Cette analyse est parue dans la revue Valériane n°174
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Par Sylvie La Spina
et Hamadou Kandé,
rédactrice en chef et animateur
chez Nature & Progrès
Près de Binche, un ancien domaine de vacances se mue en écovillage rassemblant des habitats légers. Les résidents nous partagent leurs valeurs, leurs actions, leurs projets mais aussi les déboires qu’ils rencontrent dans cette expérience collective.
Les habitants qui ont partagé leur témoignage
« Tournez à droite. » Le GPS me fait quitter la route provinciale pour m’engager sur un chemin de terre plongeant dans les bois. Encore 200 mètres dans un réseau de drèves portant de jolis noms d’oiseaux. A gauche, à droite, entre les grands arbres, un petit chalet, une roulotte, une yourte, une ruine… Un piéton me fait un signe amical de la main. « Vous êtes arrivé. » Une dizaine de personnes sont réunies devant une construction, prenant place autour de tables en bois. Lundi matin, 10 heures : rassemblement des habitants volontaires pour la réunion hebdomadaire. Nous sommes à Pincemaille, écovillage situé dans la commune d’Estinnes, près de Binche.
Ecovillage en devenir
Alexia raconte l’histoire des lieux. Un village de vacances établi sur 55 hectares, datant des années 1960, accueillant alors 300 chalets. Le temps passant, des personnes se sont installées durablement sur le site. Dépôts d’immondices, squats, chalets incendiés, violence, les faits divers relayés par la presse en ont fait une zone de non-droit mal famée. Il était nécessaire de trouver un nouveau projet. Pincemaille deviendra un écovillage rassemblant des habitats à faible emprise sur le sol, dans une dynamique collective. Il n’y a plus qu’à…
Petit à petit, des personnes désireuses de vivre en yourte, en tiny house ou en roulotte s’intéressent au lieu, mais l’enjeu est de taille. Il faut monter le projet sur un terreau de personnes habitant déjà sur place, loin de la philosophie souhaitée pour le lieu, et d’immondices semées par vingt années de laisser-aller. Le climat ambiant et la réputation des lieux n’aident pas à faire venir de nouvelles forces vives. Peu à peu, les choses s’organisent. Une plaquette explicative est réalisée par un groupe porteur, définissant la vision, les missions et ambitions du projet.
Un laboratoire social
Comme un village, Pincemaille rassemble des personnes d’horizons très différents. Il y a les habitants historiques de la propriété, mais aussi des gens du voyage, des pensionnés et des « alternatifs » qui souhaitent vivre en habitat léger au plus proche de la nature. Pour ces derniers, la question s’est vite posée d’apprivoiser leurs voisins et d’organiser la bonne entente. Le liant, ce sont les ateliers avec les enfants, la fête des voisins… « Pincemaille n’est pas une communauté : certains s’investissent, d’autres pas… ». L’idée est de viser l’inclusion, ne pas arriver à des ghettos où les habitants légers vivent entre eux.
Actuellement, le site compte 90 parcelles occupées et l’objectif est de monter à 150 pour atteindre l’équilibre économique. Mais hors de question de précipiter les choses. Pour assurer l’adéquation entre les personnes intéressées et le lieu, un processus d’intégration a été mis en place. Les porteurs de projet déposent une candidature, participent à des réunions et à des chantiers participatifs, s’immergent le temps d’un week-end avant de soumettre leur décision, ce qui prend entre six mois et deux ans. « Du lien avant les briques »… même si des briques, il n’y en a pas.
Décider ensemble
Le propriétaire a confié à une personne du milieu de l’immobilier la gestion du site. Une asbl créée, il y a cinq ans, pour la gestion foncière, sert d’interface entre le propriétaire et les résidents. Elle permet d’instaurer le dialogue et finance des projets proposés par les habitants. Le propriétaire rembourse les frais de l’asbl qui compte un ouvrier et deux employés. Les décisions sont prises par le gestionnaire à l’issue d’un processus participatif. Des groupes de travail rassemblent des volontaires sur des thématiques précises : la gestion des déchets, les conditions d’acceptation d’animaux domestiques, l’école du dehors, la ferme pédagogique… Les réunions du lundi permettent d’échanger sur le quotidien et sont un lieu de convivialité. Pour Christophe, qui construit sa tiny house sur le site, ce double mécanisme est important car, pour certaines interventions, il est nécessaire d’avoir un statut d’autorité, une légitimité que détient le gestionnaire.
Les résidents rencontrent des problèmes liés au statut du domaine. En effet, si chacun dispose d’une adresse et d’une boite aux lettres, la poste n’apporte pas le courrier, considérant que le camping constitue une propriété et non un quartier d’habitants. Même souci avec le ramassage des immondices. Au début, chacun apportait ses ordures en un lieu central, mais les rats déchiraient les sacs et la société de ramassage refusait la prise en charge. Maintenant, les ouvriers de l’asbl s’occupent de rassembler les sacs et de les apporter au bon moment au lieu de ramassage. Une solution décidée en commun et qui fonctionne. La dépollution du site s’organise pour évacuer des décennies de déchets laissés sur place. Un crowdfunding a permis de rassembler 30.000 euros dans ce but.
Dans l’écovillage, vivre en yourte au milieu des bois
Vivre dans l’illégalité
Pincemaille est un « domaine de vacances résidentiel » (habitat permanent) comme il en existe beaucoup en Wallonie. Comme pour toute habitation, la loi Tobback[i] oblige les communes à domicilier les personnes là où elles déclarent vivre, y compris en habitation légère. Cependant, la situation en zone de loisirs constitue une infraction urbanistique. Leur présence est tolérée par les autorités communales, qui ne soutiennent pas l’écovillage à la grande déception des porteurs de projet.
