Cette analyse est parue dans la revue Valériane n°174

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Par Camille Le Polain
et Catherine Buysens,

animatrices
chez Nature & Progrès

Depuis huit ans, Nature & Progrès sillonne la Wallonie pour mettre en lumière les alternatives aux pesticides chimiques de synthèse. Prairies, grandes cultures, maraichage et verger, tous les types de cultures ont été couverts par notre projet « Vers une Wallonie sans pesticides ». Le 18 février dernier, un colloque faisait le point des différents leviers à actionner pour généraliser ces pratiques dans nos campagnes.

 

Oui, un environnement sain, exempt de pesticides chimiques de synthèse, c’est possible. Nous, citoyens, pouvons le revendiquer. Les rencontres en ferme et sondages organisés par Nature & Progrès mettent en lumière que les alternatives existent, sont durables et économiquement viables. Les cinquante producteurs rencontrés aux quatre coins de la Wallonie présentent différentes manières de travailler, en système polyculture-élevage ou en grandes cultures, en labour ou non-labour, etc. Malgré leurs différences, ils sont unanimes sur le fait que produire sans pesticides chimiques de synthèse est possible, moyennant une réflexion poussée autour des pratiques à mettre en œuvre à cette fin.

 

Au plus proche de la terre

La clé du succès, pour toute culture, réside dans la combinaison de différentes méthodes préventives réfléchies en amont de l’implantation de la culture. Les techniques curatives sont des méthodes de rattrapage, mises en place lorsque la prévention a échoué. Certaines pratiques sont réfléchies à l’échelle de la rotation (choix des cultures et intercultures, longueur et diversification de la succession, etc.), d’autres, à l’échelle du parcellaire (morcellement, implantation de haies, etc.) ou à l’échelle de la culture (choix de la variété et de la période de semis, association de cultures, etc.).

Afin de faire les bons choix, l’agriculteur se doit d’être au plus proche de sa terre et retrouver le « bon sens paysan » de ses ancêtres. Connaître les conditions microclimatiques et le comportement du sol de ses parcelles (humidité, composition et granulométrie, sensibilité à la battance, etc.) est crucial pour choisir la bonne opération de désherbage mécanique et le bon moment de passage, d’autant plus que les fenêtres météorologiques favorables sont souvent très courtes. Savoir identifier les adventices, ravageurs et maladies et connaitre leur cycle de vie est essentiel pour les réguler efficacement et sans pesticides. Les systèmes d’avertissement proposés par les centres pilotes peuvent être d’une grande aide dans la réflexion du producteur.

Même si les méthodes sont globalement communes, chaque producteur procède à sa manière. Ainsi, concernant les itinéraires de désherbage mécanique, chacun choisit les opérations les plus adaptées en fonction de différents facteurs : les conditions microclimatiques de ses parcelles, les caractéristiques de son sol, le degré de salissement des cultures, les adventices dominantes, la disponibilité des machines, etc. Aucune opération n’est meilleure qu’une autre : il est question de s’adapter à sa terre et à ce qui y pousse.

 

Investir sur l’avenir

Être au plus proche de sa terre, c’est également intégrer au maximum la biodiversité aérienne et souterraine dans sa ferme. Pour ce faire, il est essentiel de s’abstenir du labour si les conditions le permettent, d’éviter de compacter les sols, de fertiliser avec du fumier composté, de semer des engrais verts mellifères, d’implanter des éléments naturels qui accueillent les auxiliaires, etc. La biodiversité est considérée comme un allié pour l’ensemble des agriculteurs.

La plupart des producteurs rencontrés clament : « Les investissements et le travail fournis aujourd’hui, notre terre nous le rendra plus tard ». L’enrichissement du taux d’humus du sol, l’implantation d’engrais verts et de prairies temporaires, l’accueil de la biodiversité doivent être vus comme des apports sur le long terme. Les pratiques biologiques, respectueuses du sol et de la biodiversité, représentent un gage de durabilité.

 

Accéder aux semences, aux variétés et au matériel

Les acteurs rencontrés identifient des freins à ces bonnes pratiques. L’un d’eux est la faible accessibilité des semences bio adaptées aux conditions pédoclimatiques locales. Ces graines sont plus chères que leurs analogues conventionnels, que ce soit pour les cultures principales ou pour les engrais verts. Par ailleurs, il y a de moins en moins de semences et plants bio produits en Belgique. Il est dès lors nécessaire de stimuler ce secteur indispensable à nos filières alimentaires durables.

De nombreuses variétés résistantes aux ravageurs et maladies sont disponibles, mais n’intéressent pas l’industrie qui, en sa qualité d’acheteur, guide le choix des producteurs. Pour voir leur développement en Wallonie, des incitants doivent être mis en place pour encourager les industries à opter pour ces variétés. Si le transformateur a des besoins propres à ses processus (qualité boulangère de la farine, tenue à la cuisson, etc.) qu’il est indispensable de prendre en compte dans les processus de sélection, il faut aussi que cet acteur s’adapte aux besoins et réalités de la production agricole.

