Cet article est paru dans la revue Valériane n°174

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Par Sylvie La Spina,

rédactrice en chef chez Nature & Progrès

Grippe aviaire, maladie de la langue bleue, les zoonoses se multiplient et donnent lieu à des campagnes de vaccination des animaux en vue de freiner les maladies et de protéger les éleveurs des risques financiers. Citoyens et agriculteurs s’interrogent cependant des risques associés aux vaccins administrés aux animaux.

Les vaccins utilisés sur les vaches et moutons en Belgique ne contiennent pas d’ARNm. Jusque quand ?

 

Mars 2025. Hervé Perrotin, membre de la locale Brabant-Ouest, nous questionne sur les risques d’une consommation de viande d’animaux vaccinés à l’aide d’ARNm. Une semaine plus tard, Michel Paque, de la Ferme à l’Arbre de Liège, nous interpelle également à la suite de questions posées par les clients de son magasin. Nos « citoyens sentinelles » nous invitent à mener l’enquête.

 

Comment fonctionne un vaccin à ARNm ?

« Médicaments vétérinaires destinés à être administrés à un animal en vue de provoquer une immunité active ou passive ou de diagnostiquer son état d’immunité »[i], les vaccins sont issus de trois technologies[ii] : (1) vivants atténués, ils contiennent une version affaiblie de l’agent pathogène qui se multiplie au sein de l’organisme receveur mais a perdu sa nocivité, (2) inactivés, où l’agent pathogène est inactif et ne se reproduit plus, et (3) « issus de plateformes technologiques », qui utilisent un fragment de matériel génétique ou une protéine spécifique de l’agent pathogène. Les vaccins à ARN messager (ARNm) font partie de cette catégorie.

Ce type de vaccin pénètre à l’intérieur des cellules, mais pas dans le noyau contenant l’ADN, ce qui, en principe, l’empêche d’interagir avec le génome de l’individu vacciné. « Pour pénétrer dans cette partie de la cellule, les molécules présentes dans le cytoplasme doivent être porteuses d’un étiquetage spécifique. En outre, des molécules de transport devraient intervenir pour les y emmener. Ce dont ne disposent pas les ARNm des vaccins », explique François Meurens, professeur en immuno-virologie et chercheur à l’INRAE[iii]. Cet ARN est traduit par la machinerie enzymatique de la cellule en une protéine qui va jouer le rôle d’antigène pour un agent pathogène ciblé. Etant donné que l’ARNm, fragile, se dégrade rapidement, des vaccins « auto-réplicants » ont été développés afin que la cellule réplique ce fragment d’ARNm et produise l’antigène plus longtemps.

 

Autorisation d’utilisation

Le Règlement (UE) 2019/6 définit les modalités d’autorisation des médicaments vétérinaires en Europe. Une batterie de tests sont prévus pour prouver l’innocuité du produit pour l’espèce animale, pour l’humain et pour l’environnement en étudiant principes actifs et adjuvants. Pour les vaccins à ARNm, il est nécessaire de démontrer (1) que l’ARNm est seulement un fragment de matériel génétique et ne peut redevenir un virus complet, (2) la nature instable et la dégradation rapide de l’ARNm, (3) l’absence de propagation de cet ARNm au noyau de la cellule et (4) que l’ARNm résiduel est détruit dans l’estomac en cas d’ingestion de produits issus d’animaux vaccinés.

Toutefois, des exceptions à cette procédure existent : des Etats membres peuvent autoriser des produits non homologués au cas où aucun autre vaccin n’est disponible (rupture de stock ou vaccin inexistant)[iv]. C’est en utilisant ces dérogations que les vaccins Bluevac-3, Bultavo-3 et Syzabul BTV3 sont autorisés depuis 2024 pour la campagne de vaccination contre la maladie de la langue bleue, et Hepizovac et Syvac EH Marker pour la maladie hémorragique épizootique (MHE).

 

Des vaccins à ARNm en Belgique ?

Nous avons questionné le Centre Belge d’Information Pharmacothérapeutique et l’Agence fédérale des médicaments et des produits de santé sur l’existence de vaccins à ARNm autorisés en Belgique. Il n’y a pas encore d’autorisation dans notre pays. Les notices des vaccins utilisés pour la langue bleue et la MHE le confirment. Cependant, ces types de vaccins sont proches de chez nous. Depuis l’automne 2024, un vaccin à ARNm figure parmi les deux produits utilisés pour vacciner les canards contre la grippe aviaire en France[v]. Ceva Respons A1H5[vi] comprend un « ARN auto-amplifiant codant l’hémagglutinine virale du virus de l’influenza aviaire ». Des vaccins à ARNm sont aussi utilisés sur les porcs au Canada (Merck)[vii].

De la viande d’animaux vaccinés avec des ARNm auto-réplicants est donc présente sur les étals de nos supermarchés.

 

Les vaccins à ARNm critiqués

Jean-Marc Sabatier, directeur de recherches au CNRS, fait énormément parler de lui en raison de sa critique des vaccins à ARNm auto-réplicant. Selon le scientifique, certains ARN peuvent résister à une cuisson à 100°C pendant 10 minutes ainsi qu’à l’acidité de l’estomac grâce à l’effet protecteur des adjuvants. Une contamination pourrait également se faire en amont, via les muqueuses buccales et l’œsophage. De son côté, François Meurens présente les vaccins à ARNm comme plus sûrs, car étant donné qu’ils sont synthétisés chimiquement, ils ne nécessitent pas de cultures des virus pathogènes. « En outre, contrairement aux vaccins vivants atténués, le risque de retour à la virulence est nul, puisqu’ils ne contiennent pas d’agent infectieux mais uniquement l’information nécessaire à la production d’une protéine virale. ». Scientifiques contre scientifiques : qui croire ?

