Cette analyse est parue dans la revue Valériane n°176
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Par Maylis Arnould,
rédactrice pour Nature & Progrès, et
Sylvie La Spina, rédactrice en chef
La terre, base de notre alimentation, est une ressource qui devrait être gérée dans l’intérêt collectif en vue de la préserver pour toutes et tous aujourd’hui et pour les générations futures. Le système actuel dominant, la propriété privée, est-il compatible avec cette mission ? Comment s’est-il mis en place et existe-t-il des alternatives à favoriser ? Comment composer avec la situation actuelle ? Ensemble, décortiquons la question de la propriété de la terre agricole.

(c) Martin Chavée
82.200 panneaux solaires sur 40 hectares de terre agricole, tel était le projet qui a secoué, en ce début d’année, les habitants du village d’Ortho (commune de La Roche-en-Ardenne). Projet recalé grâce à la mobilisation citoyenne : 460 avis négatifs sur 537 collectés lors d’une consultation organisée par la commune, 725 réponses à un formulaire mis en place par le collectif « Occupons le terrain »[i]. L’affaire était juteuse pour le propriétaire, mais ces terres n’ont-elles pas pour mission première de nous nourrir ? Des enjeux collectifs se confrontent aux intérêts privés. Comment faire en sorte que le propriétaire de ces terres privilégie l’intérêt collectif et nourricier plutôt que son portefeuille personnel ? Régulièrement, le système de la propriété privée, aujourd’hui dominant, est questionné. Nature & Progrès avait déjà mené des réflexions sur le sujet dans le cadre du projet « Echangeons sur notre agriculture » en 2016[ii]. Approfondissons encore ensemble ces questions via une analyse critique et historique pour comprendre comment le modèle actuel s’est mis en place et réfléchir les alternatives.
La terre et les humains, entre bien commun et propriété privée
Que ce soit sur les plans juridique, administratif, financier ou encore commercial, la perception de la terre en tant que propriété est un des piliers du rapport moderne que nous entretenons avec elle. Un panneau « propriété privée » à l’entrée d’une forêt nous pousse davantage à faire demi-tour qu’à questionner le principe même de cette notion. Le lien entre humain et territoire a toujours été un sujet fondamental. Il l’est d’ailleurs encore plus dans une époque où les espaces sont délimités selon leur appartenance à un ou plusieurs propriétaires. Mais alors, est-ce que la terre nous appartient vraiment ou, en nous l’appropriant, avons-nous oublié que c’était nous qui lui appartenons ?
Petite histoire des communs
Dans un système où la marchandisation ne fait que croitre, champs, forêts, lacs et sources sont considérés comme des biens et non plus comme une ressource collective. Les terres agricoles sont de plus en plus difficiles d’accès, les forêts deviennent privées avec l’objectif, souvent, de les exploiter plutôt que de les préserver. Pourtant, ces ressources n’ont pas toujours été considérées comme des biens privés, en tout cas pas d’une façon aussi normée qu’elles le sont actuellement.
Comme l’explique le collectif Les Soulèvements de la terre dans son essai « Premières secousses » (La Fabrique, 2024), « pour nous qui sommes nés sous ce régime foncier façonné par la propriété privée excluse et abusive, il n’est pas évident d’imaginer qu’il n’en fut pas toujours ainsi. Cette forme s’est imposée en Occident en lieu et place du régime féodal des propriétés simultanées[iii]. Songeons qu’au XVIIIe siècle en Bretagne, les communaux occupaient encore 42 % du territoire ! »
Même si l’Eglise et la royauté possédaient une partie des terres, certains espaces étaient occupés par des communautés villageoises indépendantes avec une répartition qui se voulait relativement équitable. Ces communaux, particulièrement répandus au Moyen Âge, n’appartenaient à personne et en même temps à tout un chacun. Ces terrains communs n’étaient pas délimités. Qui le souhaitait pouvait aller y faire pâturer ses animaux ou se fournir en bois, baies, miel ou tout autre produit destiné à se chauffer, s’abriter ou se nourrir. « Les paysans usaient ainsi d’un droit coutumier d’usage sur ces biens communaux, sans avoir à payer une contrepartie à la communauté ou au seigneur, contrairement à d’autres droits seigneuriaux comme l’usage du four à pain ou du moulin. Avec le droit de pacage et le droit de glanage, le droit d’usage des communaux procurait une certaine sécurité aux familles paysannes, pour leurs besoins fondamentaux de la vie courante » explique Anne Lechêne dans son ouvrage « L’histoire méconnue des communs » (Colibris Le Mag, 2017). Considérés comme essentiels, ces espaces communaux étaient préservés et entretenus. Seule la quantité vitale y était prélevée ; le reste servait aux autres habitants ou était laissé sur place afin de garantir une récolte l’année suivante.
