Le 27 mars 2023, Nature & Progrès, Pesticide Action Network (PAN) Europe et Canopea tenaient un colloque, à la Chambre des représentants à Bruxelles, intitulé « Les pesticides en Belgique : problèmes et solutions« . Le but était notamment de faire la lumière sur un certain nombre de dysfonctionnements dans la procédure d’autorisation et les conditions d’utilisation des pesticides en Belgique, tout en mettant en avant des solutions pour une agriculture plus respectueuse de l’environnement et de la santé de la population et des agriculteurs.

Par Isabelle Klopstein

 

L’événement a rassemblé une cinquantaine de personnes, dont des députés, des journalistes et des membres et représentants d’ONG et associations environnementales. Les retours positifs de la part de participants ont souligné la qualité des interventions et le caractère éclairant et constructif des moments d’échange.

 

« Des pesticides hautement toxiques autorisés en Belgique »

En tant que chargée de campagne de sensibilisation chez Nature & Progrès, je suis la première intervenante à prendre la parole, rappelant qu’avec 6,3 kilos par hectare la Belgique est l’un des plus gros consommateurs de pesticides en Europe, qu’elle autorise aussi des substances particulièrement toxiques, parfois interdites au niveau européen. Chiffres à l’appui, je présente les grandes lignes du rapport, publié le jour même avec PAN Europe, intitulé « La Belgique : le royaume des pesticides« . Ce rapport peut également être consulté gratuitement sur le site Internet de Nature & Progrès : www.natpro.be/informations/brochures/

Pointant du doigt la responsabilité du SPF Santé qui, par ses pratiques, favorise le maintien de pesticides nocifs à long terme pour la santé et l’environnement, j’appelle à une révision de la procédure actuelle ainsi qu’à la prise en compte d’alternatives plus sûres. A ce titre, j’évoque un nouveau recours, déposé en janvier 2023, au Conseil d’Etat belge par PAN Europe, Bond Beter Leefmilieu (BBL) et Nature & Progrès pour demander l’annulation de deux autorisations d’insecticides à base de cyperméthrine, pour cause de non-évaluation par l’administration des alternatives disponibles.

 

« Interdits car toxiques mais quand même utilisés : les dérogations »

Martin Dermine, Directeur exécutif de PAN Europe, aborde ensuite la problématique des dérogations accordées par la Belgique dans le cadre de la législation européenne sur les pesticides. Si cette législation permet d’autoriser en urgence la mise sur le marché et l’utilisation de pesticides, il rappelle que la Belgique a été épinglée dès 2010 pour avoir abuser de ce système. Selon lui, le SPF Santé ne remplit pas son rôle en n’évaluant pas les demandes de dérogations de manière indépendante. Les dossiers sont souvent des « copier-coller » lacunaires et il qualifie, par conséquent, les décisions prises de politiques et d’arbitraires. A titre d’exemple, il mentionne le cas des insecticides néonicotinoïdes, interdits au niveau européen en 2018 mais réautorisés par dérogation en Belgique, pendant plusieurs années consécutives. Après une longue bataille judiciaire, la Cour de Justice de l’Union européenne a confirmé, en janvier 2023, que l’Etat belge ne pouvait pas fournir de dérogations à des pesticides interdits au niveau européen pour raisons sanitaires ou environnementales. Une décision judiciaire, dont le SPF Santé a tenté de minimiser la portée en usant de son influence dans les instances européennes.

En guise de conclusion, Martin Dermine évoque le Luxembourg comme un exemple à suivre. Les dérogations y sont limitées aux seuls biopesticides et l’émergence de réelles alternatives y est favorisées via la Politique Agricole Commune (PAC). Il évoque notamment la substitution des insecticides par des phéromones dans le vignoble luxembourgeois, et la mise en place d’alternatives au glyphosate, bien avant son interdiction en 2020.