En 2021, un procès-verbal a été dressé pour une yourte construite sur les lieux. Le procureur du roi a décidé de classer le dossier sans suites. Le fonctionnaire délégué a cependant demandé une mise en ordre urbanistique. Les résidents risquent non seulement une expulsion, mais aussi une amende administrative. C’est une épée de Damoclès permanente. « On accepte de vivre avec et on fait des démarches, mais c’est compliqué. »
Légaliser l’habitat léger
« Nous souhaitons créer un cadre légal pour faire avancer les choses au niveau régional. Cependant, nous craignons les règles, les éventuels frais de transmission de nos biens, l’obligation de faire un PEB. Nous n’avons pas envie de nous encombrer d’un permis et de démarches administratives, mais nous sommes prêts à agir pour faire bouger les choses. Il y aurait 10.000 personnes vivant dans l’illégalité en habitat permanent en Wallonie[ii]. »
Le collectif s’entoure du soutien d’une avocate spécialisée dans la problématique de l’habitat léger ainsi que d’associations telles que Habitat et participation et le Rassemblement wallon pour le droit à l’habitat. Il souhaite avoir recours au droit de pétition[iii], qui nécessite de rassembler les signatures de mille personnes et oblige les autorités à considérer la demande de changement ou d’innovation proposée.
La région wallonne a créé un nouveau statut qui peut légaliser la situation : des zones d’habitat vert[iv]. Mais il y en a peu car cette zone implique que la voirie et l’égouttage soient pris en charge par les communes[v], ce qui représente un coût important. Xavier, qui habite sur le site depuis deux ans, explique qu’il faudrait faire tomber cet obstacle. « Ici, ça ne coûte rien à la commune puisque les voiries sont prises en charge par le collectif et l’égouttage est individuel. » Les résidents trouvent qu’il y a à Pincemaille une formidable opportunité pour la commune d’expérimenter un site d’installation d’habitats légers.
Lien au terrain
« On voit des projets d’accueil d’habitat léger qui se mettent en place à partir des pouvoirs publics, mais ils ne correspondent pas aux besoins des porteurs de projets. » Il faudrait que la solution réponde aux problèmes concrets d’une population qui existe déjà, changer la vision des communes, les rapprocher du terrain. Laurent témoigne : « Il faut construire des zones d’habitat vert à partir des connaissances des gens qui y habitent déjà. » Et c’est ici que l’écovillage de Pincemaille représente une opportunité intéressante. « On a besoin de vulgarisation, de montrer que quelque chose d’autre existe. Pincemaille se transforme mais conserve encore une vision négative par les habitants des environs. » Un documentaire tourné par Télévision du Monde démarre sa diffusion et permettra d’essaimer les idées portées par le collectif, et peut-être, in fine, de convaincre les autorités publiques de s’ouvrir à ce genre d’initiative.
Venez rencontrer les habitants de l’écovillage de Pincemaille à Festi’Valériane ! Informations pratiques sur www.valeriane.be.
REFERENCES
[i] Loi Tobback du 19 juillet 1991 relative aux registres de la population
[ii] http://cohesionsociale.wallonie.be/actions/PHP
[iii] Le droit de pétition est inscrit dans l’article 28 de la Constitution. Il permet à un ou plusieurs citoyens (quel que soit leur âge) de faire entendre leur voix en attirant l’attention des autorités publiques sur leurs préoccupations. Il peut s’agir d’un avis, d’une demande, d’une plainte ou de toute autre proposition. Le contenu d’une pétition peut servir aux parlementaires pour établir ou améliorer une législation, pour renforcer leur contrôle de l’action du Gouvernement ou pour faire prendre une position par le Parlement.
Les articles 127 et 128 du Règlement organisent le droit de pétition auprès du Parlement de Wallonie.
[iv] La zone d’habitat vert est définie dans l’Art. D II 25/1 du Code wallon de Développement territorial. La zone d’habitat vert est principalement destinée à la résidence répondant aux conditions fixées dans le présent article :
1° chaque parcelle destinée à recevoir une résidence doit présenter une superficie minimale de 200 mètres carrés nets ;
2° le nombre de parcelles à l’hectare calculé sur l’ensemble de la zone ne peut être inférieur à quinze et ne peut excéder trente-cinq ;
3° les résidences sont des constructions de 60 mètres carrés maximum de superficie brute de plancher, sans étage, à l’exception des zones bénéficiant d’un permis de lotir ou d’un permis d’urbanisation existant et permettant une superficie d’habitation plus grande.
4° à titre exceptionnel et pour autant que le nombre de parcelles qui leur est réservé ne dépasse pas 2 % du nombre de parcelles de la zone, peuvent y être admises des constructions ou installations favorisant le tourisme alternatif répondant aux conditions visées au 3° en ce compris les yourtes et les cabanes dans les arbres.
La mise en oeuvre de la zone d’habitat vert est subordonnée à l’adoption d’un schéma d’orientation local approuvé par le Gouvernement couvrant la totalité de la zone et à la délivrance d’un permis d’urbanisation ou d’un permis de construction groupée couvrant tout ou partie de la zone mise en oeuvre.
La zone d’habitat vert peut comporter de la résidence touristique, ainsi que des activités d’artisanat, d’équipements socioculturels, des aménagements de services publics et d’équipements communautaires, pour autant que cette résidence touristique et ces activités soient complémentaires et accessoires à la destination principale de la zone visée à l’alinéa 1er.
La zone d’habitat vert doit accueillir des espaces verts publics couvrant au moins 15 % de la superficie de la zone.
[v] Art. D II 64 du Code wallon de Développement territorial.
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