Et vint le temps des clôtures
C’est au XIIe siècle que les communs commencent à diminuer au profit de propriétés foncières, souvent détenues par un petit groupe d’individus. Il y a plusieurs explications à cette évolution. D’abord, le temps de guerre pousse les paysans à revendre leurs petites parcelles de terres aux seigneurs afin de se garantir une sécurité. Même si ceux-ci jouissent toujours de l’utilisation de ces terres, ils n’en sont plus propriétaires et doivent se séparer d’une partir de leurs récoltes. Puis, bien qu’émergeant en Angleterre, le mouvement que l’on appelle des « enclosures »[iv] n’a pas épargné la plupart des autres pays européens. « Les terrains communaux furent clôturés et rendus aux moutons, tandis que les familles paysannes tombaient dans la précarité. Au fil des XVIIe et XVIIIe siècles, la Chambre des Communes, le Parlement anglais, mettait fin aux droits d’usage et démantelait les communaux par les Enclosure Acts. » Les grands espaces partagés deviennent de petits espaces individuels séparés. Les paysans se retrouvent enfermés dans leurs champs. Enfin, l’intégration de la propriété dans le code civil, en 1804, comme « le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements » marque définitivement une nouvelle ère quant à l’utilisation des parcelles.
Rappelons tout de même que certains espaces communs ont perduré. C’est le cas des forêts communales, utilisées de manière collective pour y faire du bois – l’affouage – comme à Saint-Hubert. Mais ceci ne concerne qu’une minuscule surface. Dans notre monde actuel, un pourcent des fermes industrielles occupent 70 % des terres agricoles. Les grandes entreprises se mettent à investir dans le foncier. Elles l’achètent plus cher et empêchent l’installation de petites fermes nourricières locales. Le temps de la noblesse du Moyen Âge étant pourtant loin derrière nous, notre modèle agricole et économique actuel n’a pas perdu ses riches propriétaires terriens.
Mais alors, quelle forme prend la propriété des terres à notre époque ? Qui possède les terres ? Qu’en fait-on vraiment ? Comment certains groupes d’individus trouvent-ils des solutions pour perpétuer un partage des terres plus sain ?

Les terres agricoles, des propriétés pas comme les autres
Dans la première partie de cette analyse, nous nous intéressions au partage des terres ainsi qu’aux évènements qui ont permis à la propriété foncière de prendre le dessus sur l’utilisation collective des espaces dédiés à l’agriculture. Questionnons à présent la propriété des terres dans notre monde moderne. Comment est-elle répartie ? Quelles sont les différentes utilisations de ces terres ? Quel modèle pour assurer l’intérêt collectif ?
Les terres appartiennent-elles aux agriculteurs ?
Nous pourrions croire que le foncier agricole appartient à celles et ceux qui le cultivent. C’est de moins en moins le cas. Selon le dernier rapport de l’Observatoire du foncier agricole wallon (2024), seulement 53 % des terres agricoles étaient vendues à des acteurs en lien avec l’agriculture. La majorité des terres sont louées, ce qui permet aux producteurs de ne pas investir et grossir le capital de la ferme. Un avantage, à condition que le système de location (le bail à ferme) « se passe bien », ce qui n’est actuellement pas le cas : les propriétaires s’en détournent pour faire gérer leurs terrains par des sociétés[v].