 

« L’ »Affaire Pesticides » en Flandres et la situation en Wallonie »

Heleen de Smet, chargée de plaidoyer au Bond Beter Leefmilieu, présente l’ »affaire pesticides » en Flandres et la situation en Wallonie. Dans son introduction, elle rapporte que la Belgique est dans le top 4 des pays de l’OCDE – qui rassemble, rappelone-le, près d’une quarantaine de pays, les plus développés économiquement en Europe, en Asie et outre-Atlantique – où les enfants sont les plus exposés aux pesticides. Si, dans l’ »affaire pesticides », les tribunaux sont apparus comme un moyen d’obtenir des avancées, elle souligne la volonté de BBL de continuer à collaborer avec les politiques pour trouver des solutions. Elle précise que l’ »affaire pesticides » est une coalition d’associations – BBL, Natuurpunt, WWF, Velt et Dryade – ayant mis en demeure, en octobre 2022, le gouvernement flamand pour transposition incomplète des directives européennes sur la conservation des habitats naturels et l’utilisation durable des pesticides. L’affaire est devenue judiciaire, en janvier 2023, lorsque le gouvernement flamand a été assigné en justice. Une décision est attendue courant mars 2024.

Elle explique que plusieurs infractions ont été identifiées. Contrairement à ce que prévoit la législation européenne, il n’existe en Flandre aucune limitation à l’utilisation de pesticides dans ou autour des sites protégés, dont les zones Natura 2000 et les cours d’eau. De plus, les zones tampons, censées protéger, sur le long terme, les ressources naturelles et les personnes considérées comme les plus vulnérables – femmes enceintes et allaitantes, enfants à naître, nourrissons et enfants, personnes âgées, travailleurs et personnes habitant à proximité des zones d’épandage fortement exposés aux pesticides – d’une exposition environnementale aux pesticides, sont soit inexistantes soit insuffisantes.

Elle souligne que, malgré leur impact négatif avéré sur la biodiversité, l’utilisation des pesticides dans les zones les plus fragiles ne sont soumis à aucun contrôle, comme peuvent l’être d’autres activités polluantes. Concernant l’impact sur la biomasse, elle mentionne les résultats de l’étude de Hallmann – More than 75 percent decline over 27 years in total flying insect biomass in protected areas”, Plos One, 2017 -, parue en 2017, qui fait le lien entre les pesticides et la diminution de 75 % des insectes, dans les réserves naturelles, sur une période de vingt-sept ans. Le fait que des résidus de pesticides aient été retrouvés jusqu’à deux kilomètres de leur lieu d’épandage alerte sur la nécessité d’élargir les zones tampons. Elle rappelle d’ailleurs qu’en France, le Conseil d’Etat a estimé que cinq ou dix mètres de zone tampon sont insuffisants. Enfin, concernant la situation en Wallonie, qu’elle connaît moins bien, il semblerait que la législation européenne ne soit pas non plus entièrement respectée et qu’il y ait des possibilités d’amélioration.

 

« Pesticides, quels impacts sur la santé ? »

L’intervenante suivante est Sarah de Munck, médecin et chargée de mission Santé chez Canopea, sur les enjeux de prévention de la santé via un environnement plus sain. Elle tient tout d’abord à préciser que, sous l’appellation « pesticides », se cachent en fait plusieurs types de produits, tels que les produits phytosanitaires – communément appelés pesticides – utilisées sur les plantes mais aussi les biocides et les produits vétérinaires.

Elle évoque ensuite les chiffres du projet de biomonitoring wallon qui a relevé la présence élevée de certains pesticides dans la population wallonne, jusqu’à 97 % pour les organophosphorés et 23 % pour le glyphosate. Elle précise que la présence de ces pesticides dans le corps humain découle de différents types d’exposition que sont notamment l’alimentation, l’environnement et le travail.

Elle explique que, si le système de régulation en place permet de détecter les effets à courts termes – nausées, maux de tête… – des pesticides, il reste très insuffisant, incapable par exemple de prendre en compte les expositions diffuses ou simultanées à plusieurs molécules, ou encore les effets transgénérationnels ou les vulnérabilités d’une partie de la population. De plus, certaines pathologies, comme celles liées à la perte de quotient intellectuel par exemple, sont impossibles à détecter sur les souris. La toxicité des pesticides sur l’être humain est donc finalement révélée par les études épidémiologiques, après plusieurs années, voire plusieurs décennies, d’utilisation.

Elle continue son exposé en abordant plus spécifiquement les effets des pesticides sur la santé. En 2013, une première expertise française faisait déjà des liens entre certains cancers – leucémies, cancer de la prostate – et maladies neurodégénératives – Parkinson, Alzheimer. En 2021, la liste des maladies possiblement associées aux pesticides s’est étendue à de nouveaux cancers – notamment du sein – et aux troubles du développement des enfants.