Par ailleurs, il est important de considérer les risques directs pour les professionnels. Il arrive en effet que les vétérinaires procédant aux vaccinations se piquent. En France, 80 cas d’accidents sont signalés chaque année au réseau des Centres antipoison et de toxicovigilance. Les incidents arrivent le plus souvent en élevage avicole (34 %), porcin (28 %), bovin (14 %), ovin (8,5 %) ou caprin (2 %) par rapport aux animaux de compagnie, et pour 90 % des cas dans un cadre professionnel[viii].

 

Faire confiance aux firmes ?

Au sein d’Inf’OGM[ix], on s’inquiète de la nocivité potentielle du vaccin ainsi que de ses adjuvants. L’association soulève un manque de transparence. « Où peut-on trouver le déroulé de tous ces travaux minutieux de vérification ? Et, en particulier, où trouver les preuves scientifiques que « lorsqu’un produit issu d’un animal vacciné est consommé [par l’espèce humaine], l’ARNm résiduel éventuel est détruit dans l’estomac par les enzymes digestives et les conditions acides » ? ». Les études étant réalisées par les firmes elles-mêmes – ce que Nature & Progrès dénonce également dans le secteur des pesticides -, le doute est permis.

Jonathan Jarry, communicateur scientifique à l’Organisation pour la science et la société de l’Université McGill au Canada, déplore ce manque de confiance des consommateurs[x]. Il met ces craintes sur le dos d’un manque de connaissance et de compréhension de la science. « Les nouvelles technologies sont plus difficiles à appréhender. Elles peuvent être perçues comme moins naturelles, et la crainte de manipulations génétiques incontrôlées peut apparaître et être alimentée par des influenceurs antivaccins. ». Le canadien incrimine un manque de confiance dans l’industrie et dans le gouvernement. « Les vaccins sont produits par l’industrie et règlementés par le gouvernement, mais qu’en est-il si l’on se méfie des deux ? Il est donc très facile pour le consommateur anxieux de tomber dans le sophisme du nirvana. »

Pouvons-nous vraiment faire confiance dans une industrie capitaliste reposant sur le profit, poussée dans le dos par des actionnaires réclamant leur retour sur investissement ? Dans le documentaire « The Corporation » (2003), les sociétés anonymes sont comparées à des psychopathes : égoïstes, menteurs, indifférents au bien-être et au respect d’autrui comme à ses malheurs. La vente de vaccins représentait, en 2023, 32 % des produits à usage vétérinaire en Europe, toutes espèces animales confondues. Le marché mondial des vaccins vétérinaires est estimé à 18 milliards USD en 2024 et devrait atteindre 27 milliards USD d’ici 2029[xi]. « Le fardeau croissant des maladies zoonotiques devrait stimuler la demande de vaccins pour animaux, stimulant ainsi la croissance du marché au cours de la période de prévision. Le marché des vaccins vétérinaires est assez compétitif et se compose de plusieurs acteurs majeurs qui jouissent d’une présence mondiale et sont confrontés à une concurrence intense dans les économies émergentes. » Citons Zoetis, Merck, Virbac, GmbH, etc.

 

Pour Nature & Progrès, les questions soulevées par les citoyens sont légitimes étant donné le manque de transparence des études d’innocuité des vaccins et les enjeux financiers que représente ce marché pour les multinationales.

La multiplication des obligations de vaccination des animaux d’élevage face au développement des maladies épidémiques et l’explosion du développement des vaccins à ARNm, moins coûteux à produire et réputés plus efficaces, ne laissera peut-être bientôt plus le choix, ni aux éleveurs, ni aux citoyens, d’éviter ces nouvelles technologies.

Le principe de précaution ne devrait-il pas être appliqué en attendant une procédure d’autorisation plus fiable, garantissant la sécurité alimentaire et environnementale des vaccins à ARNm auto-réplicant ?

 

REFERENCES

[i] Définition du Règlement (UE) 2019/6 relative aux médicaments vétérinaires, Art. 4.

[ii] https://www.anses.fr/fr/content/vaccins-veterinaires-le-point-sur-leur-evaluation-et-leur-autorisation

[iii] https://theconversation.com/points-forts-limites-risques-decryptage-de-la-technologie-des-vaccins-a-arn-152333

[iv] Articles 110 et 116 du Règlement (UE) 2019/6 relative aux médicaments vétérinaires

[v] https://agriculture.gouv.fr/la-vaccination-en-pratique-foire-aux-questions-destination-des-eleveurs-et-des-acteurs-de-terrain

[vi] www.anses.fr/fr/system/files/90053_ATU_R_2025_ANNEXE.pdf

[vii] https://inspection.canada.ca/fr/sante-animaux/produits-biologiques-veterinaires/evaluations-environnementales/produits-ordonnance-contenant-particules

[viii] https://www.anses.fr/fr/system/files/Toxicovigilance2021AUTO0072Ra.pdf

[ix] https://infogm.org/vaccin-a-arn-messager-auto-amplificateur-apres-lhomme-le-canard/

[x] https://cooperateur.coop/fr/porc/capsule/vaccins-arn-octobre-2023

[xi] https://www.mordorintelligence.com/fr/industry-reports/veterinary-vaccines-market

 

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