Par ailleurs, le nombre de grosses exploitations augmente au détriment des petites structures. Les derniers chiffres-clés indiquent que « depuis 1980, la superficie moyenne des exploitations agricoles a triplé. Elle est passée de 12,5 hectares en 1980 à 38,7 hectares en 2022. L’accroissement d’échelle s’est accentué à partir des années 90 et est plus marqué en Flandre qu’en Wallonie. »[vi]
A ce constat s’ajoute l’émergence d’un nouveau type d’acheteurs. De grandes sociétés, européennes ou non, investissent dans la terre pour y créer leurs propres exploitations en rachetant les fermes à des prix allant parfois jusqu’à quatre fois celui du marché. D’après un rapport de Terre de Liens[vii], en France, une ferme sur dix est une société financiarisée. L’accumulation foncière par un petit pourcentage d’individus empêche la naissance de structures plus petites, locales et écologiques[viii].
Détournement des usages
Enfin, les terres utilisées pour l’agriculture font parfois l’objet d’autres usages. L’artificialisation touche en moyenne 1.810 hectares par an depuis 1985, principalement à destination du logement (1.130 hectares par an avec une croissance de 45 % en 30 ans), et secondairement à destination du développement économique et industriel (160 hectares par an avec une croissance de 38 % ces 30 dernières années). Si les terres sont reprises en « zone agricole » au plan de secteur, elles se trouvent relativement protégées, sauf en ce qui concerne l’érection de bâtiments agricoles. Mais 11 % des terres utilisées par l’agriculture se situent en zone urbanisable : près de 100.000 hectares peuvent, à terme, être artificialisés[ix].
Les terres agricoles servent aussi maintenant à la production d’énergie. L’agrivoltaïsme pose de réelles questions : le placement de champs de panneaux solaires permet-il encore réellement une production agricole ? Les projets énergétiques, bien plus rentables que l’agriculture, prennent possession de nos terres nourricières.
Intérêt privé ou intérêt collectif
Selon la définition du Larousse, la propriété privée est le « droit d’user, de jouir et de disposer d’une chose d’une manière exclusive et absolue sous les seules restrictions établies par la loi ». Mais cette liberté d’usage d’une ressource aussi précieuse que la terre, source de notre alimentation, et toute la biodiversité qu’elle accueille, va à l’encontre de l’intérêt commun. Ne faudrait-il pas changer de paradigme, en revenir à une gestion collective permettant le partage des terres et une gestion concertée ?
Est-ce que d’autres formes que la propriété privée peuvent garantir la préservation des terres et de la biodiversité qui y vit, et assurer un usage conforme à l’intérêt général ? Des collectifs et associations inventent de nouveaux modèles pour repartager les terres de façon plus respectueuse pour les humains mais également le reste du vivant. Quelles sont les conclusions de leurs expérimentations ? Peut-on, comme le propose l’essayiste américain Jeremy Rifkin[x], dissocier le droit de posséder la terre de celui d’en faire un usage exclusif ; passer de la propriété à l’accès ?

Terres nourricières, privilégier l’intérêt collectif
L’action délétère de l’homme sur la nature et sur ses ressources exige des mesures de sauvegarde. Et si le « capital naturel », les écosystèmes et leurs ressources – dont nos terres nourricières – étaient considérés comme des biens communs et gérés comme tels, dans le souci des droits de tous les peuples et des générations futures ?
Bien commun, la ruine de la société ?
Gérer un bien en collectif, est-ce que ça marche ? Aristote, déjà, en doutait : « Ce qui est commun à tous fait l’objet de moins de soins, car les Hommes s’intéressent davantage à ce qui est à eux qu’à ce qu’ils possèdent en commun avec leurs semblables. » Arrive, plus tard, la théorie de la « tragédie des communs », développée en 1833 par l’économiste britannique William Forster Lloyd et popularisée par le biologiste américain Garrett Hardin en 1968. Ce dernier utilise l’exemple hypothétique des effets d’un pâturage non réglementé sur des terres communes en Grande-Bretagne et en Irlande. Chaque éleveur ayant intérêt à agrandir son troupeau pour gagner plus, on arriverait à un surpâturage détériorant la ressource commune et entrainant « la ruine de tous ». Le « commun » ne serait plus délaissé, comme indiquait Aristote, mais surexploité selon Hardin. Notons que c’est dans ces mêmes pâturages britanniques piquetés de moutons qu’est né le capitalisme avec l’enclosure des terrains et le lancement de la propriété privée (lire Valériane n°174). Un hasard ? Quoi qu’il en soit, la théorie de la « tragédie des communs » a la peau dure, étant encore aujourd’hui régulièrement évoquée pour décrédibiliser les initiatives collectives, incompatibles avec le modèle capitaliste.
