien-être, pour notre santé et celle du climat.

 

REFERENCES

  • Cartographie de l’îlot de chaleur à Bruxelles, Site Internet de Bruxelles Environnement.
  • Institut d’aménagement et d’urbanisme d’Île-de-France. 2010. Les îlots de chaleur urbains.
  • https://canopee.liege.be/
  • Collectif. 2015. Villes et changement climatique. Îlots de chaleur urbains. Editions Parenthèses.
  • 2023. D’où vient le pouvoir rafraîchissant des arbres (et tous leurs autres bénéfices) ? Nantes Métropole et Ville n°329.
  • Michel Bernard. 2016. Face à la canicule, en ville, les arbres sont la meilleure parade. Reporterre et revue Silence.

 

 

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Abattage privé : droit en danger !

Cette analyse est parue dans la revue Valériane n°173

***

 

Par Sylvie La Spina,

rédactrice en chef pour Nature & Progrès

Le Ministre wallon du bien-être animal projette d’interdire l’abattage privé à domicile de petits ongulés pour la consommation de la famille. Cette menace touche à l’autonomie alimentaire des particuliers qui font le choix d’assumer pleinement leur responsabilité de mangeurs en élevant et en sacrifiant eux-mêmes les animaux qu’ils consomment, tout en veillant à leur bien-être jusqu’à leur dernier souffle. 

Chez Xavier, deux cochons labourent le potager. Ils seront consommés en hiver.

 

Cultiver un potager pour se fournir en légumes, planter des arbres fruitiers pour en récolter les fruits ou élever des animaux pour consommer leur lait, leurs œufs ou leur viande, sont la base de l’autoproduction alimentaire des ménages. Une étude réalisée en 2022 par l’Observatoire Société & Consommation (ObSoCo) auprès de 4.000 Français (1) a révélé que 67 % de la population majeure du pays pratique au moins une activité d’autoproduction alimentaire.

 

Produire sa propre nourriture

Cette enquête révèle que pour 46 % des personnes sondées, le fait d’avoir la possibilité de manger des aliments sains, bruts et frais arrive en tête des raisons invoquées pour produire sa propre alimentation, pour prendre soin de sa santé. Cette démarche permet aussi de reprendre le contrôle de son alimentation et de la chaîne de production. Ainsi, réduire sa dépendance vis-à-vis des entreprises motive 25 % des autoproducteurs. Produire sa propre nourriture permet à des ménages à bas revenus de subvenir à leurs besoins : 30 % des sondés le font pour des raisons économiques. On retrouve aussi le souhait de se rapprocher de la nature et de développer un lien avec les animaux. L’autoproduction est source de fierté et de bien-être, et permet de créer du lien social. Pour 23 % des sondés, passer du temps en famille est une motivation importante, de même qu’éveiller les enfants à certaines valeurs (23 %) et transmettre ses connaissances (17 %). Enfin, cette démarche renforce la prise de conscience par les citoyens de la valeur de l’aliment et de ce qui en fait la qualité.

 

Une école de la vie

Il est important, en tant que citoyen, de conserver un lien fort avec les animaux élevés pour la production alimentaire. Être confronté aux réalités de l’élevage permet d’être cohérent dans ses choix et dans ses revendications de consommateur. Et au-delà, être confronté à la mort d’un animal, c’est être conscient de sa responsabilité, de la valeur de la viande et de sa symbolique. Francis interpelle : « Il est vital pour nous tous de connaître parfaitement les origines de notre alimentation, de palier à l’immense perte de savoir qu’engendre son industrialisation, de rappeler sans cesse les étapes importantes qui sont préalables au rayon du supermarché. » Marine, quant à elle, témoigne de la place de l’élevage dans sa famille.

« Ces animaux sont au cœur des familles qui les accueillent, inculquant aux enfants les cycles de la vie, de la mort et les composantes de la chaîne alimentaire. »

Les animaux destinés à la consommation du ménage remplissent, durant leur vie, une fonction dans l’entretien du jardin ou dans la valorisation des déchets de cuisine. Chez Céline, les cochons kune kune participent à l’entretien des prairies tandis que chez Xavier, les moutons et les oies entretiennent le verger tout en préservant la biodiversité. D’après le sondage de l’ObSoCo, 82 % des autoproducteurs se disent préoccupés par l’environnement et l’écologie, et 72 % déclarent agir pour protéger la biodiversité. Marine ajoute : « Nos cochons servent à écouler le petit lait, qui serait un déchet autrement. Ils préparent nos terrains pour les futures cultures en remuant la terre et en la fertilisant. Ils vivent heureux et nous fourniront notre nourriture carnée pour l’année. Ils seront abattus et découpés par un professionnel. »

 

Défendre notre droit

Le droit de produire sa propre nourriture, tout comme le droit de la cuisiner, est d’une importance capitale car il répond à notre besoin fondamental de nous alimenter, de faire des choix concernant la qualité de la nourriture et la manière dont elle est produite. Il est impensable de remettre en question cette autonomie alimentaire, d’obliger le citoyen à déléguer la production de sa nourriture à des professionnels de l’agriculture ou de l’industrie agro-alimentaire. Francis interpelle :

« Interdire l’abattage privé revient à poursuivre cette marchandisation galopante du moindre aspect de notre vie sociale »

 

Le contact des enfants avec les animaux d’élevage leur apprend l’origine et la valeur de l’alimentation.

 

Autoproduction alimentaire et bien-être animal, incompatibles ?

Pour de nombreux particuliers, élever et abattre eux-mêmes les animaux qui finissent dans leur assiette est une manière de s’assurer de leur bien-être et de leur respect depuis leur naissance jusqu’à leur dernière heure. Associer la recherche de bien-être pour ses animaux et le fait d’abréger leur vie pour les consommer semble incompatible et incompréhensible pour de nombreuses personnes. Pourtant, à côté d’une décision de se passer totalement de produits carnés pour réduire la souffrance animale, reprendre la main sur l’élevage et la mise à mort des animaux qui nous nourrissent est une solution alternative.

La différence avec les filières professionnelles se manifeste pendant toute la vie de l’animal. Etant donné l’absence de contraintes économiques pesant parfois lourd sur les pratiques des professionnels, les particuliers peuvent offrir à leurs animaux des conditions de vie plus douces en élevant de petits groupes d’animaux dans des espaces extérieurs et en développant un lien fort avec eux.

