Cette analyse est parue dans la revue Valériane n°174

***

 

Par Sylvie La Spina,

rédactrice en chef pour Nature & Progrès

« Vivre bio » ne peut plus se limiter à vivre nos idéaux en marge, en produisant notre nourriture et en soutenant les producteurs et artisans suivant nos valeurs. La révélation de la présence de polluants éternels dans l’eau que nous buvons et, maintenant, dans les œufs de nos propres poules, est une piqure de rappel : ce sont les priorités de la société qu’il faut transformer, pour notre santé et celle de la Terre. 

(c) Anita Austvika (Unsplash)

 

« Arrêtez de manger des œufs de votre jardin », a-t-on pu lire comme titre dans La Libre[i] à la veille de la fête pascale. L’information, essaimée par d’autres médias, interpelle. Est-il terminé, ce bon temps où l’on ramenait, petit panier en osier au bras, les œufs des trois cocottes familiales pour l’omelette du dîner ?

 

Contaminations constatées

L’alerte a été lancée par l’Agence néerlandaise de santé : une étude a révélé des teneurs inquiétantes en PFAS – les fameux « polluants éternels » – dans les œufs de poules élevées chez les particuliers. Sur 60 sites étudiés, 31 présentaient des doses telles que la consommation d’un seul œuf par semaine dépasse déjà les quantités recommandées en matière de santé. Cette observation conduit l’agence à déconseiller la consommation d’œufs produits à la maison. La suspicion de la présence de polluants dans les œufs de particuliers n’est pas nouvelle. Le même type d’alerte avait été lancé, il y a vingt ans, pour la présence de polluants organochlorés (PCB, dioxine, etc.). Par ailleurs, en 2023, une étude réalisée par l’Agence régionale de santé Île-de-France[ii] en région parisienne révélait une présence excessive de PFAS dans 23 échantillons sur 25. L’agence recommande d’éviter la consommation des œufs d’élevage domestique dans 410 communes de la ville de Paris et alentours.

La Belgique a réagi de manière rapide à l’annonce de nos voisins. En Flandre, le Département de l’environnement[iii] recommande de se limiter à maximum deux œufs « maison » par semaine, voire un œuf pour les publics fragiles (enfants, femmes enceintes…). En Wallonie, le Conseil scientifique indépendant conseille aux éleveurs amateurs de nourrir les volailles en hauteur ou dans des mangeoires pour éviter qu’elles picorent le sol contaminé. Pol Gosselin, responsable de la cellule Environnement-Santé de la Région wallonne, explique : « Si les sols ont été arrosés avec l’eau de distribution – dont la contamination par des PFAS a été démontrée et médiatisée [ndlr] -, ils sont alors peut-être couverts de PFAS. Les poules qui y picorent peuvent donc éventuellement concentrer ces PFAS dans leurs œufs. » [iv]

 

Les œufs « professionnels », meilleurs ?

Du côté des éleveurs professionnels, la Fédération wallonne de l’agriculture, syndicat majoritaire, rassure : « En Wallonie, grâce à une alimentation strictement surveillée, des parcours extérieurs préservés et contrôlés et des analyses de risques régulières, nos producteurs garantissent des œufs sains, sûrs et bons pour toute la famille. » [v]  Le syndicat agricole s’appuie sur une série d’analyses réalisées par l’AFSCA en 2023 : un seul dosage sur 45 a dépassé la norme européenne. « Cet œuf provenait d’une zone particulièrement à risque dû à sa proximité avec une zone industrielle en Flandre. » [vi]

Au Danemark, des contaminations aux PFAS d’œufs issus d’élevages professionnels ont été révélées début 2023. Fait étonnant : seuls les œufs biologiques étaient concernés, tandis que de faibles teneurs étaient observées dans les œufs conventionnels plein air et au sol. C’est la farine de poisson utilisée dans l’alimentation qui serait à l’origine de la pollution. « Les PFAS sont des substances pouvant migrer et s’accumuler tout au long de la chaîne alimentaire : du poisson à la farine de poisson contenue dans l’alimentation des poules, puis de la poule à l’œuf, où elles se lient aux protéines du jaune et sont consommées par l’homme. » [vii]

 

Les éleveurs amateurs désœuvrés

Interviewé dans le cadre de l’émission « C’est vous qui le dites »[viii] sur Vivacité, Adrien, père de famille qui était justement en train d’installer un poulailler dans son jardin, partage ses inquiétudes. « On voulait une alimentation meilleure que tout ce qui est agro-alimentaire. Les poules aujourd’hui, hier, l’eau de consommation… »

« On a l’impression qu’on laisse à nos enfants une terre qui est polluée, et on n’a vraiment plus de solutions. »

Participant à cette même émission, Adrien de Marneffe, journaliste de La Libre, interroge notre mode de vie dans lequel même le jardin est pollué. « J’envisageais, à terme, d’avoir des poules dans le jardin, de ramasser les œufs avec les enfants… Mais après ça, je ne vais pas le faire. En tout cas, pas tout de suite, pas tant que je ne serai pas rassuré sur la question. » Le risque de contamination des œufs « maison » par les PFAS va donc freiner les initiatives d’autoproduction alimentaire au sein des familles.