Les mirages de la propriété privée
Les tenants du capitalisme mettent en avant la propriété comme la solution pour une bonne gestion du bien. La professeur américaine Carol Rose[xi] analyse : « Ce droit, dit-on, rend la propriété privée fructueuse en permettant aux propriétaires de capter la pleine valeur de leurs investissements individuels, encourageant ainsi tout un chacun à consacrer du temps et du travail à la mise en valeur des ressources. » Mais surtout, cette propriété privée pousse à la consommation voire à la surexploitation… « Le contrôle exclusif d’un bien permet aux propriétaires de s’identifier entre eux, et donc d’échanger les fruits de leur travail, jusqu’à ce que ceux-ci arrivent entre les mains de ceux qui leur accordent le plus de valeur, au grand avantage cumulatif de tous. Ainsi, la propriété privée exclusive est censée favoriser le bien-être de la communauté en donnant à ses membres un milieu dans lequel les ressources sont utilisées, conservées et échangées pour leur plus grand avantage. » Le bien-être de tous : grande promesse du capitalisme et de la croissance…
Notons que la privatisation des terres par le travail permit de justifier l’accaparement des terres des Indiens d’Amérique par les colons. En effet, le principe énoncé par le philosophe anglais John Locke au XVIIe siècle de « privatisation par le travail » énonce : « Bien que la terre et toutes les créatures inférieures appartiennent en commun à tous les hommes, chaque homme est cependant propriétaire de sa propre personne. Aucun autre que lui-même ne possède un droit sur elle, le travail de son corps et l’ouvrage de ses mains lui appartiennent en propre. Il mêle son travail à tout ce qu’il fait sortir de l’état dans lequel la nature l’a laissé, et y joint quelque chose qui est sien. Par-là, il en fait sa propriété. Cette chose étant extraite par lui de l’étant commun où la nature l’avait mise, son travail lui ajoute quelque chose, qui exclut le droit commun des autres hommes. » Puisque les Indiens ne travaillent pas leurs terres, celui qui les exploite en acquiert automatiquement la propriété. Et si un Indien s’oppose par la violence à cette spoliation par le travail, il est « tout à fait assimilable, comme tout criminel, aux bêtes sauvages près de qui l’être humain ne connaît ni société ni sécurité ; on peut donc le détruire comme un lion, comme un tigre. »[xii]
Non sans gestion
Les postulats d’un bien commun sous- ou surexploité font fi de la réalité de terrain. Elinor Ostrom, économiste et politologue, a reçu en 2009, avec Olivier Williamson, le Prix de la Banque de Suède en sciences économiques pour ses travaux sur la gouvernance économique, en particulier des biens communs. S’inspirant des modes de gestion des communs traditionnels dans diverses régions du monde, la chercheuse met en évidence l’interdépendance des usagers des communs et leur organisation. « Cette construction du commun n’assure pas seulement l’efficacité productive : elle développe également des comportements différents et des subjectivités nouvelles. »[xiii] Selon Elinor Ostrom, des normes comportementales et des mécanismes sociaux se mettent en place, un climat de confiance et un sens de la communauté.
Les règles, mises en place par les usagers, « spécifient, par exemple, combien d’unités de ressources un individu peut s’approprier, quand, où et comment elles peuvent être appropriées ainsi que les contributions en termes de main d’œuvre, de matériel ou d’argent… Les unités de ressource seront alors allouées de manière plus prévisible et efficace… et le système de ressource lui-même sera maintenu dans le temps. » [xiv] Une reconnaissance minimale de la légitimité de ces règles doit être fournie par les autorités centrales.