L’association de cultures est un levier efficace dans la lutte contre les maladies et les ravageurs. Il est cependant nécessaire de trier les semences à la récolte pour pouvoir les valoriser de manière optimale. Les machines de tri sont malheureusement encore chères pour les producteurs. Par ailleurs, certaines cultures (principalement les légumes) exigent le passage de machines de désherbage très spécifiques à des stades précis de croissance. Soutenir la mise en place de coopératives d’utilisation de matériel agricole, structures largement développées en France, peut renforcer l’accessibilité des outils pour les producteurs.

 

Adapter les pratiques et la formation

En bio, l’accès à l’azote est un des premiers facteurs limitants selon les producteurs en grandes cultures rencontrés. Alors que le système polyculture-élevage était la norme il y a quelques décennies, de nombreux cultivateurs ont abandonné le bétail. Les fumiers deviennent introuvables. Même si les produits de l’élevage restent la meilleure ressource, un levier mis en évidence est l’utilisation de la luzerne, une légumineuse fourragère, pour fertiliser les terres et gérer les adventices. Une technique à faire connaître auprès des producteurs. Quid de la diffusion de ces pratiques via les formations aujourd’hui ?

Par ailleurs, nous l’avons vu plus haut, la bio repose sur l’adaptation perpétuelle des pratiques aux particularités du sol des parcelles, aux conditions météorologiques et à l’évolution de la présence des organismes auxiliaires ou pathogènes. Un pilotage de précision repose sur une connaissance fine de l’agronomie, contrastant avec les pratiques conventionnelles. Les produits phytosanitaires et engrais de synthèse permettent en effet de s’affranchir des processus naturels, de lisser les nuances, de suivre des itinéraires culturaux standardisés et homogénéisés, quelles que soient les conditions propres de la ferme. Après leur conversion bio, de nombreux producteurs témoignent avec fierté : « Je fais enfin de l’agronomie. »

Les formations bio, déjà peu nombreuses, ont tendance à disparaître. Les étudiants étant les agriculteurs de demain, il est indispensable d’intégrer l’enseignement des principes bio dans le cursus agricole. C’est l’objectif d’un consortium né en 2023 à l’initiative de Biowallonie, du Crabe et de FormaForm, qui développe des outils pédagogiques ainsi que des formations. La fermeture, en septembre 2024, de la spécialisation en agriculture biologique dispensée par la Haute école de la province de Namur à Ciney témoigne d’un manque de soutien politique et financier de ces initiatives en Wallonie. Contre vents et marées, le BRIOAA a décidé de relancer un cycle bio en faisant appel à divers financements publics et privés.

 

Développer les débouchés

On observe aujourd’hui une stagnation de la demande en produits bio ; l’équilibre entre l’offre et la demande est fragile. Or, les producteurs bio ont besoin du soutien des consommateurs. Pour y arriver, le levier de l’accessibilité (financière et commerciale) des produits bio et locaux doit être activé. Plusieurs structures se penchent actuellement sur la mise en place d’une sécurité sociale alimentaire. L’introduction de produits bio et locaux dans les collectivités constitue également une opportunité, comme l’a démontré notre étude « Rendre la bio accessible pour tous via l’alimentation collective » (2024).

La sensibilisation du consommateur à la nature et à l’origine de ses aliments (différences entre bio et non bio, local et importé…) et à l’importance d’acheter dans les magasins à la ferme et dans les coopératives locales plutôt que dans les grandes surfaces peut également aider à inverser la tendance. La transparence des différents labels est également cruciale : il est important de remettre la bio à sa juste place. Par ailleurs, le développement de l’agriculture bio en Wallonie reste limité par le manque de structuration de certaines filières. Il est important de pouvoir valoriser des cultures innovantes permettant d’allonger la rotation des cultures, une méthode préventive efficace.

 

Soutenir les alternatives bio 

Le colloque fut l’occasion pour Nature & Progrès de rappeler aux acteurs politiques l’importance de soutenir la progression de l’agriculture bio, en leur proposant des solutions concrètes. Les leviers qui pourront favoriser cette transition sont dans les mains de tous : décideurs politiques, mais aussi agriculteurs, transformateurs, distributeurs, semenciers, chercheurs, experts, encadrants et même nous, simples citoyens. Si les solutions techniques existent, où se situe encore aujourd’hui le blocage ? Est-il le même, ici en Wallonie, que celui mis en évidence par le journaliste Nicolas Legendre dans son enquête « Silence dans les champs » (Arthaud, 2023) lorsqu’il évoque l’ « ordre social breton », la réticence multi-acteurs au changement associé à la violence dans cette région dominée par l’industrie ?

 

En savoir plus sur le projet « Vers une Wallonie sans pesticides »

 

 

 

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