Cette analyse est parue dans la revue Valériane n°174

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Par Virginie Pissoort,

chargée de campagnes
chez Nature & Progrès

La Cour des Comptes de Belgique, chargée de contrôler les finances en vue d’une bonne gestion du trésor public, s’est emparée de la politique en matière d’utilisation durable des pesticides de la Wallonie. Traduit-elle les objectifs européens ? Est-elle mise en œuvre de façon efficace, coordonnée et ciblée ? Peut mieux faire !

 

Nature & Progrès, qui, au nom de la société civile, suit de près les évolutions en matière de pesticides, n’avait aucune connaissance de l’initiative de cette haute institution jusqu’à sa publication. Nous en rêvions pourtant, mais sans possibilité aucune d’influencer le travail de cette institution qui agit d’initiative et reste à l’écart de tout contact avec la société civile. De toute évidence, celle-ci n’était pas sourde aux doléances et sonnettes d’alarme de la société civile sur l’inefficacité et le manque d’ambition de la politique wallonne en matière de réduction des pesticides.

 

Des lacunes qui coûtent à la société

Le rapport de la Cour des Comptes[i] fait état de la conservation de la biodiversité : un bilan préoccupant qui tend à démontrer que le risque pour l’environnement de l’utilisation des pesticides n’a pas décru. Près de 95 % des habitats naturels sont jugés en état défavorable, un tiers des espèces d’abeilles sauvages ont disparu ou sont menacées d’extinction, pareil pour les papillons. Par ailleurs, les quantités annuelles de pesticides utilisés sont globalement stables depuis 2004 avec 6 tonnes de substances actives sur les marchés belges. La Cour des Comptes de Belgique a dès lors entrepris de mettre son nez dans les politiques et plans de la Wallonie en matière de réduction des pesticides qui coûtent au contribuable et à la société.

Le 5 mai 2025, le rapport tombe. La conclusion est sans appel : « L’audit a mis en lumière d’importantes lacunes en matière de disponibilité de données, de statistiques, de planification, d’efficacité et de coordination de la politique mise en place. » Les ministres concernés, soit le ministre de tutelle, Yves Coppieters, en charge de l’environnement, et la ministre Anne-Catherine Dalcq en charge de l’agriculture, tous deux interrogés dans le cadre de l’audit, n’ont pas été surpris. Et c’est sans doute, d’ailleurs, la perspective de la sortie de ce rapport qui aura poussé la ministre Dalcq à annoncer dans les médias un projet « d’états généraux de la protection des cultures », quelques semaines plus tôt[ii]. Une intervention particulièrement chahutée par les acteurs de la santé[iii].

A la décharge de la région wallonne, la Cour des Comptes pointe d’emblée les difficultés tenant de la lasagne institutionnelle belge et l’imbrication des compétences en matière de pesticides. Pour rappel, le niveau fédéral a la charge de l’autorisation des produits (mise sur le marché) et le niveau régional, celle de l’utilisation « durable » des pesticides et donc des politiques et plans de réduction d’utilisation et du risque, conformément à la directive européenne « SUD »[iv]. Ce partage de compétences représente, sans aucun doute, une difficulté réelle. Nonobstant cette complexité, le rapport pointe des faiblesses au niveau de la politique mise en place par la région elle-même et particulièrement du troisième plan de réduction des pesticides en Wallonie, le PWRP 2023-2027.

 

Naviguer dans le brouillard

La disponibilité de données et d’indicateurs est un préalable au pilotage de toute politique. Or, les seuls chiffres fiables et officiels qui existent sur l’utilisation des pesticides sont ceux de la vente, globalisés au niveau national. Alors qu’une ventilation régionale de ces données ne semble pas irréaliste ou fantasque, cela n’a jamais été mis en place. Dans un pays de surcroit régionalisé, c’est surprenant. En France, les données sont fournies par département, ce qui permet de visualiser l’utilisation des produits par localité et de croiser ces informations avec des données de santé publique ou d’environnement. En Belgique, on dispose uniquement de chiffres par substance active, à l’échelle du pays. Pour le reste, on se contente de modélisations et d’extrapolations au départ d’échantillons d’utilisation obtenus sur base volontaire dans le cadre de programmes spécifiques, pas toujours représentatifs.

Au 1er juin 2026, un registre électronique des pulvérisations devrait voir le jour partout en Europe et permettre de dresser l’état des lieux de l’utilisation des pesticides. Encore faudra-t-il que cette initiative soit concrétisée, sachant que les syndicats agricoles freinent des quatre fers. Surtout, les données devraient être collectées, mutualisées et valorisées. A ce stade, l’obligation concerne uniquement « la tenue des registres ».

