Cette analyse est parue dans la revue Valériane n°175

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Par Claire Lengrand,

rédactrice pour Nature & Progrès

Jugée peu rentable, la seule formation de spécialisation dédiée à l’agriculture biologique en Belgique est sur le point de disparaître. Les étudiants se détourneraient-ils de ce modèle alimentaire ? La bio dans les hautes écoles, stop ou encore ? Tentons de comprendre ce signal inquiétant.

Le BRIOAA souhaite redémarrer une formation de spécialisation en bio

 

Septembre 2024, le couperet tombe. Pour la deuxième année consécutive, la Haute-Ecole de la Province de Namur (HEPN) de Ciney suspend le bachelier de spécialisation en agriculture biologique.

« C’est ce qui m’a fait décoller »

Elle fut lancée en 2015 pour répondre aux besoins du secteur bio (lire Valériane n°114). S’adressant aux personnes diplômées d’un bachelier ou d’un master en agronomie, cette spécialisation formait ses étudiants aux techniques spécifiques de l’agriculture biologique, et ce à travers un enseignement pluridisciplinaire reposant sur la pédagogie active. « J’ai découvert la spécialisation bio un peu par hasard et me suis retrouvée dans le contenu des cours », relate Marie Hastrais, qui a intégré la promotion 2022-2023 – la dernière en date – plus de vingt ans après avoir quitté les bancs de la Haute Ecole provinciale du Hainaut.

« C’est ce qui manquait à ma formation initiale : le côté durable de la production. Car on est obligé de changer de système par rapport à l’après-guerre. »

Pour cette agronome tropicale désormais spécialisée en gestion du sol, cette formation a marqué un tournant dans son parcours : « C’est ce qui m’a fait décoller ! J’ai pu voir la diversité des modèles et des problématiques que les agriculteurs rencontrent et cela m’a donné l’envie d’aller plus loin. »

Alors, pourquoi cette suspension ? La principale raison invoquée par la direction est d’ordre économique. La spécialisation, qui était subsidiée par la Fédération Wallonie-Bruxelles, n’était pas assez rentable à cause d’un nombre insuffisant d’élèves. Son site internet indique que « sur huit ans d’organisation, la formation ne s’est adressée qu’à 49 étudiants, soit une moyenne de six étudiants finançables par an », et que « pour 2024-25, le nombre de déclarations d’intention d’inscription valides n’a pas atteint les seuils établis. » Pourtant, début 2024, la formation battait son record d’étudiants avec une vingtaine d’inscrits.

Des filières agronomiques délaissées

Du côté du bachelier en agronomie de l’HEPN, formation de base non orientée vers l’agriculture biologique, force est de constater que l’intérêt va décroissant. Le nombre d’élève se tarit, avec seulement une dizaine d’étudiants en deuxième année. Cette tendance touche l’ensemble des filières agronomiques du supérieur. Beaucoup de jeunes ne se retrouvent plus dans les programmes faisant encore la part belle aux produits phytosanitaires. Un dossier consacré aux aspirations des étudiants et étudiantes bioingénieurs belges paru dans le numéro 12 de la revue Tchak révélait d’ailleurs :

« Ce que ces étudiants veulent, c’est renverser le modèle capitaliste technocentré. Ce qui les intéresse, ce sont les implications sociales et environnementales de leurs actes. Ce qu’ils exigent, c’est une formation en adéquation avec l’urgence des enjeux écologiques. »

Dans le cadre d’un stage, Emma Gasteau a passé en revue les offres de formations en agronomie en Wallonie afin d’évaluer la qualité de l’enseignement dispensé et voir si celui-ci fournit aux élèves les ressources nécessaires face aux défis actuels. Parmi ses constats, elle pointe : « A l’université, les programmes sont qualitatifs, bien qu’une ouverture à des modules permettant de se questionner sur les types d’agriculture et des services liés à cette agriculture manque certainement. » Par contre, « en haute école, la remise en question des modèles agricoles conventionnels n’est que trop peu présente. Les trois années de bachelier ne permettent pas toujours aux étudiants d’avoir une vision transversale et systémique des enjeux de l’agriculture et des filières agricoles. »

Le bio encore mal perçu ?