« Vaut-il mieux aujourd’hui être un cochon enfermé dans un bâtiment par centaines, sans aucun accès à la lumière du jour, ou un cochon élevé dans un jardin avec un ou deux congénères ? » Xavier

 

Jusqu’au dernier souffle

Des règles encadrent l’élevage et la mise à mort de toutes les espèces domestiques, autant chez les professionnels que chez les particuliers. Les contrôleurs du bien-être animal de la région wallonne ont pour mission de faire respecter cette législation chez tous les citoyens.

En ce qui concerne l’abattage, les normes européennes sont reprises dans le règlement européen (CE) n°1099/2009 (2). L’article 3 précise : « Toute douleur, détresse ou souffrance évitable est épargnée aux animaux lors de la mise à mort et des opérations annexes. » La pratique de l’étourdissement est précisée à l’article 4 : « Les animaux sont mis à mort uniquement après étourdissement selon les méthodes et les prescriptions spécifiques exposées à l’annexe I. L’animal est maintenu dans un état d’inconscience et d’insensibilité jusqu’à sa mort. »

L’abattage privé des volailles, moutons, chèvres et cochons peut encore, au contraire des filières professionnelles, être réalisé à domicile, dans le milieu de vie des animaux. C’est une situation privilégiée pour leur bien-être, qui est, par ailleurs, revendiquée par de nombreux éleveurs. Ces derniers réclament la mise en place d’abattoirs mobiles ou d’autres dispositifs permettant d’abattre à la ferme (3).

 

Mieux à la maison

Abattre à domicile permet d’éviter le stress du chargement, du transport, du déchargement à l’abattoir et de l’attente avant la mise à mort par des personnes non familières pour l’animal. De plus, dans le cas de l’abattage pour consommation personnelle qui concerne de petits volumes, les animaux sont souvent abattus seuls. Pour les amener à l’abattoir, il est nécessaire de les séparer du reste du troupeau, ce qui est un facteur de stress important et complique le plus souvent l’opération d’abattage. Quand il est nécessaire de faire appel à un transporteur professionnel, pour des déplacements excédant 50 kilomètres, l’animal est mélangé avec d’autres individus, ce qui représente une source d’anxiété intense.

Une citoyenne anonyme témoigne : « Si nous voulons abattre nos animaux à domicile, c’est justement pour une question de bien-être de l’animal et de son éleveur. Charger un cochon seul dans une bétaillère (ou pire, avec d’autres animaux inconnus), traverser toute la Wallonie (car il n’y a presque plus d’abattoirs), les déposer dans l’abattoir (un endroit inconnu source d’énormément de stress) et finalement, les étourdir par asphyxie au dioxyde de carbone… Un coup de pistolet d’abattage dans leur box ou leur prairie, sans qu’ils ne voient rien venir, c’est le mieux que l’on puisse faire pour le moment. » Manoëlle complète : « J’abats quelques moutons et un ou deux cochons chaque année, pour notre autonomie alimentaire. Il serait hors de question d’amener ces animaux à l’abattoir ! Pour une raison de bien-être animal avant tout. » Manoëlle

Tandis que de nombreux particuliers font réaliser l’abattage par une personne expérimentée, certains tiennent à reprendre ou à garder la main sur cet acte. Pour Xavier, « Il s’agit d’endosser entièrement la responsabilité du sacrifice de l’animal. Il est trop facile de déléguer. Pour moi, c’est un réel besoin, une évidence ». Stéphane ajoute :

« Dans un abattoir, il s’agit d’un processus mécanique alors qu’à domicile, il s’agit d’un geste inscrit dans une relation affective. »

Interdire l’abattage privé à domicile pour les moutons, chèvres, cochons et gibier d’élevage revient à priver le particulier de la possibilité de fournir à ses animaux les meilleures conditions de bien-être jusqu’à leur dernier souffle. Pour un ménage souhaitant abattre un mouton ou un cochon, la seule solution laissée par ce projet de législation serait d’amener ses animaux dans un abattoir agréé, un lieu qui suscite des inquiétudes étant donné l’impossibilité de les accompagner jusqu’au bout de leur vie. Or, comme s’en inquiète Nature & Progrès depuis plusieurs années, le nombre de structures d’abattage se réduit comme peau de chagrin.

 

Des abattoirs inaccessibles

En Wallonie, six abattoirs de porcs sont actifs (Lovenfosse, Goemaere, Porc Qualité Ardenne et les abattoirs communaux d’Ath, de Gedinne et de Virton) (4). Les trois premiers sont réservés aux professionnels. L’abattoir d’Ath fermera ses portes le 1er juillet 2025 (5). Pour les particuliers, il ne restera donc que deux possibilités d’abattre un cochon pour consommation personnelle : à Gedinne et à Virton. En ce qui concerne les moutons, les abattoirs actifs sont Wama Beef à Ciney, l’abattoir intercommunal de Liège et les abattoirs communaux d’Aubel, d’Ath, de Gedinne et de Virton. Il ne restera donc bientôt plus que cinq abattoirs pour ovins accessibles en Wallonie. Accessibles… pour qui pourra y amener son animal, car le transport par le particulier est limité à 50 kilomètres de chez lui. Pour de plus longues distances, il faut donc faire appel à un transporteur professionnel.

Par ailleurs, tous les abattoirs ne proposent pas la découpe de l’animal, comme à Gedinne ou à Aubel. Pour un particulier, il est plus compliqué de prévoir le rapatriement de la carcasse à domicile que d’organiser cette transformation chez soi. L’éleveur amateur qui dispose rarement d’une chambre froide planifie ses abattages pour les faire correspondre aux mois d’hiver, lorsque la température ambiante est suffisamment basse pour travailler dans des conditions hygiéniques dans une pièce non chauffée.

Cette inaccessibilité des abattoirs et la difficulté d’organiser la suite du processus de transformation de viande au départ de plusieurs de ces structures constituent un frein important. L’interdiction d’abattage privé à domicile empêcherait de nombreuses personnes de poursuivre l’élevage d’animaux pour la consommation de leur ménage.

AGISSONS !

Nature & Progrès s’oppose à ce projet d’interdiction et veut proposer un meilleur encadrement de l’abattage privé à domicile, en vue de garantir le bien-être animal. Nous vous invitons à nous rejoindre pour en débattre et pour élaborer des propositions qui soutiendront le travail de plaidoyer de Nature & Progrès. Des rencontres seront organisées en Wallonie fin mai. Manifestez votre intérêt auprès de Murielle (murielle.degraen@natpro.be) ou au secrétariat.

