Cette analyse est parue dans la revue Valériane n°173
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Par Virginie Pissoort,
chargée de campagnes
chez Nature & Progrès
Ce 14 mars, en Comité des représentants permanents, la Belgique s’est positionnée pour le texte proposé par la présidence polonaise de l’UE en vue de déréguler les nouvelles techniques génomiques (nouveaux OGM). « Oui mais » ou « Si et seulement si », elle conditionne son vote au respect de quatre balises répondant aux préoccupations de la société civile. Place maintenant au trilogue. Passera, ou passera pas ?
Si les OGM sont aujourd’hui fortement réglementés, grâce notamment à une opposition farouche de la société civile dans laquelle Nature & Progrès a été fortement active, de nouvelles techniques génomiques (NTG, ou « nouveaux OGM ») se fraient un chemin pour sortir des obligations contraignantes de la législation. Nous vous tenons régulièrement au courant des nouvelles concernant ce processus, et des actions que nous menons en vue de nous protéger de ces nouvelles technologies dont l’absence d’impacts sur notre santé et celle des écosystèmes n’a jamais pu être démontrée.
La Pologne sur la brèche
Dans notre analyse 2025/10, nous vous informions de l’ambition de la présidence polonaise de l’Union européenne (UE) d’avancer sur le dossier de la dérégulation des NTG. Sans rien apporter de rassurant par rapport aux points de vigilance soulevés par les Etats membres (EM) réticents sur ce projet – notamment au sujet des brevets (1) sur les semences génétiquement modifiées -, elle a obtenu une majorité qualifiée, entre autres grâce à la Belgique. Notre petit pays, familier de « l’abstention faute de consensus » a, pour une fois, pesé lourd dans la balance, donnant ainsi le feu vert pour la suite du processus législatif de libéralisation des NTG. Cependant, la Belgique nuançait ce « oui » en remettant une déclaration au Conseil avec les éléments qu’elle entendait voir dans le texte final.
La position adoptée par le Conseil
Le projet de dérégulation des NTG est une proposition de la Commission européenne (CE). Il doit, de ce fait, obtenir une majorité au parlement européen (PE), avec 50 % des voix +1, et une majorité qualifiée au Conseil de l’Union européenne. Celle-ci est atteinte si le texte recueille un vote favorable d’au moins 55 % des EM, soit 15 États sur 27, lesquels doivent représenter au moins 65 % de la population de l’UE.
Jusqu’ici, la Pologne était plutôt mitigée sur le projet de dérégulation, particulièrement à cause des risques que les brevets sur les NGT pourraient faire peser sur les petites entreprises semencières et sur les agriculteurs. Mais alors que la présidence précédente, hongroise, réticente sur l’ensemble du texte, avait tenté de reprendre les discussions, la Pologne entendait bien se limiter à la question épineuse des brevets, pourvu que le texte passe. Et, c’est ainsi qu’après plusieurs reformulations coup sur coup, Varsovie a réussi, le 14 mars dernier, à faire adopter par les EM en Comité des représentants permanents un texte qui se satisfait d’obligations d’information et de communication sur les brevets par leurs détenteurs, sans restriction aucune (2). Quant au reste du texte, le Conseil confirme ainsi la distinction proposée par la CE entre les NTG1 et les NTG2, les premiers étant, en gros, exempts de tout cadre régulatoire du fait qu’ils seraient équivalents à des organismes que l’on pourrait retrouver dans la nature (sauf étiquetage des semences), alors que les NTG 2 restent soumis à un corps de règles plus strictes (évaluation des risques, étiquetage … ), proches de ce qui existe dans la directive de 2001 sur les OGM. Autre initiative du texte adopté par les EM par rapport à celui de la CE : ceux-ci peuvent décider d’interdire la culture des végétaux NTG 2 sur leur territoire (clause de « opt-out ») et prendre des mesures visant à éviter la présence accidentelle de végétaux NTG 2 sur leur territoire (clause de coexistence) ainsi que pour éviter la présence accidentelle de végétaux NTG1 dans l’agriculture biologique.