Réfutant la « tragédie des communs » de Hardin, Elinor Ostrom et David Bollier analysent : « ce pâturage n’a pas de vraie délimitation, pas de règles de gestion, pas de sanction pour prévenir la surexploitation et pas de communauté d’usagers définie. Bref, ce n’est pas un commun. »[xv] Le succès des communs repose sur le climat de confiance entre usagers, des règles adaptées, flexibles et démocratiques basées sur un apprentissage collaboratif et des sanctions (accompagnée du blâme social). Reconnaissant les limites de sa théorie, Hardin est revenu sur sa thèse précisant que celle-ci aurait dû s’intituler « La tragédie des communs non gérés »[xvi].
Et en pratique ?
Faire des terres agricoles un bien commun, c’est l’objectif poursuivi par Terre-en-vue[xvii] en Wallonie et à Bruxelles. La coopérative acquiert des terres agricoles grâce à l’épargne citoyenne pour protéger leur fonction nourricière à très long terme et loue ces terres à des producteurs agroécologiques, en respectant la législation sur le bail à ferme (longue durée, fermage limité et liberté de culture). « La gestion en bien commun consiste à s’organiser collectivement pour gérer ensemble une ressource au service de la collectivité. Ainsi, la gestion de la terre n’est pas laissée au marché économique, ni à l’État. Concrètement, nous invitons citoyens et agriculteurs à déterminer ensemble les règles d’usage (clauses environnementales, contrats, règles de contrôle…). Le collectif citoyen délègue ensuite aux agriculteurs la responsabilité de cultiver ce bien commun avec soin, en vue d’y produire une alimentation saine et durable. », témoigne Estelle Vercez, chargée de communication de l’association.
Des terres ont été acquises pour 34 fermes (dont six producteurs de la mention Nature & Progrès) répondant à différents critères : (1) elles produisent une alimentation saine et accessible, (2) elles sont tournées vers les populations locales (vente en circuits courts, fermes ouvertes…), (3) elles sont respectueuses des terres agricoles, de l’environnement, de la biodiversité et des paysages (respect de huit clauses à travers une servitude environnementale et du cahier des charges de l’agriculture bio), (4) elles poursuivent un objectif d’autonomie (technique, financière et décisionnelle) et de résilience, (5) elles sont économiquement viables et transmissibles, (6) elles sont portées par des entrepreneurs professionnels et (7) ouverts au dialogue.

(c) Martin Chavée
Privilégier le collectif
Cette analyse nous encourage à questionner notre modèle sociétal. Tellement habitués aux clôtures et barrières qui délimitent les champs et les prairies, nous sommes-nous déjà posé la question de la pertinence de la propriété privée telle qu’elle est appliquée aujourd’hui ? Nos terres nourricières sont menacées par l’intérêt personnel et financier du propriétaire, qui a aujourd’hui tendance à les détourner de leur fonction première ou à favoriser des pratiques néfastes pour l’environnement et pour notre santé.
Nous avons compris, en revenant sur les origines de cette propriété privée, que d’autres modèles ont existé et étaient appliqués dans nos régions, et subsistent ailleurs dans le monde. Nous nous rendons aussi compte que les terres travaillées par les agriculteurs ne leur appartiennent pas forcément, et que de nombreux terrains sont achetés par des financiers comme placements à rentabiliser financièrement. Ces évolutions vont à l’encontre du rôle premier de la terre qui est de nourrir la population locale, un besoin premier et fondamental. La souveraineté alimentaire voudrait même que les citoyens puissent choisir le mode de production de leur alimentation, soit, comment elle est produite, notamment au niveau des conditions sociales et environnementales.