REFERENCES

Témoignages de particuliers élevant et abattant des animaux pour leur consommation personnelle recueillis via la création d’un groupe de discussion sur Facebook.

(1) Gamm’Vert. 2022. Communiqué de presse : L’observatoire de l’autoproduction. 7 pages.

(2) Règlement (CE) N°1099/2009 du Conseil du 24 septembre 2009 sur la protection des animaux au moment de leur mise à mort.

(3) Sylvie La Spina. 2017. Développer l’abattage de proximité… Et pourquoi pas à la ferme ? Valériane n°125.

(4) Université de Liège. 2022. Opportunités de développement de l’abattage à la ferme en Wallonie. Rapport, 336 pages. https://bienetreanimal.wallonie.be/files/documents/Documentation/2022_Uliège_RW_Abattageferme_public.pdf

 

 

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PFAS : aborder la problématique de front en rassemblant spécialistes, politiques et professionnels

Cette analyse est parue dans la revue Valériane n°172

***

 

Par Virginie Pissoort,

chargée de campagnes
chez Nature & Progrès

Réunir acteurs professionnels, politiques et experts pour aborder de front la problématique des PFAS dans les pesticides agricoles, tel était l’objectif de notre colloque du 17 janvier dernier. Retour sur cette journée riche en enseignements.

 

2024 a fait couler beaucoup d’encre sur les PFAS, une famille de plus de 4.000 composés chimiques, des polluants particulièrement persistants et toxiques pour notre santé et notre environnement. On en retrouve dans plusieurs pesticides pulvérisés par l’agriculture conventionnelle dans nos campagnes, ce qui a poussé Nature & Progrès et son partenaire PAN Europe à agir pour faire interdire ces composés au plus vite.

Nos trois études exploratoires (1) ont révélé la présence de pesticides PFAS – et leur résidu, le TFA – dans les fruits et légumes, les eaux de surface mais aussi les eaux potables. Bien médiatisées, nos recherches ont mené à un monitoring exhaustif de la présence de TFA dans les 642 zones de captage d’eau potable en Wallonie l’été dernier, qui a confirmé l’étendue des pollutions causées par ces molécules. Même en faisant le choix de la consommateurs bio, nous sommes tous exposés à ces agents toxiques à travers notre environnement et l’eau que nous buvons.

 

Faire le point avec des experts

Après avoir mis en évidence la présence des PFAS dans notre environnement et dans notre alimentation, et médiatisé les études pour interpeller à la fois les citoyens et les décideurs, l’étape suivante est de réunir les parties prenantes pour agir. Le 17 janvier dernier, Nature & Progrès réunissait une série d’experts et de professionnels du secteur agricole pour faire le point sur ces pesticides PFAS et élaborer des pistes de solutions.

Une centaine d’acteurs – comprenant des parlementaires, cabinets ministériels, bureaux d’études, administrations, représentants agricoles, acteurs de la société civile, chercheurs, journalistes, etc.- ont été accueillis aux Moulins de Beez avec un déjeuner 100 % composé de produits bio de producteurs Nature & Progrès. Treize conférenciers ont ensuite pris successivement la parole pour alimenter les connaissances et réflexions en matière de pesticides PFAS, avant la clôture de la journée par le ministre de la Santé et de l’Environnement, Yves Coppieters, et par l’attachée de cabinet de la ministre à l’agriculture, Anne-Catherine Dalcq. 

 

Des polluants largement utilisés et mal évalués

Il a d’abord fallu se mettre à la page sur ce que sont les pesticides PFAS et ce qu’ils représentent, concrètement, en Wallonie et en Belgique. A ce jour, selon l’exposé du représentant de l’administration fédérale, 31 substances actives PFAS contenant au moins un groupe méthyle perfluoré sont autorisées dans des formulations finales diverses, après avoir fait l’objet d’une évaluation des risques conforme aux principes du droit européen. Ils sont autorisés, dès lors que le critère de « permanence » dans l’environnement d’un produit ou de ses métabolites (produits de dégradation) – même s’ils sont (très) mobiles comme le TFA – ne permet pas de les interdire. Le colloque a aussi permis d’identifier d’autres faiblesses du régime d’évaluation en vigueur ou de son application par la Belgique : l’effet cocktail, la pertinence d’étudier leurs métabolites, leurs adjuvants et autres co-formulants, les semences enrobées de PFAS, etc.

S’ils ne constituent pas la majorité des produits utilisés par les agriculteurs conventionnels, on observe que les quantités épandues de ces herbicides, insecticides et fongicides de nouvelle génération est en augmentation nette en Wallonie, notamment dans les cultures de pommes de terre et de céréales d’hiver. Alors que, selon les derniers chiffres connus de Nature & Progrès, 220 tonnes de pesticides PFAS avaient été commercialisés en 2021, Corder nous a parlé de 255 tonnes commercialisées en 2022, dont un petit dernier qui n’était pas dans nos tableaux, le méfentrifluconazole. Ce fongicide, qui a vu le jour en 2022, est immédiatement devenu le plus vendu en Belgique. De plus, une experte en santé publique au sein de la cellule environnement de la Société Scientifique de Médecine Générale a révélé que les pesticides munis d’un groupe méthylène perfluoré ne sont pas repris dans la catégorie des pesticides PFAS en Europe et aux Etats Unis.

Les conférenciers sont unanimes sur le fait qu’il existe trop peu d’études actuellement sur les risques pour la santé et sur l’environnement des polluants PFAS à chaine courte, voire ultra-courte (comme le TFA). On ne peut donc pas affirmer qu’ils seraient moins toxiques, moins bioaccumulables (qui s’accumule dans un être vivant), moins biomagnifiables (qui s’accumule dans la chaîne alimentaire), une plus faible source de perturbation endocrine ou moins toxiques pour la reproduction des êtres vivants. Des études laissent même à penser que leurs effets sur la santé seraient similaires à ceux des PFAS à chaine longue. Quant à l’eau et l’environnement, la contamination exponentielle pose la question préoccupante de non-réversibilité de la pollution environnementale pour les générations futures, selon Bruno Schiffers.