Majorité qualifiée au Conseil
Les pays comptabilisés comme étant en faveur de ce texte finalement adopté sont la Belgique, Chypre, la République Tchèque, le Danemark, l’Estonie, la Finlande, la France, la Grèce, l’Irlande, l’Italie, la Lettonie, la Lituanie, Luxembourg, Malte, les Pays Bas et la Pologne. Cette dernière est historiquement contre la dérégulation mais désireuse d’afficher une victoire comme présidente de l’UE. Elle compte lourd avec ses quasi 39 millions d’habitants. L’Autriche, la Croatie, l’Allemagne, la Hongrie, la Roumanie, la Slovaquie, la Slovénie et la Bulgarie n’ont pas soutenu le texte ; en votant « contre » ou en « s’abstenant » (Allemagne et Bulgarie) ce qui est équivalent dans le calcul des votes. La Hongrie et la Slovénie, qui ont explicitement voté contre le texte, ont, quant à elles, remis une déclaration à l’occasion de ce vote du 14 mars. Nous n’avons pas pu en prendre connaissance, mais on peut imaginer qu’elle souligne les failles d’un texte auquel elles ne peuvent souscrire.
La Belgique dit oui, mais tempère
La Belgique a également remis une déclaration au Conseil, mais elle a, en revanche, approuvé le texte, donnant ainsi – avec le concours de la Grèce historiquement contre mais devenue favorable – le feu vert au Conseil jusqu’ici bloqué.
La Belgique dit « oui, mais… ». Pas exactement, d’après Les Engagés, concernés et impliqués dans la décision belge. Selon le parti, la Belgique a approuvé « si et seulement si… ».
La déclaration de la Belgique au Conseil, dans sa version officielle, n’a pas été rendue publique. Quatre balises y figureraient : (1) l’interdiction totale de la brevetabilité des NTG ; (2) l’obligation de traçabilité et d’étiquetage sur toute la chaîne de valeur (jusqu’au consommateur) ; (3) l’interdiction des NTG en agriculture biologique et dans les produits biologiques et (4) l’analyse de risques pour l’environnement et la santé au cas par cas pour tous les NTG mis sur le marché et la prise en compte de la résistance aux insectes pour la catégorisation des produits NTG.
Ces balises sont fortes et on peut se réjouir que la Belgique, de plus en plus à droite et libérale, les intègre dans un document de positionnement. Elles reflètent sans aucun doute les convictions du parti des Engagés, dont le prédécesseur, le CdH, avait activement œuvré à faire de la Wallonie une terre sans OGM et sans risque d’OGM. Mais ces balises sont à une distance abyssale du texte adopté par le Conseil. Et, selon nous, la probabilité que le Conseil les fasse siennes est maigre dès lors qu’il peut se targuer d’avoir obtenu sa « majorité qualifiée » sur un texte qui ne reflète pas ces mesures. Encore un compromis à la belge qui en a surpris plus d’un parmi nos collègues européens !
Quel tour de force pour la suite ?
Il existe aujourd’hui trois textes : le texte original proposé par la Commission, le texte amendé par le Parlement et voté en 2024 qui met certaines balises au projet de dérégulation à tout va de la Commission, et le texte du Conseil évoqué ci-dessus. Ces trois institutions vont maintenant se mettre à table et négocier pour aboutir à un texte commun. C’est ce qu’on appelle la phase de « trilogue », négociation purement politique, de rapports de force et de calculs. Qui va l’emporter ? Difficile à dire.
Le texte adopté par le PE contient des amendements principalement proposés et votés par la gauche autrefois plus présente dans l’hémicycle, dans le souci de protéger la santé, l’environnement, les consommateurs et les producteurs. Ceux-ci avaient aussi fait l’adhésion de quelques parlementaires de centre droite, dont les membres wallons du Parti Parlementaire Européen. Le texte prévoit une obligation d’étiquetage des NTG1 et NTG2 tout au long de la chaine, l’interdiction des NTG dans le bio, des mesures de coexistence, une possibilité de « opt out » pour les EM et une interdiction de brevets pour les NTG1 et les NTG2. En revanche, la distinction malheureuse et sans aucun fondement scientifique entre les NTG1 et NTG2 avait été maintenue, ainsi que l’absence d’obligation d’évaluation des risques, ce que Nature & Progrès déplore fortement.