Bruno Schiffers, écotoxicologue et administrateur de Nature & Progrès, analyse : « Les PFAS se retrouvent partout : dans les eaux (de distribution, en bouteille et de pluie), dans les sols (adsorbés sur la matière organique et dans les organismes du sol), dans l’air (vapeur d’eau et poussières), dans les végétaux (absorbés par les racines et déposés sur les feuilles). Les voies d’exposition des poules sont donc multiples mais il semble que les expositions principales viennent du sol picoré et de l’eau de boisson. Les poules plein air picorent un sol contaminé. Les poules de particuliers vivant plus longtemps que celles de batterie, elles vont accumuler plus de polluants (PFAS, organochlorés) dans leurs graisses. Les œufs de ces poules seraient donc davantage contaminés ! »

 

Sortons de nos chaumières !

Les évolutions néfastes du système agricole dominant du point de vue écologique, économique et social ont suscité la naissance de Nature & Progrès et motive ses actions depuis presque 50 ans.

Au commencement, nos membres se sont regroupés autour d’un idéal de production biologique, tant chez les professionnels que chez les particuliers. Ce développement « en marge », répondant à nos convictions, ne suffit plus.

La crise de la dioxine a été un premier déclencheur qui a poussé Nature & Progrès à militer pour faire évoluer le système alimentaire de manière globale (lire l’interview de Marc Fichers dans Valériane n°172). Cette mise en évidence des PFAS dans l’environnement, jusque dans l’eau que nous buvons tous et les œufs des poules dans nos jardins est une piqure de rappel : vivre comme la famille Ingalls dans notre « Petite maison (bio) dans la prairie »[ix], en cultivant nos légumes et nos fruitiers et en élevant nos animaux ne suffit pas. Il faut agir pour faire interdire au plus vite ces pollutions, aujourd’hui et pour les générations futures. Pour Nature & Progrès, il est important d’investiguer la présence de PFAS dans les œufs. L’Institut scientifique de service public a défini son plan d’analyse en trois phases : l’eau, le sol, puis les légumes et les œufs. Les échantillonnages sont en cours. Le niveau de contamination défini, nous en saurons davantage sur les risques actuels. Mais plus que tout, il faut convaincre nos politiques de prendre des mesures fortes pour arrêter l’émission des polluants éternels qui ne cessent de s’accumuler dans notre environnement. En complément de l’action continue de notre association, qui lance l’alerte, milite, informe et plaide, nous tous, citoyens et citoyennes, pouvons écrire aux ministres pour exprimer nos inquiétudes et interpeller.

 

REFERENCES

[i] Schmidt V. 16 avril 2025. « Arrêtez de manger des œufs de votre propre jardin » : la Wallonie et la Flandre appellent à la prudence.

[ii] ARS Île-de-France. 30 septembre 2024. Contamination des œufs de poules par des polluants organiques persistants : étude dans 25 poulaillers en Île-de-France.

[iii] Departement Omgeving. SD. Eet maximaal 2 eieren per week.

[iv] Rondelez N. 17 avril 2025. Faut-il craindre la présence de PFAS dans les œufs de nos poules ?

[v] Post facebook du 18 avril 2025.

[vi] AFSCA. 21 janvier 2024. Les résultats 2023 des analyses menées par l’AFSCA sur les PFAS sont rassurants : seuls 4 échantillons sur un total de 370 sont non conformes.

[vii] Institut national de l’alimentation. 23 janvier 2023. PFAS found in organic eggs in Denmark.

[viii] Emission du 17 avril 2025.

[ix] Série télévisée américaine qui raconte les aventures de la famille Ingalls, menant une vie d’autonomie et de sobriété à la campagne.

 

Cet article vous a plu ?

 

Découvrez notre revue Valériane, le bimestriel belge francophone des membres de Nature & Progrès Belgique. Vous y trouverez des

informations pratiques pour vivre la transition écologique au quotidien, ainsi que des articles de réflexion, de décodage critique sur nos enjeux de

société. Découvrez-y les actions de l’association, des portraits de nos forces vives, ainsi que de nombreuses initiatives inspirantes.

 

 En devenant membre de Nature & Progrès, recevez la revue Valériane dans votre boite aux lettres. En plus de soutenir nos actions,

vous disposerez de réductions dans notre librairie, au Salon bio Valériane et aux animations proposées par nos groupes locaux.