Concernant le lien entre pesticides et cancers, elle réfute l’argument souvent avancé par les pro-pesticides selon lequel les agriculteurs ont moins de cancers que le reste de la population. Cet argument ignore complètement certains cancers, comme ceux de la prostate ou de la thyroïde, qui sont fortement liés aux pesticides et qui prédominent dans le monde agricole, en ne tenant compte que des cancers liés au tabagisme et à la sédentarité, effectivement moins fréquents chez les agriculteurs.

Elle note que ce sont les enfants qui sont les plus touchés par les maladies neurologiques, lesquelles altèrent leurs capacités motrices, cognitives ou leurs fonctions sensorielles. Quant à la maladie de Parkinson, prédominante dans les milieux agricoles, elle a été classée comme maladie professionnelle en France. Elle ajoute que les leucémies chez l’enfant sont étroitement liées à l’exposition professionnelles des parents.

Elle conclut en résumant que les personnes exposées ayant le plus de problèmes de santé sont les professionnels, suivis par les femmes enceintes et les enfants. Elle ajoute que les riverains des zones agricoles forment la troisième catégorie la plus à risque.

 

« Cultiver sans pesticides : quelles sont les alternatives ? »

Le dernier intervenant est Charles-Albert de Grady, un agriculteur de Horion-Hozémont, en Province de Liège, et membre fondateur de la coopérative ORSO qui cultive de la betterave, en agriculture biologique, pour produire du sucre belge et bio. Il partage son expérience, en présentant les alternatives qu’il utilise pour cultiver sans pesticides, depuis les premières cultures de carottes bio, sur la ferme familiale en 2008.

Si le bio demande plus de mains-d’œuvre, il confirme que le désherbage sans pesticides est entièrement maîtrisé sur sa ferme, soit mécaniquement – avant le semis -, soit par brûlage thermique – après le semis. Il rappelle que c’est d’ailleurs une obligation, en bio, puisque les herbicides y sont interdits.

Pour lutter contre les maladies, il insiste sur le fait qu’il n’utilise pas non plus de fongicides de synthèse. Une alternative efficace, selon lui, consiste à choisir des variétés moins sensibles aux maladies et donc plus résistantes. Il explique avoir recours à des engrais foliaires pour renforcer cette résistance : « quand les feuilles de la plante sont saines, toute la plante va beaucoup mieux ; nous devons toujours agir préventivement, en agriculture biologique, car nous n’avons pas de moyen de guérir la plante quand elle est malade« . Une autre façon de prévenir les maladies est la rotation des cultures : « tous les cinq ans pour la pomme de terre, tous les sept ans pour la carotte, en veillant bien à alterner, sur une même parcelle, un légume puis une céréale« . Il déplore cependant devoir utiliser « un peu de cuivre en pommes de terre, mais à très petites doses« .

Quant aux insectes ravageurs, il évite les insecticides agréés en bio comme les pyrèthres qui tuent sans distinction tous les insectes, nuisibles ou non. A la place, il utilise des huiles essentielles qui dégagent une odeur qui fait fuir les insectes. Pour les cultures de carottes, il rappelle aussi que l’oignon est un répulsif naturel très efficace contre la mouche de la carotte. Contre les doryphores en pommes de terre, c’est malheureusement une autre histoire mais, en plus de dix ans, il n’a eu recours qu’à un insecticide, à base de spinosad.

Il évoque ensuite le projet et les défis de la coopérative d’agriculteurs ORSO, lancée en 2019, pour proposer une alternative au sucre de betteraves industriel. La commercialisation de leur sirop de betteraves est l’une des difficultés principales car le produit ne se vend pas bien en Belgique et en France. Un projet de micro-sucrerie 100% bio est à l’étude avec la France. Il confirmera ensuite, lors des échanges, que les rendements de betterave ont été aussi bons qu’en conventionnel, sans le moindre recours aux néonicotinoïdes !

Charles-Albert de Grady conclut son témoignage par une anecdote, racontant qu’un jour où il désherbait dans les champs avec son père, après quelques années en bio, ils ont pu observer un couple d’alouettes des champs : « il y avait très longtemps qu’on n’en voyait plus et je suis certain que la biodiversité revient car nous n’utilisons plus de pesticides… »

 

Les vidéos du colloque et certaines présentations des différents intervenants sont disponibles sur le site de Nature & Progrès : www.natpro.be/la-belgique-le-royaume-des-pesticides-rapport-et-colloque-a-la-chambre-des-representants/