 

Un cadre juridico-légal précis et complexe

Les conclusions de ces scientifiques indépendants convergeaient vers les revendications de Nature & Progrès : stopper les sources de contamination en amont. Cela suppose une volonté politique, mais aussi de bien comprendre le cadre légal des pesticides PFAS, de leurs métabolites, au croisement des règlementations sur les autorisations et utilisations des pesticides PFAS et des normes sur l’eau. Cela nous conduit au carrefour du droit européen, fédéral et régional, et donc des responsabilités des différents niveaux de pouvoir. Il a donc fallu s’imprégner de cette multiplicité et complexité de normes et d’acteurs, grâce à PAN Europe, la SPGE et le cabinet d’avocats Law4Nature, pour déceler les « habilitations législatives », comme on dit dans le jargon.

On retiendra le flou sur la définition de « zone spécifique » pour protéger les publics vulnérables, le Code wallon de l’eau et son article 168, jamais activé jusqu’ici, qui donne une large compétence au ministre de tutelle (ministre de l’Environnement) pour légiférer sur les zones de protection des captages, en matière de pesticides. On retiendra aussi la loi sur la protection de la nature qui attribue certaines compétences aux communes … 

 

Perspectives économiques et agronomiques

Préconiser une agriculture sans pesticides PFAS, c’est le point de vue de Nature & Progrès fort de son projet « Vers une Wallonie sans pesticides » et renforcé par l’expérience du centre BRIOAA, dont le représentant n’a eu de cesse d’interpeller l’audience sur la faisabilité et la rentabilité indiscutable d’une agriculture fondée sur l’agroécologie biologique. Selon SYTRA, la Belgique pourrait s’inspirer de l’initiative du Danemark de taxer les pesticides en fonction des risques (Load Pesticides). Dans le même sens, une huitième branche de sécurité sociale, fondée sur l’alimentation, sécuriserait la demande en produits biologiques, en sécurisant l’offre et en dynamisant la production bio. L’expert économique et financier O. Lefebvre est revenu sur le constat d’échec du modèle agricole actuel, sous perfusion et dont les coûts cachés pour la société devront bien, un jour, être pris à bras le corps.

 

Les objectifs de notre colloque, d’informer les acteurs professionnels et politiques sur les pesticides PFAS, sur les risques qui y sont associés pour notre environnement et notre santé, sur les lacunes législatives mais aussi les leviers actionnables à tous niveaux de pouvoir, et sur la nécessité d’une transition vers une agriculture se passant de ces produits, ont été remplis. La diversité des intervenants et leur crédibilité, la position unanime des experts sur la nécessité de supprimer les pesticides PFAS de notre environnement, ne peuvent que mener à l’action de nos politiques. Riche de ces savoirs et de ses échanges, Nature & Progrès poursuit son suivi et ses actions sur ce dossier prioritaire, pour notre santé et celle de la Terre.

 

REFERENCES

 

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Les brevets au centre des négociations sur les nouveaux OGM

Cette analyse est parue dans la revue Valériane n°172

***

 

Par Virginie Pissoort,

chargée de campagnes
chez Nature & Progrès

Ce 17 janvier, les négociations sur les nouvelles techniques génomiques ont repris au niveau européen. Toujours sans aucune consultation de la population sur ces OGM de seconde génération que la Commission européenne propose de mettre « sans filet » sur le marché. Or, la proposition de compromis de la Pologne ne résout pas toutes les lacunes du texte initial. De son côté, le président du Mouvement Réformateur voit les choses sous un prisme bien éloigné des inquiétudes de Nature & Progrès.

 

En tant qu’association concernée par les impacts de notre système alimentaire sur notre environnement et notre santé, Nature & Progrès s’intéresse, depuis la naissance de cette problématique, aux OGM et nouveaux OGM. Se donnant les moyens d’une expertise sur un sujet très technique, l’association veut informer les citoyens et agriculteurs sur le dossier, les aider à décrypter les enjeux à la lumière des connaissances scientifiques et d’une analyse des intérêts et positions des parties prenantes, et mettre en débat la question des (nouveaux) OGM et de leurs impacts. Ce rôle de médiateur doit donner la possibilité à quiconque de défendre sa position auprès des politiques et d’exercer ses droits en tant que citoyen concerné par ces questions.

Juste après notre interpellation d’il y a un an (lire notre analyse n°9/2024), le dossier de la dérégulation des nouvelles techniques génomiques (NTG) ou « nouveaux OGM » avait connu une avancée significative au niveau du Parlement européen, avec l’adoption d’un texte relativement moins mauvais que celui initialement proposé par la Commission européenne. Les députés européens ont maintenu l’étiquetage obligatoire de tous les produits NTG et leur interdiction en agriculture biologique.

 

Breveter, ou non, les nouveaux OGM ?

Au niveau du Conseil de l’Union européenne, les Etats ne parviennent pas à s’entendre sur un texte, nonobstant la détermination de la présidence espagnole (2023) puis belge (janvier-juin 2024) de parvenir à une majorité qualifiée avant la fin de leur mandat. Le caillou dans la chaussure des négociateurs est la question de la brevetabilité de ces NTG, et donc, la question de l’accessibilité aux semences dans une configuration déjà oligopolistique. Aujourd’hui, les cinq grandes entreprises semencières concentrent plus de 60 % du capital semencier dans le monde.

Alors que les Parlementaires européens ont voté un texte qui interdit purement et simplement la brevetabilité des NTG, la Présidence belge avait proposé de n’exclure de la brevetabilité que les NTG de catégorie 1. Ces derniers, qui regroupent les plantes comprenant moins de 20 modifications génétiques, seraient considérés comme équivalents aux végétaux conventionnels. La Hongrie a timidement repris le flambeau. Plutôt opposée à la dérégulation, elle n’a pas mis beaucoup d’ambition pour sceller un texte. Il faut savoir que la réglementation des brevets dépasse les Etats membres de l’Union européenne puisqu’elle concerne 39 Etats européens réunis au sein de la Convention européenne sur les brevets.

Des centaines de demandes de brevets ont d’ores et déjà été déposées à l’Office européen des brevets. Elles concernent la technologie NTG la plus répandue, CRISP CAS9, et des semences modifiées issues de cette technologie.

 

La Présidence polonaise sème la confusion

Contre toute attente, la Pologne, sans doute préoccupée de laisser le Danemark s’emparer du dossier en juillet 2025 avec une vision encore plus libérale en la matière, a sorti un texte tout à fait novateur. Mais novateur ne veut pas dire porteur. Les retours du premier round de négociations ce 20 janvier laissent à penser que la partie sera serrée. Car à force de vouloir contourner l’obstacle de la brevetabilité, c’est l’imbroglio juridique et la confusion qui semblent émerger davantage que la solution.