Une connaissance affinée de l’utilisation des produits ne suffit cependant pas. Dès lors que les stratégies visent la réduction de l’utilisation (la quantité) des pesticides, mais aussi la réduction des risques (la nocivité) de ces produits pour l’environnement et la santé, des indicateurs permettant de mesurer ces risques sont incontournables. Or, de telles balises qui permettraient de cibler spécifiquement les matières les plus préoccupantes (PFAS, néonicotinoïdes, CMR…) sont, depuis le temps, toujours en cours d’élaboration.

Le niveau de risque actuel des pesticides et son évolution sont de grandes inconnues en région wallonne.

 

Ambitieux mais pas SMART

Aucun point de repère au départ. Et à l’arrivée ? La région nous sert un chiffre ambitieux puisque le dernier plan ambitionne une réduction de la quantité et des risques des pesticides de 50 % à l’horizon 2030, conformément au Green Deal et à la Stratégie de la fourche à la fourchette. Mais cet objectif, conclut la Cour des Comptes, n’est pas SMART (Spécifique, Mesurable, Ambitieux, Réaliste et Temporellement défini). Le PWRP affiche des manquements en termes de cohérence, de lisibilité dans la conception, de trajectoire claire, de jalons intermédiaires, de priorités… C’est, en fait, une addition de 29 actions diverses et variées, regroupées dans 16 mesures classées dans 14 objectifs opérationnels s’inscrivant dans six objectifs spécifiques ; mais qui ne s’affichent dans aucun scénario concret de transition permettant d’atteindre l’objectif fixé. Au demeurant, ce que déplore la Cour, ces actions n’ont pas vocation à s’inscrire dans les résultats des actions de recherches scientifiques qui font pourtant partie du plan, mais qui semblent exister comme des électrons libres et pas comme des boussoles permettant d’atteindre l’objectif.

 

Et les agriculteurs dans tout ça ?

Aussi, le rapport le souligne – et c’est important pour ne pas stigmatiser les agriculteurs et polariser davantage « agriculture » et « environnement » – qu’il se peut que les dommages causés à l’environnement ne résultent pas tant de l’adoption de comportements irréguliers de la part des agriculteurs que d’une prise en compte insuffisante au niveau politique des risques avérés ou potentiels de ces substances dans un contexte généralisé par la prévalence d’un mode de production intensif sur un territoire relativement exigu.

Une autre faiblesse que relève le rapport, et dont une réelle prise en compte permettrait de donner plus de corps aux ambitions de la Wallonie, consiste dans l’absence d’accompagnement des producteurs dans des stratégies de réduction. Les initiatives sur base volontaire ou forcées en matière de diminution d’utilisation de produits de synthèse doivent être soutenues à l’aide de fonds publics pour que les agriculteurs s’en emparent. C’est bien logique car des pratiques agricoles sans intrants de synthèse représentent un bénéfice pour la société tout entière. L’agriculteur mérite un soutien financier pour rentrer et rester dans cette démarche.

Au contraire, rappelle la Cour des Compte, la dégradation de la biodiversité engendre des coûts économiques et sociaux particulièrement élevés, et c’est sans compter les coûts de santé et autres coûts sociaux auxquels notre société doit faire face : pollution de nos eaux, organisation de la mise sur le marché des pesticides et contrôle, etc.

 

Un caillou dans la chaussure

Dans un contexte redevenu favorable aux pesticides de synthèse, nourri par ceux qui brandissent le spectre de l’insécurité alimentaire imminente (changement climatique, guerre en Ukraine, etc.), où les avancées du Green Deal s’éloignent doucement, ce rapport tombe à point nommé pour renforcer notre travail de plaidoyer et pousser la région wallonne à se mobiliser. Alors que l’on nous rétorque souvent « des politiques et des outils comme le PWRP existent », ce rapport vient confirmer que la Wallonie peut et doit faire beaucoup mieux ! Ce n’est pas une option, c’est un devoir. Une série de recommandations clôturent le rapport d’audit de la Cour des Comptes. Nos autorités vont-elles s’en saisir, enfin, à leur juste mesure ?

 

REFERENCES

[i] Disponible sur https://www.ccrek.be/fr/publication/preservation-de-la-biodiversite-en-milieu-agricole-examen

[ii] Delepierre F. Anne-Catherine Dalcq présente son plan anti-pesticides : « J’ai horreur qu’on oppose agriculture et environnement ». Le Soir, 02/04/2025.

[iii] Société scientifique de médecine générale. « Nous ne pouvons accepter que la santé soit sacrifiée sur l’autel de la prospérité de l’industrie agro-alimentaire et chimique. Carte blanche. RTBF, 15/05/2025.

[iv] Directive 2009/128/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 instaurant un cadre d’action communautaire pour parvenir à une utilisation des pesticides compatible avec le développement durable.

 

 

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