Cette analyse est parue dans la revue Valériane n°174

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Par Claire Lengrand,

rédactrice pour Nature & Progrès

Malaimés car méconnus, les microbes sont pourtant essentiels à la vie. Dans son dernier documentaire, Marie-Monique Robin met en avant les nombreux services rendus à la santé planétaire par ces organismes vivants. Mais l’accès à une microbiodiversité, qui devrait être un droit fondamental, est entravé par les profondes disparités sociales, fruits de choix politiques allant à l’encontre du bien commun.

A la Bergerie bio de la Grande Fange (Vielsalm), les enfants participent aux soins des animaux.

 

« Depuis cinquante ans, le taux d’incidence de l’asthme et des allergies a explosé dans les pays industrialisés : il était de moins de 5 % dans les années 1970 ; il est aujourd’hui de 35 %. Si rien n’est fait pour endiguer cette tendance, il pourrait atteindre les 50 % avant 2050 d’après l’Organisation mondiale pour la santé. » Dans son dernier documentaire « Vive les microbes ! », accompagné d’un essai du même titre, la journaliste, écrivaine et réalisatrice Marie-Monique Robin explore les raisons expliquant ce phénomène inquiétant. Ce travail de longue haleine fait suite à « La Fabrique des Pandémies ». Une fois toutes les pièces du puzzle réunies, on comprend à quel point la préservation de la biodiversité constitue un véritable outil de santé publique.

 

Les microbes à l’origine de la vie

« Les huit millions d’espèces animales et végétales recensées ne représentent qu’une minuscule goutte face à l’océan de microbes, dont le nombre est estimé à un quintillion, c’est-à-dire « 1 » suivi de 31 zéros. C’est plus que toutes les étoiles dans l’univers », expose, au début du livre, Remco Kort, professeur de microbiologie moléculaire à l’université d’Amsterdam. Associés dans notre culture à une mauvaise hygiène, les microbes sont pourtant à l’origine même de la vie. Ces organismes invisibles, qui regroupent notamment bactéries, procaryotes, champignons microscopiques et virus, ont contribué à façonner le monde grâce au développement de multiples symbioses.

Les microbes participent à l’équilibre des écosystèmes biologiques de la planète, dont nos propres organismes font partie. Dans le documentaire, Marie-Monique Robin rencontre et interroge des scientifiques indépendants (allergologues, biologistes, épidémiologistes, etc.) sur quatre continents. Leurs travaux montrent l’importance d’une exposition précoce à une grande diversité de microbes afin de renforcer notre système immunitaire, dont le rôle est d’éliminer les potentiels pathogènes. Les mille premiers jours de notre vie sont les plus décisifs car c’est à ce moment que se constitue notre microbiote. Les premiers micro-organismes proviennent de la mère quand l’accouchement a lieu par les voies naturelles. Mais lorsque celui-ci se fait par césarienne, « il empêche l’exposition du nourrisson au microbiote vaginal et intestinal de sa mère, ce qui le rend vulnérable à la colonisation par des microorganismes provenant d’autres sources », pointe une étude de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB). Parfois justifiée pour des raisons médicales, cette intervention est « de plus en plus pratiquée pour des questions de convenance et connait une hausse spectaculaire à l’échelle mondiale ». De même, l’allaitement maternel « est un vrai médicament miracle », soutient le spécialiste du microbiote Martin Blaser. Il protège le nouveau-né contre le développement d’allergies, d’asthme et de troubles immunitaires, réduit l’incidence de l’obésité, des infections des voies respiratoires ou encore la dépression post-partum. Or, le manque de soutien social, l’absence de soins adéquats à la naissance et les idées fausses autour de l’allaitement peuvent détourner les mères de cette pratique vertueuse, avance l’étude de la FRB. Celle-ci préconise de donner accès et d’augmenter la durée du congé parental payé pour favoriser l’allaitement maternel et ainsi améliorer la santé des plus jeunes.

 

La biodiversité au service de la santé

La qualité de notre microbiote, liée à sa diversité, dépend aussi de l’environnement qui nous entoure. Une vingtaine de scientifiques à travers le monde ont établi un lien entre l’augmentation de certaines maladies et la détérioration des milieux de vie, en particulier dans les zones urbaines accueillant actuellement 57 % de la population mondiale. Le « surhygiénisme », l’absence de végétalisation et l’artificialisation des sols nous éloignent des micro-organismes avec lesquels nous avons co-évolués durant des milliers d’années, ce qui affaiblit nos systèmes immunitaires. Les personnes vivant dans des quartiers défavorisés sont particulièrement impactées car davantage exposées à certains risques comme la pollution de l’air, notamment due à la proximité des industries lourdes.