Pour les NTG de catégorie 1, la Pologne propose que le produit final issu de nouvelles techniques génétiques, c’est-à-dire la variété modifiée ou l’introduction de caractéristiques spécifiques (résistance à la sécheresse, …), puisse être breveté. Mais dans ce cas, il serait soumis à une obligation d’étiquetage « protégé par un brevet » ou « demande de brevet en cours ». Les États membres auraient la possibilité de restreindre ou d’interdire la culture d’une telle variété sur leur territoire mais pas sa commercialisation, et ce, dans le souci de maintenir le marché unique. Ce tour de passe-passe, qui n’interdit pas les brevets mais qui vise à en limiter la portée, suppose la création d’une lourde procédure de vérification de l’existence de brevets sur les plantes NTG, qui repose entièrement sur la Commission européenne.

Sans garantie que cela ne fracturera pas davantage un marché déjà fragmenté, ni que cela bridera le monopole des grandes entreprises semencières, cette proposition alambiquée et complexe sème la confusion plutôt que le réconfort d’un compromis satisfaisant.

 

Les problèmes persistent

Mais concentrée sur l’épineuse question des brevets, la version amendée par la Pologne ne résout pas les principales faiblesses de la proposition de la Commission européenne, et ce, au préjudice des agriculteurs et agricultrices bio et conventionnels et des consommateurs. En l’espèce, elle n’apporte aucune proposition concrète sur : (1) l’absence de justification scientifique solide à la distinction entre les deux catégories de NTG ; (2) l’absence de toute sorte d’évaluation des risques pour la santé et pour l’environnement de la majeure partie des NTG (les NTG 1) ; (3) l’absence d’étiquetage systématique des produits issus de ces nouvelles technologies, des semences aux produits finis, pour tous les NTG (sauf les semences brevetées) et (4) l’absence d’identification de méthodes de détection et de traçabilité de ces nouvelles technologies, clairement identifiées et utilisables pour tous les NTG. Seul point positif : la Pologne maintient l’interdiction des NTG 1 en agriculture biologique. Cependant, l’absence de règles de coexistence claires et des balises exposées ci-dessus rend, dans les faits, cette absence de NTG dans le bio illusoire. Pour Nature & Progrès, cette proposition reste donc inacceptable.

 

Sécuriser l’abstention de la Belgique

Jusqu’ici, la position officielle de la Belgique sur ce dossier était l’abstention. Au carrefour des enjeux agricoles, environnementaux et de santé publique et au croisement des compétences fédérales et régionales, compte tenu des couleurs politiques à la table des discussions, c’est l’abstention qui prévaut, faute de consensus. Abstention sur un dossier qui, encore aujourd’hui, ne fait pas l’objet de débat démocratique au sein de la société. A la suite d’une interpellation en commission parlementaire en septembre dernier, la Ministre de l’agriculture wallonne, Anne Catherine Dalcq, avait répondu que la Wallonie n’avait pas encore adopté de position sur le projet européen, mais que celle-ci « prendrait en compte les avis de toutes les parties prenantes et … de leur sûreté pour la santé humaine, animale et pour l’environnement. » (1). Jusqu’ici, nous n’avons pas eu vent de consultations. Or, les négociations avancent. Pas de position claire au niveau régional. Et au niveau fédéral, un gouvernement en affaire courante, qui maintient a priori l’abstention. Mais l’absence de gouvernement au niveau de Bruxelles-Capitale (historiquement contre la dérégulation) et les négociations de l’Arizona laissent entrevoir les risques de voir cette position évoluer et un « oui » l’emporter.

Afin d’assurer une opposition belge – ou, au minimum, le maintien de l’abstention – sur le dossier, Nature & Progrès a lancé, via les réseaux sociaux, une importante mobilisation citoyenne. Un dossier d’information a été diffusé afin que chacun et chacune puissent comprendre les enjeux qui se trament autour de la question des NTG et la nécessité d’interpeller les ministres. Afin d’encourager l’action des citoyens face à un dossier très technique, un courrier-type adressé aux politiques a été proposé (2). Il demande aux ministres de prendre en compte les lacunes du texte proposé par la présidence polonaise et de voter contre – ou, au minimum, s’abstenir – le projet de dérégulation des OGM.

 

Un MR favorable aux NTG

Le président du Mouvement Réformateur, Georges-Louis Bouchez, a répondu à ces courriers (3). Si sa réaction n’est pas vraiment surprenante, elle manque de justesse et d’honnêteté intellectuelle, à moins que ce ne soit d’une connaissance approfondie du dossier.

En effet, Georges-Louis Bouchez commence par reprendre les arguments sur les vertus des NTG pour lutter contre le changement climatique (plus faibles besoins en eau, limitation de l’émission de CO2…), pour réduire l’utilisation des pesticides, pour augmenter les rendements, etc. Autant d’arguments avancés par l’industrie comme une litanie depuis que les OGM existent, mais qui n’ont jamais fait leur preuve dans la pratique. Il s’emberlificote ensuite sur le principe de précaution, invoqué à juste titre par la société civile pour s’assurer que des balises soient maintenue dans le cadre de ces techniques génomiques. Il évoque l’absence de preuve de la nocivité des NTG alors même que ce principe de droit européen permet de légiférer en cas de doutes (et non de preuves) sur la non-nocivité des produits. Il poursuit en indiquant que « le principe de précaution invite plutôt à réglementer sans tarder les NTG ». Erreur ou ignorance ? Les NTG sont réglementés dans le cadre de la directive actuelle sur les OGM. L’application du principe de précaution préconise justement qu’une forme de régulation de ces produits soit maintenue, les techniques fussent-elles nouvelles par rapport aux OGM de première génération.

Sur quoi, il invoque alors un certain courrier signé en janvier 2024 par 35 Prix Nobel, qui indique que « l’interdiction des NTG pourrait coûter 300 milliards d’euros par an à l’économie européenne ». Primo, les NTG ne sont pas, à ce jour, interdits ; ils sont réglementés en tant qu’OGM. Secundo, la valeur et la pertinence de ce courrier est questionnable. Lesdits prix Nobels ne sont pas désintéressés des profits économiques qui pourraient découler de l’utilisation des NTG. Certains sont même en première ligne, comme J. Doudna et E. Carpentier, connus pour avoir inventé la technologie CRISP CAS9 et titulaires de plus de 500 demandes de brevets à travers le monde sur cette technologie. Quant au calcul des 300 milliards d’euros, il serait utile de savoir dans la poche de qui ils seraient perdus et de mettre en perspective le coût économique de la dérégulation des NTG pour toute une série d’acteurs pour qui l’arrivée des NTG serait dommageable : exportateurs dans des marchés opposés aux OGM, secteur bio, semenciers exposés aux licences de brevets, etc. Enfin, Georges-Louis Bouchez s’en remet au député européen du Mouvement Réformateur, Benoit Cassart, issu du monde agricole, comme si la casquette d’agriculteur éleveur de bovins validait scientifiquement une position sur les techniques d’édition du génome pour les végétaux.