Et si les terres redevenaient des biens communs gérés dans l’intérêt du collectif ? Ces termes font souvent grincer des dents : la « tragédie des biens communs », largement popularisée, fait encore croire à une mauvaise gestion, bien que les idées reçues oscillent entre surexploitation et sous-entretien du bien. C’est méconnaitre, nous l’avons vu, le fonctionnement des communs qui repose sur une gouvernance partagée et évolutive, dont le mot d’ordre est la confiance et dont le garde-fou est un contrôle social assorti de sanctions. Il ne s’agit pas de laisser tous les usagers faire ce qu’ils veulent comme ils le veulent, dans l’anarchie et le chaos !
Des initiatives concrètes démontrent aujourd’hui que ce mode de propriété des terres fonctionne. Nous avons analysé le cas de Terre-en-vue, mais pensions aussi au collectif « Les Soulèvements de la Terre », Terres de Liens, ZAD (zones à défendre), fermes collectives, prêts de terrains, mouvement des Colibris, etc. Un fourmillement d’actions citoyennes qui donnent des perspectives et de l’espoir. Contribuons à les faire connaître et soutenons leurs actions ! Et si les terres publiques (communales, régionales…), censées être « collectives », rentraient, elles aussi, dans ce type de gestion ?
REFERENCES
[i] Occupons le terrain. La Roche-en-Ardenne. Projet agrivoltaïque recalé par la Région. 3 octobre 2025. https://occuponsleterrain.be/2025/10/03/la-roche-en-ardenne-projet-agrivoltaique-recale-par-la-region/
[ii] La Spina S. 2015. Réflexions et pistes pour favoriser l’accès à la terre de nos agriculteurs « modèles ». https://agriculture-natpro.be/dossiers/brochures/
[iii] Dans son ouvrage « La propriété de la terre » (Wildproject, 2022), Sarah Vanuxem définit le système de propriété simultanée comme « un système des propriétés imbriquées, enchevêtrées […] [qui] renvoie à une multiplicité de divers droits de propriété intéressant un même fond de terre » (2018).
[iv] D’après Geoconfluence (https://geoconfluences.ens-lyon.fr/), « L’enclosure est un terme anglais désignant, au sens strict, une parcelle enclose d’un muret de pierres sèches ou d’une haie ».
[v] Relire notre étude « Réflexions et pistes pour favoriser l’accès à la terre de nos agriculteurs modèles » (2015), partie 3 sur https://agriculture-natpro.be/dossiers/brochures/
[vi] Statbel. 2024. Chiffres clés de l’agriculture 2024. https://statbel.fgov.be/fr/nouvelles/chiffres-cles-de-lagriculture-2024
[vii] Terre de Liens. 2022. État des terres agricoles en France.
[viii] Pour davantage de détails sur ce sujet, lire les deux livres collectifs des Soulèvements de la Terre : « On ne dissout pas un soulèvement » (Seuil, 2023) et « Premières secousses » (La Fabrique, 2024).
[ix] Relire notre étude « Réflexions et pistes pour favoriser l’accès à la terre de nos agriculteurs modèles » (2015), partie 4 sur https://agriculture-natpro.be/dossiers/brochures/
[x] Rifkin J. 2014. La nouvelle société du coût marginal zéro. Actes Sud.
[xi] Rose C. 2024. La comédie des communs : coutume, commerce et biens intrinsèquement publics. Dans : Boccon-Gibod T et Perroud T. « Les communs sans tragédie », Hermann, 280 pages. https://shs.cairn.info/les-communs-sans-tragedie–9791037038913-page-13?lang=fr&tab=premieres-lignes
[xii] Domenico Losurdo. 2013. Contre-histoire du libéralisme, La Découverte.
[xiii] Pierre Dardot et Christian Laval. 2014. Commun : essai sur la révolution au XXIe siècle, La Découverte, 592 p.
[xiv] Elinor Ostrom (trad. de l’anglais). 2010. Gouvernance des biens communs : pour une nouvelle approche des ressources naturelles, De Boek, 301 p.
[xv] David Bollier (trad. de l’anglais). 2014. La Renaissance des communs : pour une société de coopération et de partage, Charles Léopold Mayer, 191 p.
[xvi] Garett Hardin. 2017. The tragedy of the unmanaged commons. Dans : Evolutionary Perspectives on Environmental Problems, Routledge.
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