L’urbanisation galopante, tout comme la déforestation, participent au déclin de la biodiversité qui, selon des études, entraînent l’explosion des maladies inflammatoires. En revanche, « les adolescents qui vivent dans un environnement présentant une grande diversité végétale, avec beaucoup d’arbres et de plantes à fleurs, ont un microbiote cutané beaucoup plus riche et ne souffrent pas d’asthme ou d’allergie, contrairement aux citadins ». L’effet bénéfique de la biodiversité et d’un environnement plus rural a été mis en lumière par d’autres études dont l’une d’entre elles, baptisée PASTURE, a suivi, pendant vingt ans, mille bébés issus de familles « fermières » et « non fermières ».

 

L’agriculture paysanne protège des maladies

« Les enfants non fermiers ont deux fois plus d’allergies, telles que l’asthme et la rhinite, que les enfants fermiers », relève Amandine Divaret-Chauveau, l’une des 500 scientifiques derrière cette étude. La poussière des fermes, le contact précoce avec les animaux, en particulier avec les vaches, ainsi que la consommation de lait cru confèrent aux plus jeunes une meilleure protection face à ces maladies. C’est « l’effet ferme », un concept élaboré par Erika Von Mutuis selon lequel le modèle de vie des familles paysannes traditionnelles, proches de la nature et des animaux, offre aux enfants une meilleure immunité. En Amérique du Nord, la communauté des Amish, qui pratique une agriculture biologique non mécanisée, est un parfait exemple en la matière. Ce gain d’immunité n’a cependant pas été observé chez les Huttérites, dont le mode de vie est similaire à celui des Amish mais qui se différencie par son modèle agricole industriel caractérisé par les monocultures OGM et les élevages intensifs où « les troupeaux sont confinés et nourris avec du soja et du maïs, loin des habitations. »

La nutrition est un autre élément déterminant pour notre santé. Une mauvaise alimentation, surtout si elle est pauvre en fibres, peut conduire à une faible diversité microbienne et favoriser certaines maladies comme l’obésité, qui touche aujourd’hui plus d’un milliard de personnes. Cette explosion s’explique également par d’autres facteurs environnementaux et sociaux tels que la pollution, les pesticides, les perturbateurs endocriniens ou encore l’excès d’antibiotiques. « En fournissant un accès universel à des aliments sains qui favorisent la diversité microbienne, l’alimentation peut constituer un moyen efficace de prévenir les problèmes de santé associés à une diversité microbienne inadéquate et rétablir plus d’équité sociale. »

 

Plus de microbes pour plus d’équité sociale !

Nature & Progrès défend cette idée depuis sa naissance, dans les années quatre-vingt : prendre soin de notre santé implique de prendre soin de notre planète. Pour cela, les pouvoirs publics doivent impérativement repenser nos systèmes pour que nous fassions à nouveau corps avec la nature, notre précieuse alliée face aux maladies. Il ne s’agit pas d’une lubie écologiste mais d’un véritable enjeu politique indissociable des principes de justice sociale et environnementale. « Si les gouvernements ont l’obligation légale de donner accès à un environnement naturel sain et si les communautés microbiennes font partie intégrante du maintien de la santé publique, il devrait également exister une obligation légale à fournir des infrastructures permettant l’accès aux microorganismes », défend la FRB. De plus, le développement de l’habitat léger, plus abordable que les briques, pourrait permettre à des personnes disposant de peu de revenus de sortir des villes pour habiter des espaces plus verts, au contact de la nature et de sa biodiversité microbienne. Un combat mené par Nature & Progrès depuis de nombreuses années, et qui progresse peu à peu. Il est grand temps que chacun et chacune puisse accéder à un environnement sain et vert, à une alimentation de qualité, éléments garants de bien-être et participant à la santé de tous.

 

Marie-Monique Robin sera notre invitée d’honneur à Festi’Valériane. Venez visionner son documentaire et rencontrer l’auteure le samedi 6 septembre à Namur Expo. Dédicaces du livre « Vive les microbes ». Informations complètes sur www.valeriane.be

 

En savoir plus

A la librairie écologique Nature & Progrès, le livre « Vive les microbes » de Marie-Monique Robin (La Découverte, 2024), 261 pages. 20,5 € (- 10 % pour les membres de Nature & Progrès).

 

 

 

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