 

Loin de convaincre, la réponse du dirigeant inquiète. La question des brevets sur les nouveaux OGM est centrale dans la mesure où elle attire avec elle un intérêt économique énorme pour une série d’acteurs – chercheurs, multinationales semencières… – qui ont « le bras long » et influencent les négociateurs. Or, l’intérêt de toute la société est en jeu ! Une réelle mise en débat de la réglementation touchant les nouveaux OGM s’impose, en incluant les citoyens, les agriculteurs et des acteurs scientifiques indépendants. Sans compter, on ne le dira jamais assez, que des alternatives existent !

 

REFERENCES

 

 

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Une charte pour préserver notre paysannerie

Cette analyse est parue dans la revue Valériane n°172

***

 

Par Claire Lengrand,

rédactrice pour Nature & Progrès

Fondée sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des paysans, la Charte des communes paysannes invite les citoyens, les paysans et les élus locaux à s’allier afin d’instaurer des politiques publiques mettant en œuvre les droits paysans dans les communes wallonnes et bruxelloises. 

 

« Imaginez un pays… déserté par ses paysans. Plus de pieds ni de mains dans la terre, plus aucune trace de pas sur le sol, plus de sol à observer ni de ciel à inspecter, plus de traditions, plus d’histoires à conter… ». C’est par une succession de mots décrivant une contrée lacunaire, privée des humains œuvrant à rendre sa terre fertile et ses paysages nourriciers, que débute la Charte des communes paysannes.

 

Protégeons nos paysans

Selon l’Organisation des Nations Unies (ONU), les petits exploitants produisent un tiers des aliments consommés dans le monde. Au niveau mondial, on estime à 510 millions le nombre de petites fermes (de moins de 2 ha) sur un total de 608 millions, soit 84 %. Dans l’Union européenne, elles représentent 70 % de l’ensemble des fermes. Selon La Via Campesina, le plus grand mouvement représentant les paysans dans le monde, environ 60 millions de personnes travaillent dans la pêche artisanale et l’aquaculture et entre 100 et 200 millions de pasteurs entretiennent 25 % de la surface terrestre mondiale.

Si ces paysans et paysannes sont des piliers de notre souveraineté alimentaire, ils souffrent de la concurrence de l’agrobusiness qui baisse les prix des denrées alimentaire, de l’accaparement des terres au profit de l’agriculture industrielle, de la répartition inéquitable des subventions de la Politique Agricole Européenne et des changements climatiques. La survie de l’agriculture paysanne nous concerne tous, à travers la production alimentaire, par l’entretien des milieux naturels qui constituent notre environnement de vie et qui rendent notre planète habitable, mais aussi par le maintien de zones rurales vivantes et du lien social entre les habitants de ces zones isolées.

En réponse à l’industrialisation de l’agriculture et à ses dérives, l’association Nature & Progrès s’est fondée sur base de la définition et de la défense d’un modèle alimentaire reposant intégralement sur l’agriculture familiale, soit la paysannerie. La défense des droits des paysans rentre donc dans ses préoccupations premières, car face aux nombreuses menaces pesant sur celles et ceux qui nous nourrissent, il est nécessaire d’agir.

 

La déclaration des droits des paysans

Le 12 octobre 2023 fut un jour historique pour la cause paysanne au niveau mondial. Lors de la 54e session du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, une large majorité des Etats-membres, dont la Belgique, a voté en faveur d’une résolution afin de poursuivre la mise en œuvre de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des paysans, paysannes et autres personnes travaillant en zone rurale (plus communément appelée UNDROP). Pour assurer son suivi, un groupe de travail composé de cinq experts indépendants a été mandaté pour une période de trois ans. Cette déclaration, approuvée le 17 décembre 2018 par l’ONU, fut le fruit d’un combat de longue haleine mené par l’ONG La Via Campesina, considérée comme le plus important mouvement de paysans producteurs d’aliments au monde. De portée universelle, elle entend répondre, à travers 28 articles, aux nombreuses difficultés auxquelles le monde paysan est confronté.

La Via Campesina analyse que parmi ses 28 articles, « l’UNDROP réaffirme non seulement des droits humains existants, mais introduit également de nouveaux droits spécifiques aux paysans : parmi eux, le droit à la souveraineté alimentaire (article 15), le droit à la terre et aux autres ressources naturelles (article 17), le droit à un environnement sûr, propre et sain (article 18), le droit aux semences (article 19) et le droit à la diversité biologique (article 20) ». La déclaration comprend également des droits humains collectifs, une innovation sociale importante sa basant sur le fait que certains droits n’ont pas de sens en dehors du collectif et que leur caractère justiciable dépend de la continuité et de la cohérence du collectif.

Depuis mai 2024, un groupe de travail a donc pour rôle de promouvoir une diffusion et une mise en œuvre efficaces et généralisées de l’UNDROP et d’identifier, de partager et de promouvoir les bonnes pratiques et les enseignements tirés de la mise en œuvre de l’UNDROP.

 

Agir localement pour un impact global

En Wallonie, le Mouvement d’Action Paysanne (MAP) s’est inspiré de cet outil juridique pour rédiger sa propre déclaration : la Charte des communes paysannes. Rédigée à l’occasion des élections communales (de 2018 puis de 2024) par le MAP aux côtés de paysans, citoyens et associations partenaires, cette charte s’adresse en priorité aux élus politiques communaux. Ces derniers, qui disposent d’une large autonomie dans le cadre de leurs compétences, peuvent montrer l’exemple et influer auprès des instances supérieures. « Même si cette charte, tout comme l’UNDROP, n’est pas légalement contraignante, on espère qu’à long terme, des choses concrètes en résultent », soulève Johanne Scheepmans, chargée des formations au sein du MAP.

La charte ambitionne surtout de faire connaître l’UNDROP et de l’appliquer localement.