On est donc face à un texte initial de la Commission insoutenable, un texte adopté au Conseil, quasiment aussi mauvais, et un texte amélioré adopté par le PE. Mais, un PE qui s’est, depuis, fortement droitisé. Au milieu de tout cela, une déclaration ambitieuse des revendications de la Belgique qui épouse à peu de choses près les revendications de la société civile et qui confirme la pertinence des amendements au texte adoptés par le PE. C’est peut-être là, concrètement, en renforçant les amendements du PE, que se jouera la pertinence de ce texte.
Selon le ministre fédéral de l’agriculture, David Clarinval, qui n’a jamais caché son enthousiasme pour le projet de dérégulation des NTG, « … en marge de notre soutien, nous avons exprimé l’importance de continuer à travailler, dans le cadre du trilogue avec le Parlement européen, sur les thématiques des brevets, la traçabilité, l’information des utilisateurs et l’agriculture biologique, ainsi que sur les variétés résistantes aux insectes ravageurs » (3). Le Communiqué de presse des Engagés se veut plus engageant « Pour Les Engagés, les NGT, c’est non, sauf à respecter scrupuleusement des impératifs sanitaires, environnementaux et de protection du consommateur. Nous posons quatre conditions non négociables » (4).
A lire ces communiqués, nous serions donc face à une Belgique qui a précipité la phase de trilogue, mais pousserait dans le dos le Parlement et le Conseil pour définir des balises fortes, et qui, in fine, n’approuverait pas le texte final si ces balises ne sont pas respectées. Nature & Progrès continue à suivre de près ce dossier et à appuyer le meilleur cadrage des NTG repris dans la déclaration belge. A suivre…
REFERENCES ET NOTES
- Un brevet est un titre de propriété industrielle qui confère à son titulaire une exclusivité d’exploitation de l’invention brevetée à compter, en principe, de la date de dépôt et pour une durée maximale de 20 ans. Le brevet ne donne pas le droit d’exploiter l’invention brevetée, lequel peut être soumis à une autorisation de mise sur le marché, c’est le cas des NGT sur les végétaux, dont plus de 500 auraient fait l’objet d’une demande de brevets à l’Office européen des brevets.
- Le texte des Polonais prévoit ceci : lorsque les entreprises ou les obtenteurs demandent l’enregistrement d’un végétal ou d’un produit NTG1, ils doivent fournir des informations sur tous les brevets existants ou en demande. Celles-ci sont consignées dans une base de données accessible au public mise en place par la CE, qui énumère tous les végétaux NTG ayant obtenu le statut de NTG1. La base de données mise à jour vise à garantir la transparence en ce qui concerne les végétaux NTG 1. En outre, sur une base purement volontaire, les entreprises ou les obtenteurs peuvent également fournir des informations sur l’intention du titulaire du brevet de concéder une licence pour l’utilisation d’un végétal ou d’un produit NTG1 dans des conditions équitables. Pour les NTG2, rien n’est prévu. Ils peuvent donc faire l’objet d’un brevet dans le cadre de la Convention européenne sur les brevets.
- Communiqué de presse – 14/03/2025 – David Clarinval : Nouvelles techniques génomiques : sous impulsion du ministre fédéral de l’Agriculture David Clarinval, la Belgique a soutenu, ce vendredi, la proposition européenne. https://clarinval.belgium.be/fr/actualites/nouvelles-techniques-genomiques-sous-impulsion-du-ministre-federal-de-lagriculture-david
- Communiqué de presse – 14/03/2025 – Les Engagés : Les Engagés exigent l’absolue transparence pour les consommateurs. https://www.lesengages.be/actualite/ngt-les-engages-exigent-labsolue-transparence-pour-les-consommateurs-et-lapplication-du-principe-de-precaution/
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