L’agriculture biologique occupe très peu de place au sein des études supérieures, en dehors de la septième année secondaire professionnelle en productions horticoles « biologiques » de l’Institut Provincial d’Enseignement Agronomique de La Reid. Malgré l’évolution des mentalités, cette filière souffre encore de clichés. Le bio est encore vu comme une niche, n’est pas toujours évoqué de manière positive ou professionnelle. Toutefois, selon Bénédicte Henrotte, chargée de mission chez Biowallonie, la nouvelle génération de professeurs serait plus ouverte à la question. En fait, le problème se situe surtout au niveau supérieur. « De manière générale, la qualité de l’enseignement est rationnée », estime-t-elle. « La spécialisation en agriculture biologique est une option qui a été supprimée parmi d’autres. Ce n’est pas une volonté politique de soutenir les filières bio ».  

L’enjeu est pourtant de taille car le secteur bio manque cruellement de professionnels. « Les entreprises veulent engager des personnes qui pourraient convenir mais n’en trouvent pas, ou elles doivent les former elles-mêmes », souligne Nicolas Luburić, ancien coordinateur de la formation et co-fondateur du BRIOAA, l’Institut belge de recherche en agriculture biologique. De même, « il n’y a pas assez d’experts pour encadrer les agriculteurs et former les enseignants », relève Bénédicte Henrotte. La spécialisation de Ciney, qui a fourni deux conseillers techniques à Biowallonie, répondait justement à ce besoin. Son apprentissage, fortement axé sur le terrain et la rencontre, comprenait notamment l’élaboration d’études de reconversion biologique. « On était propulsés dans une réalité où, avec les connaissances acquises, on pouvait aider ou appuyer les agriculteurs ou les familles dans le besoin », se remémore Marie Hastrais.

Un métier au cœur des enjeux

Face à l’importance cruciale d’améliorer nos pratiques agricoles et vu la demande croissante des étudiants d’aller dans ce sens, ne serait-il pas temps d’adapter l’enseignement au sein des filières agronomiques supérieures ?  Dans son rapport de stage, où figurent plusieurs recommandations, Emma Gasteau conclut ainsi : « La formation (d’agronome) est au cœur des enjeux auxquels nous faisons tous déjà face. Au-delà de l’importance de former des futurs spécialistes capables de comprendre, analyser et trouver des solutions face aux problèmes émergents, il s’agit de former des citoyens, acteurs de tous les jours, à la transition vers un monde plus juste et durable. »

« L’agriculture biologique devrait faire partie des programmes scolaires et agronomiques comme l’une des agricultures répondant aux enjeux actuels face au changement climatique »,

soutient Marie Hastrais. « Il faut sensibiliser à l’importance de l’alimentation dès le plus jeune âge » abonde Bénédicte Henrotte, pour qui le bio doit être « encouragé et soutenu dans tous les aspects, dont l’enseignement ».

En attendant, pour combler la demande des filières bio, le BRIOAA compte reprendre la spécialisation à son compte. « On a tout : les profs, les élèves, le lieu, mais il reste à régler la question du financement (encore et toujours !) », témoigne Nicolas Luburić. S’agissant d’un centre privé ne pouvant bénéficier d’aides publiques, et afin d’éviter que la charge financière ne revienne aux étudiants, le BRIOAA envisage de nouer des partenariats avec des entreprises du secteur bio. Celles-ci prendraient les élèves en stage, payeraient leur minerval avec, à la clé, la possibilité pour l’étudiant de se faire engager. « On cherche aussi des mécènes et des sponsors pour disposer d’un fonds de roulement qui servirait à financer les professeurs et le matériel », précise Nicolas Luburic.

Les nombreux enjeux de notre société, depuis les dérèglements climatiques jusqu’à la hausse des pollutions, impactant la biodiversité autant que la santé publique, appellent à une transition de nos filières agricoles vers la bio. La formation en agronomie constitue un des piliers permettant de revoir notre manière de produire notre nourriture et de gérer nos paysages. Par ailleurs, les jeunes d’aujourd’hui sont demandeurs de pouvoir s’impliquer dans ces transitions dans leur cadre professionnel, grâce à un métier qui a du sens. Pour Nature & Progrès, il est donc indispensable de revoir les programmes de formation dispensés dans les écoles supérieures, tous niveaux confondus, et de réaliser les investissements publics nécessaires pour soutenir ces évolutions.

 

Le BRIOAA cherche activement des partenaires entreprises et mécènes qui partagent ses valeurs et seraient prêts à soutenir leur démarche. Ce partenariat peut prendre diverses formes : sponsoring, mécénat, accueil et soutien financier d’un ou de plusieurs stagiaires, partage d’expérience lors d’un masterclass organisé au sein de la spécialisation bio, établissement de lien avec des sponsors ou donateurs potentiels, etc. Contact : nicolas.luburic@brioaa.bio

 

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