Elle reprend pour cela dix droits paysans y figurant : les obligations générales des Etats, la liberté d’association, les droits à la participation (aux politiques locales), à l’alimentation et à la souveraineté alimentaire, à un revenu et à des moyens de subsistance décents et aux moyens de production, le droit à la terre, à un environnement propre, sûr et sain à utiliser et à gérer, le droit aux semences, à la diversité biologique, à l’éducation et à la formation.

Les communes peuvent adhérer à une ou plusieurs mesures, ainsi qu’à d’autres aspects se trouvant dans l’UNDROP.

 

Allier forces paysannes et citoyennes

Passer par l’échelon local permet aussi d’impliquer le citoyen et, ainsi, de créer des alliances entre les différents acteurs d’un territoire. « En Belgique, les paysans et les paysannes sont trop peu nombreux pour pouvoir agir seuls. N’oublions pas qu’il y a deux générations en arrière, nous étions tous paysans. Si, aujourd’hui, tout le monde ne produit pas de la nourriture, tout le monde mange et a une responsabilité dans la manière dont l’alimentation est produite. », rappelle Johanne Scheepmans.

Quels types d’actions peuvent être mises en place ? Si certaines mesures nécessitent des moyens financiers, comme la rénovation d’un hall, les communes peuvent valoriser leurs propres ressources. « Ce sont de petites choses qui, l’air de rien, peuvent aider. Par exemple, beaucoup de nos producteurs sont diversifiés. Un maraîcher qui a un surplus de tomates pourrait bénéficier d’un local mis à disposition par la commune à ce moment-là. Cela permettrait de soutenir la transformation », illustre Johanne. La charte regorge d’autres propositions : faire un état des lieux afin d’évaluer l’autonomie alimentaire d’une commune et voir comment répondre aux besoins des habitants, tester la Sécurité Sociale de l’Alimentation, créer une régie communale paysanne, préserver les terres nourricières des projets d’urbanisation, favoriser l’installation de projets paysans ou agroécologiques, cartographier les potagers partagés, prévoir des espaces à cultiver dans les lotissements et quartiers, etc.

 

Agir au plus vite

On le voit : il y a mille et une manières d’agir collectivement pour améliorer son environnement proche et assurer sa subsistance. La Charte en est la preuve. Depuis sa création en 2018, quelques communes y ont adhéré. Mais dans l’ensemble, « les choses bougent lentement alors que l’urgence se situe à plein de niveaux », regrette Johanne Scheepmans, qui rappelle que la survie de la paysannerie est en jeu : « Avec les crises se succédant, on veut pouvoir garantir de nourrir nos habitants. » Les associations paysannes ne baissent pas les bras pour autant. De nouvelles actions sont prévues cette année, dont l’organisation de formations destinées aux citoyens désireux de porter la charte auprès des élus de leur commune. « Ce sera aussi l’occasion d’expliquer le suivi qui va être fait, avec une évaluation fixée le 17 avril, journée internationale des luttes paysannes », précise Johanne.

 

A nous, citoyens !

Association initiée par des citoyens, des paysans et des artisans, Nature & Progrès milite pour un système agricole à taille humaine, respectueux de la nature et des hommes. Oui, nous voulons que nos campagnes grouillent d’hommes et de femmes plongeant les mains dans la terre pour nous nourrir de manière saine, en travaillant avec la nature et non contre elle, en contribuant à la beauté de nos paysages et à la préservation de la biodiversité. Paysans et paysannes constituent notre identité culturelle, les racines de nos sociétés.

L’agriculture paysanne est la seule à pouvoir garantir l’échelle locale et humaine indispensable à un travail de la terre « en bon père de famille », pour notre santé et celle de la Terre. C’est donc tout naturellement que l’association soutient la mise en œuvre de la déclaration des droits des paysans de l’ONU ainsi que sa déclinaison belge initiée par le MAP. Nous pouvons tous, en tant que citoyens, interpeller nos élus pour faire avancer la cause paysanne par les multiples leviers qu’ils ont sous la main.

AGISSONS ! Et si nous utilisions cette charte pour interpeller nos élus locaux et leur proposer de soutenir l’agriculture familiale, bio et locale, que nous souhaitons préserver ? Elle regorge d’idées, parfois simples à mettre en œuvre. Partagez-nous vos démarches ! (sylvie.laspina [at] natpro.be)

 

REFERENCES

La Déclaration des Nations unies sur les droits des paysans est disponible sur la Bibliothèque numérique des Nations unies : https://digitallibrary.un.org/record/1650694?ln=fr&v=pdf

La Charte commune paysanne est consultable sur https://www.lemap.be/CharteCommunesPaysannes​ 

 

 

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Défendre les droits des générations futures

Cette analyse est parue dans la revue Valériane n°172

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Par Sylvie La Spina,

rédactrice en chef chez Nature & Progrès

Après nous, les mouches ? Les politiques actuelles ont un impact sur l’habitabilité de notre planète à long terme. Comment défendre les droits des générations à venir ? Qui peut le faire, et sur base de quels arguments ? Plusieurs affaires en justice couronnées de succès démontrent l’importance que nous, citoyens, nous impliquions dans ces actions, pour notre santé et celle de la Terre, aujourd’hui et surtout pour demain.

Au Salon bio Valériane 2024, Matthieu Liénard, juriste, a permis aux visiteurs de mieux comprendre le droit des générations futures
Photo © Yves Lobet

 

« La terre n’est pas un don de nos parents, ce sont nos enfants qui nous la prêtent ».

C’est avec ce proverbe indien que Matthieu Liénard inaugure sa conférence intitulée « Quels droits pour les jeunes de demain en matière de justice environnementale ? » au Salon bio Valériane, le 8 septembre 2024. Nous, humains, modifions aujourd’hui durablement les conditions de vie de notre Terre pour les générations à venir. Certains ont décidé de nommer notre époque « anthropocène » pour marquer le fait que l’Humain est devenu un déterminant de l’évolution de la planète, surpassant les forces de nature. Pensons au climat, aux polluants éternels… Comment faire en sorte que les politiques prennent en compte les effets sur le long terme de leurs décisions actuelles ? Matthieu Liénard nous apporte un éclairage sur cette question.

 

Générations futures et développement durable

L’idée de prendre en compte les générations futures n’est pas récente. En 1892 déjà, la convention de sauvegarde des baleines y fait référence, selon le principe que si l’on tue toutes les baleines aujourd’hui, les générations futures ne pourront plus en tuer pour s’en nourrir. On est alors loin des préoccupations environnementales. La Déclaration universelle des droits de l’homme, en 1948, se concentre sur la dignité de l’entièreté de l’humanité, venue et à venir, ce qui prend implicitement en compte les générations futures. C’est en 1987, dans le rapport Brundlandt, que la notion de développement durable est définie avec la volonté de ne pas compromettre les générations futures. Ces outils juridiques ont peu à peu introduit les notions qui ont permis ensuite l’émergence de textes législatifs sur lesquels on peut aujourd’hui se baser.

 

Incompatibilités juridiques

Défendre les générations futures à travers la loi présente deux grandes difficultés. La première est la notion de temps long, peu compatible avec les politiques court-termistes et avec le droit qui est, par essence, momentané. Cependant, le principe de non-régression empêche de revenir en arrière sur certaines législations, constituant un garde-fou précieux. La seconde difficulté est de défendre le lien de cause à effet entre une pratique ou une politique et ses conséquences retardées sur les générations suivantes. Le dommage n’est pas encore subi, et, de plus, il n’y a pas de victime car les générations futures n’ont pas de personnalité juridique, pas de représentant en justice pour défendre leurs intérêts.

 

Qui pourrait défendre les générations futures ?

Parmi les acteurs publics, on pourrait se tourner vers l’ONU mais elle ne représente que 193 des 197 pays de l’humanité. Par ailleurs, il y a de grandes différences entre les pays, qui ne sont pas représentés de manière égale. Les Etats eux-mêmes seraient de mauvais représentants en raison de leurs politiques court-termistes et de leurs intérêts divergents avec ceux de l’humanité. Du côté des acteurs privés, les particuliers démontrent un intérêt personnel et direct à agir, ce qui est peu compatible avec la représentation de générations futures. C’est au niveau des associations que l’intérêt collectif et celui des générations futures peut être défendu.

 

Des arguments et des succès

Plusieurs arguments peuvent potentiellement être évoqués en justice pour défendre les intérêts des générations futures : (1) le principe de précaution, (2) le droit à la vie et à un environnement sain, (3) le droit à la vie privée et familiale, (4) l’interdiction de discrimination, (5) la responsabilité civile et (6) l’intérêt supérieur de l’enfant. On n’a pas encore beaucoup de recul sur la prise en compte de ces différents arguments par la justice, mais différents procès nous éclairent sur les plus prometteurs.

« L’affaire Urgenda » est l’un des plus brillants dossiers en matière climatique. En novembre 2012, la fondation Urgenda demande à l’Etat réduire de 40 % les émissions de CO2 entre 1990 et 2020. Elle saisit le tribunal de première instance de La Haye en 2015 en invoquant plusieurs principes de droit international, dont le droit international du climat. Le juge néerlandais prononce une décision historique. Dans cette affaire clôturée définitivement en 2019, les Pays-Bas furent contraints à réduire les émissions de gaz à effet de serre de 25 % à l’horizon 2020.

Le droit à la vie privée et familiale a été utilisé avec succès dans « l’affaire des vieilles dames » en Suisse. Une association représentant plus de 2.500 femmes âgées a revendiqué le statut de victime, attaquant leur pays pour violation des droits humains en raison de l’inaction contre le réchauffement climatique. « Nous, les personnes âgées, nous sommes le groupe de population le plus fortement touché par l’augmentation des canicules, car les atteintes à notre santé et notre mortalité sont particulièrement élevées. Nous devons également agir aujourd’hui pour protéger les générations futures contre des effets encore pires. Nous menons une action en justice, parce que tout ce qui nous est cher est en jeu », peut-on lire sur le site internet de l’association. Les commissions juridiques du Conseil national et du Conseil des Etats ont introduit un appel au Conseil fédéral.

« L’affaire climat » en Belgique a été couronnée de succès. L’asbl regroupe plus de 70.000 citoyens. Estimant que la Belgique ne tient pas ses promesses internationales en matière de climat, l’association entend changer la donne en intentant une action en justice contre les quatre gouvernements belges compétents. Avec succès. Le 30 novembre 2023, la cour d’appel impose à l’État fédéral belge et aux régions bruxelloise et flamande de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre d’au moins 55 % à l’horizon 2030.

Le « Farmer Case », plainte introduite en mars 2024 par un agriculteur, Hugues Falys, avec le soutien de plusieurs associations (dont Greenpeace, Fian Belgium et la Ligue des Droits humains) contre la firme TotalEnergies repose sur la responsabilité civile. Invoquant l’impact des changements climatiques sur l’agriculture, Hugues Falys demande à la justice que TotalEnergies répare les dommages dont il a été victime et participe financièrement à la transition. Il demande également à la justice de contraindre la multinationale à sortir des énergies fossiles afin d’éviter des dégâts futurs. L’affaire est en cours.

 

Rien sans les citoyens

Si l’importance de protéger les générations futures des impacts de nos politiques actuelles est évidente, le cadre législatif et juridique doit encore être affiné. Le rôle de nos associations citoyennes dans ces enjeux est primordial : il s’agit des seuls organismes capables de parler au nom des générations futures ! Des associations et des fondations ont agi pour contraindre leurs pays ou des firmes privées à adopter des mesures contre le changement climatique. Elles ont démontré que c’est possible. Voici une raison de plus pour que le citoyen prenne à bras le corps les enjeux environnementaux et climatiques et s’investisse dans ces causes pour notre santé et celle de la Terre, aujourd’hui et surtout pour demain.

Nature & Progrès a régulièrement recours à des actions en justice pour protéger les droits des citoyens, notamment le droit à un environnement sain. Jusqu’ici, l’association n’a jamais eu besoin de faire appel au concept de protection des générations futures car ses recours sont d’ores et déjà recevables, étant donné son mandat et son objet social spécifique. Pour toute action en justice, il faut démontrer d’un intérêt à l’action. L’intérêt à agir de Nature & Progrès en matière de pesticides et OGM découle de ses statuts et de son objet social : défendre l’environnement et l’agriculture biologique. Cependant, la multiplication des arguments évoqués lors d’actions en justice offre autant de cordes à dresser à son arc pour atteindre nos objectifs : protéger les générations futures et leur assurer un environnement sain, une planète habitable.

 

REFERENCES

La conférence de Matthieu Liénard, filmée par la télévision locale MaTélé, est disponible sur https://www.matele.be/ex-cathedra-justice-environnementale-quels-droits-pour-les-generations-futures

 

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